CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 247908,249524
ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS
c/ M. et Mme M.
M. Maisl
Rapporteur
M. Chauvaux
Commissaire du gouvernement
Séance du 22 janvier 2003
Lecture du 19 février 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux
Vu 1°), sous le n° 247908, la requête, enregistrée le 17 juin 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. et Mme M., agissant tant en leur nom personnel qu’au nom de leurs enfants mineurs, ; M. et Mme M. demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt en date du 13 juin 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a, sur l’appel interjeté par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, ramené de 152 449 euros à 15 245 euros le montant de l’indemnité provisionnelle que le juge des référés du tribunal administratif de Paris leur avait allouée par ordonnance en date du 19 décembre 2001 ;
2°) de décider qu’il soit sursis à l’exécution de cet arrêt ;
3°) de condamner l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris à leur verser la somme de 4 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Vu, 2°), sous le n° 249524, la requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 12 août 2002, présentée pour l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, dont le siège est 3, avenue Victoria à Paris (75004) ; l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt en date du 13 juin 2002 de la cour administrative d’appel de Paris en tant qu’il l’a condamnée à verser à M. et Mme M. une provision de 15 245 euros à valoir sur la réparation du préjudice moral que ceux-ci ont subi en raison de l’erreur de diagnostic prénatal commise par l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la santé publique
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Maisl, Conseiller d’Etat,
les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. et Mme M. et de Me Foussard, avocat de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS,
les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre le même arrêt en date du 13 juin 2002 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, statuant en matière de référé provision, a ramené de 152 449 euros à 15 245 euros le montant de l’indemnité provisionnelle mise à la charge de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS que le juge des référés du tribunal administratif de Paris avait allouée à M. et Mme M. par ordonnance en date du 19 décembre 2001 ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la recevabilité de la requête de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS :
Considérant, d’une part, qu’en adressant à M. et Mme M. une lettre les informant qu’elle ne leur demanderait pas le remboursement de l’indemnité provisionnelle qui leur avait été attribuée, l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS n’a pas entendu renoncer au droit de se pourvoir en cassation contre l’arrêt attaqué ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable" ; qu’aux termes de l’article R. 541-3 : "L’ordonnance rendue par le président du tribunal administratif ou par son délégué est susceptible d’appel devant la cour administrative d’appel dans la quinzaine de sa notification" ; qu’aux termes du second alinéa de l’article R. 821-1 du même code : "Le défaut de mention dans la notification de la décision d’un délai de recours en cassation inférieur à deux mois emporte application du délai de deux mois" ; qu’il résulte de l’instruction que la notification à l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS de l’arrêt attaqué de la cour administrative d’appel de Paris mentionnait la possibilité de se pourvoir en cassation contre cette décision dans un délai de deux mois ; que, dès lors, le pourvoi en cassation de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat dans ce délai, n’est en tout état de cause pas entaché de tardiveté ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée à ce pourvoi par M. et Mme M. ne peut qu’être rejetée ;
Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué :
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS :
Considérant qu’aux termes du I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : "Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance./ La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer./ Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale./ Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation" ;
Considérant qu’en se prononçant sur la responsabilité du service hospitalier à l’égard de M. et Mme M. sans répondre au moyen soulevé devant elle par l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS qui, sans nier qu’une faute avait été commise à l’occasion du diagnostic prénatal effectué pendant la grossesse de Mme M., contestait qu’il s’agît d’une faute caractérisée à l’existence de laquelle le législateur a subordonné, aux termes des dispositions précitées de la loi du 4 mars 2002, la réparation du préjudice personnel des parents, la cour a insuffisamment motivé son arrêt ; que, par suite, ce dernier doit être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé provision engagée ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. et Mme M., dont le premier enfant né en 1990 était atteint d’amyotrophie spinale infantile et qui avaient déjà eu recours en 1992 à une interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique après qu’un diagnostic prénatal eut révélé l’existence d’un risque que l’enfant à naître fût affecté de la même maladie génétique, ont eu en 1997 un second enfant atteint de cette maladie, alors que les analyses de l’amniocentèse pratiquée sur Mme M. à sa demande n’avaient mis en évidence chez l’enfant à naître aucun risque d’amyotrophie spinale infantile ; que cette information, délivrée par le centre hospitalier universitaire de Nancy à M. et Mme M. s’est révélée erronée du fait d’une inversion des résultats des analyses pratiquées sur deux patientes ; qu’il n’est pas contesté que cette inversion est imputable à l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à laquelle les analyses avaient été confiées par le centre hospitalier universitaire de Nancy ;
Considérant qu’il n’est pas sérieusement contestable que de tels faits, constitutifs d’une faute caractérisée ayant privé M. et Mme M. de la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique, ouvrent droit à réparation en application de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002, entrée en vigueur depuis l’intervention de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris, et applicable aux instances en cours ; qu’il y a lieu, dans les circonstances particulières de l’espèce, de fixer à 50 000 euros le montant de l’indemnité provisionnelle mise à la charge de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS en raison du préjudice propre subi par M. et Mme M. ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu de condamner l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à payer à M. et Mme M. une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. et Mme M. qui ne sont pas la partie perdante soient condamnés à payer à l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS la somme qu’elle demande au même titre ;
DECIDE
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 13 juin 2002 est annulé.
Article 2 : La provision que l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS a été condamnée à verser à M. et Mme M. par le juge des référés du tribunal administratif de Paris est ramenée à 50 000 euros.
Article 3 : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris en date du 19 décembre 2001 est réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente décision.
Article 4 : L’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS versera à M. et Mme M. la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes formées devant le Conseil d’Etat et devant la cour administrative d’appel de Paris est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme M., à l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.