LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la demande de mesures conservatoires présentée le 26
août 1987 par la chambre de commerce et d’industrie de
Grenoble à l’encontre de la société Rivoire et
Carret-Lustucru ;
Vu les mémoires d’« observations complémentaires
» présentés par la société Lustucru et
par lesquels celle-ci s’associe à la demande de la chambre de commerce
et d’industrie de Grenoble et sollicite l’adoption de mesures conservatoires
,
Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative
à la liberté des prix et de la concurrence modifiée,
ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 pris
pour son application ;
Vu les pièces du dossier ;
Le commissaire du Gouvernement et les parties entendus ;
Considérant que les membres de la famille Cohen-Skalli détiennent,
depuis 1971, 56 p. 100 du capital de la société holding Rivoire
et Carret-Lustucru, elle-même propriétaire de 70 p. 100 des
actions de la société Lustucru ; que le président
du directoire de la société holding Rivoire et Carret-Lustucru,
société dont les droits d’actionnaire majoritaire dans le
capital de Lustucru ont été confirmés par un arrêt
de la cour d’appel de Paris en date du 18 juin 1986 devenu définitif,
a demandé le 14 mai 1987 l’inscription à l’ordre du jour
de la prochaine assemblée générale annuelle de la
société Lustucru de projets de résolution tendant
à la nomination de trois nouveaux administrateurs membres du «
groupe Cohen-Skalli » ; que le président-directeur général
de la société Lustucru ayant refusé d’accéder
à cette demande, un arrêt de la cour d’appel de Grenoble en
date du 31 juillet 1987 a désigné un mandataire de justice
ayant pour mission de convoquer et présider l’assemblée générale
dont l’ordre du jour a été complété par les
projets de résolution tendant à la nomination de nouveaux
administrateurs ; que la date de cette assemblée générale
ordinaire a été Fixée par la cour d’appel au 30 septembre
1987 ;
Considérant que la chambre de commerce et d’industrie de Grenoble
a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques du « groupe Cohen-Skalli
(Rivoire et Carret) » qu’elle estime « anticoncurrentielles
» et constitutives « d’abus de position dominante » dans
le secteur des pâtes alimentaires ; que, dans le dernier état
de ses conclusions, elle se fonde sur les dispositions de l’article 12
de l’ordonnance pour demander que le Conseil « enjoigne au groupe
Cohen-Skalli de suspendre toute généralisation des pratiques
visées dans le corps de l’acte qui ne sauraient ne pas porter une
atteinte grave et immédiate à l’entreprise Lustucru et au
travers elle à l’économie grenobloise tout entière
» ; qu’en particulier elle demande au Conseil de préciser
« que les destinataires de l’injonction ne sauraient détourner
la mesure provisoire entreprise par des agissements de nature à
rendre irréversible l’abus de position dominante tels . que la modification
de la composition actuelle du conseil d’administration de Lustucru, la
mise au vote de la demande formalisée par le groupe Cohen-Skalli
de nommer trois administrateurs dans le conseil d’administration de Lustucru
ou toute autre mesure pouvant avoir le même effet » ;
Considérant que la société Lustucru demande au
Conseil de la concurrence en application des articles 8 et 43 de l’ordonnance
de faire défense au groupe Cohen-Skalli de modifier substantiellement
la situation qui prévaut et (... ) de modifier l’équilibre
du conseil d’administration de Lustucru tel qu’il existe actuellement et
cela tant que le Conseil de la concurrence n’aura pas pris une décision
sur la situation de la concurrence dans le secteur de la semoule et des
pâtes alimentaires » ;
Sur la demande de mesures conservatoires en tant qu’elle se fonde
sur l’article 43 de l’ordonnance :
Considérant que l’article 43 de l’ordonnance susvisée
dispose que « le Conseil de la concurrence peut, en cas d’exploitation
abusive d’une position dominante... demander au ministre chargé
de l’économie d’enjoindre, conjointement avec le ministre dont relève
le secteur, par arrêté motivé, à l’entreprise
ou au groupe d’entreprises en cause de modifier, de compléter ou
de résilier, dans un délai déterminé, tous
accords et tous actes par lesquels s’est réalisée la concentration
de la puissance économique qui a permis les abus... » ; que
la mise en oeuvre de ces dispositions est subordonnée à un
examen au fond par le Conseil de la concurrence des pratiques de l’entreprise
ou du groupe d’entreprises considéré et que, dès lors,
le Conseil n’est pas habilité à adopter, sur le fondement
de cet article, des mesures conservatoires qui, du reste, ne sont pas prévues
au titre V de l’ordonnance,
Sur la demande de mesures conservatoires en tant qu’elle se fonde
sur l’article 12 de l’ordonnance :
Considérant que les dispositions de l’article 12 de l’ordonnance
susvisée qui permettent au Conseil de la concurrence de prendre
les mesures conservatoires qui lui sont demandées par le ministre
chargé de l’économie, par les personnes mentionnées
au deuxième alinéa de l’article 5 de l’ordonnance ou par
les entreprises, ne sont applicables que si les pratiques visées
par la demande sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application des
articles 7 et 8 de l’ordonnance ;
Considérant que la chambre de commerce et d’industrie de Grenoble
allègue que les prix de semoule pratiqués par le «
groupe Cohen-Skalli » vis-à-vis de ses filiales depuis 1971
« étaient d’une manière générale nettement
supérieurs à la moyenne des prix observés sur le marché
» ; qu’elle allègue également que la nomination d’administrateurs
de Lustucru par son actionnaire majoritaire constituerait une pratique
de nature à renforcer la position dominante que le « groupe
Cohen-Skalli » détiendrait conjointement avec un autre groupe
sur le marché de la semoule et constituerait un abus de position
dominante dudit « groupe » destiné à limiter
la concurrence par les prix sur le marché de la semoule en empêchant
la société Lustucru de s’approvisionner auprès de
fournisseurs autres que son actionnaire majoritaire ;
Considérant, en premier lieu, que les allégations de la
partie saisissante, selon lesquelles le « groupe Cohen Skalli »
aurait dans le passé imposé à la société
Rivoire et Carret, placée sous son contrôle effectif, des
prix de semoule « nettement supérieurs à la moyenne
des prix observés sur le marché » et selon lesquelles
ce niveau de prix élevé serait à l’origine de la situation
de « quasi déficit » dans laquelle se trouverait cette
société depuis son achat par le semoulier, ne sont appuyées
d’aucun élément ; .que la partie saisissante n’apporte pas
non plus d’élément établissant les intentions du groupe
semoulier en ce qui concerne les conditions d’approvisionnement en semoule
de la société Lustucru pour l’avenir, qu’il n’est pas dans
les pouvoirs du Conseil de prendre des mesures conservatoires au sujet
de pratiques purement éventuelles au moment où la demande
en est faite ;
Considérant, en deuxième lieu, que la proposition de nomination
de trois administrateurs de la société Lustucru faite par
le président du directoire de la société holding Rivoire
et Carret-Lustucru ne constitue pas, en elle-même, c’est-à-dire
indépendamment des intentions prêtées au « groupe
Cohen-Skalli » en matière de prix de vente des semoules à
Lustucru, un acte susceptible d’être visé par les dispositions
de l’article 8 de l’ordonnance, que dès lors le Conseil n’a pas
le pouvoir de prendre des mesures conservatoires à l’encontre d’un
tel acte ;