LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu les lettres des 15 juillet et 9 septembre 1985 par lesquelles l’Association
fédérale des nouveaux consommateurs a saisi la commission
de la concurrence de restrictions de concurrence dans la distribution de
produits de la parfumerie ;
Vu les éléments d’information communiqués le 26
juillet 1985 par le conseil de la société Shop 8 Expansion
relatifs, en particulier, aux difficultés d’approvisionnement de
cette dernière et sur la base desquels, le 26 septembre 1985, la
commission de la concurrence a pris la décision de se saisir d’office
;
Vu les ordonnances n°s45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées
respectivement relatives aux prix et à la constatation, la poursuite
et la répression des infractions à la législation
économique ;
Vu l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée
relative à la liberté des prix et de la concurrence, ensemble
le décret n°86-1309 fixant les conditions d’application de cette
ordonnance ;
Vu la décision n°84-13-DC du ministre de l’économie,
des finances et du budget relative à la situation de la concurrence
dans le secteur de la distribution sélective des produits de la
parfumerie ;
Vu les observations présentées par les parties sur le
rapport qui leur a été communiqué le 25 septembre
1986 ;
Le rapporteur, le commissaire du Gouvernement, le rapporteur général
et les parties entendus ;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après
exposées :
I. - Les circonstances de fait
La vente des produits de parfumerie s’opère généralement
par le biais de contrats de distribution sélective. La
situation de la concurrence dans le secteur de la distribution sélective
des produits de parfumerie a fait l’objet de la décision n°84-13-DC
du ministre de l’économie, des finances et du budget prise sur l’avis
rendu par la commission de la concurrence le 1er décembre 1983.
Dans sa décision, le ministre a estimé que « l’organisation
de la distribution dans le secteur de la parfumerie de luxe fondée
sur la sélectivité n’(était) pas en elle-même...
incompatible avec les dispositions de l’article 50 de l’ordonnance n°45-1483
du 30 juin 1945 ». Mais le ministre a enjoint à la fédération
française de l’industrie des produits de parfumerie, de beauté
et de toilette de modifier les clauses « Ventes » et «
Approvisionnement » du contrat type qu’elle avait élaboré
et qu’un grand nombre de fabricants avaient adopté. En outre,
il a demandé à la fédération d’entamer une
concertation avec ses services pour la révision des dispositions
du contrat type interdisant la revente entre distributeurs agréés.
Il a enfin enjoint à la fédération d’inviter ses membres
pratiquant une distribution sélective à modifier, en conséquence,
leurs documents contractuels et à respecter les règles de
la concurrence, notamment quant à la définition et à
la mise en oeuvre des conditions d’agrément des distributeurs.
La décision ministérielle a donné lieu à
une concertation entre la profession et l’administration pour la révision
du contrat type de distributeur. A l’issue du processus engagé,
le président de la fédération a adressé à
ses membres une lettre en date du 7 mars 1986 dans laquelle il leur a indiqué
les points sur lesquels il convenait d’aménager les conditions générales
de vente et les contrats de distributeur agréé.
Observant en juillet 1985 le mode de distribution des produits de parfumerie,
l’Association fédérale des nouveaux consommateurs estime
que les « contrats et conditions générales de vente
(des producteurs de parfums), dont le parallélisme est organisé,
" alignés " par la fédération de la parfumerie, comportent
diverses clauses qui, en elles-mêmes ou par combinaison, assurent
un verrouillage de la concurrence ». A cet égard, l’auteur
de la saisine dénonce en particulier les clauses « lieu de
vente potentiel de clientèle », « interdiction de rétrocession
» ayant « pour effet de s’opposer à l’établissement
ou au développement de distributeurs qui entendent faire profiter
les consommateurs de gains de productivité engendrés par
leur dynamisme commercial sans porter atteinte à l’image de marque
des fabricants ».
Par ailleurs, l’auteur de la saisine estime que des refus de livrer
ou d’ouverture de comptes opposés à la société
Shop 8 Expansion par certains producteurs de parfums « constituent
la preuve de la volonté farouche (de ces producteurs) d’empêcher
le développement d’une chaîne de parfumerie spécialisée
en France » et « témoignent de l’entêtement des
grandes marques qui font fi des décisions du ministre, de la commission
et de la direction générale de la concurrence, laquelle...
a notifié à leur fédération que leurs pratiques
actuelles étaient illicites ».
La société Shop 8 Expansion a, de son côté,
soumis à la commission de la concurrence des éléments
sur la base desquels cette dernière s’est saisie d’office.
Cette société dénonce l’utilisation, selon elle abusive
et discriminatoire, des contrats de distribution sélective par «
les grandes marques organisées et dirigées par la fédération
de la parfumerie, avec comme chefs de file Guerlain et Yves-SaintLaurent
aidés de plusieurs autres » en vue de « décourager
les efforts créatifs » de ce distributeur. A l’appui
de ses allégations, la société Shop 8 Expansion fait
valoir que ces grandes marques s’étaient opposées aux demandes
d’ouverture de comptes qu’elle avait formulées en 1983 pour des
magasins situés à Avignon et à Saint-Etienne et à
des demandes de transferts de comptes à Lyon, Marseille et Toulon.
En outre, la société Shop 8 Expansion soutient que des marques
l’auraient contrainte à fermer, en 1985, un entrepôt acquis
en 1983 à Vaulx-en-Velin, tant parce que certaines d’entre elles
refusaient la vente à certains des points de vente qui devaient
être approvisionnés par l’intermédiaire de cet entrepôt,
que parce que d’autres, et en particulier Guerlain, Saint-Laurent, Charles
of the Ritz, Hermès, Paco Rabanne, Azzaro et Lagerfeld, refusaient
d’y regrouper les commandes des magasins de la société.
Ala suite de l’acquisition en janvier et en février 1983, à
Marseille, des parfumeries « Berangere » et « JehaneFerault
», Shop 8 Expansion a obtenu pour ces lieux de vente les contrats
de distributeur agréé. Envisageant, à la fin
de février 1983, l’ouverture d’une nouvelle parfumerie à
Marseille à l’enseigne « Shop 8 », cette société
a demandé à différents fournisseurs le bénéfice
d’ouvertures de compte dans le cadre d’une extension. En présence
de cette requête, l’attitude des fournisseurs dans le courant du
mois de mars 1983, a été contrastée ; ou bien ils
n’ont pas répondu, ou bien ils ont subordonné leur réponse
définitive à l’ouverture préalable du nouveau magasin.
Le 6 avril 1983 les dirigeants de la société Shop 8 Expansion
ont informé les fournisseurs de leur intention de fermer la parfumerie
« Jehane-Ferault » et d’en transférer l’activité
dans le magasin Shop 8 qui devait être ouvert le 1er avril 1983.
Si les sociétés Guerlain, Saint-Laurent, Charles of the Ritz,
Hermès, Rochas, ont refusé le transfert, les autres marques,
au nombre de vingt et un, l’ont accepté.
Un mois après l’acquisition en février 1983, à
Lyon, de la parfumerie « Les Jacobines » pour laquelle les
contrats de distributeur agréé ont été obtenus
par Shop 8 Expansion, cette société a formulé auprès
des marques des demandes d’ouverture de compte par voie d’extension au
bénéfice d’une nouvelle parfumerie qu’elle entendait ouvrir
à l’enseigne « Shop 8 l’Univers Beauté ». Dans
le courant des mois de mars et avril 1983 certaines marques ont subordonné
leur décision à l’ouverture et à l’inauguration de
la nouvelle parfumerie, cependant que d’autres n’ont pas répondu.
La société a informé alors les marques, le 9 avril
1983, de son intention de transférer son activité de la parfumerie
« Les Jacobines » à la parfumerie « Shop 8 l’Univers
Beauté ». Si les sociétés Gueriain, SaintLaurent,
Ritz, Rochas, ont refusé le transfert, les autres marques, au nombre
de vingt-deux, l’ont accepté.
Toujours en février 1983, la société Shop 8 Expansion
a acquis à Toulon la parfumerie « Marie-Celyne » pour
laquelle elle a obtenu les contrats de distributeur agréé.
Elle a formulé alors en avril 1983 des demandes d’ouverture de compte
dans le cadre d’une extension pour une deuxième parfumerie qu’elle
se proposait d’ouvrir dans la même ville a l’enseigne « Shop
8 l’Univers Beauté ». Cependant que certaines marques ont
subordonné leur décision à l’ouverture et à
l’inauguration du second point de vente, les marques Lancaster, Azzaro,
Courrèges, Caron, Cacharel, Cardin, Bogard, ont accordé l’extension
demandée. Par la suite, en juillet 1983, la société
envisageant de fermer la parfumerie « Marie-Celyne » a demandé
le transfert de la totalité des marques dans le nouveau point de
vente. Si les sociétés Guerlain, Yves-Saint-Laurent,
Rochas, Hermès et Chanel ont refusé le transfert, les autres
marques, au nombre de vingt-cinq, l’ont accepté.
A Cagnes-sur-Mer, à la suite de l’acquisition de la parfumerie
« Sylvia », en février 1983, les vingt et une marques
pour lesquelles cette parfumerie avait un agrément, et notamment
Guerlain, Saint-Laurent, Charles of the Ritz et Rochas, ont renouvelé
avec Shop 8 Expansion les contrats de distributeur agréé
qui avaient précédemment été conclus.
Ayant acquis, en mars 1983, à Avignon un local commercial pour
y créer une parfumerie à l’enseigne « Shop 8 l’Univers
Beauté », la société Shop 8 Expansion a formulé,
en juin 1983, vis-à-vis de nombreux fournisseurs, des demandes d’ouverture
de compte. Ce point de vente a été inauguré le 19
août 1983. Entre août 1983 et la fin du premier semestre 1984,
35 des fournisseurs sollicités, dont les sociétés
Guerlain, Saint-Laurent, Charles of the Ritz, Rochas et Dior, ont alors
inscrit, avec un numéro d’ordre, ce nouveau point de vente sur leurs
listes départementales de demande d’ouvertures de compte ; quatre
fournisseurs, Stendhal Balenciaga, Roger et Gallet et Bogard, ont proposé
un contrat de distribution sélective sans délai ; quatre
fournisseurs, Van Cleef, Baimain, Ungaro et Patou, n’ont pas répondu
; trois fournisseurs, enfin, Paco Rabanne, Cacharel et Azzaro, ont refusé
l’ouverture de compte.
A Saint-Etienne, à la suite de l’achat, en mai 1983, de la parfumerie
« L’Orchidée » par la société Shop 8 Expansion,
les marques anciennement présentes dans ce point de vente ont accepté
le renouvellement de leurs contrats de distribution. Des demandes
d’ouverture de compte complémentaires n’ayant pas permis d’obtenir
de nouveaux contrats de distribution, la société Shop 8 Expansion
a décidé de fermer cette parfumerie à la fin de juillet
1984.
Ayant acheté à Grenoble, en décembre 1983, la parfumerie
« Alexandre », la société Shop 8 Expansion a
obtenu de vingt-huit marques, dont Guerlain, Dior, Saint-Laurent, Hermès
et Chanel, le renouvellement des contrats de distributeur agréé
pour ce point de vente. L’agrandissement, en avril 1984, de la parfumerie
de 30 mètres carrés à 200 mètres carrés
et la modification de son enseigne qui est devenu « Shop 8 l’Univers
Beauté » n’a pas entraîné de difricultés
avec les marques.
Enfin, en janvier 1983, la société Shop 8 Expansion s’est
dotée, à Vaulx-en-Velin, d’un entrepôt de 1 200 mètres
carrés destiné à assurer l’approvisionnement de vingt-cinq
parfumeries. Cet entrepôt a été fermé en août
1985. Après avoir, dans un premier temps, refusé de
livrer les marchandises commandées ailleurs que dans les points
de vente auxquelles elles étaient destinées, le directeur
commercial de la société Hermès a indiqué,
par lettre en date du 9 juin 1983, à la société Shop
8 Expansion qu’il avait donné toutes instructions à son service
livraison pour que les commandes de cette société soient
livrées au dépôt de Vault-en-Velin. De son côté,
la société Yves-Saint-Laurent a confirmé, par lettre
en date du 22 mars 1983, son accord pour livrer à l’entrepôt
de la société Shop 8 Expansion les commandes globales concernant
les points de vente de cette société pour lesquels elle avait
accordé un contrat de distributeur agréé (parfumerie
« Marie-Celyne » à Toulon, « Sylvia » à
Cagnes-sur-Mer, « Jehane-Ferault » à Marseille, «
Les Jacobines » à Lyon). La société Charles
of the Ritz a donné, par lettre en date du 22 mars 1983, à
la société Shop 8 Expansion, son accord pour opérer
toute livraison à l’entrepôt de Vault-en-Velin.
II. - A la lumière des constatations qui précèdent
LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Considérant que la procédure d’instruction a respecté
les dispositions de l’article 52 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin
1945, qu’en particulier, les parties ont été mises en mesure
de présenter leurs observations sur le rapport qui leur a été
régulièrement communiqué.
Considérant qu’au début de l’année 1985, les contrats
de distributeur agréé proposés par les grandes marques
n’avaient pas été modifiés et qu’ainsi les clauses
litigieuses n’avaient pas été amendées, qu’à
l’époque la nécessité d’assurer la distribution continue
des produits a contraint les fabricants à définir avant la
notification de la décision ministérielle du 26 décembre
1984 des clauses contractuelles concernant l’année 1985 ; que le
fait pour les fabricants d’avoir repris les clauses du contrat-type élaboré
par la Fédération en 1980 ne peut être considéré
comme une pratique distincte de celle ayant déjà donné
lieu à la décision du 26 décembre 1984.
Considérant qu’ultérieurement l’attitude de la Fédération
et des fabricants a été conforme aux injonctions ministérielles
; qu’ainsi contrairement à ce qu’allèguent l’Association
fédérale des nouveaux consommateurs et la société
Shop 8 Expansion, ni la concertation engagée par la fédération
avec l’administration au début de 1985 et poursuivie pendant toute
cette année, ni le fait que cette fédération n’ait
invité ses membres à modifier les clauses de leurs contrats
de distribution sélective, qu’à l’issue de cette concertation,
ni le fait que les fabricants n’aient pas modifié leurs contrats
avant l’issue de la concertation engagée, ne peuvent être
considérés comme des éléments établissant
l’existence d’une « entente illicite entre les marques en vue de
l’adoption de clauses dont le principe est condamnable et condamné
» ou « d’une volonté manifeste des personnages déjà
rappelés à l’ordre ou sanctionnés de faire fi de l’avis
de la commission et de la décision du ministre de l’économie
» ;
Considérant que la plupart des détenteurs de marque ont
reconduit avec la société Shop 8 Expansion les contrats de
distributeur agréé qui avaient antérieurement été
conclus avec les dirigeants des parfumeries « Bérangère
» et « Jehane-Ferault » (Marseille), « Les Jacobines
» (Lyon), « Marie-Celyne » (Toulon), « Sylvia »
(Cagnes-sur-Mer), « L’Orchidée » (Saint-Etienne) et
« Alexandre » (Grenoble) ; que les demandes d’ouverture de
compte formulées à la suite de l’acquisition du local commercial
d’Avignon ont abouti à des inscriptions sur la liste départementale
conformément aux usages de la profession ; que, dans leur ensemble,
les fournisseurs de parfums n’ont pas fait obstacle aux demandes de transfert
de compte dont ils ont été saisis pas plus qu’ils ne se sont
opposés aux modifications apportées à l’établissement
de vente de Grenoble, qu’il ne résulte pas davantage de l’instruction
que les fabricants aient entendu par une action concertée, contrecarrer
le fonctionnement de l’entrepôt de Vaulx-en-Velin , qu’enfin, si
à certains égards et notamment lors des demandes d’ouverture
de compte dans le cas d’extension (Marseille, Lyon et Toulon) des similitudes
de comportement ont pu être constatées de la part de fournisseurs
confrontés à des situations analogues, il ne résulte
pas de l’instruction que ces similitudes aient été le résultat
d’une politique concertée des grandes marques « organisées
et dirigées par la fédération de la parfumerie, avec
comme chefs de file Guerlain et Yves-Saint-Laurent » ; qu’ainsi l’attitude
des fabricants dans leurs relations commerciales avec la société
Shop 8 Expansion pendant les années 1983 et 1984 ne permet pas d’établir
l’existence d’une entente entre eux destinée à éliminer
cette société du marché ou à entraver son développement,