LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu le mémoire présenté par le Syndicat national
du second oeuvre (S.N.S.O.) le 21 septembre 1983 ;
Vu les ordonnances n° 45-1483 et 45-1484 modifiées du 30
juin 1945 respectivement relatives aux prix et à la constatation,
la poursuite et la répression des infractions à la législation
économique ;
Vu la loi n° 77-806 du 19 juillet 1977 relative au contrôle
de la concentration économique et à la répression
des ententes illicites et des abus de position dominante, ensemble le décret
n° 77-1189 du 25 octobre 1977 pris pour son application ;
Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative
à la liberté des prix et de la concurrence, ensemble le décret
n° 86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son application ;
Vu la loi n° 78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité
et à l’assurance dans le domaine de la construction ;
Vu l’article 30 de la loi de finances rectificative du 28 juin 1982
;
Vu la décision du ministre de l’économie n° 80-05/DC
du 13 juin 1980 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans
le secteur de l’assurance construction ;
Vu les observations présentées par les parties sur le
rapport qui leur a été notifié le 17 novembre 1986
;
Le commissaire du Gouvernement, le rapporteur général
et les parties entendus ;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après
exposées :
I. - Le mécanisme de l’assurance construction et les griefs
du Syndicat national du second oeuvre (S.N.S.O.)
A. - Le mécanisme de l’assurance construction est fondé
sur la responsabilité des participants à l’acte de construire.
Il a subi de multiples modifications, notamment depuis la décision
du ministre de l’économie du 13 juin 1980 relative aux pratiques
restrictives de la concurrence des groupements d’assureurs.
Jusqu’en 1978 l’assurance construction était fondée, d’une
part, sur une convention de coréassurance à 100 p. 100 et,
d’autre part, sur une gestion commune, par les assureurs et la Fédération
nationale du bâtiment (F.N.B.), de la police individuelle de base
au profit des adhérents de cette fédération.
Plusieurs groupements entre les assureurs et avec la F.N.B. géraient
ce mécanisme : le Groupement d’assurances des risques de la construction
(G.A.R.C.O.), le Groupement d’assurances pour le bâtiment (G.A.B.),
l’Association pour l’assurance des risques de la construction des entrepreneurs
syndiqués (A.R.C.E.S.) et le Groupement de gestion des risques de
la construction (G.E.C.O.).
La quasi-totalité des polices d’assurances dommages et maître
d’ouvrage étaient délivrées par le G.A.B. et le G.A.R.C.O.
Les conventions de coréassurance à 100 p. 100 confiaient
aux groupements l’émission des polices et l’encaissement des primes.
En outre, des accords liaient entre eux les divers groupements au sein
de l’A.R.C.E.S. et du G.E.C.O.
La réforme de 1978, entrée en vigueur le 1er janvier 1979,
n’a apporté que peu de modifications à ce régime.
Le secteur dommage ouvrages a été séparé du
secteur responsabilité. Les garanties prises en charge par
les groupements de coréassurance pouvaient être limitées
et cette prise en charge ne pouvait excéder 85 p. 100 du risque
de base, à l’exception de la police individuelle de base qui continuait
à être réassurée à 100 p. 100.
Enfin les compagnies pouvaient gérer elles-mêmes la garantie
et donc renoncer à passer par le groupement de gestion (G.E.C.O.
devenu Service technique d’assurance construction S.T.A.C.).
Cette réforme a permis le développement de compagnies
d’assurances hors groupement, notamment des mutuelles, mais l’A.R.C.E.S.
a été maintenue pour la gestion de la police individuelle
de base.
Cette nouvelle organisation n’a pas modifié le système
de gestion de l’assurance construction en semi-répartition.
De ce fait les rapports entre assureurs et assurés n’ont pu évoluer.
Les difficultés financières persistantes de l’assurance
construction ont conduit les pouvoirs publics à modifier le mécanisme
en 1982. Le mécanisme actuellement en vigueur est fondé
sur les principes suivants : gestion en semicapitalisation pour les risques
obligatoires en vertu de la loi de 1978, apurement du passé confié
à une caisse de compensation des risques de l’assurance construction,
police unique par chantier permettant d’avoir un assureur unique pour les
divers intervenants à un chantier.
De nouveaux groupements ont été créés.
Depuis le 1er janvier 1986 ils n’interviennent plus que pour la gestion
du passé.
Les taux de cession à la réassurance se situent entre
35 p. 100 et 85 p. 100 au lieu de 100 p. 100, les tarifs de la réassurance
ne sont plus fixés par police mais par catégorie de risques,
le système de gestion de la police individuelle de base a pris fin.
Ces conditions ont rendu la compétition plus vive provoquant
ainsi l’éclatement des groupements. En 1986 il existe donc
plusieurs pôles de réassurance et les positions dominantes
constatées par la décision ministérielle susvisée
ont disparu.
B. - En 1980, adoptant l’avis de la Commission de la concurrence, le
ministre a estimé que le Groupement d’assurance pour le bâtiment
(G.A.B.), le Groupement d’assurance pour les risques de la construction
(G.A.R.C.O.), l’Association pour l’assurance des risques de la construction
des entrepreneurs syndiqués (A.R.C.E.S.) et le Groupement de gestion
des risques de la construction (G.E.C.O.) avaient enfreint les dispositions
du dernier alinéa de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945
:
-en proposant en 1975 des conditions discriminatoires pour l’obtention
de la police décennale entrepreneur aux entreprises n’adhérant
pas à la fédération nationale du bâtiment ,
-en obligeant les maîtres d’ouvrage à renoncer obligatoirement
à recours et à racheter en totalité les garanties
souscrites en dehors des groupements par leurs cocontractants ;
-en obligeant les entrepreneurs, en novembre 1978, à racheter
en totalité les garanties des sous-traitants, moyennant une surprime
de 25 p. 100 ;
-en mettant à la charge des maîtres d’ouvrage et entreprises
des surprimes pour recours difficiles au cas où leur cocontractant
n’était pas assuré par le biais des groupements.
Les nouveaux groupements mis en place en 1979 (G.A.B.A.T., G.A.D.O.B.A.T.)
n’ont pas repris dans leur police les clauses incriminées et, dès
le début de l’année 1980, l’A.R.C.E.S. a supprimé
les surprimes appliquées par le G.A.B.A.T.
Cependant des pratiques également critiquées par le S.N.S.O.
et qui sont analysées ci-après ont été mises
en oeuvre par les assureurs.
Le G.A.D.O.B.A.T. a conclu avec le Groupement national des entrepreneurs
constructeurs immobiliers de la F.N.B. (G.N.E.C.1.) une police dommage
ouvrage à un taux préférentiel sous la condition de
l’assurance obligatoire au G.A.B.A.T. des cocontractants des entreprises
du G.N.E.C.1. Sur intervention de la direction des assurances, le G.A.D.O.B.A.T.
a abandonné cette tarification discriminatoire le 30 juillet 1981.
A l’occasion d’un chantier de la S.C.I.C., filiale de la Caisse des
dépôts et consignations, près de Bordeaux, le S.N.S.O.
a dénoncé une disposition du cahier des charges qui obligeait
les entreprises participant à la construction d’une H.L.M. a être
assurées auprès du G.A.B.A.T, A la suite de la lettre du
S.N.S.O. cette affaire a été réglée.
La société mutuelle d’assurance des collectivités
locales impose aux maîtres d’ouvrage des surprimes lorsque ses cocontractants
ne sont pas signataires de la convention de recours élaborée
par l’Association française de l’assurance construction en juin
1983.
Les mutuelles liées à la fédération nationale
du bâtiment (S.M.A.B.T.P. C.A.M.B. et Auxiliaire) considèrent,
depuis 1983, comme sans valeur les garanties offertes par les compagnies
gérant en semi-répartition la garantie facultative de l’activité
de sous-traitance.
De plus, le S.N.S.O. estime que les groupements d’assureurs, en exigeant,
au cours de la période 1979 à 1983, des rappels de primes
ou des primes subséquentes en cas de résiliation de la police
d’assurance, ont abusé de leur position dominante.
L’A.R.C.E.S. a, en effet, en juillet 1980 pour la première fois,
fait jouer les clauses des conditions particulières de la police
individuelle de base en réclamant un ajustement de régularisation
sur les primes versées au titre de l’année de résiliation.
Le rappel a eu lieu trois années de suite et s’est élevé
à 45 p. 100 pour les entreprises ayant résilié en
1979 38,60 p. 100 pour les entreprises ayant résilié en 1980
6,54 p. 100 pour les entreprises ayant résilié en 1981.
De même les entreprises qui ont résilié leur police
individuelle de base entre 1979 et 1982, et qui avaient obtenu de leur
nouvel assureur le rachat du passé inconnu, ont reçu une
mise en demeure de la caisse de surcompensation du bâtiment, chargée
du recouvrement des primes, tendant au paiement d’une prime subséquente.
II. - A la lumière des constatations qui précèdent,
le Conseil de la concurrence :
Considérant que les pratiques visées étant antérieures
à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er décembre
1986, les articles 50 et 51 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945
demeurent applicables en l’espèce ;
Considérant qu’il convient de fixer en l’espèce au 21
septembre 1983 la date de la saisine , qu’en application de l’article 58
de l’ordonnance du 30 juin 1945, la prescription est donc acquise pour
les faits antérieurs au 21 septembre 1980 ;
Considérant que le S.N.S.O. allègue que la décision
du 13 juin 1980 du ministre de l’économie, après avis de
la Commission de la concurrence, demandant aux divers groupements de ce
secteur d’abandonner les pratiques, n’a pas été suivie d’effet
,
Considérant que le système de tarification discriminatoire,
assortie d’une condition d’assurance au G.A.B.A.T. élaboré
par le G.A.D.O.B.A.T., a été abandonné le 30 juillet
1981 ;
Considérant que le G.A.B.A.T. n’a pas de responsabilité
dans l’élaboration du cahier des charges du chantier de la S.C.I.C.
;
Considérant que le fait d’exiger des maîtres d’ouvrage
des surprimes lorsque l’entreprise cocontractant n’est pas signataire de
la convention de recours du groupement (en l’espèce l’A.F.A.C.),
ou de tenir comme sans valeur les garanties offertes par les compagnies
gérant en semirépartition, revient à imposer des charges
financières supplémentaires aux entreprises assurées
à de telles compagnies ; que de telles pratiques tombent sous le
coup du dernier alinéa de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin
1945 si elles sont le fait d’une entreprise en position dominante ; qu’il
n’est pas établi que la Société mutuelle d’assurance
des collectivités locales, non plus que telle ou telle des mutuelles
liées à la Fédération nationale du bâtiment,
ait une position dominante sur le marché de l’assurance construction
;
Considérant en revanche que les groupements d’assureurs occupaient,
jusqu’en 1982, une position dominante sur le marché de l’assurance
construction ;
Considérant que le rappel de primes est l’une des caractéristiques
d’un système mutualiste tel que celui qui était adopté
pour la gestion de la police individuelle de base , que dans un tel système
l’adhérent n’est jamais quitte de son obligation financière
par le paiement de la seule prime annuelle et peut se voir, en cas de nécessité,
demander une contribution ultérieure ; qu’il n’est pas établi
que les rappels de prime n’aient pas été calculés
en fonction des résultats financiers du régime d’assurance
; que ces rappels ont été appliqués de façon
analogue à toutes les entreprises, démissionnaires ou non
de « l’individuelle de base » ; que dès lors ces rappels
de prime ne présentent pas de caractère discriminatoire ,
Considérant que, en cas de résiliation de la police, la
prime subséquente correspond à la prise en charge des conséquences
encore inconnues des risques assurés ; qu’elle est inhérente
à la gestion de l’assurance construction en semi-répartition
; que si le taux de la prime subséquente, très nettement
supérieur à celui de la décennale entrepreneur, a
pu apparaître, entre 1979 et 1982, comme un moyen pour l’A.R.C.E.S.
de dissuader les adhérents de sortir du « pool » d’assurance,
en fait les délais de paiement accordés pour acquitter le
montant de cette prime étaient tels que, compte tenu de l’évolution
générale des prix, ce régime ne présentait,
à cet égard, pas de caractère discriminatoire par
rapport au régime de « l’individuelle de base » ; qu’en
outre la prime subséquente n’était due que si J’assuré
demandait le maintien des garanties dans le temps et que dans tous les
cas où l’assuré a fait savoir qu’il n’entendait pas continuer
à bénéficier de la garantie subséquente, le
paiement de la prime n’a pas été exigé ; que l’exigence
de cette prime ne présentait pas non plus de ce point de vue un
caractère discriminatoire,