LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la décision de la Commission de la concurrence en date du
14 décembre 1986 de se saisir d’office ;
Vu l’article 85 du Traité de Rome et le règlement n°17-62
du Conseil modifié, pris pour son application ;
Vu les ordonnances n°45-1483 et n°45-1484 modifiées du
30 juin 1945 relatives respectivement aux prix et à la constatation,
la poursuite et la répression des infractions à la législation
économique ;
Vu la loi n°77-806 du 19 juillet 1977 relative au contrôle
de la concentration économique et à la répression
des ententes illicites et des abus de position dominante, ensemble le décret
n°86-1309 pris pour son application ;
Vu l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à
la liberté des prix et de la concurrence ;
Vu les articles L. 511 à L. 658 et R. 5014 à R. 5054 du
code de la santé publique ;
Vu la loi n°75-604 du 10 juillet 1975 modifiant le livre V du code
de la santé publique et concernant la fabrication, le conditionnement,
l’importation et la mise sur le marché des produits cosmétiques
et des produits d’hygiène corporelle (art. L. 658-1 à
L. 658-10 du code de la santé publique) et les textes pris pour
son application ;
Vu la loi n°83-660 du 21 juillet 1983 relative à la sécurité
des consommateurs ;
Vu les observations présentées par les parties sur le
rapport qui leur a été notifié le 25 septembre 1986
;
Le commissaire du Gouvernement, le rapporteur général
et les parties entendus ;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après
exposées :
I. - Constatations
a) Les caractéristiques du marché.
Parmi les produits non soumis à une autorisation de mise sur
le marché, dont les pharmaciens peuvent, en application de l’article
L. 569 du code de la santé publique, faire le commerce sans en avoir
le monopole légal, figurent les produits cosmétiques et d’hygiène
corporelle, seuls concernés par la présente décision.
Les produits cosmétiques et d’hygiène corporelle se décomposent
en une cinquantaine de familles. En France, les ventes hors taxes
de cette industrie se sont élevées en 1985 à 27,2
milliards de francs, dont 11,2 milliards à l’exportation. Ces ventes
progressent régulièrement en volume depuis plusieurs années.
Les entreprises fabriquant ces produits sont nombreuses et de tailles
variées. Les principales font partie de groupes importants
à vocation internationale qui contrôlent chacun plusieurs
marques.
Parmi celles qui distribuent exclusivement leurs produits en pharmacie,
la concentration est assez élevée puisque les trois premiers
groupes réalisent 39 p. 100 du chiffre d’affaires (19 p. 100 pour
L’Oréal, 12 p. 100 pour Pierre Fabre et 8 p. 100 pour Roc du groupe
Moët-Hennessy).
Seuls les fabricants les plus importants sont présents sur tous
les segments du marché. Les autres offrent généralement
quelques produits en complément d’une gamme de médicaments.
Pour certaines marques, la prescription des produits par le corps médical
joue un rôle non négligeable dans les ventes réalisées
et le recours à des visiteurs médicaux constitue souvent
le moyen exclusif de promotion.
Les produits sont vendus sous de multiples marques dont le principal
critère de différenciation est leur mode de distribution.
On distingue quatre circuits : la pharmacie, qui représente 11,3
p. 100 des ventes, la diffusion sélective (21,6 p. 100), la grande
diffusion (56,5 p. 100) et la vente directe (10,6 p. 100). La part
respective des ventes effectuées par chaque mode de distribution
varie cependant en fonction des segments du marché.
Tous les produits cosmétiques et d’hygiène corporelle,
quel que soit leur mode de distribution, sont soumis aux mêmes exigences
de contrôle et de fabrication avant leur mise sur le marché,
en application de la loi n°75-604 du 10 juillet 1975, et aux mêmes
impératifs en ce qui concerne la sécurité des consommateurs,
en application de l’article L. 658-4 du code de la santé publique
et de la loi n°83-660 du 21 juillet 1983.
Certains produits vendus exclusivement en pharmacie peuvent être
plus élaborés et faire l’objet de contrôles de fabrication
plus stricts que ceux qui sont distribués dans d’autres circuits
de distribution, ou même avoir des propriétés particulières.
Les niveaux moyens de prix observés dans les divers circuits
de distribution sont très différents. Selon une étude
récente de la société Secodip, les prix en grande
diffusion sont généralement inférieurs de moitié
à ceux qui sont pratiqués par la pharmacie, lesquels sont
eux-mêmes nettement inférieurs à ceux de la distribution
sélective.
Plusieurs autres études versées au dossier montrent que
le consommateur attribue à chaque circuit de distribution des qualités
spécifiques. Le choix d’un circuit de distribution par la
clientèle semble étroitement dépendant de l’image
de marque qui s’attache aux produits. Mais cette image est elle-même
fonction du mode de diffusion des produits et de l’importance des investissements
publicitaires.
Si la part des ventes réalisées par chaque circuit de
distribution est globalement stable depuis plusieurs années, la
pharmacie a cependant perdu des parts de marché sur certains segments
(par exemple, sur les produits spécifiques de soin et de traitement
pour les bébés : de 73,1 p. 100 en 1978 à 48,9 p.
100 en 1985) et en a gagné sur d’autres (par exemple, sur les produits
à démaquiller de 26 p. 100 à 30 p. 100).
b) Les caractéristiques de la distribution en pharmacie des
produits cosmétiques et d’hygiène corporelle.
Les sociétés Biopha, Expanscience, Goupil, Guigoz, Pierre
Fabre Cosmétiques, Lachartre, Lutsia, Monot, Pharmygiène,
Pharmeurop, Roc, Ruby d’Anglas et Vichy diffusent tous leurs produits exclusivement
en pharmacie.
La plupart des marques présentes en pharmacie sont distribuées
par ce canal depuis de nombreuses années et souvent depuis leur
création. Pour justifier l’exclusivité accordée
à l’officine pharmaceutique, les fabricants avancent cinq arguments
principaux utilisés conjointement ou alternativement.
En premier lieu, les produits cosmétiques et d’hygiène
corporelle seraient des produits de soins dermatologiques et de cosmétique
médicale qui peuvent être prescrits comme des médicaments.
En second lieu, ces produits seraient fabriqués et contrôlés,
conformément aux normes et techniques de la science pharmaceutique
et donc, seul, un homme de l’art pouffait comprendre leur formulation et
l’information scientifique diffusée à leur sujet,
En troisième lieu, la pharmacie serait le canal de distribution
normal pour des laboratoires qui produisent essentiellement des médicaments,
et accessoirement des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle.
En quatrième lieu, la pharmacie serait un point de passage obligé
pour introduire des produits nouveaux liés aux soins et à
la santé. Elle assurerait aussi la « remontée
de l’information » vers le producteur.
En cinquième lieu, le couple produit-pharmacie serait l’élément
fondamental de l’image des produits auprès des consommateurs.
Tous les fabricants exigent de leurs revendeurs qu’ils aient la qualité
de pharmacien d’officine inscrit au tableau de l’ordre ; la société
Roc exige seulement, quant à elle, la possession du « diplôme
de pharmacien ».
Plusieurs fabricants estiment qu’il n’est pas nécessaire de faire
Figurer dans un contrat de distribution leurs exigences à l’égard
de leurs revendeurs. Pour eux, le pharmacien d’officine remplit,
par nature, les conditions nécessaires à une distribution
adéquate de leurs produits en raison des contraintes légales
auxquelles il est soumis.
En revanche, la société Guigoz a signé, en octobre
1985, un « contrat de distribution officinale » avec la fédération
des syndicats pharmaceutiques de France et l’Union nationale des pharmacies
de France. Les sociétés Goupil depuis 1964, Vichy à
partir de septembre 1984, Klorane, Ducray et Galenic du groupe Pierre Fabre
Cosmétiques, Biopha et Monot à partir de 1985, ont, pour
leur part, établi et lait signer aux pharmaciens un contrat de distribution
sélective.
c) Les relations entre entreprises et avec les organisations professionnelles.
Il résulte du dossier que, dès septembre 1983, avant toute
sollicitation du groupement d’achat des centres Leclerc (Galec), les sociétés
Lutsia, Roc, Vichy, Monot, Expanscience, Ruby d’Anglas, Pierre Fabre Cosmétiques,
Pharmygiène, Lachartre, Biopha et le Syndicat national de la dermopharmacie
échangent des informations sur leur attitude vis-à-vis de
demandes éventuelles de ce groupement (pièces n°s 79
et 81 annexées au rapport) , que ces échanges se sont poursuivis,
lors d’une réunion du Syndicat national de dermopharmacie le 1er
mars 1984 (pièces n°s 37 et 82), puis le 22 mars 1984, au sujet
des actions entreprises contre les centres Leclerc et de l’origine des
approvisionnements de ce distributeur (pièces n°s 43, 45, 59,
83, 107 et 1 10) ; que le refus d’agréer des centres Leclerc comme
revendeurs est constant depuis 1983 (pièce n°78).
La coopérative d’exploitation et de répartition pharmaceutique
(C.E.R.P. Rouen), les établissements pharmaceutiques de répartition
O.C.P. répartition (O.C.P.) et le groupement de répartition
pharmaceutique (G.R.P.), qui sont des grossistes répartiteurs, et
le syndicat des pharmaciens de Seine-et-Marne et l’Ordre national des pharmaciens
se sont associés aux actions contre les centres Leclerc et ont participé
avec les sociétés Vichy et Pierre Fabre Cosmétiques
à la recherche des pharmaciens qui auraient pu les approvisionner
(pièces n°s 85, 87, 88, 90 et 97).
La fédération des syndicats pharmaceutiques, le syndicat
des pharmaciens de Seine-et-Marne et le Conseil national de l’ordre ont
demandé sous différentes formes à plusieurs reprises,
en 1983 et 1984, aux fabricants de confirmer leur attachement à
l’exclusivité de la distribution de leurs produits en officine et
de s’expliquer sur la présence des produits de leurs marques dans
les centres Leclerc. Des menaces de représailles ont été
proférées par certains pharmaciens au cours de plusieurs
réunions professionnelles auxquelles participaient de nombreux fabricants
; (pièces n°s 30, 31, 35, 36, 37, 41, 43, 45, 59, 60 à
63, 68, 84, 85, 86, 93, 96, 102, 103, 106, 107, 113 et 116).
Il résulte également du dossier que la fédération
des syndicats pharmaceutiques s’est opposée jusqu’en mars 1985 au
souhait des fabricants de supprimer la diffusion de prix conseillés
de revente (pièces n°s 40, 41, 44, 45, 51 bis, 59, 99, 107,
113 et 116) en raison des « risques d’une concurrence anormale au
sein du circuit pharmaceutique qui aurait pu remonter au niveau du médicament
et déstabiliser l’ensemble de la profession » (pièces
n°s 20, 26, 35 à 39). Les sociétés Lutsia,
Roc, Vichy, Expanscience, Pierre Fabre Cosmétiques, Ruby d’Anglas,
Monot, Evian, Biopha, Pharmygiène et Lachartre ont renoncé
à supprimer ces prix conseillés tant que la fédération
des syndicats pharmaceutiques a maintenu son opposition (pièce n°42).
Ensuite, à l’exception de la société Lachartre, elles
ont substitué aux prix conseillés des abaques de prix donnant
les prix de vente en fonction de différents coefficients multiplicateurs
(pièce n°50). Ces abaques, qui comportent le plus souvent
des indications de prix maximum, ont été diffusées
à partir de septembre 1985, conformément au modèle
publié en avril 1985 par la fédération des syndicats
pharmaceutiques dans un numéro de son journal Le Pharmacien de France
(pièces n°s 46 à 49). La société
Pierre Fabre Cosmétiques explique cette substitution par le souci
de « négocier et de contrôler cette suppression des
prix conseillés afin d’éviter une bataille de prix échevelée
» (pièce n°47).
Les grossistes répartiteurs ont continué à diffuser
des prix conseillés auprès des pharmaciens et, en juin 1986,
84 p. 100 des pharmacies pratiquaient un prix égal ou supérieur
au prix conseillé ou au prix maximum résultant des abaques
diffusées par les producteurs.
Il résulte enfin du dossier que le Conseil national de l’ordre
des pharmaciens, l’Union nationale des pharmacies de France, l’association
de pharmacie rurale,, la fédération des syndicats pharmaceutiques
de France, les sociétés Biopha, Lachartre, Lutsia, Roc, Ruby
d’Anglas, Expanscience, Guigoz, Vichy et Pierre Fabre Cosmétiques
ont tenu plusieurs réunions et ont eu des échanges pour rechercher
et mettre en oeuvre des moyens destinés à assurer la protection
de l’exclusivité de l’officine pharmaceutique à l’égard
des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle diffusés
par ces fabricants. C’est à la suite d’une exigence de la
fédération des syndicats pharmaceutiques qui craignait, d’une
part, l’exclusion de certains pharmaciens des réseaux de distribution,
sélection pratiquée notamment par les sociétés
Biotherm et Phas du groupe L’Oréal et Galenic, de Pierre Fabre Cosmétiques
et, d’autre part, la concurrence par les prix entre les pharmacies, que
ces fabricants ont confirmé le principe de l’agrément des
seuls mais de tous les pharmaciens (pièces n°s 42, 52 à
57, 60 à 62, 99, 100, 101, 105, 107 et 109). La fédération
des syndicats pharmaceutiques a été confortée en cela
par le Conseil national de l’ordre des pharmaciens (pièce n°19).
II. - A la lumière des constatations qui précèdent,
le Conseil de la concurrence :
Sur la procédure :
Considérant que M. Leclerc, d’une part, coprésident de
l’association des centres distributeurs Edouard Leclerc, qui a notamment
pour objet de faire valoir, dans un but de défense commune, les
droits moraux de ses adhérents et, d’autre part, fondé de
pouvoir, secrétaire général de la société
coopérative groupement d’achat des centres Leclerc (Galec), a adressé
un dossier à la Commission de la concurrence concernant la distribution
des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle ; que c’est
pour ces raisons qu’il a été entendu par le rapporteur ;
qu’à la suite de cette audition il est apparu que le Galec avait
la qualité de partie intéressée au sens du cinquième
alinéa de l’article 52 de l’ordonnance n°45-1483 ; que les parties
ont pu avoir connaissance, par la communication du rapport, de l’ensemble
des éléments de fait ou de droit retenus par le rapporteur
et y répondre dans leurs observations ; que dès lors le caractère
contradictoire de la procédure a été respecté
,
Considérant que M. Leclerc n’a eu accès, contrairement
à ce que pourraient laisser supposer les termes de sa lettre du
19 juin 1986, à aucune pièce autre que le rapport, conformément
aux dispositions en vigueur à l’époque de l’instruction ;
que les règles de procédure de l’ordonnance ont donc été
respectées ;
Considérant que la divulgation par la presse d’éléments
du rapport, en violation des dispositions du sixième alinéa
de l’article 52 de l’ordonnance n°45-1483, n’est pas de nature à
entacher d’irrégularité la procédure ; que le président
de la Commission de la concurrence a déposé plainte contre
X, le 4 octobre 1986, pour infraction aux dispositions précitées
;
Considérant que les entretiens du rapporteur avec MM. Chiaramonti
et Calvo, le 6 mars 1986, et MM. Chiaramonti et Peyroutou, le 4 juin
1986, ne constituaient pas des auditions au sens de l’article 15 du décret
du 25 octobre 1977 modifié et qu’aucun des éléments
recueillis au cours de ces entretiens n’a été utilisé
dans le rapport pour établir des griefs ;
Considérant que, si les études Sofres et Synesis n’ont
pas été communiquées en annexes du rapport, elles
ont cependant été versées au dossier en annexes au
mémoire du Syndicat national de la dermopharmacie ; que les parties,
en application de l’article 21 de l’ordonnance du 1er décembre 1986,
ont pu les consulter quinze jours avant la séance , que si la société
Pierre Fabre Cosmétiques estimait que l’annexe n°20 à
son mémoire était confidentielle, il lui appartenait, entre
la date d’entrée en vigueur des nouvelles règles de procédure
et celle de la séance, de demander qu’elle fût écartée
du dossier ; qu’aucune demande en ce sens n’a été formulée
; que les autres informations qui ont été annexées
au rapport sont au nombre des éléments visés au cinquième
alinéa de l’article 52 de l’ordonnance n°45-1483, lesquels doivent
figurer au rapport pour permettre aux parties d’exercer leur droit de défense
; que dès lors il n’y a pas lieu d’écarter du dossier les
pièces susvisées ;
Mais considérant que la lettre de la société Pierre
Fabre Cosmétiques à son avocat ainsi que le compte rendu
d’une réunion avec celui-ci, qui figurent en annexe du rapport,
doivent être considérés comme confidentiels et qu’il
convient de les écarter du dossier ; que toutefois ces pièces
n’ayant pas servi à étayer des griefs, l’irrégularité
n’a pas un caractère substantiel ;
Sur les systèmes de distribution :
Considérant qu’aucune des constatations effectuées avec
l’autorité de la chose jugée par le tribunal correctionnel
de Paris (3è chambre) le 16 juin 1980 sur la distribution du Bergasol
par la société Goupil n’est contredite par celles de la présente
décision ;
Considérant, en ce qui concerne l’application de l’article 85
du Traité de Rome, qu’aux termes de l’article 88 du Traité
du troisième alinéa de l’article 9 du règlement n°17
du Conseil des communautés européennes, les autorités
des Etats membres restent compétentes pour appliquer les dispositions
des articles 85, paragraphes 1 et 86, tant que la Commission n’a engagé
aucune procédure en application des articles 2, 3 ou 6 du règlement
n°17, que selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés
européennes, telle qu’elle résulte de ses arrêts des
30 janvier 1974 (B.R.T. n°127-73) et 30 avril 1986 (transports aériens
n°209-84 à 213-84), le Conseil de la concurrence est compétent
pour appliquer la législation nationale sur la concurrence ; qu’aucune
procédure relative à la présente espèce n’a
été ouverte par la Commission des communautés européennes
; qu’il n’appartient pas, en revanche, au Conseil de la concurrence d’appliquer
le paragraphe 3 de l’article 85 du Traité ;
Considérant que certaines des sociétés distribuant
leurs produits par le seul canal des pharmacies d’officine n’ont pas établi
de contrats de distribution et soutiennent que le choix des distributeurs
qu’ils admettent au sein de leur réseau constitue un acte unilatéral
qui ne saurait être visé par les dispositions prohibant certaines
conventions ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de limiter la
concurrence ; que, cependant, l’agrément d’un distributeur par un
producteur est un acte de nature à garantir le respect du contrat,
explicite ou tacite, entre ce producteur et tous ses distributeurs agréés
; que dès lors cet acte est de nature contractuelle au sens des
articles 50 de l’ordonnance n°45-1483 et 85 du Traité de Rome
;
a) Sur l’application des dispositions des articles 50 de l’ordonnance
n°45-1483 et 85, paragraphe 1, du Traité de Rome :
Considérant que, dès lors qu’ils préservent le
jeu d’une certaine concurrence sur le marché, les systèmes
de distribution sélective sont conformes aux dispositions de l’article
50 de l’ordonnance n°45-1483 et à celles du paragraphe 1 de
l’article 85 du Traité de Rome si les critères de choix des
revendeurs ont un caractère objectif, sont justifiés par
les nécessités d’une distribution adéquate des produits
en cause, n’ont pas pour objet ou pour effet d’exclure par nature une ou
des formes déterminées de distribution et ne sont pas appliqués
de façon discriminatoire ;
Considérant, en l’espèce, que les fabricants de produits
cosmétiques et d’hygiène corporelle peuvent, dans la limite
de ce qui est nécessaire à une distribution adéquate
de leurs produits, fixer à leurs revendeurs des conditions relatives
à la présentation et au stockage de leurs produits, à
l’organisation du conseil à la vente par une personne compétente
et à la détention d’un stock déterminé ;
Considérant que divers modes de distribution peuvent satisfaire
aux exigences qui viennent d’être énoncées ; que, toutefois,
compte tenu des dispositions légales relatives à l’organisation
de la profession de pharmacien, l’obligation faite, par les producteurs
considérés, aux revendeurs d’avoir la qualité de pharmacien
d’officine aboutit à exclure toutes les autres formes de distribution
; que cette obligation limite, dans les faits, la concurrence entre les
revendeurs d’une même marque même si rien n’interdit en droit
aux pharmaciens de Fixer librement les prix des produits en cause ;
Considérant que ladite obligation empêche des distributeurs
d’un Etat membre de la Communauté économique européenne
autre que la France, et qui ne seraient pas pharmaciens d’officine de vendre
en France les produits considérés ; que, dès lors,
et conformément à la jurisprudence de la Cour de justice,
elle constitue une restriction au commerce entre Etats membres ;
Considérant que, dans les conditions actuelles d’organisation
et de fonctionnement de la distribution des produits cosmétiques
et d’hygiène corporelle, la diffusion par les fabricants et les
grossistes répartiteurs de prix conseillés de revente et
l’interdiction de rétrocession entre revendeurs agréés,
qui n’est pas nécessaire pour assurer une distribution adéquate,
introduisent des rigidités ayant également pour effet de
limiter la concurrence par les prix entre les distributeurs d’une même
marque ;
Considérant que, si des produits similaires sont distribués
dans d’autres circuits commerciaux, la concurrence entre les produits cosmétiques
et d’hygiène corporelle des marques diffusées en pharmacie
et ceux des marques diffusées dans les autres circuits de distribution
est, dans les faits, limitée ;
b) Sur l’application des dispositions de l’article 51 de l’ordonnance
n°45-1483 :
Considérant que les intéressés font valoir que
la distribution de leurs produits dans les seules pharmacies est indispensable,
d’une part, pour assurer la protection du consommateur et, d’autre part,
pour introduire des produits nouveaux et protéger leur image de
marque, notamment en raison du conseil que prodigue le pharmacien aux consommateurs
,
Considérant, en ce qui concerne la protection du consommateur,
que, d’une part, la législation assurant cette protection est applicable
à tous les revendeurs et que, d’autre part, les fabricants peuvent
organiser, selon la nature des produits, une fonction de conseil de la
part de leurs revendeurs, fonction qu’ils ne sont pas tenus de réserver
aux pharmaciens d’officine ; que d’ailleurs la distribution des produits
de certaines des marques considérées est assurée,
dans plusieurs pays étrangers, par des revendeurs qui ne sont pas
pharmaciens ;
Considérant que les parties n’ont pas justifié que l’ouverture
de leurs réseaux de distribution à des revendeurs qui, sans
être pharmaciens d’officine, s’engageraient à respecter leurs
conditions d’agrément, ne permettrait pas l’introduction sur le
marché de produits innovants ou le développement de leur
image de marque ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède
que la distribution des produits cosmétiques et d’hygiène
corporelle par le seul circuit des pharmacies d’officine tombe sous le
coup des dispositions de l’article 50 de l’ordonnance du 30 juin 1945 sans
qu’elle puisse relever de son article 51 ; qu’elle tombe également
sous le coup de celles du paragraphe 1 de l’article 85 du Traité
de Rome ; que de telles pratiques sont également visées par
les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre
1986 ; que, dès lors, il y a lieu d’enjoindre à leurs auteurs
d’y mettre fin ;
Sur les pratiques concertés :
Considérant qu’il résulte des pièces du dossier
que le Syndicat national de la dermopharmacie, les sociétés
Expanscience, Pierre Fabre Cosmétiques, Lachartre, Lutsia, Monot,
Roc, Ruby d’Anglas, Biopha, Pharmygiène, Evian et Vichy, les grossistes
répartiteurs O.C.P., C.E.R.P. Rouen et G.R.P. se sont dès
1983 concertés pour refuser la vente aux centres Leclerc et rechercher
la source de leurs approvisionnements ;
Considérant que la fédération des syndicats pharmaceutiques,
le syndicat des pharmaciens de Seine-et-Marne et le Conseil national de
l’ordre des pharmaciens ont en 1984 exercé de nombreuses pressions
sur les fabricants pour obtenir d’eux l’assurance qu’ils n’avaient pas
approvisionné et n’approvisionneraient pas les centres Leclerc ,
que la réalité de menaces de cessation des commandes par
la profession a été reconnue par le président de la
section A du Conseil national de l’ordre des pharmaciens ;
Considérant que la fédération des syndicats pharmaceutiques,
le Syndicat national de dermopharmacie et les sociétés Biopha,
Expanscience, Pierre Fabre Cosmétiques, Evian, Lachartre, Lutsia,
Monot, Pharmygiène, Roc et Vichy se sont concertés pour maintenir
jusqu’en 1985 des prix conseillés de revente des produits cosmétiques
et d’hygiène corporelle ; qu’une nouvelle concertation ayant abouti
à remplacer ces prix conseillés par des abaques donnant le
prix de vente en fonction de coefficients multiplicateurs a eu, en fait,
pour objet de limiter la concurrence par les prix entre les officines pharmaceutiques
;
Considérant que les sociétés Biopha, Expanscience,
Pierre Fabre Cosmétiques, Lachartre, Lutsia, Roc, Ruby d’Anglas,
Vichy, la fédération des syndicats pharmaceutiques, l’Union
nationale des pharmacies de France, l’association de pharmacie rurale,
le syndicat des pharmaciens de Seine-et-Marne et le Conseil national de
l’ordre des pharmaciens se sont concertés pour protéger l’exclusivité
de l’officine pharmaceutique dans la distribution des produits cosmétiques
et d’hygiène corporelle des marques considérées ;
qu’à la suite de cette concertation les fabricants ont choisi un
système de distribution qui comprend tous les pharmaciens sans exception
et eux seuls ; que ce choix résulte d’une exigence de la fédération
des syndicats pharmaceutiques et du Conseil national de l’ordre des pharmaciens
; que la société Guigoz a signé un contrat de distribution
avec deux organisations professionnelles de pharmaciens ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède
que ces pratiques d’ententes tombent sous le coup des dispositions de l’article
50 de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 ; qu’il n’est ni établi
ni allégué que l’article 51 soit applicable ; que de telles
pratiques sont également visées par les dispositions de l’article
7 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Considérant que la fédération des syndicats pharmaceutiques,
le Conseil national de l’ordre des pharmaciens et, à un moindre
degré, le syndicat des pharmaciens de Seine-et-Marne ont suscité
plusieurs de ces ententes illicites et y ont pris une part active,