LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE, siégeant en formation plénière,
Vu les ordonnances nos 45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées
relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite
et la répression des infractions à la législation
économique ;
Vu la loi n° 77-806 du 19 juillet 1977 relative au contrôle
de la concentration économique et à la répression
des ententes illicites et des abus de position dominante et le décret
n° 77-1189 du 25 octobre 1977 fixant les conditions d’application de
cette loi ,
Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative
à la liberté des prix et de la concurrence et le décret
n° 86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son application ;
Vu la loi n° 72-1097 du 11 décembre 1972 modifiée
relative à l’organisation de la profession d’expert en automobile
;
Vu la loi n° 85-695 du 11 juillet 1985 relative à diverses
dispositions d’ordre économique et financier, notamment son article
32, créant un monopole des expertises au profit des experts en automobiles
;
Vu la décision n° 82-DC du ministre de l’économie
et des finances en date du 30 juillet 1982, ensemble l’avis émis
par la commission de la concurrence le 18 février 1982 sur la compatibilité
avec les règles de concurrence d’un système d’aide informatique
aux services d’expertise automobile ;
Vu la lettre du 18 février 1985 par laquelle la chambre syndicale
nationale des experts en automobiles et matériel industriel a saisi
la commission de la concurrence du dossier relatif à la mise en
place du système informatisé d’aide à l’expertise
automobile commercialisé par Sidexa ;
Vu les observations présentées par les parties sur le
rapport qui leur a été notifié le 13 novembre 1986
;
Le commissaire du Gouvernement, le rapporteur général
et les parties entendus ;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après
exposées :
I. - Constatations
La double nécessité de maîtriser le coût de
l’assurance automobile et l’information relative aussi bien au coût
de la réparation qu’aux conditions dans lesquelles s’effectuent
les expertises a conduit les professionnels principalement intéressés
par l’expertise - assureurs et experts - à envisager de recourir
à des procédés informatisés.
Il existe actuellement trois systèmes informatisés d’aide
à l’expertise, dont le système Audatex, qui a été
introduit en France en 1982 par la société Sidexa créée
à cette fin par un groupe d’assureurs : Abeille-Paix, A.G.F., G.A.N.,
Drouot, Mutuelles unies, Rhin et Moselle - Assurances françaises,
Via Assurances Nord et Monde, Préservatrice foncière.
Ce système repose sur la mise à la disposition des utilisateurs
de deux fichiers relatifs aux prix des pièces de rechange figurant
sur les catalogues des constructeurs et aux temps d’échange de ces
pièces tels qu’ils ont été établis par les
constructeurs avec l’agrément de l’association Sécurité
et réparation automobile (S.R.A.). Sont mises en mémoire
les données relatives à toutes les pièces susceptibles
d’être changées après un choc.
Par décision en date du 30 juillet 1982, au vu d’un avis de la
commission de la concurrence du 18 février précédent,
le ministre de l’économie et des finances, après avoir reconnu
comme utile le principe d’un système informatique a enjoint à
la société Sidexa de rendre le système Audatex-Sidexa
compatible avec les règles de la concurrence en procédant
aux aménagements suivants :
a) Modification des imprimés de saisie des données de
telle sorte qu’il soit matériellement possible à l’expert
de consigner sur ce document les temps qu’il entend éventuellement
substituer aux temps du barème ;
b) Modification du système Audatex de telle sorte qu’à
défaut de la mise au point d’un barème de temps reconnu comme
fiable par l’ensemble des professionnels et autres parties concernées,
la pluralité des barèmes de référence puisse
être sauvegardée ;
c) Indication très visible sur les imprimés du fait que
les temps programmés n’ont qu’un caractère indicatif et qu’il
est oeuvre d’expert de déterminer les temps réels de réparation
;
d) Distribution à chaque utilisateur du système Audatex
d’un opuscule décrivant de façon claire les conditions d’élaboration
de chacun des barèmes utilisés ;
e) Modification du système Audatex de façon à permettre
à l’expert de choisir au moyen d’un code le catalogue de prix de
pièces détachées auquel il entend se référer.
La chambre syndicale nationale des experts en automobiles et matériel
industriel (C.S.N.E.A.M.I.) a saisi la Commission de la concurrence sur
deux points concernant la mise en oeuvre du système Audatex-Sidexa.
En premier lieu, elle dénonce les menaces qu’auraient proférées
certains assureurs de retirer leur clientèle aux experts qui n’utiliseraient
pas le système, en estimant que ces pratiques portaient atteinte
au principe d’indépendance des experts posé par la loi de
1972. En second lieu, elle dénonce les rigidités du
système en faisant état du non-respect par Sidexa des injonctions
ministérielles.
II. - A la lumière des constatations qui précèdent,
le Conseil de la concurrence :
Considérant que la Commission de la concurrence a été
saisie par la chambre syndicale nationale des experts en automobiles et
matériel industriel sur la base de l’article 52 de l’ordonnance
de 1945 ; qu’il appartient au Conseil de la concurrence de statuer sur
cette saisine en vertu des dispositions de l’article 59 de l’ordonnance
susvisée du 1er décembre 1986, qui dispose que, lorsque le
rapport prévu à l’article 52 de l’ordonnance de 1945 a été
notifié aux parties avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance
du 1er décembre 1986, les pouvoirs dévolus au ministre chargé
de l’économie en application des articles 53 et 54 de l’ordonnance
de 1945 sont exercés par le Conseil de la concurrence -, que dès
lors, le Conseil de la concurrence est compétent pour apprécier
les conditions dans lesquelles les injonctions prononcées en 1982
par le ministre de l’économie et des finances à l’encontre
de la société Sidexa ont été respectées
;
Considérant, d’une part, que la chambre syndicale demanderesse
fait valoir que la mise en oeuvre du système Sidexa est contraire
au principe d’indépendance consacré par la loi du 2 décembre
1972 relative à l’organisation de la profession d’expert en automobile
et aurait été accompagnée de pressions attentatoires
à cette indépendance ; que le Conseil de la concurrence n’est
pas compétent pour statuer sur les conditions d’application de ladite
loi, qui relèvent de l’appréciation des tn@bunaux judiciaires
,
Considérant, d’autre part, que la chambre syndicale, auteur de
la saisine, fait valoir que la société Sidexa n’a pas entièrement
exécuté les obligations qui découlent de l’injonction
ministérielle ; qu’il résulte de l’instruction que, si trois
de ces injonctions ont bien été respectées (modification
des imprimés de saisie permettant à l’expert d’indiquer un
temps différent de celui du fichier, mention du caractère
indicatif des temps, distribution d’un opuscule), les deux autres ne l’ont
pas été ou ne l’ont été que partiellement ;
qu’en effet, la société Sidexa n’a entrepris aucune modification
ni aucune étude pour adapter son logiciel de telle sorte que les
utilisateurs aient une pluralité de barèmes de temps à
leur disposition ; qu’en ce qui concerne les prix des pièces, le
fichier informatisé s’en tient également aux prix des catalogues
des constructeurs, même lorsque les pièces concernées
sont susceptibles d’être fabriquées et vendues par des équipementiers
et de concurrencer les pièces des constructeurs ;
Considérant que, d’une manière générale,
afin de prévenir les risques de rigidité du marché
que peut entraîner, directement ou indirectement, la mise en application
de barèmes informatisés de prix, de produits ou de services,
il y a lieu d’incorporer à ceux-ci le plus grand nombre possible
d’informations sur les prix, qui soit compatible avec l’efficacité
du système ;
Considérant qu’en l’espèce l’élaboration par les
professionnels et l’introduction dans les systèmes informatisés
d’aide à l’expertise de barèmes établis sur la seule
base des strictes nécessités techniques de la réparation
sont d’autant plus souhaitables et nécessaires que l’ordonnance
du 1er décembre 1986 a instauré le régime de la liberté
des prix ;
Considérant cependant que les conditions actuelles d’élaboration
par les professionnels des différents barèmes de temps dits
« rixes » ou « à fourchette » sont telles
que ces barèmes sont très proches les uns des autres et prennent
tous en compte des éléments étrangers aux nécessités
techniques de la réparation ; que cette circonstance ne peut être
reprochée à Sidexa ; que, dès lors, compte tenu de
la possibilité donnée aux experts de substituer leurs évaluations
des temps de réparation à celle fournie par le système
et en l’absence de barèmes établis dans les conditions précisées
à l’alinéa précédent, il ne peut être
fait grief à Sidexa de ne pas avoir introduit dans le système
Audatex de nouveaux barèmes qui, dans les conditions actuelles,
ne seraient pas de nature à améliorer le jeu de la concurrence
;
Considérant, pour ce qui est du prix des pièces détachées,
que la référence exclusive au catalogue des prix des pièces
de mécanique des constructeurs, alors même qu’il existe des
pièces dites « concurrencées » fabriquées
par des équipementiers, ne peut être considérée
comme une contribution au progrès économique des systèmes
informatisés d’aide à l’expertise ; que, toutefois, Sidexa
a proposé d’indiquer, pour chacune des pièces d’origine,
l’éventuelle existence de pièces considérées
par leurs fabricants comme équivalentes, de sorte que l’expert puisse
exercer avec le maximum d’informations disponibles, dans le respect du
droit des assurances et des règles régissant l’exercice de
sa profession, le choix des prix auxquels il entend se référer
, qu’une telle mesure est de nature à satisfaire l’injonction ministérielle
sur la flexibilité nécessaire en matière de prix des
pièces détachées ;