LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre du 25 juin 1997, enregistrée sous les numéros
F 971 et P 06, par laquelle les sociétés SDPL et Extrapole
Montmartre ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en
œuvre par le magasin FNAC Italiens, susceptibles d’être prohibées
par les articles 8 et 10-1 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre
1986 ;
Vu le livre IV du code de commerce et le décret n° 86-1309
du 29 décembre 1986 modifié, pris pour l’application de l’ordonnance
n° 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée, relative à
la liberté des prix et de la concurrence ;
Vu la décision n° 00-DSA-06 du 12 juillet 2000 de la présidente
du Conseil de la concurrence ;
Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement
;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général suppléant
et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du
14 novembre 2000 ;
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et
sur les motifs (II) ci-après exposés :
La saisine dénonce, d’une part, une politique sélective
de baisses de prix de vente de disques de la FNAC du boulevard des Italiens
visant à évincer du marché le magasin Extrapole Montmartre,
d’autre part, des pratiques de ce même magasin FNAC de prix abusivement
bas inférieurs aux coûts variables également susceptibles
de provoquer une telle éviction.
I - Constatations
A - LES ENTREPRISES EN CAUSE
La société Codirep, filiale de la société
FNAC SA, gère neuf magasins en région parisienne et notamment
un magasin situé boulevard des Italiens (ci-après FNAC Italiens).
Le chiffre d’affaires de la FNAC Italiens s’est élevé en
1997 à 101 971 KF. Ce magasin s’étend sur 1 378 m2 dont 723
consacrés au disque, soit 53 % de la surface, avec 62 264 références,
le disque ayant représenté en 1997les deux tiers de son chiffre
d’affaires.
Extrapole SA (anciennement Société de distribution de
produits de loisirs-SDPL) détient le capital des cinq magasins Extrapole.
Depuis le 6 mai 1998, la société Hachette Distribution Service
(HDS) détient 99,9 % du capital de la société Extrapole.
Pour l’exercice 1996-1997, le chiffre d’affaires de la société
Extrapole Montmartre s’est élevé à 50 843 KF. Le magasin
s’étend sur 2 204 m2 dont 450, soit 20 %, consacrés au disque
pour 27 327 références, assurant, en 1997, 31 % du chiffre
d’affaires.
La clientèle des deux magasins vient principalement de Paris
et notamment des six arrondissements les plus proches : 43 % des clients
sont des résidents et 43 % des personnes qui travaillent dans cette
zone. Les temps de déplacement maxima sont estimés entre
six et quinze minutes selon le mode de locomotion.
Au niveau national, le principal débouché des éditeurs
de disques est constitué par les hypermarchés, dont la part
est de 39,8 % en 1997, suivis par les grandes surfaces spécialisées,
dont la part est de 28,1 % en 1997, dont 22,1 % pour la FNAC. Leur troisième
débouché est constitué par les grossistes, dont la
part est stabilisée à 19 %, qui livrent les distributeurs
que les éditeurs ne livrent pas en direct, à savoir les supermarchés
et magasins populaires, certains hypermarchés et certains disquaires
indépendants. La part de la vente par correspondance est de 3,9
% en 1997, celle des disquaires indépendants de 6,6 % et celle des
grands magasins de 2,5 %. Tous circuits confondus, la FNAC est l’enseigne
qui détient la part de marché la plus élevée,
suivie de Carrefour avec 13,1 % du marché en 1997. Quant à
Virgin Megastore, au deuxième rang des enseignes spécialisées,
sa part est de 3,9 %. Quant à Extrapole, sa part du marché
national est passée de 0,2 % à 0,9 % entre 1993 et 1997.
D’après les études effectuées par la profession
en Ile-de-France, les estimations aboutissent à une part de marché
de 28 % pour les hypermarchés et 52 % pour l’ensemble de la grande
distribution spécialisée, dont 32,8 % pour la FNAC. Selon
les mêmes sources, à Paris, la part des hypermarchés
dans les ventes des éditeurs est de 0,03 % en 1997. Le poids des
grands magasins y est plus important, avec 9,35 % en 1997 contre 2,5 %
au niveau national, de même que la part des grandes surfaces spécialisées,
qui s’élève au total à 87 % en 1997 contre 28,1 %
au niveau national. Parmi ces grandes surfaces, la FNAC détient
la part de marché la plus importante avec 60,6 % en 1997. Elle est
suivie par Virgin, qui détient une part de marché d’environ
25 %. La part d’Extrapole est de 1,3 %.
B. - LES COMPORTEMENTS RELEVES
1. La politique tarifaire de la FNAC
En matière de politique tarifaire, la FNAC Italiens applique
les principes définis pour l’ensemble des magasins FNAC. Ainsi la
base de calcul des prix, définie par la FNAC SA, est un prix de
vente maximum conseillé théorique, déterminé
en appliquant au prix catalogue éditeur un coefficient multiplicateur.
Pour les nouveautés, ce prix est inférieur, en général
de 20 %, au prix catalogue, mais la réduction peut être plus
ou moins importante selon le disque et l’état de la concurrence,
notamment celle des hypermarchés. Ainsi, chaque directeur de magasin
dispose de son autonomie pour fixer ses prix de vente au détail,
en fonction de la situation de son magasin sur le marché local.
Ainsi, le responsable du magasin Italiens a souligné qu’il a
tenu compte de considérations locales, telles que la baisse de fréquentation
du magasin et la sensibilité aux prix d’une clientèle provenant
de l’ensemble de l’Ile de France, qui a pour référence les
prix pratiqués par les hypermarchés. Il a, en outre, précisé
que sa politique de prix a été influencée par le comportement
d’Extrapole qui, dès son ouverture, a pratiqué des prix très
bas, principalement sur les produits les plus sensibles dans la perception
du public, mais qu’il n’alignait pas systématiquement ses prix sur
ceux d’Extrapole.
L’examen des prix pratiqués par la FNAC Italiens et les autres
FNAC en région parisienne, à partir de relevés réalisés
entre janvier 1996 et avril 1998, permet de constater que la FNAC Italiens
n’a pas l’exclusivité des prix les plus bas et, qu’en tout état
de cause, son comportement en matière de prix préexistait
à l’implantation d’Extrapole.
Concernant les prix par article sur cette période, la proportion
de titres vendus au même prix dans toutes les FNAC parisiennes ne
dépasse pas 51 % : ce taux est le plus faible en juin 1997, soit
le mois visé par la plainte d’Extrapole Montmartre. Ainsi, les relevés
de prix confirment qu’il n’existe pas de tarif unique dans les magasins
FNAC à Paris et que les magasins pratiquent des prix différents.
Par ailleurs la hiérarchie des niveaux de prix varie d’un magasin
à l’autre, de telle sorte qu’un magasin peut avoir simultanément
le prix le plus élevé sur un titre et le prix le plus bas
sur un autre.
Concernant les prix moyens par magasin, la hiérarchie des magasins
n’est pas stable. Sur dix relevés mensuels de prix, la FNAC Italiens
affiche le prix moyen le plus bas à quatre reprises, dont juin et
juillet 1997. Par ailleurs, si on relève une baisse sensible du
prix moyen pour la FNAC Italiens en juin 1997 (- 16 %), cette baisse, d’une
ampleur voisine (comprise entre 10 et 15 %), est également constatée
pour les autres FNAC parisiennes. Enfin, dès avant l’ouverture d’Extrapole
Montmartre en mai 1996, le prix moyen de la FNAC Italiens figurait déjà
parmi les moins élevés de toutes les FNAC parisiennes.
2. La politique tarifaire d’Extrapole
Le président-directeur général d’Extrapole SA a
déclaré qu’il déterminait ses prix de base en se situant
par rapport à la FNAC, dont il connaît la politique tarifaire,
étant lui-même l’ancien directeur général de
la FNAC, et qu’il appliquait au tarif éditeur un coefficient légèrement
inférieur à celui de la FNAC, conduisant à un différentiel
de prix par rapport à la FNAC de un à trois francs selon
les disques. Comme la FNAC, il applique aux nouveautés, sur ce prix
de départ, une réduction de 20 %. Par ailleurs, les responsables
de magasin ont l’obligation de s’aligner sur les concurrents locaux les
plus représentatifs. A Paris, il s’agit de la FNAC. Enfin, pour
les titres qui obtiennent un succès exceptionnel, tous les magasins
doivent s’aligner, après décision prise au niveau du siège,
sur le magasin Extrapole qui pratique le prix le plus bas.
La comparaison des prix relevés respectivement dans les magasins
FNAC et Extrapole, soit cinq relevés entre juin 1997 et avril 1998,
permet de constater que c’est le magasin d’Extrapole qui a pris l’initiative
des baisses de prix par rapport à la FNAC.
En premier lieu, s’agissant de la FNAC Italiens et d’Extrapole Montmartre,
les alignements de prix concernent en général plus de la
moitié des articles, aussi bien sur la période dénoncée
par Extrapole que sur les périodes ultérieures. Cette proportion
est la plus élevée en juin 1997 avec 61 % de prix alignés
(74 articles sur 120 relevés). Les relevés font aussi ressortir
que, lorsque les produits sont à des prix différents dans
les deux magasins, dans la très grande majorité des cas c’est
Extrapole qui pratique le prix le plus bas, notamment en juin 1997, sur
76 % des articles (35 articles sur 46), proportion qui ne sera dépassée
que lors de l’avant dernier relevé en décembre 1997, avec
84,6 %, soit pendant la plus forte période de vente de disques.
Concernant spécifiquement le relevé de prix de juin 1997,
sur les onze titres pour lesquels la FNAC Italiens a pratiqué des
prix inférieurs à Extrapole, des prix identiques ou inférieurs
étaient pratiqués pour sept de ces titres dans d’autres FNAC.
En deuxième lieu, à partir de relevés effectués
en continu sur trois semaines consécutives pour un échantillon
de onze titres, il ressort, pour huit d’entre eux, que c’est Extrapole
Montmartre qui a pris l’initiative des baisses de prix, alors même
qu’existait déjà en sa faveur un différentiel de deux
à trois francs par rapport à la FNAC Italiens (six titres
sur les huit).
Enfin, les prix moyens de vente mensuels d’Extrapole Montmartre relevés
entre juillet 1996 et décembre 1997 sont, tout au long de la période
considérée, toujours inférieurs à ceux de la
FNAC Italiens, même lorsque la FNAC a consenti des baisses de prix,
par rapport au mois précédent, supérieures à
celles d’Extrapole, soit à cinq reprises sur les 17 mois : en août
1996 (prix moyen FNAC - 5,8 %, Extrapole + 11,8 %), en mars 1997 (prix
moyen FNAC - 3,5 %, Extrapole - 1,7 %), en avril 1997 (prix moyen FNAC
1,4 %, Extrapole + 3,1 %), en juin 1997 (prix moyen FNAC - 5,1 %, Extrapole
2,5%) et en août 1997 (prix moyen FNAC - 10 %, Extrapole + 4,9
%).
Au mois d’août 1997, le prix moyen de la FNAC a baissé
de 10 %, tandis que celui d’Extrapole a augmenté de 5 %. Il en résulte
l’écart de prix le plus faible de la période (1,01 %), Extrapole
se situant, toutefois, toujours en dessous de la FNAC (96,19 F contre 96,79
F). Il ressort de ce constat que la FNAC Italiens, confrontée à
l’érosion de ses ventes durant le trimestre précédent
et à la concurrence d’Extrapole, s’est efforcée de réagir
en baissant ses prix. Cette démarche n’a pas porté ses fruits
puisque les deux magasins ont subi la même baisse sensible de leurs
ventes en août (- 17 %), ce mois étant traditionnellement
une période de faibles ventes pour les disques.
Le mois de septembre 1997 a été marqué par une
nouvelle offensive d’Extrapole avec une baisse de 8 % de son prix moyen,
tandis que celui de la FNAC augmentait de 1,4 %. Extrapole a augmenté,
ainsi, ses ventes en volume de 18,3 % ; les ventes de la FNAC progressent
dans les mêmes proportions (+ 18,5 %). Dans les mois qui suivent,
le prix moyen de chacun des deux magasins a augmenté régulièrement
: + 5 % en octobre, + 4 % en novembre, + 9 % en décembre pour la
FNAC, + 2,3 % en octobre, + 5 % en novembre, + 10,5 % en décembre
pour Extrapole.
3. L’évolution comparée de
l’activité des deux magasins
La lecture du tableau des chiffres d’affaires mensuels respectifs de
la FNAC Italiens et d’Extrapole Montmartre, entre juillet 1996 et décembre
1997, permet de constater que l’évolution de l’activité d’Extrapole
a été plus favorable que celle de la FNAC. En premier lieu,
si l’on examine la variation en pourcentage par rapport au mois précédent,
sur seize mois, Extrapole a connu une évolution plus favorable de
son chiffre d’affaires à dix reprises, notamment pendant les périodes
des plus fortes ventes en fin d’année. En juin 1997, Extrapole a
subi une baisse de 8,2 %, légèrement supérieure à
celle de la FNAC (- 5,7 %), mais immédiatement corrigée par
une hausse en juillet de 6,2 %, alors que, dans le même temps, la
FNAC enregistrait une nouvelle baisse de 7,8 %.
En second lieu, la comparaison par rapport au même mois de l’année
précédente fait apparaître que la FNAC Italiens a enregistré
une baisse constante et sensible de ses ventes en 1997 par rapport à
1996, notamment en juin où la baisse est la plus forte, soit - 24,3
%, après celle de mars qui a été de - 34,8 %. A l’inverse,
Extrapole a connu une évolution positive entre juillet et octobre
et la baisse enregistrée en novembre et décembre est nettement
inférieure à celle de la FNAC, soit en cumul - 7,8 % contre
28,5 %.
4. Les données relatives aux coûts
Le magasin FNAC Italiens dispose d’une comptabilité analytique
mensuelle de l’activité de chacun de ses départements qui
permet de calculer une marge commerciale par différence entre le
chiffre d’affaires et le coût des achats. Outre le taux de marge,
chaque magasin appartenant à la FNAC, pour définir sa politique
tarifaire en matière de disques, est guidé par un taux de
contribution brute qui est déterminé en ajoutant à
la marge commerciale les coûts directs de personnel. Le directeur
de la FNAC Italiens a ainsi précisé que sa responsabilité
s’arrêtait à la ligne " frais de personnel ".
Une étude, menée en 1997 par le cabinet Arthur Andersen
pour la FNAC, a identifié comme coûts variables les frais
d’étiquetage, l’escompte accordé par les fournisseurs de
disques et le coût des achats consommés, ce dernier poste
représentant 99,7 % du total des coûts variables. Les coûts
fixes sont constitués du loyer et des charges locatives, de l’amortissement
du matériel, du mobilier et des agencements, des frais de siège,
qui évoluent indépendamment de l’activité du magasin.
Quant aux salaires et aux frais de fonctionnement, ils peuvent constituer
des coûts fixes ou des coûts partiellement variables, selon
qu’on analyse leur évolution mensuellement ou annuellement. L’évolution
mensuelle comparée des frais de salaires et de l’activité
de la FNAC Italiens permet de relever des variations différenciées,
avec soit des hausses des frais de personnel alors que le chiffre d’affaires
baisse, soit des baisses alors que les ventes augmentent. Ces deux grandeurs
peuvent également varier dans le même sens mais dans des proportions
différentes. Par contre, en données annuelles, lorsque le
chiffre d’affaires diminue, les frais de personnel diminuent aussi. En
1996, les frais de personnel ont diminué de 6,4 %, tandis que les
ventes ont baissé de 10,4 %. En 1997, les baisses sont respectivement
de 5 % pour les frais de personnel et de 15,7 % pour les ventes. En données
mensuelles, l’évolution comparée des frais de fonctionnement
et du chiffre d’affaires fait ressortir des variations différenciées,
notamment au deuxième semestre 1997.
Selon une méthode dite des " extrêmes ", le service d’enquête
a estimé que la part variable des frais de personnel était,
pour l’année 1997, égale à 37 % des frais de personnel
directs du rayon disques et que, pour les frais de fonctionnement, cette
part variable était de 27 %.
Extrapole Montmartre dispose également d’une comptabilité
analytique qui retrace à la fois l’activité de l’ensemble
du magasin et de chacune des unités opérationnelles, dont
le disque. Une marge nette est obtenue par soustraction du prix d’achat
net (toutes conditions commerciales déduites) du chiffre d’affaires
net. Puis est établie une marge nette par déduction des frais
de transport sur achats, de la remise carte Extrapole, de la démarque
inconnue et de la dépréciation du stock. Cette marge est
ensuite diminuée de différentes charges directes, qui sont
la cotisation au groupement Starter, les salaires et charges sociales des
vendeurs et responsables du rayon. Les autres postes de charges sont répartis
entre les rayons en fonction de clés de répartition variables,
selon la nature des charges (chiffres d’affaires, surface commerciale....).
5. Les marges sur coûts variables
La marge sur coût variable coïncide avec la marge commerciale
définie par les deux magasins. En données mensuelles, cette
marge commerciale est toujours positive, tant pour la FNAC que pour Extrapole,
les taux de marge d’Extrapole étant inférieurs à ceux
de la FNAC. Si l’on ajoute aux coûts variables les parts variables
des frais de personnel (37 %) et de fonctionnement (27 %), telles que déterminées
précédemment, le coût variable qui en résulte
représente pour la FNAC 81,4 % de son chiffre d’affaires et se trouve
donc couvert par le résultat des ventes. Pour Extrapole, ce même
coût atteint 90,3 % du montant des ventes.
Par ailleurs, il est arrivé que la FNAC Italiens pratique des
marges plus faibles en 1995 et en 1996 qu’en 1997. Ainsi, les taux de marge
ont été supérieurs en octobre et novembre 1996 à
ceux d’octobre et novembre 1995. De même, le taux de marge du mois
de mai 1997 est quasiment égal à celui de mai 1996 et supérieur
à celui de mai 1995. On observe de plus que la marge de juin 1997,
mois pour lequel la saisine dénonce le comportement abusif de la
FNAC, est la plus élevée de la période allant de janvier
1995 à novembre 1997.
En données annuelles sur 1995, 1996 et 1997, les taux de marge
dégagés par la FNAC Italiens sont parmi les plus faibles
des magasins FNAC de la région parisienne, dès avant la période
dénoncée par la saisine. Ainsi, en 1995, année précédant
celle de l’ouverture d’Extrapole Montmartre, la FNAC Italiens a dégagé
un taux de marge inférieur d’environ deux points à celui
des quatre autres FNAC de Paris intra-muros. Ces éléments
confirment les déclarations des responsables de la FNAC, qui font
état des difficultés rencontrées depuis plusieurs
années par la FNAC Italiens. Il ressort de l’examen du tableau comparatif
des objectifs de marges fixés aux différents magasins FNAC
que ces difficultés sont prises en compte dans les prévisions,
puisque les objectifs fixés à la FNAC Italiens sont inférieurs
à ceux des autres FNAC parisiennes.
Par ailleurs, la baisse de marge n’est pas spécifique à
la FNAC Italiens, puisque tous les magasins FNAC enregistrent sur la période
une érosion de leurs marges, souvent d’une ampleur supérieure
en 1997 à celle de la FNAC Italiens (- 1,56 point), telles la FNAC
Créteil (- 1,76 point), la FNAC La Défense (- 2,78 points)
et la FNAC Cergy (- 3,05 points).
6. Les marges sur coûts totaux
La contribution brute résulte de l’ajout au coût d’achat
des marchandises vendues des frais de personnel direct du rayon. En 1997,
pour la FNAC Italiens, la contribution brute du rayon disque correspond
à des charges représentant 82,05 % du chiffre d’affaires.
Il s’ensuit que les prix de vente ont été supérieurs
au coût d’achat augmenté des coûts totaux de personnel
du rayon. Il en a été de même pour Extrapole Montmartre,
avec des frais de personnel d’un poids équivalent à ceux
de la FNAC par rapport aux ventes (8,7 %), mais avec une marge commerciale
plus faible de 6,3 points, notamment du fait de sa politique tarifaire
plus agressive sur l’ensemble de la période. Ainsi, son taux de
contribution brute correspond à des charges représentant
88,6 % du chiffre d’affaires.
Le coût total hors frais de siège, c’est-à-dire
la somme des frais de fonctionnement, des coûts des marchandises
vendues et des coûts de personnel, représente 99,8 % du chiffre
d’affaires pour la FNAC Italiens, contre 116 % pour Extrapole. Ainsi, à
ce stade, la FNAC couvre encore ses coûts, ce qui n’est pas le cas
d’Extrapole, qui, sur le poste des frais de fonctionnement, connaît
un handicap de neuf points par rapport à la FNAC. Ce n’est que si
l’on inclut les frais de siège, qui sont des coûts fixes,
que le chiffre d’affaires de la FNAC Italiens ne couvre pas le coût
total d’exploitation et fait apparaître un résultat d’exploitation
négatif de 4 %.
II - Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil,
Considérant que la partie saisissante expose que le comportement
du magasin FNAC du boulevard des Italiens serait constitutif, d’une part,
de prix prédateurs, relevant de l’article L. 420-2 du code de commerce,
d’autre part, de prix abusivement bas, relevant de l’article L. 420-5 du
code de commerce ;
Sur la position des entreprises sur le marché de la vente au
détail du disque,
Considérant, qu’au plan national, la part de marché du
disque détenue par les grandes surfaces spécialisées
en 1997 est estimée à 28,1 %, dont 22,1 % pour la FNAC et
3,9 % pour la deuxième entreprise de cette catégorie, soit
Virgin ; que la part de la grande distribution généraliste
(hypermarchés et supermarchés) est de 39,8 %, dont 13,1 %
pour l’enseigne Carrefour située en première position de
cette catégorie ; que la part d’Extrapole est estimée à
0,9 % en 1997 ; qu’en Ile de-de-France, les estimations aboutissent à
une part de marché de 28 % pour les hypermarchés et de 52
% pour l’ensemble de la grande distribution spécialisée,
dont 32,8 % pour la FNAC ;
Considérant que, pour Paris intra-muros en 1997, la part de la
grande distribution généraliste est de 0,03 %, tandis que
celle de la grande distribution spécialisée est de 87 %,
dont 60,6 % pour la FNAC avec six magasins, 25 % pour Virgin avec trois
magasins et 1,3 % pour Extrapole avec un magasin ; que la part de marché
des grands magasins est de 9,3 % ; qu’ainsi la FNAC occupe à Paris
une place prépondérante en termes de parts de marché
; qu’il y a lieu, toutefois, pour apprécier la position de la FNAC,
de prendre en compte le fait qu’une proportion importante de la clientèle
achetant des disques dans les magasins situés à Paris réside
en Ile de France ; que les acheteurs ont la possibilité de comparer
les prix des disques pratiqués par les hypermarchés proches
de leur domicile et de s’approvisionner, tout au moins pour une certaine
gamme de disques et plus particulièrement pour les nouveautés,
auprès des hypermarchés et des spécialistes ; qu’ainsi,
pour la fraction de la clientèle qui réside en banlieue et
pour celle qui peut se rendre aisément dans les hypermarchés
périphériques, les magasins FNAC situés à Paris
intra-muros sont en concurrence avec les distributeurs de banlieue ; qu’en
conséquence, il y a lieu de prendre en compte, pour définir
le marché pertinent, une zone géographique plus étendue
que celle de Paris intra-muros ;
Considérant, en outre, qu’il est constant que l’enseigne Extrapole
a pu rapidement s’implanter sur le marché et a ouvert cinq magasins
en cinq ans ; ,que, pendant la période concernée par les
faits, l’activité du magasin Extrapole de Paris a été
en progression constante ; que, dans le même temps, l’enseigne a
enregistré une progression de sa part du marché national
qui est passée de 0,2 à 0,9 % entre 1993 et 1997 ;
Considérant que, quand bien même il serait établi
que la FNAC détiendrait une position dominante sur un marché
géographique du disque, il conviendrait de démontrer que
ses comportements, examinés dans le cadre de l’article L. 420-2
du code de commerce, seraient constitutifs d’un abus de cette domination
; qu’en tout état de cause, dans le cadre d’un examen au titre de
l’article L. 420-5, il n’est pas nécessaire de constater l’existence
d’une telle position dominante ;
Sur le caractère prédateur ou abusivement bas des prix,
Considérant que l’article L. 420-5 du code de commerce prohibe
les " offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement
bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de
commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour
objet ou peuvent avoir pour effet d’éliminer d’un marché
ou d’empêcher d’accéder à un marché une entreprise
ou l’un de ses produits " et qu’il précise que : " Ces dispositions
ne sont pas applicables en cas de revente en l’état, à l’exception
des enregistrements sonores reproduits sur supports matériels "
;
Considérant qu’en application des dispositions de l’article L.
420-2 du code de commerce, sont prohibées les pratiques de prix
prédateurs mises en œuvre par une entreprise qui occupe une position
dominante sur un marché ;
Considérant que la Cour de Justice des communautés européennes,
dans son arrêt AKZO du 3 juillet 1991, puis le Conseil de la concurrence,
dans sa décision n° 94-D-30 du 24 mai 1994 (Béton prêt
à l’emploi du Tarn), ont défini deux situations de prix de
prédation ; que, d’une part, un prix de vente d’un bien ou d’un
service durablement inférieur à la moyenne des coûts
variables de production de ce bien ou de ce service établit une
présomption de volonté d’éviction des concurrents
et est en lui-même un prix prédateur ; que, d’autre part,
un prix de vente inférieur à la moyenne des coûts totaux
de production, qui comprennent les coûts fixes et les coûts
variables, mais supérieur à la moyenne des coûts variables,
doit être considéré comme constitutif d’une pratique
de prédation, dès lors que le prix est fixé à
ce niveau pour éliminer un concurrent du marché ;
Considérant que le Conseil, dans son avis n° 96-A-05 du 2
mai 1996 relatif à l’application de l’article 10-1 de l’ordonnance
du 1er décembre 1986 au secteur du disque, a considéré
qu’il convenait d’utiliser la définition du prix de prédation
pour définir les prix abusivement bas ; qu’il a ainsi indiqué,
en ce qui concerne les coûts qui doivent être pris en compte
pour apprécier le caractère abusivement bas des prix, que
sont pris en considération les coûts variables, un prix de
vente inférieur aux coûts variables permettant de présumer
un effet d’éviction ; que, par ailleurs, des prix peuvent être
considérés comme abusivement bas s’ils sont inférieurs
aux coûts moyens totaux et supérieurs aux coûts variables,
si la pratique est accompagnée d’indices suffisamment sérieux,
probants et concordants d’une volonté délibérée
d’évincer un concurrent du marché ;
Considérant qu’une telle volonté d’élimination
peut soit se manifester par des documents qui en font état, soit
être déduite du comportement de l’entreprise en cause, notamment
lorsque sa politique tarifaire est différenciée de sa politique
commerciale habituelle sans qu’aucune autre raison puisse l’expliquer ou
lorsqu’elle a pour cible manifeste un concurrent à éliminer
;
concernant les coûts
Considérant que l’instruction a établi que le prix de
vente des disques pratiqué par la FNAC Italiens couvrait ses coûts
variables constitués par la somme des coûts directs, coûts
d’achat, démarque, étiquetage et escompte client, ainsi que
des frais de personnel (pour 37 %) et des frais de fonctionnement (pour
27 %) ; qu’au surplus il est établi que globalement les frais de
personnel et les frais de fonctionnement affectés à la vente
des disques, tant fixes que variables, étaient inférieurs
au montant total des ventes ;
concernant la volonté d’éviction de la FNAC
Considérant, en premier lieu, que l’instruction a établi,
d’une part, que la politique tarifaire menée par le magasin FNAC
Italiens face à son concurrent Extrapole Montmartre était
conforme aux principes généraux définis par l’enseigne
et que ce magasin n’a pas adopté de comportement spécifique
par rapport à sa politique tarifaire antérieure ; que, d’autre
part, la pratique de prix différenciés par les différents
magasins à l’enseigne FNAC est ancienne et constante et que le positionnement
de la FNAC Italiens parmi les magasins pratiquant les prix les plus compétitifs
de l’enseigne préexistait à l’implantation d’Extrapole ;
qu’en ce qui concerne les marges commerciales, il a été également
constaté que leur baisse n’était pas spécifique à
la FNAC Italiens, les autres magasins de l’enseigne ayant également
enregistré une dégradation de leurs marges ; que, de même,
le classement de la FNAC Italiens au rang des magasins ayant la plus faible
marge était antérieur à l’ouverture du magasin d’Extrapole
;
Considérant, en deuxième lieu, qu’en ce qui concerne les
prix de vente, le responsable d’Extrapole SA a reconnu qu’il déterminait
ses prix de base en se situant par rapport à la FNAC, dont il connaissait
la politique tarifaire ; qu’ainsi, il applique systématiquement
au tarif éditeur un coefficient multiplicateur inférieur
à celui de la FNAC, qui se traduit pour les prix de base par un
différentiel de prix par rapport à la FNAC de un à
trois francs ; que, comme la FNAC, il applique aux nouveautés sur
ces prix de départ une réduction de 20 % ; que les magasins
à l’enseigne Extrapole ont l’obligation de s’aligner sur les prix
des concurrents locaux les plus représentatifs, soit, pour Paris,
la FNAC ; qu’à partir de relevés effectués en continu
sur trois semaines consécutives pour un échantillon de onze
titres, dans huit cas, il ressort que c’est Extrapole Montmartre qui a
pris l’initiative des baisses de prix, alors même que ce magasin
pratiquait déjà des prix inférieurs de deux à
trois francs à ceux de la FNAC Italiens (pour six cas sur les huit)
;
Considérant, en troisième lieu, qu’en ce qui concerne
les prix de vente moyens mensuels des disques relevés entre juillet
1996 et décembre 1997, tout au long de la période considérée,
les prix moyens d’Extrapole Montmartre sont toujours inférieurs
à ceux de la FNAC Italiens, même pendant les mois où
il a été constaté des baisses des prix moyens de la
FNAC plus importantes que celles relevées pour Extrapole ;
Considérant, en quatrième lieu, qu’en ce qui concerne
les prix relevés par produit, lorsque la FNAC Italiens a répondu
à la concurrence d’Extrapole, dans la très grande majorité
des cas elle a aligné ses prix sur ceux de son concurrent ou les
a fixés à un niveau légèrement supérieur
; qu’ainsi, d’une part, les simples alignements de prix ont porté
sur plus de la moitié des articles, tant sur la période dénoncée
par Extrapole que sur les périodes ultérieures, et que cette
proportion d’alignement est la plus forte en juin 1997 avec 61 % de prix
alignés ; que, d’autre part, les relevés font ressortir que,
lorsque les prix des disques ne sont pas alignés dans les deux magasins,
dans la très grande majorité des cas c’est Extrapole qui
pratique les prix les plus bas, notamment en juin 1997, mois pendant lequel
cette proportion a été de 76,1 % ; qu’ainsi, sur les cinq
relevés de prix effectués entre juin 1997 et avril 1998,
sur un échantillon de disques comprenant, selon les mois, de 67
à 135 produits, il a été constaté que la FNAC
Italiens a pratiqué des prix supérieurs ou égaux à
ceux d’Extrapole Montmartre dans des proportions variant entre 84 % et
93 %, dont 91 % en juin 1997 ; que, sur ce mois de juin 1997, pour les
onze titres où la FNAC Italiens a pratiqué des prix inférieurs
à Extrapole, dans sept cas des prix identiques ou inférieurs
étaient pratiqués dans d’autres FNAC ; qu’ainsi, c’est seulement
pour quatre titres, soit 3,3 % des 120 prix relevés, que la FNAC
Italiens a pratiqué spécifiquement des prix inférieurs
à ceux d’Extrapole ;
Considérant, de plus, que le comportement de la FNAC Italiens
peut s’expliquer par la volonté de l’enseigne de tenter d’enrayer
la chute sensible et continue de son chiffre d’affaires depuis plusieurs
années, qui résulterait d’une baisse de la fréquentation
du magasin ;
Considérant, en tout état de cause, que le fait, pour
une entreprise, de procéder à des alignements de prix sur
ceux de son concurrent, alors que ce dernier a établi un tarif de
base inférieur au sien, n’est que la manifestation de l’exercice
normal de la concurrence, quand bien même, d’une part, l’entreprise
en cause détiendrait une position dominante sur le marché
et, d’autre part, pratiquerait des prix de vente inférieurs à
ses coûts totaux mais supérieurs à ses coûts
variables, dès lors qu’il n’est pas établi que son comportement
entre dans le cadre d’une stratégie d’éviction de son concurrent
;
Considérant, en l’espèce, qu’outre l’absence de tout élément
objectif qui permette d’établir une stratégie d’éviction,
le comportement même de la FNAC Italiens en matière tarifaire,
tel qu’exposé ci-dessus, ne permet pas de caractériser une
volonté délibérée d’éliminer son concurrent
;
Sur la constatation d’une éviction du marché,
Considérant qu’une pratique de prix abusivement bas, à
supposer qu’elle soit établie, ne suffit pas à justifier
l’application de l’article L. 420-5 du code de commerce ; qu’il convient
d’établir si cette pratique a pour objet ou est susceptible d’avoir
pour effet d’évincer du marché l’entreprise qui prétend
en être victime ; que, dans le cas d’espèce, l’existence d’une
volonté d’éviction de la part de la FNAC Italiens n’ayant
pas été établie, il y a lieu de vérifier si
la pratique de prix de la FNAC Italiens n’a pas eu ou ne pouvait avoir
un tel effet ;
Considérant qu’entre juillet 1996 et décembre 1997, l’évolution
de l’activité d’Extrapole a été plus favorable que
celle de la FNAC Italiens ; qu’en premier lieu, sur seize mois, Extrapole
a connu à dix reprises une variation mensuelle d’activité
plus favorable que la FNAC ; qu’en deuxième lieu, la comparaison
des ventes par rapport au même mois de l’année précédente
fait apparaître que la FNAC Italiens a enregistré une baisse
constante et sensible de ses ventes en 1997 par rapport à 1996,
notamment en juin où la baisse est la plus forte (- 24,3 %) après
celle de mars (- 34,8 %) ; qu’en revanche, Extrapole a connu une évolution
positive de ses ventes entre juillet et octobre, tandis que la baisse constatée
en novembre et décembre (- 7,8 %) est inférieure à
celle de la FNAC (- 28,5 %) ; qu’au surplus, il n’y a pas de corrélation
entre les évolutions mensuelles des chiffres d’affaires d’Extrapole
et les comportements tarifaires de la FNAC ;
Considérant, en troisième lieu, que, lorsque la FNAC Italiens
a vendu des disques à des prix inférieurs à ceux d’Extrapole,
soit, selon les mois, entre 7 et 16 % des titres relevés, il n’est
pas établi qu’Extrapole ait enregistré une baisse sensible
des ventes de ces titres, ni que la vente de ces titres aurait représenté
une part prépondérante de son activité, de telle sorte
que la baisse des ventes de ces produits aurait été susceptible
d’affecter son maintien sur le marché ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède,
d’une part, qu’il n’est pas établi que les prix pratiqués
par la FNAC Italiens revêtent le caractère de prix prédateurs
au sens de l’article L. 420-2 du code de commerce, ou de prix abusivement
bas au sens de son article L. 420-5 ; que, d’autre part, il n’est pas établi
que les comportements tarifaires de la FNAC Italiens ont eu pour objet
ou aient pu avoir pour effet d’évincer du marché de la vente
de disques au détail à Paris le magasin Extrapole Montmartre
; qu’ainsi, il n’est pas établi que la société FNAC
a enfreint les dispositions des articles L. 420-2 et L. 420-5 du code de
commerce ; qu’il y a donc lieu d’appliquer les dispositions de son article
L. 464-6,