LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE, siégeant en commission permanente,
Vu la lettre en date du 17 décembre 1997, enregistrée
sous le numéro F 1000, par laquelle le ministre de l’économie,
des finances et de l’industrie a saisi le Conseil de la concurrence de
pratiques mises en œuvre dans le secteur de la désourisation et
de la dératisation du département de l’Orne ;
Vu le livre IV du code de commerce et le décret n° 86-1309
du 29 décembre 1986 modifié, pris pour l’application de l’ordonnance
n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;
Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement
;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement entendus au cours de la séance du 10 octobre 2000 ;
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et
sur les motifs (II) ci-après exposés ;
I. - Constatations
A. - Rappel des faits
La Fédération départementale de groupement de défense
des ennemis des cultures du département de l’Orne (ci-après
dénommée la fédération), qui est régie
par la loi du 21 mars 1884 modifiée, relative à la création
de syndicats professionnels, est une institution de droit privé,
chargée d’organiser la protection des végétaux en
luttant contre les animaux nuisibles ; elle regroupe 342 communes sur les
507 que compte le département de l’Orne ; elle a décidé,
à la demande d’agriculteurs, de créer, le 1er janvier 1995,
un service de dératisation.
Il ressort des diverses déclarations et des pièces versées
au dossier que ce service a usé de facilités mises en place
par la chambre d’agriculture : locaux de bureaux, hangars, ligne téléphonique,
entre autres, et qu’il a partagé ces moyens matériels et
les personnels avec l’association GDSCO (ci-après l’association),
qui est une association de la loi du 1er juillet 1901, chargée d’une
mission de service public de lutte contre les maladies des animaux domestiques,
pour laquelle elle dispose du monopole de la délivrance des attestations
sanitaires. Cette dernière tenait la comptabilité du service.
Par la suite, saisie par des entreprises exerçant dans ce même
secteur, la direction départementale de la concurrence, de la consommation
et de la répression des fraudes de l’Orne a, à l’issue d’une
enquête, demandé, par une lettre en date du 15 janvier 1996,
qu’il soit mis fin à cette activité qui, selon cette administration,
risquait de porter atteinte à la concurrence.
L’arrêt de l’activité, en janvier 1996, du service de dératisation
de la fédération s’est soldé par le constat d’un déficit
de 43 803,30 francs. Ce déficit a été affecté
à l’EURL GDS " Services 61 " (ci-après l’EURL), entreprise
unipersonnelle créée par l’ancienne responsable du service
de dératisation de la fédération et qui, à
partir de cette date, a repris les activités du service.
Les entreprises Lecorps et Regnier, s’estimant menacées par les
conditions de fonctionnement de l’entreprise unipersonnelle, qui aurait
disposé des mêmes avantages que le service créé
par la fédération, ont saisi la DGCCRF, laquelle a diligenté
une enquête qui est à l’origine de la saisine du Conseil de
la concurrence.
B. – Les pratiques du service de dératisation de la fédération
L’enquête a permis d’effectuer une comparaison entre les prix
pratiqués par l’entreprise Regnier services et ceux du service de
dératisation de la fédération. Il en résulte
que ce dernier présentait des devis inférieurs de 40,95 %
en moyenne à ceux de l’entreprise Regnier.
Durant sa période d’activité, le service de dératisation
de la fédération a conclu 82 contrats dans le département.
Par ailleurs, il a pu être constaté des prestations croisées
entre la fédération et l’association, notamment en ce qui
concerne les factures établies sous le double en-tête de ces
organismes, l’association assurant la gestion courante de l’ensemble constitué
par la fédération avec elle-même et le service de dératisation
de la fédération assurant les prestations techniques. Ces
organismes, qui jouissent d’une grande notoriété, ont également
expédié des propositions de contrats de dératisation
aux 342 communes adhérentes, diffusé des tracts publicitaires
et fait afficher des publicités ; ces différentes dépenses
n’apparaissent pas dans le calcul des prix pratiqués par le service
de dératisation ;
C. – Les pratiques de l’EURL
Il ressort encore des investigations menées par l’enquêteur
que les publicités précédemment mentionnées
et celles de l’EURL sont identiques, sauf en ce qui concerne les qualificatifs
utilisés pour la désourisation qui est " originale " dans
le cas de la fédération et " efficace " dans celui de l’EURL.
Le niveau des prix pratiqués par l’EURL était établi
sur un taux horaire de 360 francs, incluant le coût du produit fourni.
M. Lecorps, gérant de la société du même
nom, estime que la présence de l’EURL sur ce secteur lui a porté
préjudice en lui faisant perdre certains clients.
L’enquête relève cependant, sur ce point, que seuls deux
anciens clients de la société Lecorps services ont souscrit
un contrat avec l’EURL GDS " Services 61 ". Il a, par contre, été
constaté des écarts de prix en faveur de l’EURL qui ont pu
motiver ce changement (61,42 % dans le premier cas, 21,45 % dans le second).
M. Lecorps déclare encore que la stagnation de son chiffre d’affaires
est imputable aux modes de publicité mis en oeuvre par l’EURL et
au fait que, subventionnée, cette société peut proposer
des prix inférieurs à ceux des entreprises placées
dans une situation totalement privée.
M. Regnier, autre intervenant sur ce secteur, souligne, à son
tour, qu’il ne peut ajuster ses prix à ceux pratiqués par
l’EURL sans mettre en péril son entreprise. Il stigmatise lui aussi
le fait que la publicité est largement assurée par les prospectus
mis à disposition des administrés par les mairies, officialisant
et renforçant la notoriété de cette dernière.
Toutefois, le chiffre d’affaires annuel réalisé par le
service de dératisation , puis par l’EURL, est resté modeste,
variant de 90 000 à 120 000 francs. Selon le rapport d’enquête,
neuf autres entreprises étaient actives dans l’Orne sur le marché
de la dératisation, certaines d’entre elles réalisant des
chiffres d’affaires très supérieurs, notamment l’entreprise
Lecorps. Enfin, la fédération liée à l’association,
puis l’EURL, ne se sont développées que sur certains segments
de clientèle, celui des agriculteurs notamment, alors que peu d’industriels
ou de particuliers figurent parmi leurs clients.
Sur la base de ces constatations, une proposition de non-lieu a été
notifiée.
II - Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil,
Considérant, en premier lieu, que la Fédération
départementale des groupements de défense contre les ennemis
des cultures de l’Orne, association de la loi de 1901, à laquelle
adhérent obligatoirement tous les groupes de défense contre
les ennemis des cultures du département, et dont la mission principale
est de coordonner les activités de ces groupements, dispose d’une
chaîne de fabrication des appâts à base de bromadiolone
destiné à la destruction des rats musqués et des ragondins
;
Considérant, en deuxième lieu, qu’en application de l’article
1 de l’arrêté du ministre de l’agriculture du 12 juillet 1979,
concernant la vente et l’emploi du bromadiolone pour lutter contre le ragondin
et le campagnol terrestre, le bromadiolone, destiné à la
destruction de ces animaux, ne peut être délivré qu’aux
groupements de défense contre les ennemis des cultures agréés
par les préfets et ne peut être utilisé que par ces
groupements ;
Considérant, en troisième lieu, qu’en application de l’article
2 de ce texte, la destruction des rongeurs ne peut se faire que " par luttes
collectives " aux " périodes et selon les modalités " fixées
par arrêtés préfectoraux ;
Considérant, en quatrième lieu, que la Fédération
rétrocède à ses adhérents (les groupements)
et, dans les zones où il n’existe pas de groupements, aux techniciens
agréés, les appâts contenant du bromadiolone au prix
coûtant, sans marge bénéficiaire ; qu’elle n’est du
reste pas assujettie à la TVA ;
Considérant, dès lors, que l’activité d’achat du
bromadiolone, de fabrication et de mise à disposition des appâts
pour la destruction des ragondins et des campagnols terrestres, qu’elle
exerce en vertu de l’exclusivité conférée à
ses adhérents pour l’application des missions d’intérêt
collectif qui lui sont confiées et qui ne comportent aucune finalité
de profit, ne peut être considérée comme s’exerçant
dans le cadre d’un monopole sur un marché au sens du droit de la
concurrence ;
Considérant que le GDSCO remplit des missions d’utilité
collective pour ses seuls adhérents, que, pour l’accomplissement
de ces missions, ses ressources proviennent en quasi-totalité de
cotisations ou de redevances de ses adhérents et de subventions
publiques ; que, dans ces conditions, il ne peut être soutenu qu’il
dispose d’un sur un marché monopole au sens du droit de la concurrence
;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède
que ni la FDGPC de l’Orne, ni le GDSCO ne détiennent une position
dominante sur un marché au sens du livre IV du code de commerce
; que, dès lors, les pratiques qu’ils ont mises en œuvre eux-mêmes,
ou par l’intermédiaire du GDS " Service 61 ", sur le marché
de la dératisation et de la désourisation ne peuvent être
visées par l’article L. 420-2 du code de commerce,