LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,
Vu la lettre en date du 25 juillet 1996, enregistrée sous le
numéro F 892, par laquelle le ministre délégué
aux finances et au commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence
de pratiques relevées dans le secteur des glaces et crèmes
glacées industrielles sur le marché de l’impulsion ;
Vu le livre IV du code de commerce et le décret n° 86-1309
du 29 décembre 1986 modifié, pris pour l’application de l’ordonnance
du 1er décembre 1986 ;
Vu la décision de secret des affaires n° 99-DSA-02 du 3 août
1999 ;
Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement,
les sociétés Cogesal-Miko, Société européenne
de glaces et de surgelés (SEGES), France glaces Findus, Mars alimentaire,
Sofraco, Boncolac et Pillsbury (anciennement Haägen Dazs) ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du
Gouvernement, les représentants de la société Cogesal-Miko,
issue de la fusion des sociétés Cogesal et Miko, des sociétés
France glaces Findus, Mars alimentaire et Pillsbury France entendus, au
cours de la séance du 5 décembre 2000, et les sociétés
SEGES, Sofraco, Boncolac et le commissaire à l’exécution
du plan de redressement de la société Girki ayant été
régulièrement convoqués ;
Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et
sur les motifs (II) ci-après exposés :
I. -Constatations
A - L’origine de l’affaire
La Commission des Communautés européennes a rendu, le
15 mars 1994, une décision favorable à une concentration
dans le secteur des crèmes glacées entre les sociétés
Unilever France et Ortiz Miko. Toutefois, lors de cette procédure,
des difficultés ont été soulevées par les concurrents
d’Unilever France concernant d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles
sur le marché de la glace d’impulsion. La France, suivie en cela
par la Commission, a soutenu que les pratiques dénoncées
ne relevaient pas du droit des concentrations mais du droit de pratiques
anticoncurrentielles. A cette occasion, les autorités françaises
ont informé la Commission de leur intention d’enquêter sur
de telles pratiques. Le point 39 de la décision précitée
expose en effet :
« La freezer exclusivity :
Par cette pratique, les producteurs ou grossistes mettent gratuitement
à disposition des détaillants des meubles de surgélateurs
en échange de l’exclusivité des produits qui y sont conservés.
Elle a comme conséquence, en raison des contraintes de place, que
les détaillants ne distribuent souvent que les glaces d’un seul
producteur. De plus, elle est de nature à figer le marché,
en fidélisant, dans les faits, les détaillants auprès
d’un seul producteur. Toutefois, la Commission considère que la
barrière à l’entrée que constitue la freezer exclusivity
n’est pas renforcée par la concentration. En effet, cette pratique
usitée d’ailleurs, par la majorité des producteurs d’impulse,
existait chez les deux entreprises parties à l’opération
dans les mêmes termes (…). Il s’ensuit que la freezer exclusivity
pourrait, le cas échéant, faire l’objet d’un examen plus
spécifique au titre des règles de concurrence inscrites dans
le Traité. Les autorités françaises ont également
fait savoir à la Commisssion qu’elles allaient examiner cette question
».
B. - Le secteur concerné
1 - Le produit
Les produits alimentaires surgelés ou congelés comprennent
deux grandes familles : d’une part, les produits surgelés ou congelés
qui, après décongélation, sont utilisés par
le consommateur comme un produit frais, d’autre part, les glaces, crèmes
glacées et sorbets qui sont consommés en l’état. La
consommation des glaces alimentaires présente une composante saisonnière,
alors que celle des produits surgelés ou congelés présente
un caractère permanent.
Les modalités de préparation, de conditionnement, d’emballage,
d’étiquetage et de transport des denrées alimentaires surgelées
ou congelées sont soumises à une réglementation nationale
édictée par le ministre de l’agriculture.
Il est habituellement opéré une distinction entre, d’une
part, la glace artisanale généralement fabriquée et
distribuée à petite échelle pour être consommée
localement et, d’autre part, la glace industrielle fabriquée pour
être distribuée à grande échelle.
Le lieu de consommation des glaces alimentaires permet également
de différencier la glace consommée à domicile de la
glace consommée hors domicile. Concernant la glace consommée
hors domicile, les professionnels distinguent la glace consommée
en restauration commerciale et collective et celle consommée en
plein air.
La glace consommée à domicile répond à un
besoin familial et fait l’objet d’achats pour une consommation ultérieure
sous forme d’articles individuels en emballages multiples, de produits
en boîtes, de desserts à partager ou en portions. Les achats
sont effectués dans les grandes et moyennes surfaces, les freezer-center
et les home-service, qui s’approvisionnent auprès de centrales d’achats.
Sur ce marché, il n’existe pas de distribution exclusive, la publicité
est quasi absente et les prix des produits sont relativement peu élevés.
La consommation des glaces alimentaires hors domicile est communément
désignée par les professionnels comme appartenant au secteur
de la " restauration et du hors foyer " (RHF). Le marché de la RHF
comprend, d’une part, la consommation commerciale en restauration, c’est-à-dire
celle des clients des restaurants, des hôtels, des pâtisseries,
des usagers de la restauration collective d’entreprises et des collectivités,
d’autre part, la consommation immédiate en plein air dite " d’impulsion
".
Dans le premier cas, les produits sont destinés à la catégorie
dite des " gros consommateurs " et sont présentés dans un
conditionnement adapté à la vente en vrac et ne font pas
l’objet d’une forte publicité. Les restaurateurs vendent sous marque
de producteur mais proposent aussi, fréquemment, aux clients, de
la glace artisanale qui représente ainsi une part appréciable
de l’offre.
Dans le second cas, le consommateur achète un bien de consommation
: la glace fait l’objet d’un achat " impulsif ", d’une consommation immédiate
en quantité très limitée, sur place ou près
du lieu d’achat, en plein air. Elle est vendue en conditionnement individuel,
en bâtonnets ou en portions individuelles, à la boule et à
un prix relativement élevé. La demande est de nature saisonnière,
de juin à septembre, et varie en fonction des conditions climatiques.
La distribution intermédiaire est effectuée par des distributeurs
exclusifs, par des réseaux intégrés et des grossistes
indépendants qui assurent l’approvisionnement des points de vente
au détail.
Les détaillants se caractérisent par leur diversité
et leur répartition géographique diffuse : kiosques, boulangeries,
cinémas, stations-services, clubs sportifs, tabacs, plagistes, campings,
manifestations...Ces points de vente bénéficient d’une publicité
spécifique importante.
Le marché de l’impulsion comporte trois types de glaces, souvent
considérés comme substituables pour le consommateur final,
pour lesquels l’intervention du détaillant est plus ou moins importante
:
la glace emballée se présente sous forme d’esquimaux,
de cônes, de bâtonnets, de barres glacées et de petits
pots ; le détaillant exerce uniquement une activité de vente
;
la glace en bac est vendue sous forme de boules consommées en
cornets ; à la fonction de vente du détaillant, s’ajoute
une activité de transformation manuelle consistant à diviser
la glace en portions ;
la glace à l’italienne est une crème glacée au
lait, peu compacte, souvent consommée en cornet, dont la mise en
état de consommation nécessite de la part du détaillant
une transformation mécanique. Celle-ci consiste à transformer
la poudre en glace, après adjonction des matières premières,
le lait et l’eau. A cet effet, le détaillant utilise un équipement
spécial.
Mis à part le cas des ingrédients destinés à
fabriquer la glace à l’italienne, la glace est un produit fragile
qui doit être conservé à une température basse
de - 18° à - 25°C et protégée par un conditionnement
spécifique. Dès lors, les conditions de livraison sont soumises
à des contraintes techniques et des délais de transport.
La livraison des produits aux points de vente est effectuée par
des distributeurs spécialisés qui maîtrisent la chaîne
du froid. A cette fin, sont utilisés des camions frigorifiques compartimentés,
souvent de petite taille, maintenus en froid négatif. Les distributeurs
doivent posséder plusieurs camions de manière à pouvoir
livrer et réapprovisionner rapidement les produits dans des points
de vente dispersés qui, d’une manière générale,
ne disposent pas d’une grande capacité de stockage.
Le caractère saisonnier de l’activité conduit les filières
de production et de distribution à rechercher une rentabilité
maximum de leurs investissements durant une courte période. La publicité
sur le lieu de vente (PLV) et les actions promotionnelles sont des facteurs
essentiels pour stimuler la consommation, faire connaître le produit
ou un produit nouveau et provoquer des achats d’impulsion. C’est souvent
un marché d’appel pour développer les ventes, notamment dans
les grandes et moyennes surfaces. Ainsi, les efforts publicitaires portent
sur la visibilité de la marque et des différentes sortes
de produits glacés, lesquels sont affichés, sous une forme
ludique, sur divers articles : parasols, poubelles, stop-trottoirs,
catalogues.
2 - Les producteurs
Plusieurs producteurs de dimension internationale interviennent en France
sur le marché de la glace industrielle, notamment les sociétés
Cogesal, Miko, SEGES du groupe Unilever, France glaces Findus du groupe
Nestlé, Mars alimentaire, Pillsbury, Shöller/Movenpick/Fischer,
Isboerg. Des producteurs de moindre importance interviennent également
tels que Boncolac, Sofraco, Thiriet, Flipi et, jusqu’en mars 1997, Girki,
cédé à la société Roncadin en 1997.
Selon les éléments fournis par le Syndicat des fabricants
industriels de glaces, sorbets et crèmes glacées (SFIG),
qui regroupe 90 % des fabricants industriels de glaces alimentaires, la
production nationale, hors importations et hors exportations, était,
en millions de litres, de 290 en 1991, 305 en 1992, 328 en 1993 et 358
en 1994. En 1992, la France a produit 13,79 % de la production totale de
glaces de la Communauté européenne et occupait le quatrième
rang derrière l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie.
Selon les estimations du SFIG, calculées à partir des
volumes déclarés par les industriels, les parts de marché
auraient été en 1993 de 18,3 % pour Miko, de 15,7 % pour
Cogesal et de 12,8 % pour France glaces Findus. Cette même année,
les parts de volumes des ventes de glaces des sociétés Mars
alimentaire, Haägen Dazs, Boncolac, Girki et Sofraco étaient
estimées à moins de 10 %.
En matière de consommation, aucune étude spécifique
concernant le marché de l’impulsion n’a été effectuée
pour le territoire national. Cependant, les professionnels adhérents
au SFIG considèrent que 70 % des glaces sont consommés à
domicile et que 30 % sont consommés en restauration et hors foyer.
Sur ce dernier secteur, la proportion serait de 75 % pour la consommation
en restauration commerciale et collective et de 25 % en plein air. Ainsi,
le SFIG a estimé la consommation nationale sur le marché
de l’impulsion à 23,625 millions de litres en 1993 et à 25,210
millions de litres en 1994 pour une consommation totale de glaces de 313
millions de litres en 1993 et de 336 millions de litres en 1994. Par rapport
à l’ensemble des consommateurs européens, les Français
sont de faibles consommateurs de glaces.
3 - Les distributeurs
Les glaces et crèmes glacées du marché de l’impulsion
sont distribuées, au stade intermédiaire, par des grossistes
indépendants, des réseaux intégrés et des concessionnaires.
Au stade du consommateur final, la commercialisation est effectuée
par des détaillants, dont le nombre serait d’environ 200 000 sur
l’ensemble du territoire national.
Au moment des faits, le marché de gros était alimenté
de la manières suivante : SEGES utilisait les services d’une centaine
de grossistes indépendants et d’un réseau intégré,
DISPAS disposait de huit agences, Miko de seize grossistes indépendants
et d’un réseau intégré de 28 établissements
secondaires. De même, Cogesal avait recours à un réseau
de 28 concessionnaires et à un réseau intégré,
les dépôts Montfort, au nombre de quinze. France glaces Findus
disposait d’un réseau de 31 concessionnaires exclusifs. Mars Alimentaire
distribuait ses produits par l’intermédiaire de 89 grossistes en
surgelés et en glaces, de 71 grossistes indépendants en confiserie
ainsi que par les réseaux de distribution de Miko. Pillsbury France
disposait, en 1994, de huit grossistes qui approvisionnaient des boutiques
de type " salon de glacier ". Boncolac disposait, en 1993, de 83 grossistes
indépendants qui intervenaient dans les secteurs de la restauration,
des collectivités et de l’impulsion, ainsi que de trois dépôts.
Girki s’appuyait sur quinze grossistes pour la revente sur le marché
de l’impulsion.
C. - Les pratiques constatées
1. - La clause de non concurrence
Une clause de non concurrence d’une durée de trois ans après
la résiliation, la dénonciation ou la cession du contrat
figurait à l’article 8 des contrats de concession conclus par la
société France glace Findus le 22 juillet 1969 avec la société
Valette et le 1er janvier 1991 avec la société Sodifragel.
Cette clause, intitulée " Durée-résiliation ", est
rédigée dans les termes suivants : " Au cas où de
votre fait, le présent contrat viendrait a être cédé,
directement ou indirectement, apporté en Société,
inclus dans une gérance libre, ou dans une location, ou encore cesserait
pour quelque cause que ce soit, et notamment par dénonciation ou
résiliation anticipée, vous vous engagez à ne pas
vous occuper directement ou indirectement, dans le secteur qui vous est
confié, de la vente de produits susceptibles de concurrencer les
nôtres. L’interdiction s’appliquera pendant un délai de trois
ans à dater de la cession ou de la cessation du contrat ".
2. - La pratique du prêt gratuit de meuble de froid à exclusivité
de marque
Les producteurs et les distributeurs prêtent gratuitement aux
détaillants un congélateur avec, pour contrepartie, l’exclusivité
de marque des produits qui y sont conservés. Le prêteur prend
en charge l’entretien et les réparations éventuelles de l’appareil.
Le revendeur, bénéficiaire du prêt, n’est redevable
d’aucune contrepartie financière.
Selon les déclarations des professionnels interrogés au
cours de l’enquête, le prêt gratuit de congélateur fait
partie intégrante du mode de vente des glaces sur le marché
de l’impulsion :
" ...Les glaces industrielles ont été lancées au
début des années 1960. Les industriels ont dû alors
prêter des meubles, créer des points de vente pour mettre
le produit largement à la disposition des consommateurs. Les meubles
étaient déjà à la marque du fournisseur de
glace, pour la plupart... " (déclarations du 12 avril 1995 de M.
Henri Bernard, secrétaire général du SFIG).
" ...L’impulsion se définit par la possession d’un meuble. On
ne peut pas conquérir un client impulsion, si on ne lui prête
pas de meuble. L’élément " marque " est important dans la
vente de glaces en impulsion... " (déclarations du 14 mars 1995
de M. Valette, concessionnaire de France glaces Findus).
" ...Si tous les fournisseurs cessaient de prêter des meubles,
on ne vendrait plus de " plein air ". Les clients n’achèteraient
pas les meubles, sauf ceux qui font un très gros chiffre en glaces.
Seul un client (revendeur) par an environ, me demande d’acheter son propre
meuble... " (déclarations du 8 mars 1995 de M. Eugène Bertello,
concessionnaire de France glaces Findus).
Le prêt est formalisé par la conclusion d’un contrat entre
le prêteur et le revendeur. Le prêteur peut être le distributeur,
ce dernier ayant lui-même quelquefois conclu un contrat de prêt
avec le fournisseur ou le fabricant.
Les contrats de prêt gratuit ou de mise à disposition gratuite
du congélateur comportent une clause d’approvisionnement exclusif
en glaces par les producteurs. Dès lors, le congélateur prêté
ne peut contenir que des glaces à la marque du fabricant. La clause
d’exclusivité d’achat est liée au congélateur et non
au point de vente, mais seuls les points de vente disposant d’une surface
d’exposition suffisamment grande peuvent installer plus d’un meuble de
froid.
Les contrats de prêt sont soit à durée indéterminée.(ou,
ce qui revient au même, ne comportent pas d’indication de durée),
soit d’un an renouvelable par tacite reconduction. Une faculté de
résiliation est ouverte aux parties, laquelle peut être exercée
à tout moment, par lettre recommandée avec accusé
de réception, avec, par exemple, un délai de préavis
de quinze jours, pour Boncolac et France glaces Findus, et d’un mois, pour
Cogesal.
La clause d’exclusivité de marque est respectée car les
revendeurs font l’objet de contrôle de la part des distributeurs
: seules les sociétés, telle Boncolac, qui n’en n’ont pas
les moyens n’exercent pas ce contrôle. De plus, les congélateurs
ont une capacité limitée et ne permettent pas l’entreposage
de glaces de plusieurs marques, si la gamme de produits du fabricant est
étendue :
" ...Dans nos meubles, il y a peu de produits d’autres marques car notre
gamme est large et nos meubles petits donc nos meubles sont vite remplis
de nos produits...Nous avons augmenté la gamme des barres glacées.
Nous avons donc le produit, nous avons le réseau donc nous avons
pris des parts de marché... " (déclaration du 8 mars 1995
de M. Eugène Bertello, concessionnaire de France glaces Findus).
En 1994, les parcs de meubles prêtés par Cogesal, France
glaces Findus, et Boncolac représentaient respectivement 16,7 %,
26 % et 3,5 % du parc total de meubles prêtés.
Au stade définitif du rapport, à partir des constatations
qui précèdent, les griefs suivants ont été
notifiés :
à l’encontre de la société France glaces Findus
" pour avoir introduit dans les contrats de concession une clause de non
concurrence d’une durée excessive de trois ans. Une telle clause,
qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter
que le savoir-faire des concessionnaires ne profite aux concurrents, est
contraire aux dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre
1986, dès lors qu’elle a pour objet et peut avoir pour effet de
restreindre le libre jeu de la concurrence " ;
à l’encontre des sociétés Cogesal, France glaces
Findus et Boncolac " pour avoir introduit dans les contrats de prêt
gratuit de meuble de froid une clause d’exclusivité de marque à
durée indéterminée. Cette clause, qui tend à
figer les relations contractuelles entre les parties, est contraire aux
dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986,
dès lors qu’elle a pour objet et pour effet potentiel de restreindre
le libre jeu de la concurrence ".
II - Sur la base des constatations qui précèdent, le
Conseil,
Sur la validité des procès-verbaux
Considérant que les sociétés Cogesal-Miko, SEGES
et France glaces Findus ont soutenu, dans leurs observations en réponse
à la notification de griefs, que la totalité des procès-verbaux
d’enquête, sur lesquels s’était appuyé le rapporteur,
devaient être écartés pour violation du principe de
loyauté qui doit présider à la recherche des preuves,
les procès-verbaux d’audition ne comportant pas la mention de l’objet
précis et réel de l’enquête ; qu’elles invoquent l’arrêt
de la cour d’appel de Paris du 13 avril 1999, qui, sur le recours formé
par la société Dectra, a énoncé que " ...Les
mentions du procès-verbal de déclarations suivant lesquelles
" nous avons justifié de notre qualité et indiqué
l’objet de notre enquête"... ne permettent pas en elles-mêmes
de conclure à la loyauté de la procédure suivie par
les enquêteurs " ;
Considérant que le commissaire du Gouvernement réplique
que le procès-verbal d’audition de la société Mars
alimentaire, en date du 27 octobre 1994, reprend les déclarations
de cette société plaignante et que, par conséquent,
celle-ci ne pouvait se méprendre sur l’objet de l’enquête
; que les procès-verbaux de déclaration de M. Houvion, salarié
de Mars, en date du 11 janvier 1995, des représentants de la société
Miko, en date du 18 octobre 1994, du gérant du dépôt
Miko de Lattes, en date du 7 mars 1995, du gérant du dépôt
de Béziers, en date du 16 janvier 1995, du responsable de la société
Girki, en date du 16 novembre 1994, des représentants de la société
France glaces Findus, en date du 2 novembre 1994, des représentants
de la société Cogesal, en date des 8 novembre 1994 et 12
janvier 1995, du responsable des dépôts Montfort, en date
du 6 mars 1995, et des représentants de la société
Boncolac, en date du 15 mars 1994, comportent les termes " marché
de l’impulsion ", " glaces d’impulsion ", " activité plein air ",
" produit plein air ", " vente impulsion ", circuit d’impulsion ", " marché
du plein air ", " clients d’impulsion ", " produits d’impulsion " ; qu’ainsi,
les éléments intrinsèques aux procès-verbaux
démontrent que les personnes entendues ont été informées
de l’objet de l’enquête ;
Considérant qu’il convient donc de vérifier si, conformément
à la jurisprudence rappelée ci-dessus, l’obligation de loyauté
dans la recherche des preuves a bien été respectée
dans chacune des auditions concernées, ce qui peut ressortir des
énonciations des procès-verbaux eux-mêmes ou d’autres
éléments extrinsèques à ceux-ci ;
Considérant que les 45 procès-verbaux d’audition figurant
au dossier ne comportent ni la mention de l’objet de l’enquête, ni
l’indication que celui-ci a été indiqué aux intéressés
; que les déclarations des personnes auditionnées ont largement
débordé le strict secteur de la distribution des glaces et
crèmes glacées industrielles sur le marché de l’impulsion,
en s’étendant à la nature et aux contraintes de leurs activités
et à la totalité du système de distribution des glaces
industrielles ; que les échanges entre les sociétés
et l’enquêteur qui, à plusieurs reprises, a demandé
par téléphone la communication de pièces ou des précisions
complémentaires, ne permettent pas, au vu des réponses faites
par ces sociétés, de savoir si elles ont eu connaissance
de l’objet précis de l’enquête ; qu’ainsi, il n’a pas été
satisfait à l’obligation de loyauté dans la recherche des
preuves ;
Considérant que l’enquête administrative et la saisine
ministérielle ne résultent pas d’une plainte déposée
par la société Mars alimentaire auprès des autorités
françaises de la concurrence, mais d’une décision de celles-ci
de procéder à des investigations sur le territoire national
sur le marché des glaces d’impulsion, à l’occasion de la
reprise de la société Ortiz-Miko par le groupe Unilever,
qui a été autorisée par une décision du 15
mars 1994 de la Commission des Communautés européennes ;
que, dès lors, contrairement à ce que soutient le commissaire
du Gouvernement, la société Mars alimentaire, à qui
des griefs ont été notifiés, ne peut pas être
considérée comme une partie plaignante ; que les procès-verbaux
d’audition de ses représentants doivent répondre aux mêmes
exigences que ceux réalisés auprès des autres sociétés
mises en cause ;
Considérant, en revanche, que, conformément à l’arrêt
de la Cour de cassation du 1er juin 1999 (1ère chambre commerciale),
plusieurs procès-verbaux d’audition doivent être considérés
comme réguliers, bien que ne contenant ni l’objet de l’enquête,
ni la référence au titre III de l’ordonnance du 1er décembre
1986, dès lors qu’ils émanent de personnes qui n’ont pas
été accusées d’infractions et qui ont déposé
en tant que témoins, l’absence des mentions précitées
ne pouvant leur faire grief ; qu’au stade de la rédaction du rapport
définitif, l’instruction de l’affaire a été poursuivie
sur la base des procès-verbaux de déclaration du 8 septembre
1994 de Mme Lo Stimolo, déléguée générale
de Syndigel, du 24 janvier 1995 de M. Henri Bernard, secrétaire
général du SFIG, et de M. Alain Delamort, secrétaire
général adjoint du SFIG, des 10 février et 12 avril
1995 de M. Henri Bernard, secrétaire général du SFIG,
du 14 mars 1995 de M. Michel Valette, concessionnaire de France glaces
Findus, du 8 mars 1995 de M. Eugène Bertello, concessionnaire de
France glaces Findus, du 19 décembre 1994 de M. Martinet, concessionnaire
de Cogesal, du 1er mars 1995 de M. Michel Laur, concessionnaire de Cogesal,
du 16 décembre 1994 de M. et Mme Monneret, responsables de la société
Alpage, ainsi que sur la base des pièces qui y ont été
annexées ; qu’aucune de ces personnes n’appartenait, lorsqu’elles
ont été entendues, à une entreprise à qui des
griefs ont été notifiés ; que les pièces correspondantes
peuvent donc être utilisées dans la procédure ;
Sur la délimitation du champ de l’enquête
Considérant que la société Cogesal-Miko soutient
que le champ de l’enquête était strictement limité,
par la décision du 15 mars 1994 de la Commission des Communautés
européennes, à la pratique du prêt gratuit de meubles
de froid à exclusivité de marque, alors que les investigations
ont porté sur l’ensemble du système de distribution des sociétés
; que la décision précitée circonscrivait l’objet
de l’enquête à ce seul aspect du marché des glaces
d’impulsion ;
Mais considérant que le Conseil de la concurrence a été
saisi par une lettre du ministre délégué aux finances
et au commerce extérieur en date du 15 juillet 1996, qui portait
" sur les pratiques relevées dans le secteur des glaces et crèmes
glacées industrielles sur le marché de l’impulsion " ; que
la décision précitée de la Commission ne pouvait avoir
pour effet de limiter le champ des investigations des autorités
françaises de concurrence ; que, par conséquent, cette décision
ne fait pas obstacle à l’examen par le Conseil de la concurrence
des pratiques anticoncurrentielles susceptibles invoquées dans la
saisine ;
Sur la clause de non concurrence après le terme des contrats
de concession
Considérant qu’une clause du contrat de concession de la société
France glaces Findus interdit aux concessionnaires de cette entreprise
d’exercer, dans la zone d’exclusivité qui leur est concédée,
un commerce concurrent, pendant une durée de trois ans à
l’issue de l’expiration du contrat de concession ;
Considérant que la société France glaces Findus
soutient que cette clause de non concurrence se justifie par le fait que
les concessionnaires collaborent à la politique commerciale du producteur
et que celui-ci doit se protéger contre le risque d’utilisation,
par les concessionnaires, des informations dont ils ont connaissance au
profit éventuel d’un fournisseur d’une autre marque concurrente
; qu’en outre, la clause ne s’applique qu’à la zone concédée,
qu’elle est limitée dans le temps et que la vente de glaces ne concerne
qu’une faible part de l’activité des concessionnaires, évaluée
à 10 % ; que, dans ces conditions, la durée de la clause
de non concurrence n’a qu’une faible incidence ;
Mais considérant qu’il n’est pas démontré que le
commerce de gros des glaces et crèmes glacées mette en œuvre
un savoir-faire dont la divulgation à un concurrent serait à
ce point dommageable qu’elle rendrait nécessaire une clause de non
concurrence d’une durée de trois années ; que, d’ailleurs,
le règlement communautaire n° 2790/1999 du 22 décembre
1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité
de Rome à des catégories d’accords verticaux et de pratiques
concertées, prévoit que " l’exemption prévue à
l’article 2 ne s’applique à aucune des obligations suivantes contenues
dans les accords verticaux :...b) toute obligation directe ou indirecte
interdisant à l’acheteur, à l’expiration de l’accord, de
fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou services, sauf
si cette obligation : concerne des biens ou des services qui sont en concurrence
avec les biens ou services contractuels et est limitée aux locaux
et aux terrains à partir desquels l’acheteur a opéré
pendant la durée du contrat et est indispensable à la protection
d’un savoir-faire transféré par le fournisseur à l’acheteur,
à condition que la durée d’une telle obligation de non concurrence
soit limitée à un an à compter de l’expiration de
l’accord... " ; que le règlement précité, sans être
applicable à une affaire dans laquelle seul le droit national a
été invoqué, peut constituer un guide d’analyse utile
; qu’au cas d’espèce, il n’est avancé aucun argument de nature
à justifier une durée plus longue que le plafond d’une année
prévu par ledit règlement ; qu’en tout état de cause,
le fabricant peut se prémunir contre la divulgation de son savoir-faire
par l’imposition d’une obligation de confidentialité s’étendant
au-delà de l’expiration du contrat ; qu’il résulte de ce
qui précède que la durée de trois ans prévue
par la clause de non concurrence, telle qu’elle figure dans les contrats
de concession conclus entre France glaces Findus et ses concessionnaires,
qui est en elle-même de nature à restreindre la concurrence
sur les marchés pertinents, ne saurait être exemptée
du fait de sa contribution au progrès économique ; qu’elle
est ainsi contraire aux dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce
;
Sur l’effet conjugué de l’exclusivité de marque et de
la durée indéterminée du contrat de prêt gratuit
de congélateur
Considérant que les contrats de prêt gratuit de congélateurs
conclus par les sociétés Cogesal, France glaces Findus et
Boncolac avec les distributeurs comportent une clause d’exclusivité
de marque ; que la clause d’exclusivité, qui tend à rigidifier
les relations contractuelles entre les parties, pourrait avoir pour conséquence
de figer les parts de marché des différents offreurs, de
faire obstacle à l’entrée de nouveaux opérateurs sur
le marché des glaces d’impulsion et, par conséquent, de restreindre
le jeu de la concurrence ;
Considérant que, si la jurisprudence communautaire a considéré
que l’effet cumulatif de contrats de prêts avec exclusivité
de marque, dès lors qu’ils étaient imposés par l’ensemble
des producteurs de glace d’impulsion, avait pu, sur certains marchés
nationaux, interdire l’accès au marché de nouveaux entrants,
les entreprises mises en cause dans la présente affaire ne disposent,
ensemble, que d’une part du marché pertinent inférieur à
47 % ; que, dans ces conditions et sans qu’il soit nécessaire de
connaître la part des glaces de fabrication artisanale sur ce marché,
les contrats de prêts de meubles de froid mis en œuvre par ces seules
entreprises n’ont pas pu avoir un effet cumulatif aboutissant à
une fermeture de marché ; qu’il n’est donc pas démontré
que l’effet conjugué de l’exclusivité de marque combinée
au prêt gratuit de congélateurs aurait eu un effet anticoncurrentiel,
au sens des dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ; que,
dans ces conditions, la durée indéterminée des contrats
qui, au demeurant, n’a pour conséquence, en vertu de l’article 1134
du code civil, que de les rendre résiliables à tout moment,
est sans incidence ;
Sur les sanctions
Considérant qu’aux termes de l’article L. 464-2 du code de commerce :
" Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés
de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé
ou imposer des conditions particulières ".
Considérant qu’il convient, par application de l’article L. 464-2
du code de commerce ci-dessus rappelé et en vue de prévenir
la poursuite consistant de la part de la société France glaces
Findus à imposer à ses concessionnaires une clause de non
concurrence d’une durée de trois ans, d’enjoindre à France
glaces Findus de réduire à un an au plus la durée
de la clause de non concurrence figurant à l’article 8 des contrats
de concession,