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Tribunal des conflits, 19 novembre 2001, n° 03272, Mlle M. c/ Ministre de l’Intérieur

Lorsque des vérifications ont été opérées et à défaut de l’engagement de poursuites pénales pour usage de faux documents et usurpation d’identité, l’autorité administrative fait un usage illégal de ses pouvoirs en s’abstenant de restituer son passeport à la personne qui a fait l’objet du contrôle. Dans le cas où la durée de la rétention de ce document est manifestement excessive, un tel comportement cesse alors de se rattacher à l’exercice par l’administration de ses pouvoirs et est constitutif, en raison de l’atteinte délibérée ainsi portée sans justification à la liberté fondamentale d’aller et venir, d’une voie de fait.

TRIBUNAL DES CONFLITS

N° 03272

Mlle M. c/ Ministre de l’Intérieur

Mme Mazars, Rapporteur

M. Bachelier, Commissaire du Gouvernement

Lecture du 19 novembre 2001

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, la lettre par laquelle le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant Mme M. au ministre de l’Intérieur devant le tribunal de grande instance de Paris ;

Vu le déclinatoire de compétence présenté le 16 janvier 2001 par le préfet de police tendant à voir déclarer la juridiction de l’ordre judiciaire incompétente par les motifs que la voie de fait ne peut résulter que d’une décision ou d’une action, portant atteinte à la liberté individuelle, manifestement insusceptible de se rattacher à l’exercice d’un pouvoir appartenant à l’administration ; qu’en l’espèce le retrait du passeport français dont était munie la personne interpellée et placée en zone d’attente, disant se nommer Mme M., au moment de son débarquement à l’aéroport de Roissy, étant intervenu dans l’exercice par la police de l’air et des frontières de ses pouvoirs de contrôle aux frontières, en vertu de l’article 8-1 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, cette décision, à supposer que son illégalité soit établie, ne peut être considérée comme constituant une voie de fait ;

Vu l’ordonnance du 7 février 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence, a constaté que la confiscation du passeport de Mme M. constitue une voie de fait justifiant la compétence du juge des référés et a ordonné au préfet de police de remettre ledit passeport à la demanderesse ;

Vu l’arrêté du 21 février 2001 par lequel le préfet a élevé le conflit ;

Vu le jugement du 21 mars 2001 par lequel le tribunal de grande instance de Paris a sursis à statuer à toute procédure ;

Vu les observations du ministre de l’Intérieur du 3 août 2001 tendant à la confirmation de l’arrêté de conflit ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu l’ordonnance du 1er juin 1828 modifiée ;

Vu l’ordonnance des 12-21 mars 1831 modifiée ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, le 26 décembre 2000, les services de la police de l’air et des frontières ont, à son arrivée à l’aéroport de Roissy en provenance de Karthoum, interpellé une personne munie d’un certificat de nationalité française et d’un passeport français au nom de Maoulida Ali M., née en 1967, à Moroni (Comores) ; que soupçonnant l’intéressée de fraude quant à son identité et à sa nationalité, l’Administration, se fondant sur l’article 35 quater de l’ordonnance du 2 novembre 1945, l’a placée en zone d’attente et a confisqué le passeport ; que le juge délégué par le président du tribunal de grande instance de Bobigny ayant mis fin à sa rétention en zone d’attente le 30 décembre 2000, aucune suite n’a été donnée par l’Administration à cette procédure et qu’en particulier, aucune poursuite pénale pour usage de faux documents et usurpation d’identité n’a été engagée à l’encontre de l’intéressée à laquelle son passeport n’a, néanmoins, pas été restitué ;

Considérant que, le 5 janvier 2001, Mlle M. a assigné en référé le ministre de l’Intérieur devant le tribunal de grande instance de Paris pour voir juger qu’en raison de la conservation de son passeport au-delà du délai nécessaire à la vérification d’identité, elle était victime d’une voie de fait ;

Considérant que, par ordonnance de référé du 7 février 2001, le président du tribunal de grande instance de Paris a rejeté le déclinatoire de compétence déposé par le Préfet de Police en relevant que la » confiscation « du passeport, en la circonstance, était constitutive de voie de fait, et a fait droit à la demande de restitution de Mlle M. ; que le Préfet de Police a élevé le conflit ;

Sur la régularité de la procédure de conflit :

Considérant qu’il résulte des articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er juin 1828 que la juridiction qui rejette le déclinatoire de compétence doit surseoir à statuer dans le délai laissé au préfet, ou au préfet de police lorsqu’il est compétent en vertu de l’ordonnance du 18 décembre 1822, pour, s’il l’estime opportun, élever le conflit ; qu’il s’ensuit que l’ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris, en date du 7 février 2001, en tant qu’elle statue au fond par la décision même qui écarte le déclinatoire de compétence, doit être déclarée nulle et non avenue ; que toutefois cette irrégularité n’affecte pas l’arrêté de conflit pris le 21 février 2001 par le Préfet de Police, dans le délai légal de quinze jours suivant la notification du rejet du déclinatoire de compétence ;

Sur la compétence :

Considérant qu’il y a voie de fait lorsque l’Administration soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières d’une décision même régulière, portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, soit a pris une décision ayant l’un ou l’autre de ces effets si cette décision est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative ;

Considérant que l’ordonnance du 2 novembre 1945 confère des pouvoirs aux autorités administratives pour, conformément à son article 5, contrôler l’identité et la régularité de la situation d’un étranger désireux d’entrer en France, dans l’hypothèse visée à son article 8-1, retenir le passeport ou le document de voyage des personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière ou encore, en application de l’article 35 quater, placer en zone d’attente un ressortissant étranger qui, soit demande son admission au titre de l’asile, soit n’est pas autorisé à entrer sur le territoire français ; qu’en outre, s’agissant de l’entrée sur le territoire national d’une personne excipant de la qualité de Français mais dont il y aurait des raisons sérieuses de penser qu’elle usurpe cette qualité, l’autorité administrative, au titre de la police des frontières, est habilitée à procéder à la rétention du passeport de l’intéressé le temps strictement nécessaire à l’exercice du contrôle d’identité et de sa nationalité, indépendamment de l’exercice des pouvoirs de police judiciaire prévus à l’article 78-2 du Code de procédure pénale, avant d’opposer le cas échéant un refus d’entrée ; que lorsque ces vérifications ont été opérées et à défaut de l’engagement de poursuites pénales pour usage de faux documents et usurpation d’identité, l’autorité administrative fait un usage illégal de ses pouvoirs en s’abstenant de restituer son passeport à la personne qui a fait l’objet du contrôle ; que, dans le cas où la durée de la rétention de ce document est manifestement excessive, un tel comportement cesse alors de se rattacher à l’exercice par l’Administration de ses pouvoirs et est constitutif, en raison de l’atteinte délibérée ainsi portée sans justification à la liberté fondamentale d’aller et venir, d’une voie de fait ;

Considérant qu’en l’espèce, Mlle M., se disant de nationalité française, est entrée sur le territoire national munie d’un passeport français et d’un certificat de nationalité française ; que, si les services de police l’ont suspectée de falsifier son identité et ont procédé à des investigations, aucune procédure pénale n’a été dressée et transmise au procureur de la République conformément à l’article 19 du Code de procédure pénale ; qu’ils n’ont pas davantage opposé à l’intéressée un refus d’entrée ; qu’ainsi en s’abstenant de lui restituer son passeport conservé, dans ces circonstances, l’Administration a commis une voie de fait que le juge judiciaire, saisi par la victime, était compétent pour faire cesser ;

Qu’il suit de là que c’est à tort que le préfet a élevé le conflit ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêté de conflit pris le 21 février 2001 par le Préfet de Police est annulé ;

Article 2 : Est déclaré nulle l’ordonnance du 7 février 2001 en tant que le juge des référés a, par cette même ordonnance, rejeté le déclinatoire de compétence et a statué au fond.

 


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