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Cour administrative d’appel de Marseille, 30 septembre 2003, n° 99MA00445, Office des migrations internationales

Si, selon les dispositions combinées des articles L.364-3 du Code du travail et des articles 7 et 8 du Code de procédure pénale, le délit que constitue sur le plan pénal l’emploi de travailleurs étrangers démunis de titre de travail est effectivement prescrit à défaut d’acte d’instruction ou de poursuite à l’issue d’un délai de trois ans, la contribution spéciale qui, aux termes des articles L.341-6, 1er alinéa et L.341-7 du code du travail, sanctionne les mêmes agissements, est pour sa part indépendante de toute poursuite pénale et reste constitutive d’une amende en matière administrative dont il résulte des dispositions combinées de l’article 8 de la loi susvisée du 31 décembre 1953 et de l’article R.341-34 du code du travail que la prescription trentenaire de droit commun de l’article 2262 du code civil s’applique à elle.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

N° 99MA00445

OFFICE DES MIGRATIONS INTERNATIONALES

M. LAPORTE
Président

Mme LORANT
Rapporteur

M. BOCQUET
Commissaire du Gouvernement

Arrêt du 30 septembre 2003

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

(2ème chambre)

Vu, enregistrés au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille le 11 mars 1999, sous le numéro 99MA00445, la requête, et le 9 juillet 1999, le mémoire ampliatif présentés pour l’OFFICE DES MIGRATIONS INTERNATIONALES, dont le siège social est 44, rue Bargue à Paris (75015), représenté par son directeur en exercice, par la SCP d’avocats DEFRENOIS et LEVIS ;

L’office DES MIGRATIONS INTERNATIONALES demande à la Cour :

1°/ d’annuler le jugement en date du 22 décembre 1998, notifié le 12 janvier 1999, par lequel le Tribunal administratif de Nice a annulé l’état exécutoire émis le 17 novembre 1993 à l’encontre de la SOCIETE EMPLOIS SERVICES :

2°/ de rejeter la demande de la société et de la condamner à lui verser 15.000 F (quinze mille francs) au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

L’Office soutient :

- que le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu’il ne vise ni n’analyse les moyens des parties ;

- qu’en outre le tribunal administratif a soulevé à tort un moyen qui ne pouvait être regardé comme d’ordre public sans le justifier et de contradiction de motifs puisqu’il a en même temps affirmé que ce moyen était soulevé ;

- qu’enfin il a violé les droits de la défense en ne lui laissant qu’un délai de 3 jours pour y répondre et en ne donnant pas suffisamment de précisions sur ce moyen ;

- que, sur le bien-fondé, le jugement est entaché d’erreur de droit pour avoir considéré que le moyen tiré de la prescription triennale était d’ordre public ;

- que la contribution spéciale instituée par l’article L.341-7 du code du travail ne méconnaît pas l’article 6 susvisé ;

- qu’en effet, d’une part cet article ne s’applique qu’aux procédures contentieuses et que d’autre part la contribution spéciale ne constitue pas une sanction pénale mais une simple contribution financière et au maximum une sanction administrative qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 6 de la CEDH ;

- que, en tout état de cause, l’article 6 n’inclut pas le droit à bénéficier d’une prescription qui ne soit pas trentenaire ;

- que cette prescription trentenaire existe, par l’effet des dispositions combinées de l’article 8 de la loi du 31 décembre 1953 et de l’article 341-34 du code du travail ;

- que, sur la réalité de l’infraction, le procès-verbal établi le 3 mai 1989 constate que la société anonyme emplois Services a effectivement employé une personne étrangère en possession d’un titre de séjour falsifié ;

- qu’il appartenait à la Société de vérifier la régularité de sa situation ;

- que la circonstance que l’employeur ait été abusé par un titre falsifié est par suite inopérante ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu, enregistré le 19 août 1999, le mémoire en défense présenté pour la société anonyme emplois Services, prise en la personne de son représentant légal en exercice, par Me BENSAUDE, avocat ;

La société conclut au rejet de la requête et à la condamnation de l’OFFICE DES MIGRATIONS INTERNATIONALES à lui verser 30.000 F (trente mille francs) au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

La société fait valoir :

- que, sur la recevabilité de la requête, si le jugement a été notifié à l’OMI comme à la Société le 12 janvier 1999, sa requête enregistrée le 16 mars est tardive ;

- que, sur la prescription, le moyen tiré de la prescription triennale n’a pas été soulevé d’office par le tribunal administratif dès lors que la Société dans un mémoire du 19 mai 1994 avait invoqué la prescription des griefs, le tribunal administratif s’étant borné à apporter une précision sur le bien-fondé de ce moyen au regard de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme ;

- que la contribution spéciale prévue à l’article L.341-7 du code du travail présente bien le caractère d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 de la CEDH ;

- que la prescription des sanctions pénales constitue une garantie fondamentale du citoyen ;

- que, sur l’infraction elle-même, aucun élément intentionnel ne peut être relevé et qu’elle a été victime de faux papiers particulièrement bien imités ;

- que contrairement à ce que soutient l’Office, le titre de travail falsifié n’avait pas été retiré à l’intéressé à la date de son embauche ;

Vu, enregistré le 9 mai 2000, le mémoire en réplique présenté pour l’OFFICE DES MIGRATIONS INTERNATIONALES qui tend aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;

L’OFFICE soutient en outre :

- que sa requête a été enregistrée au greffe de la cour le 11 mars 1999 et qu’elle est donc recevable ;

- que, sur la régularité du jugement, la Société avait invoqué la prescription quadriennale et non triennale ;

- que le moyen tiré de cette prescription n’est pas un moyen d’ordre public ;

- qu’aucune condition de délai n’est requise en matière de contribution spéciale entre la constatation de l’infraction et le recouvrement de la contribution ;

- que le tribunal administratif est d’ailleurs revenu sur sa position ;

- que la Société se borne à des considérations générales sur la nature de la contribution spéciale et ne conteste pas que les règles de la prescription relèvent du fond du droit et non du déroulement du procès ;

- que le délai de prescription triennale n’a aucune vocation systématique à s’appliquer ;

- que la Société a reconnu après coup qu’elle aurait pu s’apercevoir de la contrefaçon des papiers ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne des droits de l’homme ;

Vu le code du travail ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 16 septembre 2003 :
- le rapport de Mme LORANT, présidente assesseur ;
- et les conclusions de M. BOCQUET, premier conseiller ;

Sur la recevabilité de l’appel :

Considérant que la requête de l’office a été envoyée par télécopie, ultérieurement régularisée par un envoi recommandé, enregistrée le 11 mars 1999, dans le délai de recours contentieux ; que par suite, elle est recevable ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que l’OFFICE DES MIGRATIONS INTERNATIONALES soutient que le jugement attaqué ne vise ni n’analyse les moyens des parties ; que le Tribunal administratif de Nice n’en a pas produit la minute ; que par suite ledit jugement doit être regardé comme ne répondant pas aux prescriptions de l’article R.200 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel alors en vigueur ; que par suite le jugement susvisé est entaché d’irrégularité et doit être annulé ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SOCIETE EMPLOIS SERVICES devant le Tribunal administratif de Nice ;

Sur le bien-fondé de la demande :

En ce qui concerne la prescription :

Considérant qu’en vertu du premier alinéa de l’article L.341-6 du code du travail, nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France ; qu’aux termes de l’article L.341-7 dudit code : "Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l’employeur qui aura occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L.341-6, premier alinéa, sera tenu d’acquitter une contribution spéciale au bénéfice de l’OFFICE DES MIGRATIONS INTERNATIONALES. Le montant de cette contribution spéciale ne saurait être inférieur à 500 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l’article L.141-8. Un décret en Conseil d’Etat fixera les modalités d’application du présent article" ;

Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales susvisée : "1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...)équitablement (...) par un tribunal qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)" ;

Considérant que la contribution spéciale instituée par l’article L.341-7 du code du travail, qui présente le caractère d’une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu’elle vise et n’a pas pour objet la seule réparation pécuniaire d’un préjudice, appartient à la "matière pénale" au sens des stipulations précitées de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, alors même que le législateur a laissé le soin de l’établir et de la prononcer à l’autorité administrative ; que, par suite, les principes énoncés par lesdites stipulations lui sont applicables ;

Considérant cependant que si, selon les dispositions combinées des articles L.364-3 du code du travail et des articles 7 et 8 du code de procédure pénale, le délit que constitue sur le plan pénal l’emploi de travailleurs étrangers démunis de titre de travail est effectivement prescrit à défaut d’acte d’instruction ou de poursuite à l’issue d’un délai de trois ans, la contribution spéciale qui, aux termes des articles L.341-6, 1er alinéa et L.341-7 du code du travail, sanctionne les mêmes agissements, est pour sa part indépendante de toute poursuite pénale et reste constitutive d’une amende en matière administrative dont il résulte des dispositions combinées de l’article 8 de la loi susvisée du 31 décembre 1953 et de l’article R.341-34 du code du travail que la prescription trentenaire de droit commun de l’article 2262 du code civil s’applique à elle ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce qu’à la date de notification du titre exécutoire, le 27 décembre 1993, soit plus de trois ans après la constatation de l’infraction, la contribution spéciale aurait été prescrite manque en droit et en fait ;

En ce qui concerne le bien-fondé de la contribution :

Considérant que lors d’un contrôle effectué le 3 mai 1989, les fonctionnaires de la police urbaine de Nice ont interpellé un ressortissant étranger de nationalité capverdienne, M. MENDES-BARBOSA ; que de l’enquête effectuée, il est apparu que ce dernier était détenteur d’un titre de travail falsifié ;

Considérant qu’il appartenait à la Société anonyme Emplois Service de vérifier la régularité de la situation de son employé au regard de la réglementation en vigueur ; qu’en admettant même que l’intéressé ait présenté lors de son embauche un récépissé falsifié de demande d’asile avec droit de travailler, il ne ressort pas de cette dernière pièce, où notamment le nom de la préfecture est écrit à la main, que ce récépissé frauduleux présentait l’apparence d’un titre de séjour régulier ; que compte tenu de ces constatations, l’infraction aux dispositions de l’article L.341-6 du code du travail est établie et justifiait ainsi, à supposer même que cette infraction pût être regardée comme dépourvue de caractère intentionnel, l’application, à l’encontre de la société requérante, de la contribution spéciale visée à l’article L.341-7 ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société anonyme emplois Services n’est pas fondée à demander l’annulation du titre exécutoire émis à son encontre et notifié le 22 novembre 1993 ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions de l’OMI présentées de ce chef ; que la SOCIETE EMPLOIS SERVICES étant la partie perdante dans la présente instance, ses conclusions présentées de ce chef ne peuvent qu’être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 22 décembre 1998 est annulé.

Article 2 : La requête présenté par la SOCIETE EMPLOIS SERVICES devant le Tribunal administratif de Nice est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par les parties sur le fondement de l’article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SOCIETE EMPLOIS SERVICES, à l’OFFICE DES MIGRATIONS INTERNATIONALES et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

 


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