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Conseil d’Etat, 26 novembre 2001, n° 222211, Commune de la Teste-de-Buch

Les décisions par lesquelles une commune préempte un bien puis le revend, entre lesquelles s’interpose l’acte authentique opérant le transfert de propriété, dont la nullité ne peut être constatée que par le juge du contrat, ne forment pas entre elles un ensemble indissociable qui justifierait que l’annulation de la première entraîne par voie de conséquence l’annulation de la seconde.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 222211

COMMUNE DE LA TESTE-DE-BUCH

M. Eoche-Duval, Rapporteur

Mme Boissard, Commissaire du gouvernement

Séance du 29 octobre 2001

Lecture du 26 novembre 2001

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 juin et 11 octobre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la COMMUNE DE LA TESTE-DE-BUCH (Gironde), représentée par son maire ; la COMMUNE DE LA TESTE-DE-BUCH demande au Conseil d’Etat d’annuler sans renvoi l’arrêt du 20 avril 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux, réformant le jugement du 28 décembre 1995 du tribunal administratif de Bordeaux, a :

1) annulé la délibération en date du 17 septembre 1993 par laquelle le conseil municipal de la COMMUNE DE LA TESTE-DE-BUCH a autorisé son maire à signer un acte de vente au profit de la société Triple Five France d’un terrain précédemment préempté par la commune,

2) confirmé l’annulation prononcée par le jugement précité de la délibération en date du 22 décembre 1992 par laquelle le conseil municipal a autorisé le maire de ladite commune à préempter ce terrain ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eoche-Duval, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Odent, avocat de la COMMUNE DE LA TESTE-DE-BUCH et de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de M. T. ;

- les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la COMMUNE DE LA TESTE-DE-BUCH (Gironde) se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 20 avril 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a, d’une part, confirmé le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en ce qu’il a annulé la délibération en date du 22 décembre 1992 par laquelle le conseil municipal de cette commune avait autorisé le maire à préempter un terrain au lieudit « Le Casino » et a d’autre part, annulé, par voie de conséquence, la délibération en date du 17 septembre 1993 par laquelle le conseil municipal a autorisé son maire à céder à la société Triple Five France le terrain précédemment préempté ;

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme : « Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1, à l’exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d’aménagement./ Toute décision de préemption doit mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé » ; que cette dernière obligation a le caractère d’une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d’illégalité la décision de préemption ; que, par suite, la cour administrative d’appel de Bordeaux, après avoir souverainement apprécié que la décision de préemption du 22 décembre 1992 était insuffisamment motivée, a pu sans erreur de droit en déduire que cette décision était illégale, sans rechercher si la réalité du projet poursuivi par la commune pouvait ressortir de délibérations antérieures du conseil municipal ;

Considérant, en second lieu, que les décisions par lesquelles une commune préempte un bien puis le revend, entre lesquelles s’interpose l’acte authentique opérant le transfert de propriété, dont la nullité ne peut être constatée que par le juge du contrat, ne forment pas entre elles un ensemble indissociable qui justifierait que l’annulation de la première entraîne par voie de conséquence l’annulation de la seconde ;

Considérant, par suite, qu’en énonçant que la délibération litigieuse du 17 septembre 1993 « qui a eu pour objet d’autoriser le maire à signer l’acte de revente du terrain préempté à la société Triple Five France a été prise sur le fondement de la décision de préemption du 22 décembre 1992 à laquelle elle se réfère expressément, se trouve par voie de conséquence, entachée d’illégalité », la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; qu’il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE LA TESTE-DE-BUCH est fondée à demander l’annulation de l’arrêt du 20 avril 2000 de la cour administrative d’appel de Bordeaux en tant qu’il a fait droit aux conclusions dirigées contre la délibération du conseil municipal en date du 17 septembre 1993 ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut « régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, dans les limites qui viennent d’être indiquées ci-dessus, de régler l’affaire au fond ;

Sur la légalité de la délibération du 17 septembre 1993 :

En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la délibération du 17 septembre 1993 doit être annulée par voie de conséquence de l’annulation de la décision de préemption :

Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit plus haut que ce moyen doit être écarté ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 213-11 du code de l’urbanisme :

Considérant qu’aux termes des deux premiers alinéas de l’article L. 213-11 du code de l’urbanisme alors applicable : « Les biens acquis par l’exercice du droit de préemption doivent être utilisés ou aliénés aux fins définies à l’article L. 210-1. L’utilisation ou l’aliénation d’un bien au profit d’une personne privée autre qu’une société d’économie mixte répondant aux conditions définies au deuxième alinéa de l’article L. 300-4 ou qu’une société d’habitations à loyer modéré doit faire l’objet d’une délibération motivée du conseil municipal ou, le cas échéant, d’une décision motivée du délégataire du droit de préemption./ Si le titulaire du droit de préemption décide d’utiliser ou d’aliéner à d’autres fins un bien acquis depuis moins de dix ans par exercice de ce droit, il doit informer de sa décision les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel et leur proposer l’acquisition de ce bien en priorité » ;

Considérant, en premier lieu, que la délibération en date du 17 septembre 1993 par laquelle le conseil municipal de La Teste-de-Buch a autorisé le maire de la commune à vendre à la société Triple Five France le terrain acquis par l’exercice du droit de préemption rappelle les motifs pour lesquels ce terrain avait été préempté, énonce avec précision la consistance de celui-ci, le prix auquel la commune se proposait de le vendre, l’identité de l’acquéreur ainsi que les raisons de la cession, à savoir la construction d’un hôtel auquel pourrait être adjoint un centre de thalassothérapie ; qu’elle est ainsi suffisamment motivée au regard des prescriptions de l’article L. 213-11 du code de l’urbanisme ;

Considérant, en deuxième lieu, que la délibération du 17 septembre 1993 n’avait pas à être précédée de l’information des anciens propriétaires dès lors que l’aliénation était envisagée pour les mêmes fins que celles qui avaient justifié l’exercice du droit de préemption ;

Considérant que le moyen tiré de la violation des dispositions de l’article L. 213-11 du code de l’urbanisme doit, par suite, être écarté dans ses deux branches ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales :

Considérant que M. T. soutient que, faute d’avoir été précédée de l’avis du service des domaines, la délibération attaquée méconnaît les dispositions de l’article L. 2241-1 du code Général des collectivités territoriales en vertu desquelles toute cession d’immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération du conseil municipal au vu de l’avis du service des domaines, cet avis étant réputé donné à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la saisine de ce service ;

Considérant que les dispositions précitées, issues de la loi n° 95-127 du 8 février 1995 n’étaient pas applicables à la date de la délibération attaquée ; qu’à cette date, soit le 17 septembre 1993, l’obligation de consulter les services du domaine avant d’aliéner un bien communal était seulement prévue par l’arrêté interministériel du 1er septembre 1955 pris sur le fondement de l’article 110 de la loi du 5 avril 1884, repris à l’article 296 du code de l’administration communale puis à l’article L. 311-8 du code des communes dans sa rédaction antérieure à la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 ; que toutefois l’abrogation, par cette dernière loi, de l’article L. 311-8 a privé de base légale l’arrêté interministériel précité ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la délibération attaquée serait illégale faute d’avoir été précédée de la consultation du service des domaines doit être écarté ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 311-8 du code des communes :

Considérant que dans sa rédaction issue de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, l’article L. 311-8 du code des communes alors applicable disposait que « lorsque les collectivités locales, leurs groupements et leurs établissements publics, leurs concessionnaires ou sociétés d’économie mixte locales envisagent de procéder à la vente à des personnes privées de terrains constructibles ou de droits de construire, elles doivent publier, à peine de nullité d’ordre public de la vente, un avis indiquant la nature des biens ou des droits cédés et les conditions de la vente envisagée ainsi que, sauf lorsque la vente est destinée à la réalisation de logements locatifs sociaux financés à l’aide de prêts aidés par l’Etat, le lieu de réception des propositions des candidats, le délai dans lequel celles-ci doivent être formulées et la forme qu’elles doivent revêtir. L’avis doit être publié préalablement à la vente qui ne pourra intervenir à partir dudit avis que dans un délai fixé par décret » ; que si ces dispositions imposaient la publication d’un avis avant la vente, elles ne prescrivaient pas que cette publication ait lieu avant la délibération du conseil municipal autorisant le principe de la cession ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la délibération du 17 septembre 1993, faute d’avoir été précédée de la publication d’un tel avis, aurait méconnu les dispositions précitées de l’article L. 311-8 du code des communes, doit être écarté ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 213-14 du code de l’urbanisme :

Considérant qu’aux termes des deux premiers alinéas de l’article L. 213-14 du code de l’urbanisme : « En cas d’acquisition d’un bien par voie de préemption, le prix du bien devra être réglé par le titulaire du droit de préemption dans les six mois qui suivent soit la décision d’acquérir le bien au prix indiqué par le vendeur ou accepté par lui, soit la décision définitive de la juridiction compétente en matière d’expropriation, soit la date de l’acte ou du jurement d’adjudication./ En l’absence de paiement ou, s’il y a obstacle au paiement, de consignation de la somme due à l’expiration du délai prévu à l’alinéa précédent, le titulaire du droit de préemption est tenu, sur demande de l’ancien propriétaire, de lui rétrocéder le bien acquis par voie de préemption » ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que si l’ancien propriétaire du terrain litigieux, la société GRC-EMIN, a adressé le 20 août 1993 à la commune un courrier pour convoquer cette dernière à une réunion devant notaire afin que celui-ci constate que, faute pour la société d’avoir reçu le règlement du prix du terrain dans les six mois, elle avait droit à ce que le bien lui soit rétrocédé, le « procès-verbal de difficultés » rédigé par le notaire le 14 septembre suivant se borne à constater que la société GRC-EMIN « se réserve le droit » de demander la rétrocession ; que, dans ces conditions, cette dernière ne peut être regardée comme ayant demandé cette rétrocession sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 213-14 du code de l’urbanisme ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’une telle demande de rétrocession faisait obstacle à la cession à un autre acquéreur ne peut être accueilli ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 221-2 du code de l’urbanisme :

Considérant qu’aux termes du second alinéa de l’article L. 221-2 du code de l’urbanisme : « Avant leur utilisation définitive, les immeubles acquis pour la constitution de réserves foncières ne peuvent faire l’objet d’aucune cession en pleine propriété en dehors des cessions que les personnes publiques pourraient se consentir entre elles et celles faites en vue de la réalisation d’opérations pour lesquelles la réserve a été constituée » ;

Considérant, ainsi qu’il a été dit plus haut, que le terrain litigieux n’a pas été acquis pour la constitution de réserves foncières ; que le moyen tiré de la violation des dispositions précitées de l’article L. 221-2 du code de l’urbanisme est, par suite, inopérant ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que M. T. n’est pas fondé à demander l’annulation de la délibération du conseil municipal de La Teste-de-Buch en date du 17 septembre 1993 ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que la COMMUNE DE LA TESTE-DE-BUCH, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à verser à M. T. la somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la commune tendant à la condamnation de M. T. au paiement des frais de même nature qu’elle a exposés ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 20 avril 2000 est annulé en tant qu’il annule la délibération du conseil municipal de La Teste-de-Buch en date du 17 septembre 1993.

Article 2 : Les conclusions de la requête de M. T. devant la cour administrative d’appel de Bordeaux dirigées contre la délibération du conseil municipal de La Teste-de-Buch en date du 17 septembre 1993 sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la COMMUNE DE LA TESTE-DE-BUCH devant le Conseil d’Etat et des conclusions de M. T. devant le Conseil d’Etat est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE LA TESTE-DE-BUCH, à M. Xavier T. et au ministre de l’équipement, des transports et du logement.

 


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