CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 228817
Mme E.
Mme Imbert-Quaretta, Rapporteur
Mme de Silva, Commissaire du gouvernement
Séance du 8 octobre 2001
Lecture du 7 novembre 2001
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
Vu la requête enregistrée le 3 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour Mme Petra E. ; Mme E. demande :
1°) l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 septembre 2000 du Premier ministre autorisant son extradition aux autorités espagnoles ;
2°) la condamnation de l’Etat à lui payer une somme de 12 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 ;
Vu la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York, le 10 décembre 19854, et dont le texte a été publié en vertu du décret n° 87-916 du 9 novembre 1987 ;
Vu la convention du 19 juin 1990 d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 ;
Vu le code pénal ;
Vu la loi du 10 mars 1927 ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Imbert-Quaretta, Conseiller d’Etat,
les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de Mme E.,
les conclusions de Mme de Silva, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que par notes verbales en date du 15 septembre 1997 et du 10 mars 1999, le gouvernement espagnol a demandé aux autorités françaises l’extradition de Mme E., ressortissante allemande, respectivement pour l’exécution d’un mandat d’ouverture d’audience du tribunal central d’instruction n° 4 de Madrid pour des faits qualifiés d’appartenance à une bande armée et pour l’exécution d’un arrêt de mise en accusation et d’emprisonnement du tribunal central d’instruction n° 2 de Madrid pour des faits qualifiés de complicité de tentative d’assassinat et de destruction ; que, par le décret attaqué, en date du 29 septembre 2000, le gouvernement français a accordé l’extradition sollicitée, à l’exclusion des faits qualifiés de destruction dans l’arrêt de mise en accusation et d’emprisonnement ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par le garde des sceaux, ministre de la justice :
Sur la légalité externe du décret attaqué :
Considérant que le décret attaqué, après avoir visé les demandes d’extradition des autorités espagnoles, indique les faits reprochés à la requérante, dont une description précise ne s’impose pas, vise l’avis favorable ainsi que l’avis partiellement favorable de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, et exclut l’extradition pour les faits de destruction mentionnés dans l’arrêt de mise en accusation et d’emprisonnement du tribunal central d’instruction n° 2 de Madrid ; qu’il énonce que les faits retenus, relatifs aux deux demandes d’extradition répondent aux exigences de l’article 2 de la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, sont punissables en droit français et ne sont pas prescrits, et que les dispositions des articles 3-1 et 3-2 de la convention précitée ont été respectées ; que, dans ces conditions, le décret attaqué est suffisamment motivé, conformément aux prescriptions de l’article 3 de la loi du 11 juillet 1979 ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :
Considérant que le moyen tiré de ce que les demandes d’extradition n’auraient pas été accompagnées d’expéditions authentiques des mandats d’arrêt sur lesquels se fondent ces demandes, contrairement aux stipulations de l’article 12 paragraphe 2, sous a), de la convention européenne d’extradition, manque en fait ;
Considérant que les faits imputés à Mme E. dans la première demande d’extradition et relatifs au recueil d’information sur l’organisation de l’infrastructure et à l’appui d’un commando terroriste, notamment par la location d’appartements à son nom, constituent, en droit français, le délit de participation à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ; que les faits imputés à Mme E. dans la seconde demande d’extradition constituent, en droit français, le crime de complicité de tentative d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que les faits reprochés à la requérante ne sont pas punissables en droit français doit être écarté ;
Considérant que les allégations de Mme E., selon lesquelles sa mise en cause découlerait uniquement de déclarations de M. A. obtenues dans des conditions contraires aux stipulations de l’article 15 de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée à New York le 10 décembre 1984 ainsi qu’à l’ordre public français ne sont assorties d’aucun commencement de preuve ; qu’il ressort, au contraire, des pièces du dossier que les déclarations de M. A. ont été recueillies librement, en présence d’un avocat du barreau de Madrid ; qu’ainsi le moyen tiré de ce que les charges visant la requérante auraient été recueillies dans des conditions contraires à l’article 15 de la convention précitée et à l’ordre public français ne peut qu’être écarté ;
Considérant qu’il résulte des principes généraux du droit applicables à l’extradition qu’il n’appartient pas aux autorités françaises, sauf en cas d’erreur évidente, de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée ; qu’en l’espèce, il n’apparaît pas qu’une erreur évidente aurait été commise tant en ce qui concerne l’infraction d’appartenance à une bande armée que le crime de complicité de tentative d’assassinat reprochés à Mme E. ;
Considérant qu’aux termes de l’article 10 de la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 : "L’extradition ne sera pas accordée si la prescription de l’action ou de la peine est acquise d’après la législation soit de la partie requérante, soit de la partie requise" ; qu’en vertu de l’article 62 de la convention d’application de l’accord de Schengen en date du 19 juin 1990, les causes d’interruption de la prescription sont celles de la législation de la partie requérante ; qu’il ressort des pièces du dossier que le délai de la prescription applicable à l’infraction d’appartenance à une bande armée était de trois années tant en droit espagnol qu’en droit français ; que ce délai a commencé à courir à compter du jour de la cessation de l’entente soit, en l’espèce, le 31 mai 1994, date de cessation de la location par Mme E. de l’appartement ayant servi de base au commando ; qu’il a été interrompu par l’émission, à l’encontre de la requérante, d’un acte de poursuite, le 4 mai 1997 ; qu’ainsi, l’action publique concernant l’infraction susmentionnée n’était pas prescrite le 15 septembre 1997, date de la demande d’extradition concernant cette infraction ;
Considérant qu’aux termes de l’article 3-1 de la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 : "L’extradition ne sera pas accordée si l’infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la partie requise comme une infraction politique ou comme un fait connexe à une telle infraction" ; que l’extradition de Mme E. a été accordée aux autorités espagnoles pour appartenance à une bande armée, tentatives d’assassinat et terrorisme ; que la circonstance que les infractions reprochées, qui ne constituent pas des infractions politiques par leur nature, auraient été commises dans le cadre d’une lutte pour l’indépendance du pays basque ne suffit pas, compte tenu de leur gravité, à les faire regarder comme ayant un caractère politique ; qu’ainsi, le décret attaqué n’a pas méconnu les stipulations précitées de l’article 3-1 de la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme E. n’est pas fondée à demander l’annulation du décret du 29 septembre 2000 accordant son extradition aux autorités espagnoles ;
Sur les conclusions de Mme E. tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à Mme E. la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme E. est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Pétra E. et au garde des sceaux, ministre de la justice.