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Conseil d’Etat, 30 juillet 2008, n° 307304, Monica A.

Il résulte tant des principes généraux du droit applicables à l’extradition que des stipulations de la convention européenne d’extradition et des dispositions du code de procédure pénale relatives à l’extradition, qu’il n’appartient pas aux autorités françaises, sauf en cas d’erreur évidente, de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 307304

Mme A.

Mme Catherine Chadelat
Rapporteur

Mme Emmanuelle Prada Bordenave
Commissaire du gouvernement

Séance du 20 juin 2008
Lecture du 30 juillet 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 juillet et 13 septembre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Monica A. ; Mme A. demande au Conseil d’Etat d’annuler le décret du 14 mars 2007 accordant son extradition aux autorités roumaines ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 ;

Vu le protocole additionnel à la convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée adoptée à New York le 25 novembre 2000, notamment son article 7 ;

Vu la directive 2004/81/CE du 29 avril 2004 relative au titre de séjour délivré aux ressortissants des pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes ;

Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la loi du 10 mars 1927 ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 ;

Vu le décret n° 2007-1352 du 13 septembre 2007 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Chadelat, Conseiller d’Etat,

- les observations de Me Le Prado, avocat de Mme A.,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le décret attaqué a été signé par le Premier ministre et contresigné par le garde des sceaux, ministre de la justice ; que l’ampliation notifiée à Mme A. n’avait pas à être elle-même revêtue de ces signatures ; qu’ainsi, le moyen tiré de l’absence de signature du décret attaqué manque en fait ;

Considérant qu’après avoir visé la demande d’extradition présentée par les autorités roumaines pour l’exécution d’un mandat d’arrêt en date du 10 novembre 2003 prononcée par un juge au tribunal de Maramures, en vue de la poursuite et du jugement des infractions de trafic de personnes, association pour la commission d’infractions, prostitution, proxénétisme commis par plusieurs auteurs à l’égard de plusieurs personnes, notamment des mineures, ainsi que l’avis émis par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris et avoir indiqué les faits reprochés à Mme A., le décret attaqué énonce que ces faits, dont une description précise ne s’imposait pas, répondent aux exigences de l’article 2 de la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, qu’ils sont punissables en droit français, ne sont pas prescrits, n’ont pas un caractère politique et que la demande d’extradition n’a pas été présentée aux fins de poursuivre l’intéressée pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques ou que sa situation ne risque pas d’être aggravée pour l’une ou l’autre de ces raisons ; qu’ainsi, le décret attaqué satisfait aux exigences de motivation posées à l’article 3 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public ;

Sur la légalité interne du décret attaqué :

Considérant qu’il résulte tant des principes généraux du droit applicables à l’extradition que des stipulations de la convention européenne d’extradition et des dispositions du code de procédure pénale relatives à l’extradition, qu’il n’appartient pas aux autorités françaises, sauf en cas d’erreur évidente, de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée ;

Considérant que, si Mme A. soutient être la victime d’un réseau de prostitution et non l’auteur de proxénétisme aggravé et fait valoir qu’elle a porté plainte contre deux de ses proxénètes, le 28 février 2005, et qu’elle a obtenu, à ce titre, une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il ressort des pièces du dossier et, notamment, du complément d’information ordonné par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris le 29 septembre 2004, que Mme A., dans le cadre du réseau de proxénétisme, initiait les jeunes femmes à la prostitution, gardait leurs passeports, les surveillait, les enfermait dans un appartement, traitait personnellement avec les clients le prix à payer et encaissait l’argent qu’elle remettait chaque fin de semaine à l’un des proxénètes ; qu’en particulier, elle a transporté une des jeunes femmes de Roumanie en France en lui dissimulant qu’elle devrait se prostituer, a menacé de mort une autre jeune femme qui se rebellait et a obligé une des membres du réseau à se prostituer alors qu’elle était enceinte de plusieurs mois ; qu’ainsi, elle ne saurait être regardée comme victime d’un réseau de prostitution ; que, dès lors, il n’apparaît pas qu’une erreur évidente ait été commise concernant les charges pesant sur Mme A. ;

Considérant que la circonstance que Mme A. ait coopéré avec les services de police en dénonçant deux de ses proxénètes et obtenu à ce titre le bénéfice d’une carte de séjour temporaire sur le fondement de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ne saurait par elle-même faire obstacle à son extradition, à laquelle ne s’opposent pas les engagements internationaux liant la France à la date de la décision attaquée, au titre du protocole additionnel à la convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée, adoptée à New York le 25 novembre 2000, relatif aux mesures permettant aux victimes de la traite des personnes de rester sur le territoire d’un Etat signataire et de la directive 2004/81/CE du 29 avril 2004 relative au titre de séjour délivré aux ressortissants des pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains et qui coopèrent avec les autorités compétentes ;

Considérant qu’aux termes du second alinéa de l’article 1er des réserves émises par la France lors de la ratification de la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 : " L’extradition pourra être refusée si la remise est susceptible d’avoir des conséquences d’une gravité exceptionnelle pour la personne réclamée " ; que, si Mme A. soutient qu’en cas d’exécution du décret attaqué, elle ne manquera pas de subir des représailles de la part de ses anciens proxénètes et fait état à la fois de menaces de mort reçues par d’autres jeunes femmes du réseau et d’un documentaire télévisuel sur une chaîne française dans lequel elle se dit identifiable, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’elle ait fait l’objet d’une menace particulière de la part d’un membre du réseau de proxénétisme auquel elle appartenait ; qu’alors même que ce réseau est actif en Roumanie, l’existence de risques spécifiques à ce pays et d’une gravité exceptionnelle n’est pas établie ; qu’ainsi, en autorisant l’extradition de l’intéressée vers la Roumanie, le Gouvernement français n’a pas méconnu les exigences posées par les réserves précitées à la convention européenne d’extradition ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme A. n’est pas fondée à demander l’annulation du décret du 14 mars 2007 accordant son extradition aux autorités roumaines ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par Mme A. au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A. est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Monica A. et au garde des sceaux, ministre de la justice.

 


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