CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 312350
COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES
Mme Agnès Fontana
Rapporteur
M. Bertrand Dacosta
Commissaire du gouvernement
Séance du 22 octobre 2008
Lecture du 15 décembre 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 7ème et 2ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 et 31 janvier 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES, dont le siège est 17 rue François de Mahy B.P. 370 à Saint-Pierre (97455 Cedex) ; la COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES demande au Conseil d’Etat d’annuler les ordonnances des 5 et 18 décembre 2007 par lesquelles le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion, statuant en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, a, à la demande de la société mutuelle "La Mutualité de la Réunion" et de la société anonyme coopérative "Les Pompes funèbres mutualistes", dans un premier temps, différé jusqu’au 18 décembre 2007 la signature du contrat de délégation de service public portant sur l’exploitation du centre funéraire sud et, dans un second temps, annulé la procédure de passation de la convention ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Ghestin, avocat de la COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES et de la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la société mutuelle "La Mutualité de la Réunion" et de la société anonyme coopérative "Les Pompes funèbres mutualistes",
les conclusions de M. Bertrand Dacosta, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics (.) et des conventions de délégation de service public. / Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par ce manquement, ainsi que le représentant de l’Etat dans le département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. / Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l’exécution de toute décision qui s’y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu’il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu’au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours (.) " ; qu’en application de ces dispositions, il appartient au juge des référés précontractuels de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES a décidé de déléguer l’exploitation du centre funéraire sud situé sur le territoire de la commune de Saint-Pierre (la Réunion) ; que le contrat envisagé chargeait le délégataire d’assurer l’accueil et l’information des proches, de prendre en charge la gestion administrative, technique et financière du site, d’entretenir et de surveiller les installations, de facturer et de recouvrer les redevances, droits et taxes ainsi que de procéder à des investissements en matériels ; qu’à la suite de la publication d’un appel public à la concurrence, le 22 janvier 2007, la société mutuelle "La Mutualité de la Réunion" et la société anonyme coopérative "Les Pompes funèbres mutualistes" ont déposé une offre conjointe et ont été admises à négocier ; que par courrier du 25 octobre 2007, elles ont été informées que leur offre n’était pas retenue ; que sur saisine de ces sociétés, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a, par une première ordonnance du 5 décembre 2007, enjoint au président de la communauté de communes de surseoir à la signature du contrat de délégation de service public, puis, par une seconde ordonnance rendue le 18 décembre 2007, annulé l’ensemble de la procédure ; que le pourvoi de la COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES doit être regardé, eu égard aux moyens soulevés par la requérante, comme dirigé contre la seule ordonnance du 18 décembre 2007 annulant la procédure de passation ;
Sur la régularité de l’ordonnance :
Considérant que le juge des référés précontractuels a d’une part estimé que la collectivité délégante, en fixant, dans l’avis d’appel public à la concurrence, la durée de principe du contrat à quinze ans, tout en proposant aux sociétés candidates des options portant sur des durées de dix et vingt ans, sans préciser les circonstances qui étaient de nature à justifier une offre sur dix ou sur vingt ans, ni les conditions dans lesquelles elle apprécierait les différentes offres au regard de la durée du contrat, n’avait pas donné aux entreprises candidates à la délégation de service public une information suffisante sur les critères d’appréciation des offres concurrentes ; que d’autre part, il a relevé qu’en tout état de cause, la durée de la convention, pouvant aller jusqu’à vingt ans, ne saurait être justifiée eu égard à la faiblesse des investissements réclamés au fermier ; que ce faisant, le juge des référés a mis le juge de cassation en mesure d’exercer son contrôle et a suffisamment motivé son ordonnance ;
Sur le bien-fondé de l’ordonnance :
Considérant en premier lieu qu’aux termes de l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : " Une délégation de service public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d’acquérir les biens nécessaires au service (.) " ; qu’aux termes de l’article L. 1411-2 du même code : " Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l’investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d’amortissement des installations mises en œuvre. Dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, les délégations de service public ne peuvent avoir une durée supérieure à vingt ans (.) " ; qu’il résulte de ces dispositions que le choix de la collectivité publique est encadré quant à la fixation de la durée d’une délégation de service public ; qu’il n’appartient cependant au juge des référés précontractuels, saisi sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, de sanctionner les seuls manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles d’avoir lésé les entreprises requérantes ou risquent de les léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente ; qu’ainsi, en relevant qu’une durée de vingt ans apparaissait en tout état de cause excessive eu égard à l’objet du contrat et aux investissements demandés au délégataire, sans rechercher si la méconnaissance alléguée des dispositions législatives susmentionnées, compte tenu de sa portée et du stade de la procédure auquel elle se rapporte, était susceptible de léser les entreprises requérantes, le juge des référés précontractuels a commis une erreur de droit qu’il y a lieu de relever, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens dirigés contre ce même motif de l’ordonnance ;
Considérant toutefois que l’ordonnance contestée est également fondée sur le motif tiré de ce qu’en ne fixant pas un terme précis au contrat d’affermage qu’elle entendait conclure, et en ne précisant pas les circonstances de nature à justifier une offre sur dix ou vingt ans, ni les conditions dans lesquelles la collectivité délégante apprécierait les différentes offres au regard de la durée du contrat, la collectivité délégante n’avait pas fourni aux entreprises candidates une information suffisante sur les critères d’appréciation des offres ;
Considérant d’une part, qu’en relevant que la collectivité délégante avait, dans l’avis d’appel à candidatures, indiqué que la durée de base du contrat était fixée à quinze ans, tout en spécifiant que la collectivité proposait également deux options à dix et vingt années, sans faire apparaître les critères de choix des offres au regard des durées proposées, pour caractériser un manquement de la collectivité à son obligation de fournir aux candidats potentiels une information satisfaisante sur les critères d’appréciation des offres concurrentes, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a nécessairement jugé que l’imprécision qui découlait des documents soumis aux entreprises était susceptible de léser les sociétés requérantes ; qu’à ce titre il n’a pas entaché son raisonnement d’erreur de droit ; que d’autre part, ayant souverainement apprécié que l’absence de précision quant à la durée exacte de la délégation ne donnait pas aux entreprises candidates une information suffisante sur les critères d’appréciation des offres, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES avait pour ce motif méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le motif tiré de la méconnaissance par la COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES de ses obligations de publicité et de mise en concurrence, faute d’avoir fourni aux entreprises des informations suffisantes sur l’appréciation des offres eu égard à la durée d’exécution du contrat proposée, justifie à lui seul l’annulation de la procédure par l’ordonnance attaquée ; que la COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES n’est dès lors pas fondée à demander l’annulation de cette ordonnance ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES la somme de 4 000 euros qui sera versée pour moitié à la société mutuelle "La Mutualité de La Réunion", pour moitié à la société "Les Pompes funèbres mutualistes", au titre des frais exposés par ces sociétés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi de la COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES est rejeté.
Article 2 : La COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES versera à chacune des sociétés "La Mutualité de la Réunion" et "Les Pompes funèbres mutualistes" la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNAUTE INTERCOMMUNALE DES VILLES SOLIDAIRES, à la société mutuelle "La Mutualité de la Réunion" et à la société anonyme coopérative "Les Pompes funèbres mutualistes".