CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 293635
SOCIETE SOGEFRA
M. Stéphane Hoynck
Rapporteur
M. Mattias Guyomar
Commissaire du gouvernement
Séance du 23 janvier 2008
Lecture du 20 février 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mai 2006 et 29 août 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE SOGEFRA, dont le siège est 13 rue de la Fontaine à Serris (77700), représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE SOGEFRA demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler la décision du 21 mars 2006 par laquelle le conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts lui a infligé un blâme, en lieu et place de la suspension de six mois, infligée à la société requérante par le Conseil régional de Marseille, par une décision du 6 juillet 2005,
2°) de mettre à la charge de l’ordre des géomètres experts une somme de 2700 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics, et notamment son article 51 dans sa rédaction issue du décret n° 2001-210 du 7 mars 2001 ;
Vu la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 ;
Vu le décret n° 96-478 du 31 mai 1996, portant règlement de la profession de géomètre-expert et code des devoirs professionnels ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Stéphane Hoynck, Auditeur,
les observations de la SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier, avocat de la SOCIETE SOGEFRA et de Me Copper-Royer, avocat du conseil supérieur de l’Ordre des géomètres-experts,
les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que par une décision du 6 juillet 2005, le conseil régional de l’ordre des géomètres-experts de Marseille, siégeant en formation disciplinaire, a infligé à la SOCIETE SOGEFRA, inscrite au tableau de cet ordre, une sanction de suspension d’une durée de six mois ; que par une décision du 21 mars 2006, le conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts, a, sur appel de la société, réduit la sanction infligée en substituant un blâme à la suspension ; que la SOCIETE SOGEFRA se pourvoit en cassation contre cette décision ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur l’autre moyen de la requête :
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 7 mai 1946 : " Le géomètre-expert est un technicien exerçant une profession libérale qui, en son propre nom et sous sa responsabilité personnelle : / 1° Réalise les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers et, à ce titre, lève et dresse, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d’échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière ; / 2° Réalise les études, les documents topographiques, techniques et d’information géographique dans le cadre des missions publiques ou privées d’aménagement du territoire, procède à toutes opérations techniques ou études sur l’évaluation, la gestion ou l’aménagement des biens fonciers. " ; que selon l’article 2 de cette loi, les géomètres-experts inscrits à l’ordre peuvent seuls exercer les études et travaux topographiques mentionnés au 1° de l’article 1er ; qu’aux termes de l’article 45 du décret du 31 mai 1996, le géomètre-expert : "( .) s’interdit tout acte ou fait de nature à favoriser directement ou indirectement l’exercice illégal de la profession." ; qu’aux termes de l’article 50 du même décret : " Le géomètre expert ne peut prendre ni donner en sous-traitance les travaux mentionnés au 1° de l’article 1er de la loi du 7 mai 1946 modifiée susvisée. / La cotraitance n’est admise pour ces travaux qu’entre membres de l’ordre " ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumises aux juges du fond, que la SOCIETE SOGEFRA s’est engagée dans le cadre d’un groupement solidaire avec la société STI, qui n’a pas la qualité de géomètre-expert, pour un marché comportant des travaux de nature foncière dont la réalisation est réservée aux seuls géomètres-experts et d’autres travaux topographiques ne faisant pas l’objet de cette restriction ; qu’il est constant que le marché en cause n’a pas fait l’objet d’une décomposition en lots distinguant les prestations réservées aux géomètres-experts des autres prestations ;
Considérant que si le fait pour un géomètre expert de s’engager dans un marché comportant des prestations relevant du 1° de l’article 1er de la loi du 7 mai 1946 avec un tiers non-membre de l’ordre est de nature à constituer une faute disciplinaire lorsque cet engagement conduit le géomètre expert à favoriser l’exercice illégal de la profession, il en va différemment dans l’hypothèse où le géomètre-expert se voit imposer par le maître d’ouvrage, en application des dispositions de l’article 51-VI du code des marché publics, dans sa rédaction issue du décret du 7 mars 2001, que les groupements prennent la forme de groupements solidaires et qu’en pratique, comme en l’espèce, les travaux de nature foncière dont la réalisation est réservée aux seuls géomètres-experts n’ont pas été réalisés par des personnes n’ayant pas cette qualité ; qu’en jugeant le contraire, le conseil supérieur a commis une erreur de droit ; que la SOCIETE SOGEFRA est fondée pour ce motif à demander l’annulation de la décision attaquée ;
Considérant qu’il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’ainsi qu’il a été dit plus haut, dès lors que le maître d’ouvrage a fait application des dispositions de l’article 51-VI du code des marché publics, dans sa rédaction issue du décret du 7 mars 2001, et a imposé que les groupements prennent la forme de groupements solidaires et qu’en pratique, la SOCIETE SOGEFRA s’est assurée que les travaux de nature foncière dont la réalisation est réservée aux seuls géomètres-experts n’ont pas été réalisés par des personnes n’ayant pas cette qualité, son comportement n’était pas constitutif d’une faute ; qu’elle est par suite fondée à demander l’annulation de la décision du 6 juillet 2005 par laquelle le conseil régional de l’ordre des géomètres-experts de Marseille a prononcé sa suspension pour une durée de six mois, et le rejet de la plainte déposée le 24 novembre 2004 par M. E., agissant ès qualité de syndic du conseil régional de Marseille de l’ordre des experts-géomètres ;
Considérant que le conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts, n’ayant pas été partie en appel et n’ayant été appelé en la cause que pour produire des observations, n’est pas partie à l’instance au sens de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ses conclusions tendant à l’application de ces dispositions et celles de la SOCIETE SOGEFRA dirigées uniquement contre l’ordre des géomètres-experts ne peuvent en conséquence qu’être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 21 mars 2006 du conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts et la décision du conseil régional de l’ordre des géomètres-experts de Marseille du 6 juillet 2005 sont annulées.
Article 2 : La plainte déposée le 24 novembre 2004 par M. E., agissant ès qualité de syndic du conseil régional de Marseille de l’ordre des experts-géomètres est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la SOCIETE SOGEFRA et par le conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE SOGEFRA, au ministre d’Etat, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables, au conseil supérieur de l’ordre des géomètres-experts et à M. E. agissant ès qualité de syndic du conseil régional de Marseille de l’ordre des experts-géomètres.