CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 264533
MINISTRE DE L’AGRICULTURE ET DE LA PECHE
c/ D.
M. Philippe Ranquet
Rapporteur
M. Terry Olson
Commissaire du gouvernement
Séance du 4 février 2008
Lecture du 20 février 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux
Vu le recours, enregistré le 13 février 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’ALIMENTATION, DE LA PECHE ET DES AFFAIRES RURALES ; le MINISTRE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 9 décembre 2003 en tant que, par cet arrêt, la cour a, d’une part, déchargé M. et Mme Jean-Bernard D. de la taxe syndicale pour 1998 mise à leur charge par l’association foncière de remembrement de Lépine, Wailly-Beaucamp et Nempont-Saint-Firmin, et a, d’autre part, annulé le jugement du tribunal administratif de Lille du 2 mai 2002 qui avait rejeté leur demande tendant à cette décharge ;
2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter dans cette mesure les conclusions présentées par M. et Mme D. devant la cour administrative d’appel de Douai ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu le code rural ;
Vu la loi du 21 juin 1865 ;
Vu le décret du 18 décembre 1927 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Philippe Ranquet, Auditeur,
les observations de Me Brouchot, avocat de M. et Mme D.,
les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du recours ;
Considérant que la décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 10 septembre 2007 qui a, d’une part, annulé l’arrêt du 9 décembre 2003 par lequel la cour administrative d’appel de Douai avait annulé l’arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 6 décembre 1996 instituant l’association foncière de remembrement de Lépine, Wailly-Beaucamp et Nempont-Saint-Firmin, et qui a, d’autre part, confirmé le jugement du tribunal administratif de Lille du 2 mai 2002 qui avait rejeté les demandes tendant à l’annulation de cet arrêté, a fait revivre rétroactivement celui-ci ; qu’il en résulte que le MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’ALIMENTATION, DE LA PECHE ET DES AFFAIRES RURALES est fondé à demander l’annulation d’un autre arrêt du 9 décembre 2003, présentement attaqué, par laquelle la cour administrative d’appel de Douai a prononcé, par voie de conséquence de l’annulation de l’arrêté du 6 décembre 1996, la décharge de la taxe syndicale pour 1998 mise à la charge de M. et Mme D. par l’association foncière de remembrement ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;
Sur le moyen tiré de l’irrégularité du jugement attaqué :
Considérant qu’eu égard à l’atteinte excessive à l’intérêt général et au respect du droit de propriété des autres intéressés qui résulterait d’une remise en cause générale des opérations d’aménagement foncier à une date postérieure à celle du transfert de propriété, et au recours effectif dont dispose le propriétaire de parcelles incluses dans le périmètre d’une telle opération pour en contester les effets sur ses biens, le juge de l’excès de pouvoir ne peut annuler l’acte ordonnant les opérations ou suspendre son exécution que jusqu’à la date du transfert de propriété ; que, statuant après cette date sur un recours dirigé contre un acte pris dans le cadre des opérations d’aménagement foncier, le juge administratif ne peut faire droit à une exception tirée de l’illégalité de l’acte ordonnant ces opérations que si celui-ci a fait l’objet d’une annulation ou d’une suspension avant le transfert de propriété ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date du 8 décembre 1998 à laquelle l’arrêté préfectoral ordonnant le dépôt en mairie du plan de remembrement a effectué le transfert de propriété, l’arrêté préfectoral du 18 novembre 1996 ordonnant le remembrement n’avait été ni annulé, ni suspendu ; que, dès lors, le moyen tiré d’une exception d’illégalité de l’arrêté du 18 novembre 1996, soulevé par M. et Mme D. devant le tribunal administratif de Lille à l’appui de leur demande tendant à la décharge de la taxe syndicale mise à leur charge pour 1998, était inopérant ; que, par suite, l’absence de réponse à ce moyen n’a pas eu pour effet d’entacher d’irrégularité le jugement du 2 mai 2002 par lequel le tribunal administratif a rejeté leur demande ;
Sur l’exception d’illégalité de l’arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 18 novembre 1996 ordonnant le remembrement :
Considérant que le moyen, que M. et Mme D. reprennent en appel, tiré de l’illégalité de cet arrêté doit être écarté comme inopérant ainsi qu’il a été dit ci dessus ;
Sur l’exception d’illégalité de l’arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 6 décembre 1996 instituant l’association foncière de remembrement :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-1 du code rural dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté contesté : " Le remembrement (.) a principalement pour but, par la constitution d’exploitations rurales d’un seul tenant ou à grandes parcelles bien groupées, d’améliorer l’exploitation agricole des biens qui y sont soumis. Il doit avoir également pour objet l’aménagement rural du périmètre dans lequel il est mis en œuvre. (.) " ; qu’aux termes de l’article L. 133-1 du même code : " A l’intérieur d’un périmètre de remembrement, il est constitué entre les propriétaires des parcelles à remembrer une association foncière chargée de la réalisation, de l’entretien et de la gestion des travaux ou ouvrages (connexes au remembrement). Les règles de constitution et de fonctionnement des associations foncières de remembrement sont fixées par décret en Conseil d’Etat. " ; qu’aux termes de l’article L. 133-6 du même code : " . Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions (.) de la fixation des bases de répartition des dépenses entre les propriétaires selon la surface attribuée dans le remembrement (.). Les associations foncières (.) peuvent exproprier les immeubles nécessaires à leurs travaux dans les conditions prévues par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique " ; qu’aux termes de l’article R. 131-1 du même code : " Les associations foncières (.) sont des établissements publics à caractère administratif. (.) " ; qu’aux termes de l’article R. 133-1 du même code : " Lorsqu’il y a lieu (.) de créer une association foncière de remembrement, celle-ci est instituée, par arrêté du préfet, entre les propriétaires des terrains inclus dans le périmètre de remembrement " ; qu’en vertu de l’article R. 133-3 du même code, l’association foncière de remembrement est administrée par un bureau présidé par le maire et dont les autres membres sont désignés par des autorités publiques ; qu’aux termes de l’article R. 133-5 du même code : " Le bureau règle par ses délibérations les affaires de l’association. (.) Ses délibérations sont exécutoires dans un délai d’un mois à compter de leur transmission au préfet, sauf opposition de celui-ci. " ; qu’aux termes de l’article R. 133-8 du même code : " (.) Le montant des taxes syndicales est fixé annuellement par le bureau. Les rôles sont rendus exécutoires par le préfet. (.) " ; qu’en application de l’article 15 de la loi du 21 juin 1865, auquel renvoie l’article L. 131-1 du code rural, les taxes syndicales sont recouvrées comme en matière de contributions directes ; qu’enfin, en application des articles 55, 56 et 61 du décret du 18 décembre 1927, auquel renvoie l’article R. 131-1 du code rural, le préfet peut faire exécuter d’office les travaux, aux frais de l’association foncière de remembrement, lorsque l’interruption des travaux connexes au remembrement ou le défaut d’entretien des ouvrages aurait des conséquences nuisibles pour l’intérêt public, et peut, en cas de carence de l’association foncière de remembrement, établir ou modifier d’office les taxes syndicales destinées au paiement de ces travaux ;
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte notamment de ces dispositions que les associations foncières de remembrement, qui sont qualifiées d’établissements publics à caractère administratif, sont des organismes de droit public institués et étroitement encadrés par des dispositions législatives et réglementaires ; qu’elles disposent de prérogatives de puissance publique et poursuivent des buts d’intérêt général ; qu’elles ne peuvent, dès lors, être regardées comme des associations au sens des stipulations de l’article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 6 décembre 1996 instituant l’association foncière de remembrement de Lépine, Wailly-Beaucamp et Nempont-Saint-Firmin méconnaîtrait le principe de la liberté d’association reconnu par ces stipulations ne peut être utilement invoqué ;
Considérant, en second lieu, que M. et Mme D. contestent la légalité de l’arrêté préfectoral du 6 décembre 1996 au regard de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en ce qu’il a pour conséquence de permettre le prélèvement, sur les terrains inclus dans le périmètre du remembrement, de l’assiette des chemins d’exploitation créés à la suite du remembrement et de mettre à la charge des propriétaires intéressés, selon la surface attribuée à chacun, les dépenses liées aux travaux de création de ces chemins ; que, toutefois, ces atteintes au droit de propriété ne sont pas disproportionnées au regard de l’intérêt général poursuivi qui est de permettre la desserte des nouvelles parcelles issues du remembrement ; que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit, par suite, être écarté ;
Sur les autres moyens :
Considérant que, si M. et Mme D. soutiennent que les travaux connexes au remembrement auraient été exécutés sans que la commission communale d’aménagement foncier ne les ait décidés, que la procédure d’élaboration des budgets de l’association foncière de remembrement ainsi que les bases de répartition des taxes syndicales auraient été illégales et que la taxe dont ils demandent la décharge aurait été levée prématurément, ils n’assortissent pas, en tout état de cause, ces moyens de précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées par l’association foncière de remembrement de Lépine, Wailly-Beaucamp et Nempont-Saint-Firmin et par le MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’ALIMENTATION, DE LA PECHE ET DES AFFAIRES RURALES à la demande de première instance, que M. et Mme D. ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par son jugement du 2 mai 2002, le tribunal administratif de Lille a rejeté leurs conclusions tendant à ce qu’ils soient déchargés de la taxe syndicale pour 1998 mise à leur charge par l’association foncière de remembrement de Lépine, Wailly-Beaucamp et Nempont-Saint-Firmin ;
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante, les sommes que M. et Mme D. demandent au titre des frais exposés par eux devant la cour administrative d’appel de Douai et devant le Conseil d’Etat et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de M. et Mme D. les sommes demandées par l’association foncière de remembrement de Lépine, Wailly-Beaucamp et Nempont-Saint-Firmin et par le MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’ALIMENTATION, DE LA PECHE ET DES AFFAIRES RURALES au titre des frais exposés par eux devant la cour administrative d’appel de Douai et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 9 décembre 2003 est annulé en tant qu’il décharge M. et Mme D. de la taxe syndicale pour 1998 mise à leur charge par l’association foncière de remembrement de Lépine, Wailly-Beaucamp et Nempont-Saint-Firmin et qu’il annule, dans cette mesure, le jugement du tribunal administratif de Lille du 2 mai 2002.
Article 2 : Les conclusions de la requête présentée par M. et Mme D. devant la cour administrative d’appel de Douai sont rejetées dans la même mesure.
Article 3 : Les conclusions présentées devant la cour administrative d’appel de Douai par l’association foncière de remembrement de Lépine, Wailly-Beaucamp et Nempont-Saint-Firmin et par le MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’ALIMENTATION, DE LA PECHE ET DES AFFAIRES RURALES, tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions de M. et Mme D. tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L’AGRICULTURE ET DE LA PECHE, à M. et Mme Jean-Bernard D. et à l’association foncière de remembrement de Lépine, Wailly-Beaucamp, et Nempont-Saint-Firmin.