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Conseil d’Etat, 3 décembre 2003, n° 246134, M. Jean L.

Le directeur régional des anciens combattants et des victimes de guerre est responsable au niveau régional du service des soins gratuits qui est en charge localement de la gestion de ceux-ci, notamment de l’instruction des demandes de prise en charge au titre de l’article L. 115 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, ainsi que du contrôle des soins dispensés. Il lui revient d’autoriser ou non la prise en charge des actes soumis à entente préalable. Ainsi, sa participation aux délibérations d’une commission contentieuse des soins gratuits est de nature à entacher d’irrégularité les décisions de cette dernière. Il en est de même de la présence du fonctionnaire appartenant à la direction régionale des anciens combattants, cet agent exerçant ses fonctions au sein de la direction en charge localement des questions litigieuses et étant soumis à l’autorité hiérarchique du directeur régional des anciens combattants.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 246134

M. L.

Mlle Courrèges
Rapporteur

M. Stahl
Commissaire du gouvernement

Séance du 5 novembre 2003
Lecture du 3 décembre 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 mars et 20 juillet 2001, présentés pour M. Jean L. ; M. L. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 19 décembre 2000 par laquelle la commission supérieure des soins gratuits a confirmé la décision de la commission contentieuse des soins gratuits de la région Bretagne du 10 juin 1999 rejetant sa demande tendant à l’annulation de la décision du préfet de la région Bretagne en date du 1er avril 1999 portant refus de prise en charge par l’Etat d’une cure thermale ;

2°) statuant au fond, d’annuler la décision de la commission contentieuse des soins gratuits de la région Bretagne du 10 juin 1999, ensemble la décision de refus de prise en charge du 1er avril 1999 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 17 940 F (2 734,94 euros) en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu le décret n° 59-328 du 20 février 1959 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Courrèges, Auditeur,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. L.,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement mais l’accès à la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée et des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice " ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 115 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre : " L’Etat doit gratuitement aux titulaires d’une pension d’invalidité attribuée au titre du présent code les prestations médicales, paramédicales, chirurgicales et pharmaceutiques nécessitées par les infirmités qui donnent lieu à pension, en ce qui concerne exclusivement les accidents et complications résultant de la blessure ou de la maladie qui ouvre droit à pension " ; qu’en vertu de l’article L. 118 du même code, la commission supérieure des soins gratuits statue en appel sur les décisions des commissions contentieuses des soins gratuits concernant les contestations auxquelles donnent lieu ces dispositions ; que la décision attaquée, par laquelle cette commission a statué sur le refus de l’Etat en date du 1er avril 1999 de prendre en charge, sur le fondement de l’article L. 115, une cure thermale prescrite à M. L., commissaire général de la marine de la deuxième section, a le caractère d’une décision juridictionnelle qui, relative à l’octroi d’une prestation accessoire à une pension d’invalidité, tranche une contestation sur des droits et obligations de caractère civil au sens des stipulations précitées de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, lui est applicable la règle de publicité des débats qui y est énoncée ;

Considérant que, dans sa séance litigieuse, il est constant que la commission supérieure des soins gratuits n’a pas siégé en audience publique, sans que soient invoquées de circonstances propres à justifier, sur le fondement de l’article 6-1 précité, que cette formalité n’ait pas été respectée ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, M. L. est fondé à demander pour ce motif l’annulation de cette décision ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, par application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;

Considérant, d’une part, qu’en vertu des dispositions combinées de l’article L. 118 susmentionné et des articles D. 82 et D. 83 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, les commissions contentieuses des soins gratuits sont présidées par le préfet de région ou son représentant, dont la voix est prépondérante en cas de partage ; qu’y siègent trois membres de droit avec voix délibérative, qui sont, en métropole, le directeur régional des anciens combattants et des victimes de guerre, le trésorier-payeur général du département dans lequel est situé le siège de la commission ou son représentant et un fonctionnaire appartenant à la direction régionale des anciens combattants et des victimes de guerre, proposé par le directeur régional, ainsi qu’un autre membre de droit, avec voix consultative, qui est le médecin contrôleur des soins gratuits ; que chaque commission contentieuse des soins gratuits comprend en outre, avec voix délibérative, deux représentants du corps médical et deux représentants des pensionnés nommés pour cinq ans par arrêté du représentant de l’Etat et, avec voix consultative, quatre autres représentants des professions de santé ;

Considérant, d’autre part, qu’en vertu des principes généraux applicables à la fonction de juger, toute personne appelée à siéger dans une juridiction doit se prononcer en toute indépendance et sans recevoir quelque instruction de la part de quelque autorité que ce soit ; que, dès lors, la présence de fonctionnaires de l’Etat parmi les membres d’une juridiction ayant à connaître de litiges auxquels celui-ci peut être partie ne peut, par elle-même, être de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l’impartialité de celle-ci ; qu’il peut toutefois en aller différemment lorsque, sans que des garanties appropriées assurent son indépendance, un fonctionnaire est appelé à siéger dans une juridiction en raison de ses fonctions et que celles-ci le font participer à l’activité des services en charge des questions soumises à la juridiction ; qu’il suit de là que les commissions contentieuses des soins gratuits, qui statuent sur des litiges portant sur les prestations de soins gratuits dues par l’Etat aux pensionnés militaires, ne peuvent comprendre parmi leurs membres des fonctionnaires exerçant des fonctions au sein du service ou de la direction en charge de la gestion ou de la mise en œuvre de la politique de soins gratuits ;

Considérant que la seule circonstance que le préfet de région, en tant que représentant de l’Etat dans la région, et le trésorier-payeur général ou son représentant siègent à la commission contentieuse des soins gratuits en qualité de membres de droit n’est pas de nature à affecter la régularité de la composition de la juridiction ;

Considérant, toutefois, que le directeur régional des anciens combattants et des victimes de guerre est responsable au niveau régional du service des soins gratuits qui est en charge localement de la gestion de ceux-ci, notamment de l’instruction des demandes de prise en charge au titre de l’article L. 115 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, ainsi que du contrôle des soins dispensés ; qu’il lui revient d’autoriser ou non la prise en charge des actes soumis à entente préalable ; qu’ainsi, sa participation aux délibérations d’une commission contentieuse des soins gratuits est de nature à entacher d’irrégularité les décisions de cette dernière ; qu’il en est de même de la présence du fonctionnaire appartenant à la direction régionale des anciens combattants, cet agent exerçant ses fonctions au sein de la direction en charge localement des questions litigieuses et étant soumis à l’autorité hiérarchique du directeur régional des anciens combattants ;

Considérant, en outre, qu’en vertu de l’article D. 81 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, les médecins contrôleurs des soins gratuits assistent le directeur régional des anciens combattants, qui peut leur déléguer ses attributions, et sont chargés du contrôle et de la surveillance des soins dispensés aux bénéficiaires de l’article L. 115 ; que les décisions de prise en charge des actes soumis à entente préalable sont prises sur leur avis motivé ; que, par suite, la présence du médecin contrôleur des soins gratuits au délibéré d’une commission contentieuse des soins gratuits est également de nature à créer un doute objectivement justifié sur l’impartialité de cette juridiction, alors même qu’il ne siège qu’avec voix consultative ;

Considérant, en l’espèce, qu’il ressort des pièces du dossier que la formation de jugement qui a statué en premier ressort sur la demande de M. L. comprenait le directeur régional des anciens combattants de Rennes ; qu’il résulte de ce qui précède que la participation de celui-ci aux délibérations de la commission contentieuse des soins gratuits de Rennes était de nature à entacher d’irrégularité la décision attaquée ; qu’au surplus, ont siégé l’adjoint au directeur régional des anciens combattants de Rennes, qui était le signataire de la décision attaquée et de celle rejetant le recours gracieux formé à son encontre, et le médecin contrôleur des soins gratuits, qui avait préalablement émis un avis défavorable à la demande de M. L. ; que, par suite, la décision de la commission contentieuse des soins gratuits de Rennes en date du 10 juin 1999 a été rendue en méconnaissance du principe d’impartialité et doit, pour ce motif, être annulée ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. L. devant la commission contentieuse des soins gratuits de Rennes ;

Considérant que M. L. est titulaire d’une pension militaire d’invalidité au taux de 40 % pour " lombosciatique à bascule avec algies tronquées bi-crurales " ; que si l’intéressé soutient que les cures thermales qu’il effectue annuellement depuis le début des années 1980 lui sont bénéfiques et produit des certificats médicaux en ce sens, il ressort des termes de l’expertise, ordonnée par la commission supérieure des soins gratuits et reposant sur une démonstration médicale précise et argumentée, qu’il n’existait pas de justification médicale à la cure prescrite en mars 1999 en rapport avec l’infirmité pensionnée ; que l’expert a notamment relevé que l’état de santé du demandeur à cette date, qui ne se plaignait plus de problèmes de dos, ne permettait pas de regarder une cure thermale comme un complément thérapeutique utile à ses séances quotidiennes de gymnastique ; que l’intéressé ne saurait utilement se prévaloir de ce que ses précédentes demandes de prise en charge auraient été satisfaites ; que, par suite, l’autorité administrative a pu légalement refuser à M. L. la prise en charge d’une cure supplémentaire en 1999 au motif que sa demande n’entrait pas dans le champ d’application des dispositions précitées de l’article L. 115 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ; que la requête de l’intéressé ne peut, dès lors, qu’être rejetée ;

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que M. L. demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la commission supérieure des soins gratuits en date du 19 décembre 2000, ensemble le jugement de la commission contentieuse des soins gratuits de Rennes en date du 10 juin 1999, sont annulés.

Article 2 : La demande de M. L. devant la commission contentieuse des soins gratuits de Rennes est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. L. est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Jean L. et au ministre de la défense.

 


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