CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 224283
Mme H.
M. du Marais
Rapporteur
Mme Mitjavile
Commissaire du gouvernement
Séance du 22 octobre 2003
Lecture du 14 novembre 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 août et 15 décembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Anne-Marie H. ; Mme H. demande que le Conseil d’Etat :
1°) annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes en date du 13 juin 2000 par lequel celle-ci a rejeté sa requête tendant à la réformation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 février 1997 rejetant sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et des pénalités afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1987, 1988 et 1989 ;
2°) règle l’affaire au fond ;
3°) condamne l’Etat à lui payer la somme de 15 000 F sur le fondement de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. du Marais, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de Mme H.,
les conclusions de Mme Mitjavile, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article 163 du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux années d’imposition : "lorsqu’au cours d’une année, un contribuable a réalisé un revenu exceptionnel (...) et que le montant de ce revenu exceptionnel dépasse la moyenne des revenus nets d’après lesquels ce contribuable a été soumis à l’impôt sur le revenu au titre des trois dernières années, l’intéressé peut demander qu’il soit réparti, pour l’établissement de cet impôt, sur l’année de sa réalisation et les années antérieures non couvertes par la prescription" ; que l’article 92 B du même code prévoit la taxation des cessions de valeurs mobilières lorsque le montant de ces cessions excède par foyer fiscal 150 000 F par an et que, selon l’article 92 J : "les dispositions de l’article 92 B s’appliquent aux gains nets retirés des cessions des droits sociaux réalisés à compter du 12 septembre 1990 par les personnes visées au I de l’article 160" ; qu’enfin, en vertu de l’article 200 A du même code, lesdites plus-values sont taxées au taux forfaitaire de 16 % ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 611-7 du code de justice administrative par la cour administrative d’appel :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme H. a demandé le bénéfice de l’étalement prévu à l’article 163 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, à la plus-value de cession de droits sociaux qu’elle a réalisée le 16 octobre 1990 ; qu’en jugeant que les fractions de cette plus-value afférentes aux années 1987 à 1989 ne pouvaient être soustraites à l’impôt sur le revenu et que l’administration avait "pu à bon droit imposer la totalité de (la) plus-value au taux proportionnel de 16 %", la cour administrative d’appel de Nantes a fait droit à la demande de substitution de base légale présentée par l’administration pour fonder le taux applicable à la taxation des fractions de la plus-value imposées aux titres des années 1987 à 1989 ; qu’en relevant, notamment, qu’il y avait lieu d’appliquer à cette taxation "les dispositions en vigueur en 1990, année du fait générateur de l’impôt", soit celles de l’article 92 J du code général des impôts, issu de l’article 18 de la loi de finances pour 1991, et des articles 92 B et 200 A 2 du même code qu’il rend applicables aux plus-values de la nature de celle réalisée par Mme H., la cour n’a pas, alors même que le ministre de l’économie, des finances et du budget avait indiqué, par une erreur de plume, que les articles 92 B et 200 A 2 étaient déjà en vigueur de 1987 à 1989, substitué, pour le calcul de l’imposition, des règles différentes de celles dont la substitution à celles appliquées par le tribunal administratif était demandée par le mémoire du ministre ; qu’elle a donc régulièrement statué en procédant à une telle substitution sans soulever de moyen d’ordre public et donc sans méconnaître les dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative qui imposent la communication des moyens d’ordre public ;
Sur le moyen tiré du défaut d’information par le vérificateur de Mme H. sur l’origine et la teneur des renseignements recueillis dans l’exercice du droit de communication :
Considérant que ce moyen qui n’a pas été soulevé devant les juges du fond n’est pas d’ordre public ; qu’il est par suite irrecevable ;
Sur les moyens tirés de l’erreur de droit dans l’application de la loi fiscale :
Considérant que Mme H. soutient que les dispositions précitées de l’article 163 du code général des impôts permettant l’imposition du revenu exceptionnel constitué par la plus-value de cession des droits sociaux réalisée le 16 octobre 1990 au titre des années 1987 à 1989 instituent une mesure d’étalement pour l’établissement de l’impôt dont le calcul devrait être effectué en fonction des textes applicables au titre de l’année de rattachement de chaque fraction étalée ;
Considérant que le mécanisme d’étalement de revenus exceptionnels institué par l’article 163 du code général des impôts ne saurait avoir pour effet de supprimer le principe même de l’imposition des revenus dont il s’agit et que le taux d’imposition applicable ne pouvait être que celui en vigueur durant l’année du fait générateur ; qu’ainsi, en jugeant, en l’absence de toute disposition, qu’il y avait lieu d’appliquer aux fractions de la plus-value réalisée le 16 octobre 1990 reportées sur les années 1987, 1988 et 1989 les dispositions en vigueur au titre de 1990, année du fait générateur de l’imposition, la cour administrative d’appel de Nantes n’a pas commis d’erreur de droit ;
Sur le moyen tiré de l’erreur de droit dans l’application de la garantie contre les changements de la doctrine administrative :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales "il ne sera procédé à aucun rehaussement d’impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l’administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l’époque, formellement admise par l’administration ; lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente" ;
Considérant d’une part que les dispositions du premier alinéa de l’article L. 80 A précité ne s’appliquent pas, en l’absence de "première décision", à l’égard de rehaussements n’affectant les impositions antérieurement établies aux titres des années 1987, 1988 et 1989 que par l’effet d’un étalement sur la période non prescrite du revenu exceptionnel apparu en 1990 ;
Considérant d’autre part que Mme H. n’a pu dans ses déclarations au titre des années 1987 à 1989 faire expressément application de l’interprétation donnée par l’administration des dispositions de l’article 163 du code général des impôts, dès lors que les plus-values de la sorte n’entraient pas, alors, dans le champ d’application de l’article 160 du même code ; qu’ainsi les dispositions du second alinéa de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales ne peuvent davantage recevoir application ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales étaient inapplicables ; qu’ainsi en jugeant que les énonciations de la documentation administrative de base 5B263 mise à jour le 15 décembre 1984 et d’une réponse à M. Royer, député, pouvaient être invoquées par Mme H. sur ce fondement la cour administrative d’appel de Nantes a, tout en déclarant ces moyens mal fondés, commis une erreur de droit ; que le motif tiré de ce qu’en soulevant ces moyens Mme H. avait émis une prétention qui n’entrait pas dans le champ d’application de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales doit être substitué aux motifs de rejet desdits moyens à tort retenus par l’arrêt entrepris, dont le dispositif demeure néanmoins, sur ce point, légalement justifié ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme H. n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante soit condamnée à payer à Mme H. la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme H. est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Anne-Marie H. et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.