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Conseil d’Etat, 10 octobre 2003, n° 197826, Consorts C.

Les dispositions de l’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale ne font cependant pas obstacle à ce que le requérant recherche, à raison de l’accident dont il a été victime, la responsabilité de l’Etat, qui n’est pas son employeur. Elles ne font pas non plus obstacle à ce que les enfants du requérant qui, faute d’être bénéficiaires de prestations de sécurité sociale du fait de l’accident, n’ont pas la qualité d’ayants droit de leur père, recherchent, dans les conditions du droit commun, la responsabilité pour faute ainsi que la responsabilité sans faute du centre hospitalier au titre de l’obligation qui lui incombe de garantir ses agents contre les dommages corporels qu’ils peuvent subir dans l’accomplissement de leur service.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 197826

Consorts C.

M. Maisl
Rapporteur

M. Chauvaux
Commissaire du gouvernement

Séance du 15 septembre 2003
Lecture du 10 octobre 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 juillet et 9 novembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Patrick C., agissant tant en son nom personnel qu’au nom de ses deux enfants mineures, Caroline et Olivia et Mlle Emmanuelle C. ; M. Patrick C. et Mlle Emmanuelle C. demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 5 mai 1998 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a, sur le recours du ministre de l’emploi et de la solidarité, d’une part, annulé le jugement du 3 juillet 1997 par lequel le tribunal administratif de Versailles a condamné l’Etat à verser à M. C. la somme de 4 200 000 F au titre du manque à gagner professionnel, la somme de 1 360 000 F du fait de sa contamination dans l’exercice de ses fonctions hospitalières par le virus de l’immunodéficience, la somme de 150 000 F à chacun de ses enfants, conjointement avec le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye au titre du préjudice moral subi par ses enfants et la somme de 30 000 F au titre des frais irrépétibles et, d’autre part, a rejeté leur demande devant ledit tribunal et leur recours incident ;

2°) statuant au fond, de condamner l’Etat et le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye solidairement à verser à M. C. personnellement les sommes de 4 200 000 F et 1 360 000 F et 150 000 F aux trois enfants de M. C. ; de dire que les sommes précitées portent intérêts et que lesdits intérêts portent eux-mêmes intérêts ;

3°) de condamner l’Etat et le centre hospitalier de Poissy-Saint-Germain-en-Laye à verser aux consorts C. la somme de 20 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Maisl, Conseiller d’Etat,
- les observations de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de M. C. et de Mlle Emmanuelle C. et de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. C., chirurgien en orthopédie au centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, s’est blessé à la main le 20 mai 1983 alors qu’il opérait une patiente âgée qui avait reçu auparavant une transfusion de produits sanguins ; qu’à partir de 1988, M. C. a présenté les symptômes cliniques du virus de l’immunodéficience humaine, qui a finalement été dépisté en mars 1994 ; qu’eu égard à l’ensemble de ces circonstances ainsi qu’au double fait que la cause du décès de la patiente opérée par M. C. le 20 mai 1983 n’a pas été élucidée et que tous les donneurs à l’origine des produits sanguins qui lui ont été transfusés n’ont pu être retrouvés, les juges du fond ont estimé que la coupure que s’est faite M. C., qui a été reconnue comme accident du travail, devait être, en l’absence de tout autre facteur de risques lié à M. C. lui-même, présumée à l’origine de sa contamination par le virus de l’immunodéficience humaine ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale : "Sous réserve des dispositions prévues aux articles L. 452-1 à 452-5, L. 454-1, L. 455-1-1 et L. 455-2, aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnées par le présent livre ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime et ses ayants-droit" ; que l’article L. 452-3 du même code dispose que lorsque l’accident est dû à une faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, "la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques ou morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément, ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle" ; qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond qu’à l’appui de ses conclusions dirigées contre le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, M. C. soutenait que sa contamination résultait de fautes inexcusables commises par cet établissement public ; qu’après avoir relevé que l’intéressé, en tant que praticien hospitalier était soumis, pour la couverture du risque accidents du travail, aux dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale, la cour a fait une exacte application des dispositions précitées en jugeant que sa demande ne ressortissait pas à la compétence de la juridiction administrative ;

Considérant que les dispositions de l’article L. 451-1 du code de la sécurité sociale ne font cependant pas obstacle à ce que M. C. recherche, à raison de l’accident dont il a été victime, la responsabilité de l’Etat, qui n’est pas son employeur ; qu’elles ne font pas non plus obstacle à ce que les enfants de M. C. qui, faute d’être bénéficiaires de prestations de sécurité sociale du fait de l’accident, n’ont pas la qualité d’ayants droit de leur père, recherchent, dans les conditions du droit commun, la responsabilité pour faute ainsi que la responsabilité sans faute du centre hospitalier au titre de l’obligation qui lui incombe de garantir ses agents contre les dommages corporels qu’ils peuvent subir dans l’accomplissement de leur service ;

En ce qui concerne la demande de M. C. dirigée contre l’Etat et les demandes de ses enfants dirigées contre le centre hospitalier et contre l’Etat :

Sur la responsabilité pour faute :

En ce qui concerne la faute imputée à l’Etat :

Considérant qu’en relevant que le risque de contamination par le virus de l’immunodéficience humaine, par voie de transfusions sanguines, n’a été tenu pour établi par la communauté scientifique qu’à partir de novembre 1983 et en écartant, pour ce motif, toute faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat pour une contamination survenue en mai 1983, la cour a répondu au moyen soulevé devant elle par les consorts C. qui invoquaient la carence fautive de l’Etat dans l’exercice de ses compétences générales en matière de protection de la santé publique, et notamment en ce qui concerne le contrôle des centres de transfusion sanguine ;

Considérant que l’arrêt énonce que le risque de contamination par le virus de l’immunodéficience humaine par la voie de la transfusion sanguine n’a été tenu pour établi par la communauté scientifique qu’à partir du mois de novembre 1983 et que le ministère de la santé a diffusé le 20 juin 1983 une circulaire auprès des directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales indiquant les suspicions d’une transmission de ce virus par le sang ; qu’en en déduisant qu’à la date du 20 mai 1983 à laquelle M. C. a été victime de l’accident à l’origine de sa contamination, la circonstance que l’Etat n’avait pas pris de telles mesures ne révélait pas l’existence d’une faute de nature à engager sa responsabilité, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur dans la qualification juridique des faits ;

En ce qui concerne la faute imputée au centre hospitalier :

Considérant qu’après avoir rappelé que l’état des connaissances scientifiques ne permettait pas au centre hospitalier de regarder le risque de transmission du virus de l’immunodéficience humaine par voie sanguine comme établi en 1983 et avoir relevé que le centre hospitalier avait diffusé, dès juillet 1983, aux médecins chefs de service, la circulaire du ministre chargé de la santé, en date du 20 juin 1983, indiquant l’éventualité d’une transmission du virus de l’immunodéficience humaine par le sang, la cour a pu, sans entacher son arrêt d’une erreur de qualification juridique des faits, estimer que le centre hospitalier n’avait pas commis de faute dans l’organisation du service en s’étant abstenu, avant la date du 20 mai 1983, d’informer des risques encourus par les médecins en contact avec des patients contaminés par le virus de l’immunodéficience humaine et de prescrire aux chirurgiens le port de gants de sécurité ;

Sur la responsabilité sans faute :

Considérant que, pour écarter la responsabilité sans faute de l’Etat à l’égard de M. C. et de ses enfants et celle du centre hospitalier à l’égard des enfants de celui-ci, la cour a jugé que le risque pour l’intéressé d’être contaminé, dans l’exercice de ses fonctions, par le virus de l’immunodéficience humaine, ne pouvait être qualifié d’anormal ; qu’en se fondant sur ce motif, alors que les dommages résultant de la contamination présentent le caractère d’anormalité auquel est subordonné tout engagement de la responsabilité sans faute de la puissance publique, les juges du fond ont inexactement qualifié les faits qui leur étaient soumis ; que cet arrêt doit, par suite, être annulé en tant qu’il statue sur la responsabilité sans faute de l’Etat à l’égard de M. C. et de ses enfants Caroline, Olivia et Emmanuelle C. et sur la responsabilité sans faute du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye à l’égard de ces trois enfants ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond par l’application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la responsabilité sans faute de l’Etat à l’égard de M. C. et de ses enfants :

Considérant que le tribunal administratif ne pouvait regarder le dommage subi par M. C. comme imputable à l’Etat au seul motif qu’il appartenait à celui-ci de définir, par voie législative ou réglementaire, "les règles et conditions de l’exercice professionnel et de la pratique chirurgicale des praticiens hospitaliers" ; que, par suite, le ministre de l’emploi et de la solidarité est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement qu’il attaque, le tribunal administratif a estimé que ce dommage engageait la responsabilité sans faute de l’Etat et à demander l’annulation du jugement en tant qu’il condamne l’Etat à verser à ce titre des indemnités à M. C. et à ses enfants ;

Sur la responsabilité sans faute du centre hospitalier à l’égard des enfants de M. C. :

Considérant qu’il résulte de l’instruction que le dommage subi par M. C. a pour origine directe l’exercice de ses fonctions au centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye ; que la responsabilité sans faute de cet établissement public est, dès lors, engagée à l’égard des enfants de M. C. qui demandent réparation des souffrances morales que leur cause l’état de santé de leur père, au titre de l’obligation des collectivités publiques de garantir leurs agents contre les dommages corporels qu’ils peuvent subir dans l’accomplissement de leur service ;

Sur le préjudice moral subi par les enfants de M. C. :

Considérant qu’il sera fait une juste appréciation des souffrances morales subies par les enfants de M. C. du fait de la grave détérioration de l’état de santé de leur père en accordant à ce titre une indemnité de 20 000 euros à M. C. agissant en qualité de représentant de ses deux enfants mineures, Caroline et Olivia et 10 000 euros à Mlle Emmanuelle C. ; que le jugement attaqué doit être réformé en ce sens ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts demandés par les enfants de M. C. :

Considérant que, à compter du 23 juin 1995, date de leur demande, M. C., agissant en qualité de représentant de ses deux enfants mineures, Caroline et Olivia, et Mlle Emmanuelle C. ont droit aux intérêts au taux légal afférents aux sommes que le centre hospitalier est condamné à leur verser ;

Considérant que M. C., agissant en qualité de représentant de ses deux enfants mineures, Caroline et Olivia, et Mlle Emmanuelle C. ont demandé la capitalisation des intérêts par un mémoire enregistré le 19 novembre 1997 ; qu’à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu’il y a lieu dès lors de faire droit à ces demandes tant à cette date qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye à verser la somme globale de 4 500 euros à M. C., agissant en qualité de représentant de ses deux enfants mineures, Caroline et Olivia, et à Mlle Emmanuelle C. ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 5 mai 1998 est annulé en tant qu’il statue sur la demande de réparation de M. C., agissant en son nom propre et en qualité de représentant de ses deux enfants mineures, Caroline et Olivia, et de Mlle Emmanuelle C., fondées sur la responsabilité sans faute de l’Etat et du centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye.

Article 2 : Le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye versera une somme de 20 000 euros à M. C., agissant en qualité de représentant de ses deux enfants mineures, Caroline et Olivia, et une somme de 10 000 euros à Mlle Emmanuelle C., sommes assorties des intérêts légaux à compter du 23 juin 1995. Les intérêts échus à la date du 19 novembre 1997 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 3 juillet 1997 est annulé en tant qu’il condamne l’Etat à verser des indemnités à M. C. et à ses enfants. Ce même jugement est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision pour ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier à l’égard de Mlles Caroline C., Olivia C. et Emmanuelle C..

Article 4 : Le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye versera, au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative, une somme globale de 4 500 euros à M. C., agissant en qualité de représentant de ses deux enfants mineures, Caroline et Olivia, et à Mlle Emmanuelle C..

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par M. C. agissant tant en son nom propre qu’en qualité de représentant de ses deux enfants mineures, Caroline et Olivia, par Mlle Emmanuelle C., par le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye et par le ministre de l’emploi et de la solidarité devant le Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Paris et le tribunal administratif de Versailles est rejeté.

 


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