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Conseil d’Etat, 23 juillet 2003, n° 243926, Société CLL Pharma

Le dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché d’une spécialité présentée comme un générique, donc essentiellement similaire à une spécialité princeps, doit comporter les résultats d’études démontrant la bioéquivalence des deux spécialités. A défaut, l’autorisation de mise sur le marché peut être refusée.

CONSEIL D’ÉTAT

Statuant au contentieux

N° 243926

SOCIETE CLL PHARMA

Mlle Landais
Rapporteur

Mlle Fombeur
Commissaire du gouvernement

Séance du 9 juillet 2003
Lecture du 23 juillet 2003

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 mars et 3 juin 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par la SOCIETE CLL PHARMA, dont le siège est 455, promenade des Anglais à Nice cedex 3 (06299), représentée par son président-directeur général en exercice ; la SOCIETE CLL PHARMA demande au Conseil d’État

1°) d’annuler la décision du 10 octobre 2001 par laquelle le directeur de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a rejeté sa demande tendant à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché pour la spécialité « Isotrétindine CLL Pharma », générique du « Roaccutane » ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette décision et, en tant que de besoin, la décision confirmative du 13 février 2002 ;

2°) d’enjoindre à l’AFSSAPS de lui délivrer l’autorisation sollicitée et, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa demande dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision ;

3°) de condamner l’AFSSAPS à lui verser la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique
- le rapport de Mlle Landais, Maître des Requêtes,
- les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que la SOCIETE CLL PHARMA a déposé, en octobre 1999, une demande tendant à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché de la spécialité « Isotrétinoine CLL Pharma », générique de la spécialité « Roaccutane » commercialisée par la société Produits Roche ; qu’après trois demandes d’informations complémentaires, en décembre 1999, mai et novembre 2000, le directeur de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a refusé, le 10 octobre 2001, d’accorder l’autorisation sollicitée ; que le recours gracieux intenté par la société requérante à l’encontre de cette décision de refus a fait l’objet d’un rejet implicite confirmé expressément par décision du 13 février 2002 ; que la société requérante conteste la décision du 10 octobre 2001 ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux, confirmée explicitement le 13 février 2002 ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision du 10 octobre 2001

Considérant qu’aux termes des dispositions combinées des articles R. 5140 et R 5136 du code de la santé publique, les décisions refusant une autorisation de mise sur le marché d’une spécialité pharmaceutique « ne peuvent faire l’objet d’un recours contentieux qu’après l’exercice d’un recours gracieux » ; que, compte tenu du caractère obligatoire du recours administratif préalable, la décision statuant sur ce recours se substitue à la décision administrative initiale ; qu’il en résulte que la décision de rejet opposée au recours gracieux de la société requérante et confirmée expressément le 13 février 2002 s’est substituée à la décision du directeur général de l’AFSSAPS du 10 octobre 2001 ; que, dès lors, les conclusions présentées le 8 mars 2002 et dirigées contre cette dernière décision sont irrecevables et doivent être rejetées ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision de rejet du recours gracieux confirmée le 13 février 2002

En ce qui concerne la lé-Ralité externe

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. Meyer, adjoint au directeur chargé des affaires médicales et signataire des lettres de demandes d’informations complémentaires ainsi que Mme Rousselle, adjointe au directeur chargé des affaires réglementaires et signataire de la décision attaquée du 13 février 2002 avaient reçu délégation du directeur général de l’agence par décision du 19 février 2001 ; que la publication de cette délégation au bulletin officiel du ministère de l’emploi et de la solidarité a, en raison de l’objet d’une telle décision, été suffisante pour lui conférer date certaine et la rendre opposable aux tiers ; qu’en outre, il n’est pas établi que les deux directeurs susmentionnés, qui étaient eux-mêmes habilités par le directeur général de l’agence pour prendre les mesures en cause, n’auraient pas été empêchés aux dates auxquelles M. Meyer et Mme Rousselle ont respectivement adressé à la société requérante les demandes d’informations et pris la décision du 13 février 2002 rejetant le recours gracieux ; que, par suite, le moyen d’incompétence doit être écarté ; Considérant que la circonstance que le délai imparti à l’agence pour statuer sur la demande d’autorisation de mise sur le marché aurait été dépassé est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ;

Considérant que l’article R 5140 du code de la santé publique prévoit que les décisions de refus d’autorisation de mise sur le marché, de même que celles qui statuent sur les recours gracieux dirigés contre de telles décisions, doivent être précédées de l’avis d’une commission constituée à cet effet ; qu’il ressort des pièces du dossier que cette commission a été consultée à chaque étape de la procédure ayant conduit à la décision attaquée de rejet du recours gracieux de la SOCIETE CLL PHARMA, notamment le 31 janvier 2002, préalablement à la décision du 13 février 2002 ;

Considérant que l’article L. 5323-4 du code de la santé publique dispose que « les membres des commissions et conseils siégeant auprès de l’agence ne peuvent (...) prendre part ni aux délibérations ni aux votes de ces instances s’ils ont un intérêt direct ou indirect à l’affaire examinée » ; qu’il ressort des pièces du dossier, notamment de la déclaration d’intérêts que cet article fait obligation aux membres de ces commissions et conseils de remplir, que certains des membres de la commission d’autorisation de mise sur le marché qui siégeaient lors de la séance du 31 janvier 2002 ont pu, au cours de l’année 2000, occasionnellement collaborer, notamment par des travaux de recherche ou de conseil, avec la société Produits Roche, exploitant le « Roaccutane » ou avec des laboratoires pharmaceutiques producteurs de médicaments génériques de cette spécialité ; que, toutefois, compte tenu du caractère ponctuel de ces collaborations dont il n’est pas allégué qu’elles se sont poursuivies au-delà de l’année 2000, y compris s’agissant de M. Liard que la société requérante présente à tort comme lié à la société Produits Roche par des liens de « quasi-salariat », et du fait qu’il n’est pas établi que les travaux en cause aient porté sur le groupe des spécialités génériques du « Roaccutane », les membres concernés ne peuvent être regardés comme ayant eu un intérêt, même indirect, à ce que l’« Isotrétinoine CLL Pharma » n’obtienne pas l’autorisation de mise sur le marché sollicitée ; que, par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les membres du groupe de travail sur les génériques de la commission prévue à l’article R 5140 du code de la santé publique et cités par la société requérante comme ayant un intérêt à ce qu’elle n’obtienne pas l’autorisation sollicitée auraient participé aux délibérations concernant l’« Isotrétinome CLL Pharma » ; que, dès lors, le moyen tiré du défaut d’impartialité de la commission prévue à l’article R 5140 du code de la santé publique doit être écarté ;

Considérant, enfin, que la société requérante fait valoir que la motivation du rejet du recours gracieux, exposée dans la décision du 13 février 2002, est insuffisante ; que, toutefois, cette décision indique que le refus d’autorisation de mise sur le marché de l’« Isotrétinoïne CLL Pharma » est motivé par le fait que la bioéquivalence entre cette spécialité et le « Roaccutane » n’a pas été démontrée de manière suffisamment fiable ; que ce motif a d’ailleurs été communiqué par l’agence à la société requérante dès la première demande d’informations complémentaires en décembre 1999 ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la décision attaquée est insuffisamment motivée doit être écarté ;

En ce qui concerne la légalité interne

Considérant que l’article L. 5121-9 du code de la santé publique prévoit que l’autorisation de mise sur le marché peut être refusée « lorsque la documentation et les renseignement fournis ne sont pas conformes au dossier qui doit être présenté à l’appui de la demande » ; que l’article R. 5133 du même code prévoit pour sa part que l’autorisation de mise sur le marché peut être délivrée au vu d’un dossier ne comportant pas les résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques lorsque la spécialité concernée est essentiellement similaire à une spécialité autorisée depuis au moins dix ans et commercialisée en France ; que l’article R. 5l33-1 précise qu’une spécialité est essentiellement similaire à une autre lorsque, notamment, leur bioéquivalence, c’est-à-dire l’équivalence de leurs vitesse et intensité d’absorption par l’organisme, a été démontrée par des « études appropriées de biodisponibilité » ; qu’il résulte de ces dispositions que le dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché d’une spécialité présentée comme un générique, donc essentiellement similaire à une spécialité princeps, doit comporter les résultats d’études démontrant la bioéquivalence des deux spécialités ; qu’à défaut, l’autorisation de mise sur le marché peut être refusée ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et ainsi qu’il a été dit plus haut que le directeur général de l’AFSSAPS s’est fondé, pour refuser l’autorisation sollicitée, sur le fait que le dossier ne comportait pas la documentation et les renseignements propres à démontrer la fiabilité des essais portant sur la bioéquivalence de l’« Isotrétinoine CLL Pharma » avec le « Roaccutane » ; qu’un tel motif est de nature à justifier légalement un refus d’autorisation, sans qu’ait d’incidence le fait que l’agence ait, dans un premier temps, cherché à permettre à la société requérante de compléter son dossier ; que, par ailleurs, si le directeur général de l’AFSSAPS peut décider de faire procéder à certains essais sur une spécialité pharmaceutique faisant l’objet d’une demande d’autorisation, il n’est jamais tenu de le faire ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le motif de la décision du 13 février 2002 ne figurerait pas au nombre de ceux que la loi a prévus doit être écarté ;

Considérant, enfin, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu du défaut de précision des informations relatives au déroulement des essais portant sur la bioéquivalence entre l’« Isotrétinome CLL Pharma » et la spécialité princeps, notamment s’agissant du conditionnement des deux médicaments en vue de leur délivrance aux sujets des essais, que l’agence aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la bioéquivalence n’avait pas été démontrée de manière suffisamment fiable ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE CLL PHARMA n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision, confirmée expressément le 13 février 2002, par laquelle le directeur général de l’AFSSAPS a refusé d’accorder l’autorisation de mise sur le marché à l’« Isotrêtinome CLL Pharma » ;

Sur les conclusions à fin d’injonction

Considérant que la présente décision, qui rejette la requête de la SOCIETE CLL PHARMA, n’appelle pas de mesure d’exécution ; que les conclusions à fin d’injonction doivent, dès lors, être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à verser à la société requérante la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE CLL PHARMA est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CLL PHARMA, à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

 


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