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Jeudi 12 et vendredi 13 juin 2003

L’esprit de corps

L’Ecole doctorale en science politique de l’Université de Paris-I organise les 12 et 13 juin 2003 un colloque sur ce thème.

"Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant : Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. (.) A l’instant, au lieu de la personne particulière de chaque contractant, cet acte d’association produit un corps moral et collectif composé d’autant de membres que l’assemblée a de voix, lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté. Cette personne publique qui se forme ainsi par l’union de toutes les autres prenait autrefois le nom de Cité, et prend maintenant celui de République ou de corps politique. (.) Sitôt que cette multitude est ainsi réunie en un corps, on ne peut offenser un de ses membres sans attaquer le corps ; encore moins offenser le corps sans que les membres s’en ressentent. Ainsi le devoir et l’intérêt obligent également les deux parties contractantes à s’entraider mutuellement, et les mêmes hommes doivent chercher à réunir sous ce double rapport tous les avantages qui en dépendent". (J.-J. Rousseau, Le contrat social)

"Si depuis les origines de la cité jusqu’à l’apogée de l’Empire, depuis l’aube des sociétés chrétiennes jusqu’aux temps modernes, (les corporations) ont été nécessaires, c’est qu’elles répondent à des besoins durables et profonds. (.) Ce que nous voyons avant tout dans le groupe professionnel, c’est un pouvoir moral capable de contenir les égoïsmes individuels, d’entretenir dans le cour des travailleurs un plus vif sentiment de leur solidarité commune, d’empêcher la loi du plus fort de s’appliquer aussi brutalement aux relations industrielles et commerciales. Or il passe pour être impropre à un tel rôle. Parce qu’il est né à l’occasion d’intérêts temporels, il semble qu’il ne puisse servir qu’à des fins utilitaires, et les souvenirs laissés par les corporations de l’ancien régime ne font que confirmer cette impression. (.) Mais il n’y a pas d’institution qui à un moment donné, ne dégénère, soit qu’elle ne sache pas changer à temps, et, s’immobilise, soit qu’elle se développe dans un sens unilatéral, en outrant certaines de ses propriétés. (.) Quand des individus se trouvant avoir des intérêts communs s’associent, ce n’est pas seulement pour défendre ces intérêts, c’est pour s’associer, pour ne plus se sentir perdus au milieu d’adversaires, pour avoir le plaisir de communier, de ne faire qu’un avec plusieurs, c’est à dire en définitive, pour mener ensemble une même vie morale".(E. Durkheim, De la division du travail social)

"La notion tout à fait extraordinaire "d’esprit de corps", qui rappelle le langage mystique des canonistes (corpus corporatum incorpore corporato), désigne donc la relation subjective que, en tant que corps social incorporé dans un corps biologique, chacun des membres du corps entretient avec le corps auquel il est immédiatement et comme miraculeusement ajusté. Cet esprit de corps est la condition de la constitution du capital social, cette ressource collectivement possédée qui permet à chacun des membres d’un groupe intégré de participer au capital individuellement possédé par tous les autres." (P. Bourdieu, La Noblesse d’Etat, grandes écoles et esprit de corps)

Une interrogation sur « l’esprit de corps » à travers, en particulier, des exemples concrets des corps constitués/institués, et des corps constituants/instituants, aussi fondamentale soit-elle, semble des plus difficiles à construire. Car sont en jeu à la fois les processus d’institutionnalisation sous-jacents aux états, aux statuts, aux corps, et les modalités selon lesquelles la normativité s’inscrit dans les individus et les groupes, construisant alors des « états d’esprit ».

1. Une telle entreprise renvoie tout d’abord à une représentation du corps

Il est possible de chercher à retracer la généalogie de ces corps en tentant d’en donner une définition à partir de leur caractère (constitué/ant, institué/ant). Mais il serait aussi concevable d’en rechercher les parallèles avec une histoire du corps.

L’esprit de corps relève en effet d’un système de pensée particulier aux processus de socialisation, incitant à la connaissance des fondations de tout groupe ou regroupement par fonction, profession, communauté d’intérêts, idéologie. Ainsi, il assure d’une certaine cohérence les idées de conservation, de transmission, d’institution ; il permet l’ancrage, l’inscription, la possibilité de situer l’autre ou de se situer soi-même dans un cadre physique et matériel ; il peut encore refléter des choix, et notamment révéler l’adhésion à de grands principes constitutifs et institutifs du groupe considéré. Parfois même, l’esprit de corps renvoie à un besoin profond d’identification plus que d’identité, assurant réconfort ou bien être, traduisant un sentiment d’existence ou répondant à un impératif de reconnaissance.

En quelque sorte, il exige non l’expression d’un sentiment d’appartenance à une communauté mais plutôt la manifestation d’une reconnaissance de cette appartenance. C’est en ce sens que l’esprit de corps rejoint une forme de solidarité. Pierre Bourdieu a ainsi pu souligner que « l’amour de soi dans les autres et dans le groupe tout entier que favorise le rassemblement prolongé des semblables est le véritable fondement de ce que l’on appelle "l’esprit de corps" ».

Il semble alors que l’esprit de corps s’exprime entre autres par des composantes intrinsèques qui se révèlent au travers de tout un cérémonial, des formes, des signes, des gestes, des postures, des positions qui se conforment à des rituels et se soumettent à toute une théâtralité. Cet ensemble renvoie à une représentation du corps qui assure le respect de ce dernier, tant par ceux qui évoluent en son sein que par ceux qui lui sont extérieurs : les insignes, les costumes, les uniformes en sont des illustrations essentielles. Quant aux effets produits, effets surtout formels, goût de la grandeur, de la pompe, de la grandiloquence, des formalités, souvent décrits comme des détails superflus ou insignifiants, ils pourraient bien en être des éléments nécessaires.

Mais l’esprit de corps provoque aussi des fonctionnements profondément paradoxaux au sein de ces groupes dont les contours peuvent ou non être délimités par des règles juridiques. Il peut conduire à des errements, être à la source de comportements d’exclusion au vu d’une conception donnée de la conformité corporatiste, il peut ainsi devenir le lieu d’un dévoiement de tout sentiment d’identité professionnelle ou sociale et d’appartenance à une élite politique, sociale ou administrative. Il peut encore permettre, abriter et encourager le conformisme, le corporatisme, le formalisme. De telles attitudes sont les facteurs révélateurs des craintes et des appréhensions des membres d’un corps, devant les affres d’un sentiment d’inexistence. Le repli du corps sur lui-même, sa réticence à tout échange, voudraient combler les tourments de chacun et contourner les risques de l’absence de pensée, du refus de la remise en cause et de l’interaction sociale.

2. L’esprit de corps incite à reposer la question des fondements des institutions et de l’espace public

Dans quels corps se développe cette notion d’esprit de corps ? Bureaucraties, technocraties, ordres professionnels, mais aussi entreprises privées (culture d’entreprise, paternalisme) ? N’est-il pas nécessaire de le distinguer par rapport aux notions de solidarités sociales, de communautés culturelles et de corporatismes, de le détacher des manifestations de solidarité, des fonctions de la fraternité, de le séparer des engagements idéologiques et d’autres modes de régulation des conduites ?

L’esprit de corps structure-t-il - en la délimitant - la sphère spécifique d’interactions professionnelles ? Révèle-t-il des formes d’appartenance ou des modes de sélection des impétrants selon des critères donnés au préalable ? L’appartenance au corps signifie-t-elle nécessairement l’éclosion de sentiments d’exclusion et d’inclusion à encourager ? L’esprit de corps est-il lié à certains types de pratiques, à certaines valeurs d’où naîtrait l’étroitesse d’esprit ? Traduit-il profondément le besoin d’institution, et fournit-il le moyen de contourner les institutions « officielles » en adoptant d’autres logiques ?

Selon les moments, les lieux, les périodes, les cultures, les régimes, les systèmes, l’esprit de corps est-il différent ? Comment évolue-t-il ? Quelles sont ses caractéristiques ? Diffèrent-elles selon les institutions, les fonctions, les professions ? Pour quelles raisons l’esprit de corps ne serait-il pas éphémère ou, à tout le moins, ponctuel, n’étant revitalisé qu’à certaines occasions ou dans certaines circonstances ? Enfin, pourquoi toute institution au sens formel ne développe-t-elle pas un esprit de corps ? « On ne peut pas dire d’un groupe qu’il a un "comportement" - encore moins une pensée ou un sentiment - simplement parce qu’il est légalement constitué. » (Mary Douglas).

Faut-il dès lors tenter de penser l’esprit de corps avant tout en termes d’institution matérielle, tangible corporelle, comme quelque chose qui, sans préexister au corps lui-même, serait ineffable, indicible et secret ? L’esprit de corps est-il indissociable de sentiments ? Ou bien, en ce que justement il se concentre sur le corps, sur le groupe considéré, indépendamment même de ses membres, ne faudrait-il pas considérer que les sentiments, ou leur prise en compte, dévoieraient, détruiraient l’esprit de corps ? Fait-il appel à des ressorts psychologiques reposant sur la communion (Gurvitch ; Hauriou ; Renard), ou même mystiques (Cassien décrivant le monachisme des Pères de l’Eglise, P. Legendre étudiant l’adoration des institutions) ?

Enfin, l’esprit de corps peut-il être considéré comme intrinsèquement négatif en tant que porteur de menaces diverses d’opacité, de négation du pouvoir démocratique, de corruption ? Dans une société et un État décrits en termes de fracture, le discours politique invite à une réduction volontaire des formes, censée encourager l’égalité, la simplicité, la modestie démocratiques. À l’inverse, certains corps (Conseil d’État, Ponts et Chaussées) se renforcent en perpétuant des formes très subtiles de police des comportements. En quelle mesure la persistance de certaines formes est-elle liée à la reproduction des corps, à la taille et à l’influence fonctionnelle de ceux-ci ?

Ces questions montrent à quel point il est désormais crucial d’analyser les fondements, les effets, les formes de dévoiement de cet esprit de corps dans les sociétés contemporaines. La prise en compte d’éléments non rationnels (sentiments, communion, mysticisme) dans le fonctionnement des institutions pourrait mettre en cause, à terme, la notion même d’institution, et traduire la suprématie nouvelle de formes extrêmes d’individualisme et d’individualisation dans les processus et les objectifs de toute institutionnalisation. Des tendances inédites et récentes pourraient ainsi être mises à jour dans l’espace public.

Programme :

Jeudi 12 juin - (Centre Panthéon, Salle 2, 1er étage)

09h30 - Ouverture du colloque par Lucien SFEZ, Directeur de l’Ecole doctorale de Science politique - Université de Paris-I

10h00 - 13h00 : Généalogie des corps sous la présidence de Marc-Olivier BARUCH (Historien - IHTP)

La métaphore comme source de questions fondamentales par Pierre ANSART, Professeur émérite de Sociologie - Paris-VII

Le Corps préfectoral et son esprit, par Vida AZIMI, Directrice de recherches CNRS - CERSA Paris-II

La naissance des technocrates, par Olivier DARD, Maître de conférences en Histoire - Université de Paris-X

14h30 - 18h00 : Les corps entre processus démocratiques et besoin d’appartenance sous la présidence de Benoît FRYDMAN (Directeur du Centre de philosophie du droit - Université libre de Bruxelles)

Croyance et mécanismes de défense dans les communautés, par Eugène ENRIQUEZ, Professeur émérite de Sociologie - Université de Paris-VII

Avant l’esprit de corps : les prédispositions, par Michel MIAILLE, Professeur de Science politique, Université de Montpellier-I

Sentiment moral et dimensions de la désobéissance, par Paul ZAWADSKI, Maître de conférences en science politique - Université de Paris-I

Conclusion de la journée par Jacques CHEVALLIER, Professeur de droit public à l’université de Paris-II

Vendredi 13 juin - (Présidence, Salle 1)

09h00 - 12h30 : Les corps entre institution et sentiment sous la présidence de Eugène ENRIQUEZ (Professeur émérite de ociologie - Université de Paris-VII)

La société fait-elle corps ? « Corps social », « corps intermédiaires » et conceptions « désincarnées » de la société par Benoit FRYDMAN et Thomas BERNS, Centre de philosophie du droit, Université libre de Bruxelles

Modèles de comportement et types d’aspirations dans les mouvements de jeunesse en Allemagne (1918-1933), par Claudine HAROCHE, Directeur de recherches CNRS

Penser l’esprit de corps : l’actualité de l’anthropologie politique des corps et des esprits chez Alexis de Tocqueville par Yves DÉLOYE, Professeur de Science politique - Université de Strasbourg, IUF

14h00 - 17h30 : Survie des corps : Symboles, désinstitutionalisation et réinstitutionalisation sous la présidence de Geneviève KOUBI (Professeur de droit public - Université de Cergy-Pontoise et CNRS)

Réflexions sur l’Esprit de corps dans la fonction publique, par Marie-Christine KESSLER, Directrice de recherches CNRS

Corps, costume, coutume, par Gilles J. GUGLIELMI, Professeur de Droit public - Université de Paris-X Nanterre

Le corps et l’esprit gendarmiques, par François DIEU, Maître de conférences en Science politique - IEP de Toulouse

Conclusion de la journée par Gilles J. GUGLIELMI (Professeur de droit public - Université de Paris-X)

18h00 : Cocktail à l’appartement décanal

Renseignements et inscriptions :

Claudine HAROCHE
Directeur de recherches au CNRS
Mél : clharoche@aol.com

Gilles J. GUGLIELMI
Professeur à l’université de Paris-X Nanterre
co-directeur du CER:FDP
Mél : gil.gugli@wanadoo.fr

 


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