COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON
N° 02LY00356
Commune d’Annecy
M. CHABANOL
Président
M. CLOT
Rapporteur
M. BONNET
Commissaire du gouvernement
Séance du 29 mai 2002
Lecture du 30 mai 2002
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS,
LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON
(Formation plénière),
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 21 février 2002, présentée pour la commune d’Annecy, représentée par son maire en exercice, par Me Seban, avocat au barreau de Paris ;
La commune d’Annecy demande à la Cour :
1°) d’annuler l’ordonnance n° 0104260 du juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble du 31 janvier 2002 rejetant Sa demande de condamnation de l’Etat à lui payer, à titre de provision, une somme de 8 018 428 francs.
2°) de condamner l’Etat à lui payer une somme totale de 1 222 401,47 euros, soit :
85 286,08 euros au titre de la dotation compensatrice des réductions de taxe professionnelle pour embauche et investissements, prévues à l’article 1469 A bis du code général des impôts, correspondant aux rôles supplémentaires des années 1988 à 2000,
921 943,06 euros au titre de la dotation compensatrice de l’abattement de 16% sur les bases de taxe professionnelle, prévu à l’article 1472 A bis du même code, correspondant aux rôles supplémentaires des années 1987 à 2000,
215 171,73 euros au titre de la dotation compensatrice de la réfaction de la
fraction des salaires imposable à la taxe professionnelle, prévue par l’article 13 de la loi
n° 82-540 du 28 juin 1982, correspondant aux rôles supplémentaires des années 1983 à
2000,
3°) de condamner l’Etat à Lui payer une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
l’ordonnance attaquée a été rendue en méconnaissance du principe du contradictoire, dès lors qu’elle n’a pas disposé d’un délai suffisant pour répliquer au mémoire en réponse présenté par l’Etat, qui lui a été communiqué par courrier du 28 janvier 2002.
l’article 19 de la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 portant loi de finances pour 2002 ne pouvait lui être opposé, dès lors que ce texte comporte un effet rétroactif incompatible avec les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et méconnaît l’article 1er du premier protocole additionnel a cette convention.
ce même article 19 ne vise pas la dotation compensatrice de la réfaction de la fraction des salaires imposable à la taxe professionnelle, prévue par l’article 13 de la loi n° 82-540 du 28juin 1982.
la créance dont elle se prévaut a, pour l’Etat, le caractère d’une obligation non sérieusement contestable ;
Vu l’ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2002, présenté par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
l’adoption de l’article 19 de la loi du 28 décembre 2001 portant loi de finances pour 2002 répond à des motifs d’intérêt général, eu égard aux difficultés matérielles que représentait, pour l’administration, la détermination des sommes revenant àcertaines collectivités territoriales, ainsi qu’à l’existence de risques de disparités de traitement de celles-ci et d’entrave au bon fonctionnement de l’administration fiscale et de la juridiction administrative.
l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne saurait être invoqué en matière fiscale,
l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention n’exclut pas que l’intervention de la puissance publique puisse porter atteinte au droit de propriété dans l’intérêt général,
il résulte de l’article 19 de la loi du 28 décembre 2001 que les dotations de compensation versées à la commune ont été régulièrement calculées sur la base des rôles généraux de taxe professionnelle ; en conséquence, la requête, qui tend au versement de dotations complémentaires, y compris, depuis 1983, au titre des dispositions de l’article 13 de la loi du 28 juin 1982, est devenue sans objet,
en tout état de cause, il ne pourrait être fait droit aux conclusions de la requête que dans les limites de la prescription quadriennale. soit à l’exclusion des années 1983 à 1996 ;
Vu l’ordonnance du président de la 2ème chambre de la Cour du 21 mars 2002, fixant au 15 avril 2002 la date de clôture de l’instruction ;
Vu les lettres du 30 avril 2002 informant les parties. en application de l’article R. 611-7 du code dejustice administrative, de ce que la Cour est susceptible de soulever d’office le moyen tiré de ce que, en raison de l’intervention de la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001, le litige est devenu sans objet et qu’en conséquence. la requête de la commune d’Annecy est irrecevable :
Vu le mémoire, enregistré le 25 mai 2002, présenté pour la commune d’Annecy qui conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;
Elle soutient en outre que
l’article l9 de la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 n’a pas rendu sans objet sa requête. dès lors que l’article 19 de ce texte ne repose sur aucun motif d’intérêt général au regard de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. qu’elle peut invoquer dans le présent litige, qui n’est pas de nature fiscale.
les dispositions de l’article 19 de cette loi sont sans incidence sur son droit au paiement d’une somme de 215 171.73 curos au titre de la dotation compensatrice de la réfaction de la fraction des salaires imposable à la taxe professionnelle, prévue par l’article 13 de la loi du 28 juin 1982 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu l’article 13 de la loi n° 82-540 du 28juin 1982 portant loi de finances rectificative pour 1982
Vu larticle 6 de la loi n° 86-1317 du 30 décembre 1986 portant loi de finances pour 1987, ensemble l’article 46 de la loi n° 91-1322 du 30 décembre 1991 portant loi de finances pour 1992 ;
Vu l’article 19 de la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 portant loi de finances pour 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu l’ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs, ensemble le décret n° 2001-373 du 27 avril 2001 ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 29 mai 2002 :
le rapport de M. CLOT, premier conseiller ;
les observations de Me BAUDENEAU, substituant Me SEBAN, avocat de la commune d’Annecy ;
et les conclusions de M. BONNET, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que par lettres des 6 mars et 2 juillet 2001, la commune d’Annecy a demandé au directeur des services fiscaux de la Haute-Savoie que les dotations compensatrices qui lui ont été versées à raison de la diminution, prévue par l’article 13 de la loi du 28juin 1982, de la fraction des salaires prise en compte dans les bases de la taxe professionnelle, de la diminution de 16 % des bases de cette taxe et des réductions de ces bases pour embauche ou investissement, prévues par l’article 6 de la loi du 30 décembre 1986, soient recalculées de façon à tenir compte des bases d’imposition figurant dans les rôles supplémentaires, et non dans les seuls rôles primitifs que ladite commune a demandé au Tribunal administratif de Grenoble, le 26 novembre 2001, la condamnation de l’Etat à lui payer une provision correspondant aux compléments de ces dotations ainsi recalculées que la requête susvisée est dirigée contre l’ordonnance du 31 janvier 2002 du juge des référés du Tribunal administratif rejetant cette demande ;
Considérant que l’article 13 de la loi du 28 juin 1982, d’une part, l’article 6 de la loi du 30 décembre 1986 modifié par la loi du 31 décembre 1991, d’autre part, ont institué une dotation au bénéfice des collectivités locales ou de leurs groupements dotés d’une fiscalité propre, pour compenser des pertes de recettes résultant de réductions des bases d’imposition à la taxe professionnelle prévues par ces mêmes textes :
Considérant qu’il résulte des termes mêmes du II de l’article 13 de la loi du 28 juin 1982, ainsi que du IV et du IV bis de l’article 6 de la loi du 30 décembre 1986, dont les dispositions ne limitaient pas la dotation qu’ils instituaient à la seule compensation des réductions des bases comprises dans les rôles primitifs de la taxe professionnelle, que la dotation compensatrice au titre d’une année devait être calculée en fonction de la totalité des bases de taxe professionnelle retenues dans les rôles de la commune au titre de cette année, qu’il s’agisse des rôles primitifs ou des rôles supplémentaires ; qu’ainsi, en ne prenant en considération, pour le calcul de la compensation due à la commune d’Annecy, que les bases comprises dans les rôles primitifs de la taxe professionnelle, l’administration fiscale a méconnu la portée des lois
susmentionnées ;
Mais considérant qu’aux ternies de l’article 19 de la loi du 28 décembre 2001 susvisée, portant loi de finances pour 2002 : “IV - Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les dotations versées en application du troisième alinéa du IV et du IV bis”de l’article 6 de la loi du 30 décembre 1986, "sont réputées régulières en tant que leur légalité serait contestée sur le fondement de l’absence de prise en compte des pertes de recettes comprises dans les rôles supplémentaires” : que ces dispositions ont ainsi pour effet de valider les dotations versées, jusqu’au titre de l’année 2001, aux collectivités territoriales et à leurs groupements dotés d’une fiscalité propre, qui avaient été irrégulièrement calculées sur les seules bases de taxe professionnelle comprises dans les rôles primitifs ; qu’eu égard à la mention. que comporte le IV de l’article 6 de la loi du 30 décembre 1986, de l’article 13 de la loi du 28 juin 1982, cette validation s’étend également à la compensation prévue par ce demier texte ;
Considérant, il est vrai, que la commune d’Annecy soutient que les dispositions précitées du IV de l’article 19 de la loi du 28 décembre 2001 ne sont compatibles ni avec les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni avec celles de l’article 1er du premier protocole additionnel à ladite convention lequel doit, en vertu de l’article 5 du même protocole, être regardé comme un article additionnel à cette convention ;
Considérant cependant qu’aux termes de l’article 1er de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : "Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente convention" , que la notion de Hautes Parties contractantes doit s’apprécier indépendamment des modalités d’organisation de chacun des Etats signataires de ladite convention ; que doivent notamment être regardées comme des Hautes Parties contractantes au sens de ces stipulations les personnes morales de droit public, autres que l’Etat, investies de prérogatives de puissance publique, et en particulier les communes ; que ces personnes ne peuvent revendiquer contre une autre partie contractante le bénéfice des droits et libertés que les stipulations précitées obligent les parties contractantes à reconnaître aux personnes relevant de leur juridiction ; que, dés lors, le moyen tiré, par la commune à l’encontre de l’Etat, de l’incompatibilité des dispositions précitées du IV de l’article 19 de la loi du 28 décembre 2001 avec les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du premier protocole additionnel à celle-ci est inopérant ;
Considérant qu’il suit de là que le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie est fondé à se prévaloir de la mise en oeuvre des dispositions précitées de l’article 19 de la loi du 28 décembre 2001, lesquelles rendent sans objet les conclusions de la requête susvisée tendant à l’annulation de l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble et à la condamnation de l’Etat au paiement d’une provision correspondant aux dotations complémentaires qui étaient dues à la commune d’Annecy jusqu’à l’entrée en vigueur de cette loi ; qu’il résulte de ce qui précède que ladite requête, introduite postérieurement à la publication de la loi du 28 décembre 2001, est irrecevable ;
Sur les conclusions relatives aux frais exposés par la commune d’Annecy à l’occasion du litige et non compris dans les dépens :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-I du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la commune d’Annecy quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens :
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune d’Annecy est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d’Annecy et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
Délibéré à l’issue de l’audience du 29 mai 2002.