format pour impression(IMPRESSION)

A LIRE EGALEMENT :
La responsabilité de l’Etat en droit aérien : L’exemple de la France et de l’Allemagne
Dossier documentaire relatif au projet de réforme de la procédure juridictionnelle applicable aux arrêtés ministériels d’expulsion des étrangers
Le principe de précaution, outil effectif du processus de décision publique
Réforme des retraites et rétroactivité : les limites d’une effraction législative
Commentaire de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris, 8 novembre 2002, n° 99PA03962, Le Provost
Les chambres mortuaires à l’épreuve de la canicule
Essai sur les préceptes de la fonction juridictionnelle
La police du cinéma : de la protection des mineurs au rejet de l’ordre moral
L’exercice d’activités privées lucratives par les agents à temps non complet
Le retour du 49.3

THEMES ABORDES :
Les nouvelles règles de compétence juridictionnelle
Conseil d’Etat, Avis, 30 juin 2004, n° 267005, Communauté urbaine de Lille et M. V.
Conseil d’Etat, 16 juin 2004, n° 262070, Jean D.
Conseil d’Etat, 16 juin 2004, n° 266378, Société Sumo
Conseil d’Etat, 16 juin 2004, n° 265711, Monique B.
Conseil d’Etat, 16 juin 2004, n° 265915, Claude B.
Conseil d’Etat, 16 juin 2004, n° 265425, Marcel J.
Conseil d’Etat, 16 juin 2004, n° 265634, Muriel Le G.
Conseil d’Etat, 16 juin 2004, n° 263399, Bernard H.



La limitation de l’appel pour les litiges de faible importance

Par Emilie Royal
Auditeur de justice, Diplômée de l’IEP de Paris

Commentaire de l’arrêt du Conseil d’Etat, 17 décembre 2003, Meyet et autres, n° 258253 : « si, lorsqu’un texte ouvre la voie de l’appel à l’encontre d’un jugement, la règle du double degré de juridiction s’impose aussi bien aux justiciables qu’aux juges eux-mêmes, cette règle ne constitue pas un principe général du droit qui interdirait au pouvoir réglementaire de prévoir, dans l’exercice de sa compétence, des cas dans lesquels les jugements sont rendus en premier et dernier ressort »

Télécharger l’article au format PDF

« Il y a loin du râle, du grognement, de la protestation, du sentiment profond d’injustice à l’envoi d’une requête », écrit Bruno Latour dans son ethnographie du Conseil d’Etat [1]. On ne saurait cependant affirmer sérieusement que les hésitations du justiciables seraient justifiées par une complexité excessive des procédures devant la juridiction administrative.

La dispense du ministère d’avocat dans l’exercice du recours pour excès de pouvoir, la suppression du droit de timbre [2], le caractère inquisitoire de la procédure, font toujours du recours pour excès de pouvoir « l’arme la plus efficace, la plus économique et la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés publiques », selon la phrase célèbre de Gaston Jèze.

Pourtant, le décret n°2003-543 du 24 juin 2003 [3] était venu apporter des limites notables à cette simplicité de la procédure ; en supprimant la possibilité d’appel dans de nombreux litiges et en généralisant l’obligation de recourir à un avocat, il semblait que la procédure administrative perdait certaines de ses particularités les plus appréciables.

Le décret du 24 juin 2003 constitue en effet le second élément de la politique de réduction des délais de jugement devant la juridiction administrative, qui vise à faire passer les délais de jugement devant les cours administratives d’appel (CAA) de 3 ans en moyenne actuellement à un an dès 2005. Les président des CAA et le vice-président du Conseil d’Etat ont d’ailleurs signé le 9 décembre 2002 des « contrats d’objectif » à cet effet.

La première mesure est d’abord l’augmentation des moyens humains et financiers mis à disposition des juridictions administratives : création d’une nouvelle cour administrative d’appel (Versailles), augmentation de 60% du nombre de magistrats par la pérennisation jusqu’en 2007 du concours exceptionnel de recrutement de conseiller de tribunal administratif, recrutement d’assistants de justice.

Le second type de mesure, qui trouve son aboutissement dans le décret contesté, est la réforme annoncée de la procédure administrative : la loi d’orientation et de programmation pour la justice [4] prévoit en effet qu’au delà des mesures budgétaires annoncées, « d’autres réformes devront être mises en œuvre pour améliorer l’efficacité de la procédure administrative, et, en particulier, pour lutter contre l’encombrement des cours administratives d’appel ».

Aussi, le décret du 24 juin 2003 supprime l’appel pour les litiges de faible importance, c’est à dire les litiges qui sont de la compétence du juge unique (article R. 222-13 du Code de justice administrative (CJA)) depuis la loi du 8 février 1995 [5].

Par ailleurs, le recours à un avocat est devenu, en application de ce décret, obligatoire depuis le 1er septembre 2003 devant les CAA, sauf pour le contentieux de l’excès de pouvoir soumis par les agents publics, les demandes d’exécution des décisions de justice ainsi que les contraventions de grande voirie.

Le juge n’a pas manqué de faire preuve d’une certaine nostalgie devant la fin de cet âge d’or du recours pour excès de pouvoir : ainsi, Sophie Boissard, maître des requêtes au Conseil d’Etat, souligne-t-elle que « la juridiction administrative rompt symboliquement avec la tradition d’ouverture et de proximité qui la caractérisait jusqu’ici et sacrifie à son tour à un certain réalisme dans la gestion des flux contentieux » [6]. De même, Mme Roul, commissaire du gouvernement dans l’affaire en question, indique au terme de ses conclusions qu’elle comprend les regrets devant la naissance d’un juge d’appel « moins accessible ». Il n’était donc pas surprenant que la légalité de ce décret soit contestée devant le Conseil d’Etat.

Cependant, dans son arrêt en date du 17 décembre 2003, M. Meyet et autres, le Conseil d’Etat valide les dispositions contestées en rappelant par la même les principes essentiels de la procédure administrative, qu’il s’agisse de la question du droit à l’appel ou de l’obligation du ministère d’avocat devant le juge administratif

I.- Des possibilités d’appel limitées

Les requérants faisaient valoir plusieurs moyens à l’encontre de la limitation des possibilités d’appel : le droit à un double degré de juridiction, l’incompétence du pouvoir réglementaire pour limiter les possibilités d’appel, l’erreur manifeste d’appréciation devant les seuils choisis.

A.- La compétence du pouvoir réglementaire

Le droit d’appel peut-il être limité par un autre texte que la loi ? La réponse est évidente, à la lecture de l’article 34 de la Constitution : seule la procédure pénale ressort du domaine de la loi.

Quant à la procédure administrative, elle relève, tout comme la procédure civile, du pouvoir réglementaire, sauf à que ce dernier remette en cause les règles ou principes fondamentaux placés par la Constitution dans le domaine de la loi.

On pourra donc regretter la moindre protection offerte aux justiciables, qui peuvent se voir privés du droit d’appel par un simple décret. On notera également que dans le passé, c’est bien la loi qui avait attribué au tribunal administratif la qualité de juge en dernier ressort pour un certain nombre de contentieux : contentieux de l’article L 280 du livre des procédures fiscales, des décisions de refus par le ministre de la Défense des demandes d’obtention du statut d’objecteur de conscience [7], ou encore pour les recours formés par les candidats aux élections cantonales et municipales contre les refus d’enregistrement de leur déclaration de candidature [8]. Ces matières relèvent certes du domaine des libertés publiques, mais il en va de même de l’accès aux documents administratifs, depuis l’arrêt Ullmann [9] du Conseil d’Etat : or, l’article 11 du décret du 24 juin 2003 fait également du tribunal administratif le juge en dernier ressort en matière de communication des documents administratifs.

Le Conseil d’Etat rejette donc fort logiquement le moyen d’incompétence soulevé par les requérants.

B.- L’absence de droit à un double degré de juridiction et la question de la fixation du seuil d’appel

C’est fort logiquement que le Conseil d’Etat rejette le moyen pris de la violation du droit à un double degré de juridiction, que les requérants déduisaient notamment des articles 6§1 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH). En effet, le Conseil constitutionnel a indiqué de longue date [10] que l’existence d’un double degré de juridiction ne constitue pas un principe général du droit, ni un élément du droit au recours garanti par l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen [11].

Certains requérants croyaient pouvoir déduire de la lettre de l’article L 211-2 du Code de justice administrative que les cours administratives d’appel devaient connaître de l’ensemble des jugements rendus par les tribunaux administratifs. Certes, la formulation de l’article, pour peu que l’on en fasse une interprétation très littérale, pouvait le laisser croire [12], mais telle n’était évidemment pas l’intention du législateur.

Néanmoins, le commissaire du gouvernement indiquait que même en matière pénale, les stipulations de l’article 6§1 de la CESDH n’imposent pas l’institution d’un deuxième degré de juridiction, s’appuyant sur l’arrêt Delcourt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) [13]. Soulignons cependant que le protocole additionnel n°7, non cité par Mme ROUL dans ses conclusions, prévoit l’obligation d’une possibilité d’appel des décisions rendues en matière pénale [14].

« Dernière cartouche » des requérants, la question des seuils retenus pour le droit d’appel fait également long feu. Le décret du 24 juin 2003, qui s’appuie, comme on l’a vu, sur les dispositions de l’article R. 222-13 du Code de justice administrative, prévoit que les actions indemnitaires d’un montant inférieur à 8000 euros ne sont pas susceptibles d’appel.

Les requérants n’avaient pas manqué d’établir une comparaison avec la justice civile, devant laquelle l’appel est ouvert dès 3800 euros pour les litiges soumis au tribunal d’instance, et dès 3720 euros (taux révisé annuellement) devant le conseil de prud’hommes.

Comme le souligne Mme Roul, le taux choisi est incontestablement cohérent et plus lisible du point de vue de la justice administrative, puisqu’il est identique à celui retenu pour la compétence du juge unique dans certains contentieux. Pour autant, le choix d’un taux de ressort identique en matière civile et administrative n’aurait pas manqué non plus de lisibilité et de cohérence.

Le juge écarte cependant les moyens présentés par les requérants, en évoquant les « différences existant entre le contentieux administratif et judiciaire » pour justifier un taux de ressort plus élevé de la cour administrative d’appel. Il est vrai qu’à peine 10% des actions en indemnisation portées devant le juge administratif seront concernées par la suppression de l’appel.

II.- La généralisation de l’obligation du ministère d’avocat

L’obligation de se faire représenter par un avocat souffrait traditionnellement de nombreuses dérogations devant les tribunaux administratifs : outre le recours pour excès de pouvoir et les contraventions de grande voirie, seuls des « fragments de plein contentieux » étaient soumis à cette obligation.

Pourtant, la juridiction administrative n’a cessé de rappeler que le principe demeure celui de l’obligation du ministère d’avocat.

A.- Le principe : l’obligation du ministère d’avocat

Un recours n’est en principe recevable que s’il est exercé par le ministère d’un avocat ; le fait que les dérogations soient particulièrement larges dans les procédures administratives ne doit pas faire oublier ce caractère obligatoire de la représentation.

En l’espèce, les requérants demandaient l’annulation de l’article 10 du décret sur la base de l’article 1er du protocole additionnel à la CESDH. L’invocation de la CESDH à l’encontre de dispositions prévoyant l’obligation du ministère d’avocat est courante, mais vouée à l’échec : le Conseil rappelle régulièrement que le droit de se défendre soi-même n’est reconnu au justiciable que lorsque le procès porte sur une accusation pénale [15]. En matière administrative, le Conseil d’Etat a déjà indiqué que n’étaient pas contraires aux articles 6 alinéa 1er et 14 de la CESDH, les dispositions prévoyant l’obligation du ministère d’avocat devant le Conseil d’Etat [16] et les cours administratives d’appel [17]. Ce dernier arrêt avait déjà admis que l’Etat, compte tenu de son caractère de défendeur à l’instance et de la présence de services spécialisés dans le contentieux en son sein, pouvait sans méconnaître le principe d’égalité, être dispensé du ministère d’avocat.

L’existence d’un système d’aide juridictionnelle ne permet enfin pas de contester l’obligation du recours à un avocat sur la base d’une rupture d’égalité entre les justiciables ou de la privation du droit à un recours effectif : c’est le sens du célèbre arrêt « Airey » de la Cour européenne des droits de l’homme [18], que rappelle le commissaire du gouvernement.

B.- Le cas particulier des appels formés par les agents publics contre les jugements relatifs à leur situation personnelle

Restait un point sur lequel le Conseil d’Etat n’avait pas été amené à se prononcer dans le passé : la dispense du ministère d’avocat dans le cadre des appels des jugements statuant sur des recours pour excès de pouvoir dirigés contre les actes relatifs à la situation personnelle des agents publics et des agents de la Banque de France. Loin de créer une rupture d’égalité devant la justice, comme le prétendaient certaines requérants, cette disposition crée au contraire une situation de stricte égalité entre les salariés de droit public et les salariés de droit privé ; en effet, ces derniers sont déjà dispensés du ministère d’avocat dans les litiges avec leur employeur, tant devant le conseil de prud’hommes (article R 517-3 du Code du travail) que devant la cour d’appel (article R 517-9). Le Conseil d’Etat, suivant les conclusions du commissaire du gouvernement, rejette ce moyen.

Dans ses conclusions, Mme ROUL souligne les « contreparties regrettables » d’une réforme cependant nécessaire. En validant dans des délais brefs les dispositions du décret n° 2003-543, le Conseil d’Etat permet de tourner la page d’une justice certes plus accessible, mais dont les délais de jugement risquaient de porter atteinte au droit à un jugement dans un délai raisonnable. En ce sens, il n’est finalement pas certain que la réforme de la procédure administrative soit préjudiciable au justiciable.


Conseil d’Etat, 17 décembre 2003, n° 258253, MM. Meyet et autres

(…)

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées aux requêtes par le ministre de la justice ;

Sur la légalité externe :

Considérant que, si l’article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer les règles concernant : - les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; (...) - l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; (...) - les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’Etat, les dispositions de la procédure applicable devant les juridictions administratives relèvent de la compétence réglementaire, dès lors qu’elles ne mettent en cause aucune des matières réservées au législateur par l’article 34 de la Constitution ou d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ;

Considérant qu’il suit de là que le Premier ministre était compétent pour fixer, par l’article 10 du décret attaqué, les cas dans lesquels le ministère d’avocat est obligatoire dans les instances portées devant une cour administrative d’appel ainsi que, par l’article 11, les cas dans lesquels le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort ; qu’ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que lesdites dispositions seraient entachées d’incompétence ;

Considérant que, si le VI de l’article 10 du décret attaqué abroge l’article R.* 200-17 du livre des procédures fiscales, qui permettait aux contribuables de se faire représenter devant les cours administratives d’appel par un autre mandataire qu’un avocat, une telle disposition n’implique l’intervention d’aucune mesure d’application prise par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ; que le moyen tiré de ce que ce ministre aurait dû contresigner le décret ne peut donc être écarté ;

Sur la légalité interne du décret attaqué :

En ce qui concerne l’article 10 :

Considérant, d’une part, que les dispositions contestées qui, sous réserve de cas de dispense, rendent obligatoire le ministère d’avocat devant les cours administratives d’appel ont pour objet tant d’assurer aux justiciables la qualité de leur défense que de concourir à une bonne administration de la justice, en imposant le recours à des professionnels du droit ; qu’eu égard à l’existence d’un dispositif d’aide juridictionnelle, l’obligation nouvelle du ministère d’avocat ne saurait être regardée comme portant atteinte, ni au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et rappelé par les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que par l’article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni au droit au recours pour excès de pouvoir ; que les requérants ne peuvent utilement invoquer les stipulations de l’article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen ;

Considérant que la circonstance que l’Etat est dispensé du ministère d’avocat devant les juridictions administratives, n’est contraire ni au principe d’égalité devant la loi, ni au principe d’égalité devant la justice, dès lors que, tant en raison de sa position de défendeur dans les instances où il est mis en cause que du fait qu’il dispose de services juridiques spécialisés, l’Etat se trouve dans une situation différente de celle des autres justiciables ;

Considérant que les dispositions attaquées qui dispensent du ministère d’avocat les requêtes dirigées contre les décisions des tribunaux administratifs statuant sur les recours pour excès de pouvoir formés par les fonctionnaires ou agents de l’Etat et des autres personnes ou collectivités publiques ainsi que par les agents ou employés de la Banque de France, contre les actes relatifs à leur situation personnelle, ne portent pas atteinte au principe d’égalité devant la justice, dès lors que les agents ainsi visés se trouvent, lorsqu’ils contestent un acte relatif à leur situation individuelle pris par la personne qui les emploie, dans une situation différente de celle des autres catégories d’usagers du service public de la justice ;

En ce qui concerne l’article 11 :

Considérant qu’en prévoyant par les dispositions attaquées les cas dans lesquels il est statué par le tribunal administratif en premier et dernier ressort, sous le contrôle du juge de cassation, les auteurs du décret attaqué, d’une part, n’ont porté atteinte, ni au droit d’exercer un recours effectif protégé par la Constitution et rappelé par les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni à l’exercice individuel ou collectif des droits et libertés mentionné au préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958 et, d’autre part, n’ont méconnu ni les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni celles de l’article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Considérant que les requérants ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance des articles L. 211-1 et L. 311-1 du code de justice administrative, qui ne traitent pas de l’appel ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 211-2 du code de justice administrative : Les cours administratives d’appel connaissent des jugements rendus en premier ressort par les tribunaux administratifs, sous réserve des compétences attribuées au Conseil d’Etat en qualité de juge d’appel et de celles définies aux articles L. 552-1 et L. 552-2 ; que l’article L. 811-1 prévoit que dans le cas où un jugement rendu en premier ressort est susceptible d’appel, celui-ci est porté devant la juridiction d’appel compétente en vertu des dispositions du livre III ; que si ces dispositions législatives désignent les cours administratives d’appel comme étant en principe compétentes pour statuer sur les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs, il résulte des termes précités de l’article L. 811-1 qu’elles n’ont pas pour effet de rendre possible l’appel dans tous les cas où est rendu un jugement par un tribunal administratif ; qu’ainsi les auteurs du décret attaqué ont pu, sans méconnaître ces dispositions, prévoir que, pour certaines catégories de litiges d’importance limitée, les tribunaux administratifs statueraient en premier et dernier ressort ;

Considérant que si, lorsqu’un texte ouvre la voie de l’appel à l’encontre d’un jugement, la règle du double degré de juridiction s’impose aussi bien aux justiciables qu’aux juges eux-mêmes, cette règle ne constitue pas un principe général du droit qui interdirait au pouvoir réglementaire de prévoir, dans l’exercice de sa compétence, des cas dans lesquels les jugements sont rendus en premier et dernier ressort ;

Considérant que les dispositions attaquées ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la justice, dès lors que les justiciables se trouvant dans une même situation bénéficient, pour une même catégorie de litiges, de la même procédure ;

Considérant qu’eu égard à l’objectif d’amélioration du fonctionnement de la justice administrative et aux différences existant entre les contentieux administratif et judiciaire, les auteurs du décret attaqué, en prévoyant que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort dans les litiges énumérés aux 1° et aux 4° à 9° de l’article R. 222-13 du code de justice administrative et en fixant au montant de 8 000 euros, déjà déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 du même code, le seuil en dessous duquel les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort, s’agissant des litiges visés aux 2° et 3° de l’article R. 222-13, n’ont pas entaché ces dispositions d’une erreur manifeste d’appréciation ;

Considérant, enfin, que si les requérants invoquent une violation du principe d’égalité des armes ou du principe de confiance légitime, ces moyens ne sont pas assortis de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé ;

En ce qui concerne les articles 12 et 13 :

Considérant qu’en prévoyant que les requêtes à fin de sursis d’un jugement rendu par un tribunal administratif et d’une décision rendue en dernier ressort et faisant l’objet d’un pourvoi en cassation doivent être présentées par requête distincte à laquelle doivent être joints la requête d’appel ou le pourvoi principal, les auteurs du décret ont instauré une règle de procédure visant à une bonne administration de la justice qui ne contrevient ni aux stipulations des articles 6 et 14 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni à une disposition législative, ou à un principe général du droit ;

En ce qui concerne l’article 14 :

Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 14 du décret attaqué : Les dispositions des articles 10, 12 et 13 s’appliqueront aux instances engagées à partir du 1er septembre 2003 ; que, par instance engagée, il faut entendre les recours enregistrés au greffe de la juridiction saisie ; que le moyen tiré de ce que les termes employés par le décret seraient entachés d’inexactitude ou d’imprécision ne peut par suite, en tout état de cause, qu’être écarté ;

Considérant qu’aux termes du troisième alinéa de l’article 14 du décret attaqué : Les dispositions de l’article 11 s’appliqueront aux décisions des tribunaux administratifs rendues à compter du 1er septembre 2003 : que le droit de former un appel contre un jugement étant en principe fixé définitivement au jour où ce jugement est rendu, en fonction des textes en vigueur à cette date, les dispositions de l’article 11 qui suppriment dans certains cas la possibilité de l’appel contre certains jugements du tribunal administratif se seraient appliquées, dans le silence du décret, aux jugements rendus postérieurement à la date du 25 juin 2003 à laquelle le décret a été publié au Journal officiel de la République française ; qu’en différant au 1er septembre 2003 la date d’entrée en vigueur de l’article 11 du décret attaqué, dans l’intérêt des justiciables, le pouvoir réglementaire n’a donc ni méconnu les règles du procès équitable, ni commis une erreur manifeste d’appréciation ;

(…)


[1] B. LATOUR, La fabrique du droit, une ethnographie du Conseil d’Etat, La Découverte, 2002.

[2] Ordonnance n°2003-1235 du 22 décembre 2003 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et supprimant le droit de timbre devant les juridictions administratives, JORF du 24 décembre 2003, p. 22068.

[3] Décret n°2003-543 du 24 juin 2003 relatif aux cours administratives d’appel et modifiant la partie réglementaire du code de justice administrative, JORF du 25 juin 2003, p. 10657.

[4] Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, JORF du 10 septembre 2002, p. 14934.

[5] Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, JORF du 9 février 1995, p. 2175.

[6] S. BOISSARD, « Vers un désencombrement des cours administratives d’appel », AJDA 2003, p. 1375.

[7] Loi n° 83-605 du 8 juillet 1983 modifiant le Code du service national, JORF du 9 juillet 1983, p. 2111.

[8] Loi n° 88-1262 du 30 décembre 1988 modifiant certaines dispositions du Code électoral et du Code des communes relatives aux procédures de vote et au fonctionnement des conseils municipaux, JORF du 4 janvier 1989, p. 114.

[9] CE, 29 avril 2002, M. Ullmann, n°228830, AJDA 2002, p. 691, note P. RAIMBAULT ; D. adm. 2002, n° 100, note D. P..

[10] CC, dec. 75-84 L, 19 novembre 1975, Rec. p. 35.

[11] CC, dec. 96-373 DC, 9 avril 1996, Rec. p. 43.

[12] Article L 211-2 CJA : « les cours administratives d’appel connaissent des jugements rendus en premier ressort par les tribunaux administratifs, sous réserve des compétences attribuées aux Conseil d’Etat en qualité de juge d’appel et de celles définies aux articles L 552-1 et L 552-2 »

[13] CEDH, 17 janvier 1970, Delcourt c/Belgique, série A n° 11, p. 13.

[14] Protocole n°7 à la CESDH du 22 novembre 1984, ratifié par la France le 17 février 1986, article 2 alinéa 1er : « toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation ». L’alinéa 2 prévoit, il est vrai, la possibilité d’exceptions à ce principe pour les « infractions mineures » ; par ailleurs, la France a accompagné sa ratification du protocole n°7 d’une déclaration interprétative de cet article selon laquelle « l’examen par une juridiction supérieure peut se limiter à un contrôle de l’application de la loi, tel le recours en cassation ».

[15] CE, 11 octobre 1989, Melin, n° 94344, inédit.

[16] CE, 19 juillet 1991, Mlle Boyer-Manet, n° 89250, Tables Rec. p. 1119.

[17] CE, 21 décembre 2001, M. et Mme Hofmann, n° 222862, Rec.

[18] CEDH, 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, série A n°32, p.11.

© - Tous droits réservés - Emilie Royal - 9 juillet 2004

 


©opyright - 1998 - contact - Rajf.org - Revue de l'Actualité Juridique Française - L'auteur du site
Suivre la vie du site