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Lionel Jospin, président au troisième tour ?

Par Gilles DUMONT
Chargé d’enseignement à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

La désignation effective du nouveau président de la République n’aura pas lieu dimanche soir, mais, si tout va bien, le 7 mai. Or il faut bien constater que, depuis le 21 avril à 18h30, le droit applicable aux modalités de l’élection du Président de la République a été en quelque sorte mis entre parenthèses à la suite du « séisme » provoqué dès les premières estimations diffusées, à un point tel qu’il est difficile d’imaginer, d’un point de vue juridique, que le Conseil constitutionnel puisse avoir d’autre choix que d’annuler le scrutin du 5 mai.

La désignation effective du nouveau président de la République n’aura pas lieu dimanche soir, mais, si tout va bien, le 7 mai. C’est en effet la date que s’est fixé le Conseil constitutionnel pour accomplir la mission de proclamation des résultats du scrutin qui lui appartient en vertu de l’article 58 de la Constitution. Or cet article précise également que « Le Conseil Constitutionnel veille à la régularité de l’élection du Président de la République » et qu’il « examine les réclamations ». Par conséquent, le Conseil constitutionnel ne peut pas proclamer les résultats avant de s’être assuré que les conditions de régularité du scrutin ont été remplies. Si tel n’est pas le cas, il peut redresser les résultats en tenant compte des conséquences des irrégularités : c’est ce qu’il a fait par exemple dans sa décision du 24 avril [1]déclaration en déclarant nuls un certain nombre de bulletins recueillis dans des bureaux où des anomalies avaient été constatées. Mais il peut aussi, au cas où des irrégularités massives auraient altéré la sincérité du scrutin, annuler l’ensemble des opérations électorales correspondantes, c’est-à-dire le second tour du scrutin.

Or il faut bien constater que, depuis le 21 avril à 18h30, le droit applicable aux modalités de l’élection du Président de la République a été en quelque sorte mis entre parenthèses à la suite du « séisme » provoqué dès les premières estimations diffusées, à un point tel qu’il est difficile d’imaginer, d’un point de vue juridique, que le Conseil constitutionnel puisse avoir d’autre choix que d’annuler le scrutin du 5 mai.

I. Les irrégularités susceptibles d’être constatées

Les irrégularités auxquelles on fait référence ne sont qu’accessoirement celles, encore virtuelles mais cependant assez probables, dont se sont fait écho les médias concernant le déroulement du scrutin proprement dit, mais surtout celles qui ont affecté le déroulement de la campagne électorale.

A. L’irrégularité dans les opérations de vote

Un certain nombre d’associations ou d’organisations politiques ont appelé à voter pour le président sortant tout en manifestant leur désapprobation pour sa personne par des signes distinctifs, dont les conséquences sur les résultats du scrutin sont inégales mais ne devraient pourtant pas amener à l’annulation du scrutin. L’une d’entre elles ne présente pas de difficultés d’interprétation majeures : introduire un bulletin chiffonné, déchiré ou portant une mention supplémentaire entraîne l’annulation du vote correspondant, en application de l’article L. 66 du Code électoral, qui précise que « les bulletins ou enveloppes portant des signes intérieurs ou extérieurs de reconnaissance […] n’entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement ».

Quant aux autres modalités de manifestation évoquées (port de vêtements ou d’accessoires spécifiques), le Conseil d’Etat a eu l’occasion, de longue date, de considérer à la fois qu’elles portent atteinte au caractère secret du scrutin (art. L. 59 du même code) et qu’elles constituent des moyens de pression sur les électeurs susceptibles d’altérer la sincérité du scrutin (art. L. 49 C. électoral, et CE, 2 mai 1990, Elections municipales de Terre-de-Bas, Rec. Lebon p. 791, à propos de personnes revêtues d’un maillot manifestant leur intention de voter pour un candidat). C’est d’ailleurs ce que vient de rappeler le Conseil constitutionnel par un communiqué du 3 mai. Toutefois, le juge administratif ne procède en règle générale à l’annulation du scrutin que dans la mesure où les irrégularités ainsi constatées ont été de nature à vicier le résultat du scrutin, compte tenu du faible écart de voix entre les deux candidats - ce qui ne semble pas devoir être le cas au soir du 5 mai. Si l’on se réfère aux décisions du Conseil constitutionnel proclamant les résultats des élections présidentielles, il semble cependant que sa position soit plus stricte, puisque, confronté à une irrégularité manifeste, il préfère annuler purement et simplement les résultats du bureau de vote correspondant.

Si l’utilisation de tels signes ou procédés devait s’avérer massive, le Conseil constitutionnel aurait trois possibilités. Il pourrait tout d’abord annuler les résultats de l’ensemble des bureaux de vote dans lesquels ce type d’irrégularité aura été constaté, ce qui présente le mérite de la clarté mais comporterait le risque que le nouveau président ne soit élu que par un nombre très faible de votants effectifs, rapporté aux votes nuls dont le nombre serait ainsi artificiellement gonflé. Pour éviter ce risque, il aurait également la possibilité, plus claire encore, d’annuler l’ensemble des résultats du scrutin. Il est cependant plus probable qu’il opterait pour la solution retenue par le Conseil d’Etat, et n’annuler les résultats que dans la mesure où les irrégularités ainsi constatées ont pu vicier le résultat du scrutin. Une telle solution permettrait de faire l’économie d’une nouvelle convocation des électeurs, mais obligerait le Conseil constitutionnel à procéder à un examen approfondi des conséquences des irrégularités sur la sincérité du scrutin dans chaque bureau de vote concerné, ce qui l’empêcherait évidemment de procéder à une proclamation rapide des résultats. Il ne s’agit d’ailleurs pas là d’un obstacle rédhibitoire ; l’article 58 de la Constitution ne précisait en effet aucun délai quant à la proclamation des résultats par le Conseil, et le décret n° 2001-213 du 8 mars 2001, à son article 29, indique que « le Conseil constitutionnel proclame les résultats de l’ensemble de l’élection dans les dix jours qui suivent le scrutin où la majorité absolue des suffrages exprimés a été atteinte par un des candidats », ce qui laisse tout de même un temps suffisant (jusqu’au 15 mai, dans le cas présent) pour examiner précisément les irrégularités en cause.

B. Les irrégularités dans le déroulement de la campagne électorale

Mais il y est des irrégularités plus graves, et surtout désormais irréparables.

Le déroulement de l’élection présidentielle est en effet régi par le principe d’égalité des candidats à l’élection présidentielle, indissociable du suffrage universel auquel est confié la désignation du Président. C’est en effet l’article 3-IV de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel qui en pose le principe : « Tous les candidats bénéficient, de la part de l’État, des mêmes facilités pour la campagne en vue de l’élection présidentielle ». Actualisant les dispositions d’un décret de 1964, le décret du 8 mars 2001 prévoit d’une part (art. 13) que la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale, créée à cette intention, intervient auprès des autorités compétentes « pour que soient prises toutes mesures susceptibles d’assurer l’égalité entre les candidats », d’autre part (art. 15) pour le cas particulier des programmes d’information du secteur public de l’audiovisuel, que le principe d’égalité doit être respecté en ce qui concerne « les déclarations et écrits des candidats et la présentation de leur personne ».

Cela signifie donc que l’égalité de traitement des candidats ne se limite pas aux seuls programmes d’information de l’audiovisuel public, mais vise la campagne électorale dans son ensemble. Par ailleurs, concernant le cas spécifique de l’audiovisuel, le principe d’égalité doit être respecté non seulement pour le temps de parole des candidats, mais aussi pour la présentation de leur personne.

La vérification du respect de ces obligations incombe à deux organes distincts, sous le contrôle l’un et l’autre du Conseil constitutionnel. La Commission de contrôle vérifie la première, tandis que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) veille au respect de la seconde. Dans ce cadre, ce dernier a été amené à préciser ce qu’il faut entendre par principe d’égalité, par une recommandation n° 2001-4 du 23 octobre 2001 (Point II-A-1-C). Son respect exige premièrement « que les temps consacrés aux candidats et à leurs soutiens soient égaux », deuxièmement « que la présentation et les commentaires relatifs à chacune des candidatures n’en défavorisent aucune. Les services veillent à ce que le choix des extraits des déclarations et écrits des candidats ainsi que les commentaires auxquels ils peuvent donner lieu n’en dénaturent pas le sens général  ». Si, sur le premier point, il est possible moyennant une interprétation constructive de considérer que l’égalité a été respectée, il est difficile qu’il en aille de même pour le second.

1. Sur l’égalité du temps de parole des candidats et de leurs soutiens

Le CSA considère, depuis le 21 avril, que l’égalité du temps consacré aux candidats et à leurs soutiens directs a été globalement respectée (Cf. en dernier lieu Communiqué du CSA n° 487 du 26 avril 2002), avec un très léger avantage pour le candidat arrivé en deuxième position au premier tour.

On ne peut cependant en la matière que constater que le CSA a une conception très restrictive de la notion de soutien. Par exemple, un artiste s’exprimant pour un soutien au second tour à l’actuel président de la République n’est pas comptabilisé comme soutien dudit candidat. De la même façon, les positions des soutiens des autres candidats du premier tour appelant désormais à voter pour le président actuel ne sont comptabilisées au titre de ses soutiens que pour la durée de la phrase dans laquelle ils appellent effectivement à voter pour lui (et non, par exemple, pour le temps pendant lequel ils exposent les raisons de rejeter l’autre candidat).

Par ailleurs, les comptes-rendus de manifestations appelant sans aucune équivoque à voter pour le candidat-président, qui ont occupé jusqu’au 1er mai entre le quart et la moitié de la durée moyenne du journal télévisé, ne sont pas non plus comptabilisées comme soutiens, alors qu’ils peuvent difficilement ne pas être considérés comme tels, tout au moins lorsque, dans ce cadre, des manifestants sont interrogés et font explicitement part de leurs intentions de vote au second tour, fût-ce en assortissant ce soutien de réserves.

Un tel décompte appelle bien entendu les plus explicites réserves, notamment quant au comportement du Conseil supérieur de l’audiovisuel, chargé par le décret du 8 mars 2001 de veiller au respect du principe d’égalité, selon des modalités qu’il fixe pourtant lui-même dans ses recommandations. Si, d’un point de vue juridique, il ne fait guère de doute que l’égalité de temps de parole n’est pas respectée, il est cependant peu probable que le Conseil constitutionnel désavoue le décompte effectué par le CSA, ne serait-ce qu’en raison de la difficulté matérielle que pose un nouveau décompte, et du temps qu’une telle opération demanderait.

2. Sur la neutralité de la présentation des candidats

A l’inverse de l’égalité de temps de parole, l’égalité de présentation des candidatures n’a fait pour l’heure l’objet d’aucun commentaire ou décompte de la part du CSA. L’obligation est pourtant très nette : il faut que la présentation des candidatures et les commentaires dont ils sont assortis ne visent pas à défavoriser l’une d’entre elles. On n’est plus ici dans le registre du temps de parole, c’est-à-dire de la promotion d’une candidature, mais dans la dévalorisation d’une autre.

Pour prendre un exemple très simple et dans les limites de la civilité, lorsque les organes dirigeants du MEDEF appellent à faire échec à un candidat, le fait qu’il s’agisse d’un appel à voter pour l’autre candidat (pris en compte au titre du temps de parole d’un soutien) peut être contesté, mais il est en revanche évident qu’un tel propos vise à défavoriser l’une des candidatures.

En soi, une telle dévalorisation n’est pas gênante, mais à une double condition.

Selon une jurisprudence constante d’ailleurs rappelée par le CSA dans sa recommandation du 23 octobre 2001, il faut que le candidat ait eu matériellement le temps de répondre aux attaques en cause. Même si on peut le regretter, la jurisprudence a toujours accepté que des propos injurieux ou diffamatoires soient émis par les candidats à une élection ou à leur encontre, pour autant que le candidat mis en cause ait la possibilité, notamment eu égard au temps séparant ces propos de la date de l’élection, de répondre utilement aux attaques dont il a été l’objet. Pas plus les qualificatifs peu courtois dont ont fait mutuellement usage les deux candidats que les mots d’ordre diffusés lors des manifestations respectives ne sont donc, en eux-mêmes, susceptibles de fausser la sincérité du scrutin.

En revanche, si dévalorisation il y a, elle doit être égale : en clair, un média qui a choisi de fonder, ce qu’on ne peut évidemment que déplorer, sa couverture de la campagne électorale sur le dénigrement ou tout au moins la diffusion de propos ou images visant à défavoriser une candidature, doit avoir le même comportement vis à vis des autres candidats. Or il ne fait aucun doute que, fort heureusement d’ailleurs en un sens, tel n’est pas le cas : les pratiques en cause ne visent qu’un seul des candidats, pratiques qui correspondent peut-être à la réalité des rapports de forces, mais n’en sont pas moins indiscutablement contraires au principe d’égalité.

Sur ce point, le Conseil constitutionnel n’aura pas à désapprouver le contrôle opéré par le CSA, qui, par sa recommandation, a précisé une règle (art. 15 du décret de 2001), mais n’a rien prévu pour veiller à son application. En revanche, il devra désapprouver sa négligence, puisque le dernier alinéa de l’article 15 du décret lui confie expressément pour mission de veiller " au respect des dispositions du présent article ", et non à certaines d’entre elles seulement.

Il s’agit là, sans aucun doute, de l’un des motifs les plus certains d’annulation du scrutin, compte tenu de l’ampleur et du caractère systématique de son application, à côté de laquelle les nombreuses autres irrégularités susceptibles d’être relevées (campagne publicitaire de la FNAC en violation de l’art. L. 52-1 du Code électoral ; affichage municipal à Angoulême en violation de l’article L. 51 du même code ; diffusion des estimations du premier tour du scrutin avant la clôture des opérations de vote ; diffusion outre-mer des résultats de la métropole avant la fermeture des bureaux de vote, etc.) apparaissent anecdotiques.

II. Les conséquences des irrégularités sur les résultats du scrutin

Il faut bien avouer que, dans ce domaine, on reste en pleine inconnue : jamais, en effet, le déroulement du second tour d’une élection présidentielle n’a été contesté, tout au moins d’une façon globale et qui ait pu donner lieu à un examen approfondi des conditions d’appréciation de sa régularité par le Conseil constitutionnel. On examinera donc ici tout d’abord les conditions très spécifiques selon lesquelles le Conseil constitutionnel peut être amené à tirer les conséquences de ces irrégularités, avant de voir quelles seraient les implications d’une éventuelle annulation.

A. Les conditions de mise en cause de la sincérité du scrutin

Le Conseil constitutionnel, dans ses décisions de 1988, 1995, et celle du 24 avril dernier, a précisé un certain nombre des conditions dans lesquelles il entend exercer le contrôle des opérations électorales relatives au scrutin présidentiel, mais il n’a pu, faute de saisine, se prononcer sur le fondement principal de sa compétence. C’est l’article 30 du décret du 8 mars 2001 précité qui précise les trois conditions de contrôle par le Conseil constitutionnel des irrégularités du vote.

La première « saisine » est ouverte à tout électeur, qui a le droit de contester la régularité des opérations, la contestation étant consignée au procès-verbal des opérations de vote, dans le bureau concerné. Pour autant, la contestation en cause ne remonte pas en principe jusqu’au Conseil constitutionnel, mais est traitée par la Commission départementale chargée du recensement des votes, sous le contrôle du représentant de l’Etat.

C’est d’ailleurs ce dernier qui doit, dans les 48 heures suivant la clôture du scrutin, déférer directement au Conseil constitutionnel « les opérations d’une circonscription de vote dans laquelle les conditions et formes légales ou réglementaires n’ont pas été observées ». C’est sur ce fondement que le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de se prononcer, et d’annuler les résultats de certains bureaux de vote lorsqu’il avait constaté des irrégularités ; refusant systématiquement et très logiquement, d’examiner les contestations émanant de simples électeurs (Cf. par ex. considérant 17 de la décision du 12 mai 1995 [2]).

La troisième saisine appartient aux seuls candidats, qui peuvent contester non pas le déroulement des opérations de vote dans tel ou tel bureau, mais, dans le même délai de 48 heures, « l’ensemble des opérations électorales ». Dans l’hypothèse où l’un des candidats (par définition le candidat non élu) estimerait que les irrégularités rappelées plus haut ont porté atteinte à la sincérité du scrutin, c’est à lui et à lui seul qu’il appartiendrait de saisir le Conseil constitutionnel.

C’est également à la suite de sa saisine et de la sienne seulement que le juge pourrait examiner la régularité de l’ensemble des opérations électorales, puisqu’il est en principe, concernant les contestations transmises par les représentants de l’Etat dans les départements, tenu par l’objet de leur saisine.

Si le candidat en cause saisissait bien le Conseil constitutionnel, il ne fait guère de doute, d’un point de vue juridique, qu’il ne devrait lui donner raison. Pour une violation certes évidente mais beaucoup plus limitée dans le temps (de 18h30 à 20h le 21 avril), la Commission nationale de contrôle a en effet eu des remarques d’une extrême sévérité. Le Conseil constitutionnel n’ayant pas été saisi par l’un des candidats du premier tour, n’a pas pu se prononcer sur leur influence sur la sincérité du scrutin, mais, au vu du caractère manifeste des violations graves et répétées survenues depuis lors, on voit mal comment il pourrait, à condition bien entendu qu’il se prononce conformément à la règle de droit, valider les résultats du scrutin du 5 mai.

B. Et si…

Dans un exercice de droit-fiction transposant au cadre juridique français le feuilleton de la dernière élection présidentielle américaine [3], le professeur Guy Carcassonne estimait que « si, pour une raison ou une autre, un doute pouvait subsister quant au nom du Président légitime, alors le Conseil devrait inévitablement songer à annuler l’élection ». Juridiquement, le Conseil en a tout à fait le droit (et même, devrait-on dire, l’obligation, en fonction de la nature et de la gravité des opérations), puisque l’article 50 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoit la possibilité de prononcer l’annulation partielle ou totale des résultats.

Une telle annulation pourrait avoir des effets inattendus, et à vrai dire redonner espoir à un certain candidat écarté trop rapidement du premier tour du scrutin. Même s’il l’envisageait dans un tout autre contexte, les conséquences précisées par Guy Carcassonne trouveraient à s’appliquer.

En application de la Constitution, le mandat du président de la République arrive à expiration au terme des sept années de son mandat, soit le 16 mai : il semble difficile, étant donné que le Conseil a la possibilité de proclamer les résultats jusqu’au 15 mai, d’organiser un nouveau scrutin avant cette date, ce d’autant moins qu’aucune disposition de la Constitution n’autorise le Conseil constitutionnel à déterminer lui-même la date de l’élection. On se trouverait donc, à partir du 16 mai, dans une situation de vacance de la Présidence de la République, qui amènerait, après les consultations d’usage, à la désignation du président du Sénat comme Président par intérim.

Il faut, pour compléter le tableau dressé par Guy Carcassonne, ajouter ici deux précisions.

Le fait que le juge constitutionnel soit amené à se prononcer sur « l’ensemble des opérations électorales » laisse planer un doute quant à la portée de sa décision : doit-il annuler les opérations électorales du second tour, ou bien « l’ensemble » des opérations relatives à l’élection du président de la République. Opter pour la seconde solution ne serait qu’en apparence constitutive d’une remise en cause de la décision du 24 avril proclamant les résultats du premier tour, étant donné que, n’ayant pas été saisi à ce propos, il n’avait pu se prononcer sur l’ensemble de la procédure du premier tour. En outre, une nouvelle élection ab initio trouverait son fondement dans les dispositions du 5e alinéa de l’article 7 de la Constitution, qui prévoit qu’« en cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par le Conseil Constitutionnel », ce qui serait bien le cas à partir du 16 mai, « le scrutin pour l’élection du nouveau président a lieu, sauf cas de force majeure constaté par le Conseil Constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l’ouverture de la vacance ». Si l’on se fonde sur le cas, certes différent dans ses conditions de déclenchement, de l’élection anticipée provoquée par le décès du président Georges Pompidou, tout laisse à penser que c’est bien l’élection dans son intégralité, et non le seul second tour, qui devrait être à nouveau organisé. Une telle interprétation, en tout cas, modifierait certainement l’avenir politique du candidat arrivé en troisième position au premier tour.

Cette annulation aurait par ailleurs pour effet de dissiper les discussions relatives au statut pénal du président de la République : redevenu simple candidat, l’actuel président serait susceptible d’être entendu et, éventuellement, mis en examen par les juges d’instruction qui l’estiment nécessaire au bon déroulement de leurs enquêtes. Il ne fait guère de doute que, tout occupés par une louable intention de sauvegarde d’une République qu’ils estimaient en danger, au détriment du respect de l’Etat de droit, les responsables des médias audiovisuels n’avaient pas prévu cette conséquence.


[1] CC, déclaration du 24 avril 2002 portant résultats du premier tour du scrutin http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2002/20020424.htm.

[2] CC, décision du 12 mai 1995 portant proclamation des résultats de l’élection du Président de la République, http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1995/9519.htm.

[3] Guy Carcassonne, « Thalahassee, Paris », Rec. Dalloz, 2001, p. 368-371

© - Tous droits réservés - Gilles DUMONT - 4 mai 2002

 


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