CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 285472
SOCIETE D’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE
Mme Paquita Morellet-Steiner
Rapporteur
Mme Nathalie Escaut
Commissaire du gouvernement
Séance du 27 octobre 2008
Lecture du 19 novembre 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la section du contentieux
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 septembre 2005 et 23 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE D’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE, dont le siège est 772, chemin du Font de Currault à Mougins (06250), représentée par son gérant en exercice domicilié, en cette qualité, audit siège ; la SOCIETE d’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement en date du 12 juillet 2005 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie, au titre des années 1983 à 1994, dans les rôles de la commune de Mougins ;
2°) réglant l’affaire au fond, de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 500 euros ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Paquita Morellet-Steiner, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE D’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société ESCOTA,
les conclusions de Mme Nathalie Escaut, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE D’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE exploite, en tant que sous-concessionnaire de la société d’autoroute ESCOTA, sur une aire de repos de l’autoroute A-8 située à Mougins (Alpes-Maritimes), des locaux de loisirs à raison desquels elle a été, à compter de 1986, assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties dans les rôles de cette commune ; que l’administration fiscale, auprès de laquelle elle avait formé une réclamation, le 11 juillet 2000, tendant à la réduction de la cotisation de taxe foncière mise à sa charge au titre de l’année 1999, dont elle ne contestait pas être le redevable légal, a, d’une part, par une décision du 21 juillet 2000, prononcé la décharge totale de cette cotisation pour l’année 1999, d’autre part, par une lettre en date du 27 décembre 2000, indiqué à la société qu’elle n’était pas le redevable légal de la taxe et que, une mutation cadastrale ayant été opérée pour corriger cette erreur, aucun avis d’imposition ne serait plus désormais émis à son encontre pour cet impôt et ces locaux ; que, toutefois, si l’administration, en réponse à une nouvelle réclamation de la société, en date du 29 novembre 2000, par laquelle celle-ci demandait le dégrèvement des impositions établies à son nom au titre des années 1983 à 1998 a, par une décision du 19 juin 2001, faisant application des dispositions de l’article R. 211-1 du livre des procédures fiscales, prononcé le dégrèvement des cotisations de taxe foncière dont la société s’était acquittée pour les années 1995 à 1998, elle a rejeté pour tardiveté la demande de dégrèvement pour les années antérieures à 1995 ; que la SOCIETE D’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE se pourvoit en cassation contre le jugement du 12 juillet 2005 du tribunal administratif de Nice en tant qu’il a confirmé le rejet de sa demande de dégrèvement des cotisations de taxe foncière au titre des années antérieures à l’année 1995 ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu’aux termes de l’article R. 196-2 du livre des procédures fiscales, applicable aux années d’imposition en litige, les réclamations doivent être présentées : "au plus tard le 31 décembre de l’année suivant, selon le cas : / a) L’année de la mise en recouvrement du rôle ; / b) L’année de la réalisation de l’événement qui motive la réclamation ; / c) L’année de la réception par le contribuable d’un nouvel avis d’imposition réparant les erreurs d’expédition que contenait celui adressé précédemment ; / d) L’année au cours de laquelle le contribuable a eu connaissance certaine de cotisations d’impôts directs établies à tort ou faisant double emploi." ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, devant le tribunal administratif de Nice, la SOCIETE D’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE soulevait le moyen tiré de ce que la mutation cadastrale, opérée par l’administration et annoncée dans sa lettre du 27 décembre 2000, constituait un événement au sens des dispositions du b de l’article R. 196-2 du livre des procédures fiscales précité, tout en se référant également à la documentation administrative référencée sous le n° 13 O-2122 n° 9 à jour au 1er décembre 1990, laquelle mentionnait les décisions de mutation de cote en matière de taxe foncière comme pouvant être "assimilées" à un événement motivant l’introduction d’une réclamation dans le délai prévu à l’article R. 196-2 du livre des procédures fiscales, en arguant de ce que la mutation cadastrale, se traduisant par un changement de redevable légal comme la mutation de cote, devait bénéficier de la même assimilation ; que, par suite, en jugeant que la société requérante n’était pas fondée à se prévaloir des dispositions de l’article R. 196-2 du livre des procédures fiscales à la suite de la mutation cadastrale opérée par l’administration, au motif qu’elle invoquait seulement la documentation administrative du 1er décembre 1990 susmentionnée alors que la mutation de cote était supprimée depuis août 1994, le tribunal a dénaturé les écritures de la société ; que, dès lors, le jugement attaqué doit être annulé ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1402 du code général des impôts : "Les mutations cadastrales consécutives aux mutations de propriété sont faites à la diligence des propriétaires intéressés. Aucune modification à la situation juridique d’un immeuble ne peut faire l’objet d’une mutation si l’acte ou la décision judiciaire constatant cette modification n’a pas été préalablement publié au fichier immobilier" ; qu’aux termes de l’article 1404 du même code : "I. Lorsque au titre d’une année une cotisation de taxe foncière a été établie au nom d’une personne autre que le redevable légal, le dégrèvement de cette cotisation est prononcé à condition que les obligations prévues à l’article 1402 aient été respectées. L’imposition du redevable légal au titre de la même année est établie au profit de l’Etat dans la limite de ce dégrèvement. / II. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées comme les demandes en décharge ou réduction de la taxe foncière. (.)" ; qu’il résulte de ces dispositions que, lorsqu’une cotisation de taxe foncière a été établie au nom d’une autre personne que le redevable légal, le dégrèvement ne peut être prononcé qu’après que les propriétaires intéressés ont fait procéder à la mutation cadastrale, après publication au fichier immobilier de l’acte ou de la décision judiciaire constatant la modification de la situation juridique de l’immeuble ; que, dès lors qu’elle est prononcée à son initiative, la mutation cadastrale ne peut constituer, pour le propriétaire, un événement motivant la réclamation au sens et pour l’application des dispositions du b de l’article R. 196-2 du livre des procédures fiscales précité ; qu’en l’espèce, si la mutation cadastrale a été faite à l’initiative de l’administration, elle ne peut toutefois être regardée comme un événement de nature à rouvrir le délai de réclamation dès lors qu’elle n’a fait que corriger une erreur imputable, à l’origine, à la société requérante et ne résulte d’aucun changement dans la situation juridique de l’immeuble en cause ;
Considérant que, si la SOCIETE D’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE soutient que sa réclamation n’était pas tardive au motif que, comme le prévoient les dispositions du d de l’article R. 196-2 du livre des procédures fiscales précité, elle l’a formée l’année au cours de laquelle elle a eu connaissance certaine, par la décision de l’administration en date du 21 juillet 2000 de la dégrever des cotisations de taxe foncière auxquelles elle avait été assujettie au titre de l’année 1999, de ce que les cotisations avaient été établies à tort, il résulte de l’instruction que les impositions litigieuses ont été établies selon les déclarations souscrites par la société ; que, par suite, celle-ci ne peut se prévaloir des dispositions du d de l’article 196-2 pour soutenir que sa réclamation n’est pas tardive ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE D’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE n’est pas fondée à demander la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie dans les rôles de la commune de Mougins pour les années 1983 à 1994 ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SOCIETE D’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SOCIETE D’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE la somme que demande la société ESCOTA au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 12 juillet 2005 du tribunal administratif de Nice est annulé.
Article 2 : La demande de la SOCIETE D’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE devant le tribunal administratif de Nice, le surplus de ses conclusions devant le Conseil d’Etat et les conclusions de la société ESCOTA devant le Conseil d’Etat tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE d’EXPLOITATION DU MUSEE DE L’AUTOMOBILE, au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique et à la société ESCOTA.