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Conclusions sous Conseil d’Etat, Assemblée, 3 Décembre 1999, M. Jean-Louis DIDIER

Par Alain SEBAN
Maître des Requêtes au Conseil d’Etat

La loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières a créé un Conseil des marchés financiers (CMF) qui réunit les attributions antérieurement exercées par le Conseil des bourses de valeurs et le Conseil du marché à terme.

La loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières a créé un Conseil des marchés financiers (CMF) qui réunit les attributions antérieurement exercées par le Conseil des bourses de valeurs et le Conseil du marché à terme. Cet organisme professionnel se compose de seize membres nommés par arrêté du ministre chargé de l’économie et des finances pour une durée de quatre ans, et qui sont soit des professionnels des marchés, soit des personnalités qualifiées. Doté de la personnalité morale, le Conseil est investi d’attributions étendues. Il prend des décisions réglementaires relatives au fonctionnement des marchés réglementés et à l’activité des prestataires de services d’investissement, des entreprises de marché et des chambres de compensation, en contrôle l’application, et en sanctionne la méconnaissance par les entreprises précitées ainsi que par les personnes placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte.

Par décision du 27 janvier 1999, le Conseil des marchés financiers, statuant disciplinairement, a infligé à M. DIDIER, responsable des activités d’arbitrage de la société Dynabourse, la sanction du retrait de la carte professionnelle pour une durée de 6 mois assortie d’une sanction pécuniaire de 5 millions de francs. M. DIDIER vous défère régulièrement cette décision, et ce recours est un recours de pleine juridiction dont il vous appartient de connaître en premier et dernier ressort, aux termes de l’article 8 du décret n° 96-872 du 3 octobre 1996.

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I. Cette affaire est portée directement devant votre formation afin que soit réexaminé le bien-fondé de la jurisprudence – dite ci-après " jurisprudence Méric " – dont la formulation la plus nette se trouve dans votre avis de Section du 31 mars 1995 " Ministre du budget c/ SARL Auto-Industrie Méric " (Rec. p. 154, JORF 2 mai 1996 p. 6901, RJF 5/95 p. 326 concl. J. Arrighi de Casanova), selon lequel : " l’article 6 [de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme] […] n’énonce […] aucune règle ou aucun principe dont le champ d’application s’étendrait au-delà des procédures contentieuses suivies devant les juridictions, et qui gouvernerait l’élaboration ou le prononcé de sanctions, quelle que soit la nature de celles-ci, par les autorités administratives qui en sont chargées par la loi ".

M. DIDIER soutient en effet que la participation du rapporteur de l’affaire au délibéré du Conseil des marchés financiers a méconnu le principe d’impartialité qu’il rattache aux stipulations de l’article 6 par. 1 de la Convention.

1. Il n’est pas douteux que, d’un point de vue matériel, les stipulations de l’article 6-1, que nous croyons inutile de rappeler, sont bien applicables : le litige, saisi dans son ensemble, touche à la fois à des droits et obligations de caractère civil et à des accusations en matière pénale au sens de la convention, étant rappelé que ces notions s’apprécient de manière autonome par rapport au sens qu’elles revêtent dans le droit national.

a/ Il est certain qu’eu égard à la nature des sanctions que peut infliger le CMF, celui-ci doit être regardé comme statuant sur des accusations en matière pénale au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour déterminer si une infraction relève de la matière pénale au sens de la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme se fonde sur trois critères dégagés pour la première fois dans l’arrêt " Engel et autres c/ Pays-Bas " du 8 juin 1976 (série A n° 22) :

la qualification donnée par le droit interne est un critère de " valeur relative " c’est-à-dire non déterminant : la Cour recherche si l’infraction relève du droit pénal dans l’état en cause, et examine si la solution retenue est identique dans les " législations respectives des divers états contractants " en ne s’attachant pas uniquement à la qualification de l’infraction mais également aux règles de fond et de procédure applicables, qu’elle compare à celles du droit pénal ;
    la nature même de l’infraction " considérée aussi en rapport avec celle de la sanction correspondante " (CourEDH, 21 février 1984, Oztürk c/ Allemagne, série A n° 73 § 52) : " selon le sens ordinaire des termes, relèvent en général du droit pénal les infractions dont les auteurs s’exposent à des peines destinées notamment à exercer un effet dissuasif et qui consistent d’habitude en des mesures privatives de liberté et en des amendes " (ibid., § 53). La nature pénale de l’infraction est établie par " le caractère général de la norme et le but à la fois préventif et répressif de la sanction " (ibid.) ;

    le degré de sévérité de la sanction que risque de subir le contrevenant est un critère alternatif par rapport au précédent, comme l’a précisé la Cour dans l’arrêt " Lutz c/ Allemagne " du 25 août 1987 (série A n° 123 § 55). Lorsque le critère précédent est satisfait, la Cour considère que les éléments de l’" accusation en matière pénale " au sens de l’article 6 sont réunis, même si la sanction est de faible portée (par exemple : une amende légère pour une infraction peu grave au code de la route dans l’arrêt " Oztürk c/ Allemagne " précité).

Ces critères sont en principe alternatifs : il suffit qu’un seul d’entre eux soit satisfait pour que le caractère pénal de la matière s’en évince. Toutefois, lorsque aucun d’eux n’apparaît vérifié de manière déterminante, il reste à les cumuler pour effectuer une pesée globale de la situation (CourEDH, 24 février 1994, Bendenoun c/ France, série A n° 284 § 47, RFDA 1995 p. 1198 ; 24 septembre 1997, Garyfallou Aebe c/ Grèce, § 33).

La Cour de Strasbourg n’hésiterait sans doute pas longtemps avant d’estimer que les sanctions financières infligées par le CMF ressortissent à la matière pénale au sens de la Convention. Il s’agit d’amendes, technique caractéristique de la matière pénale et, au surplus, d’amendes qui peuvent, comme en l’espèce, atteindre des montants substantiels. En outre, et au regard du second critère, l’amende présente bien un caractère répressif – sanctionner une irrégularité – et préventif – dissuader l’intéressé de recommencer – par opposition à une indemnité qui réparerait un préjudice. Enfin, l’amende peut être fortement modulée, voire écartée, en fonction d’une appréciation du comportement de l’intéressé. La Cour a d’ailleurs reconnu le caractère pénal au sens de la Convention à des sanctions prononcées dans le cadre de la procédure de contrôle administratif des prix, consistant en une amende et la fermeture temporaire d’un magasin (CourEDH, 27 février 1980, Deweer c/ Belgique, série A n° 35), ce qui n’est pas très différent des sanctions infligées en l’espèce, à savoir une amende et le retrait temporaire de la carte professionnelle.

Votre jurisprudence est dans le même sens. La qualification d’accusation en matière pénale au sens de la Convention découle de votre avis de Section du 31 mars 1995 " Ministre du budget c/ SARL Auto-Industrie Méric " (Rec. p. 154, JORF 2 mai 1996 p. 6901, RJF 5/95 p. 326 concl. J. Arrighi de Casanova), qui tire les conséquences d’un arrêt de la Cour de Strasbourg (CourEDH, 24 février 1994, Bendenoun c/ France, préc.), et dans lequel vous avez estimé que  : " Les principes que fixe […] [l’]article 6 sont […] applicables à la contestation devant les juridictions compétentes des majorations d’impositions prévues à l’article 1729-1 du code général des impôts en cas de manœuvres frauduleuses qui, dès lors qu’elles présentent le caractère d’une punition visant à empêcher la réitération des agissements qu’elles visent et n’ont pas pour objet la seule réparation d’un préjudice, constituent … des accusations en matière pénale au sens des stipulations de l’article 6… ". Vous avez ainsi, dans une très large mesure, faite vôtre l’interprétation de la " matière pénale " donnée par la Cour européenne des droits de l’homme dans les arrêts précités : vous ne vous attachez pas à la qualification pénale de la matière au regard du droit interne (voir également pour les amendes infligées par la Cour de discipline budgétaire financière : CE, Sect., 30 octobre 1998, Lorenzi, Rec. p. 374  ; pour les amendes infligées par la Cour des comptes : CE, 16 novembre 1998, SARL Deltana et M. Perrin, n° 172.820, à paraître au recueil, à nos conclusions  ; pour la contribution spéciale prévue par l’article L.341-7 du code du travail : CE, Sect., 28 juillet 1999, G.I.E. Mumm-Perrier-Jouët, n° 188.973, à paraître au recueil) ; mais vous recherchez si les mesures prévues présentent " le caractère d’une punition visant à empêcher la réitération des agissements " incriminés. Cette condition est bien remplie s’agissant des sanctions financières que le CMF est susceptible d’infliger. Il est donc certain que, dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, le CMF statue sur des " accusations en matière pénale " au sens de l’article 6.

b/ Dès lors, on peut ne pas se demander si le CMF statue également sur des droits et obligations de caractère civil. Indiquons néanmoins qu’il n’est pas non plus douteux que la matière civile est également en cause puisque l’interdiction d’exercer une profession peut être infligée par le CMF (voir à cet égard : CE, Ass., 14 février 1996, Maubleu, Rec. p. 34 concl. M. Sanson ; et d’autre part : Cour EDH, 28 juin 1978, König c/ Allemagne, série A n° 27 ; 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, série A n° 43 ; 30 novembre 1987, H. c/ Belgique, série A n° 127-B ; 26 septembre 1995, Diennet c/ France, série A n° 325).

2. Dès lors que le litige entre dans le champ de la convention, votre jurisprudence fait dépendre l’application de l’article 6-1 d’un critère fonctionnel. Pour que l’article 6-1 puisse être regardé comme applicable, il ne suffit pas que le litige concerne des " accusations en matière pénale " ou des " contestations sur des droits et obligations en matière civile ". Il faut encore que la décision contestée émane d’un " tribunal " ou, en d’autres termes, qu’elle ait un caractère juridictionnel. Le moyen tiré de la violation de l’article 6-1 est donc regardé comme inopérant lorsqu’il est invoqué à l’encontre d’une décision à caractère non pas juridictionnel, mais administratif : telle est la jurisprudence constante confirmée par votre avis de section du 31 mai 1995 " Ministre du budget c/ SARL Auto-Industrie Méric et autre " (préc.[1]) et appliquée à tous les organismes administratifs amenés à infliger des sanctions dans des conditions proches du CMF : le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CE, 14 juin 1991, Association Radio-Solidarité, Rec. p. 232 ; 9 octobre 1996, Association " Ici et Maintenant ", n° 173.073) ; l’ancien Conseil des bourses de valeurs (CE, Ass., 1er mars 1991, Le Cun, Rec. p. 70), l’ancien Conseil du marché à terme (CE, 4 mai 1998, Société de bourse Patrice Wargny, Rec. p. 192), le Conseil de discipline des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (CE, 26 mai 1995, Girardet, n° 140.985 ; 21 octobre 1998, Mme Drevet et autres, n°s 177.424, 177.468, 178.139, 178.399, 178.589 et 178.609).

La question se pose de manière récurrente de la compatibilité de cette jurisprudence avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est qu’à vrai dire, le débat est obscurci par le fait, qu’on n’a peut-être pas assez relevé, que les questions qui vous sont soumises ne sont pas de même nature que celles que la Cour de Strasbourg a à trancher.

a/ La Cour européenne des droits de l’homme doit dire si la procédure interne a permis au requérant de bénéficier du " droit à un procès équitable " consacré par l’article 6-1. Elle se prononce au vu de l’ensemble de la procédure – c’est l’objet même de la condition d’épuisement des voies de recours internes préalable à la saisine de la Cour – en recherchant si l’un au moins des différents organes qui ont été appelés à se prononcer constituait un tribunal répondant à l’ensemble des prescriptions de l’article 6-1.

La méthode de la Cour consiste donc à analyser les différentes décisions qui ont été prises successivement à l’égard du requérant en recherchant si l’une au moins d’entre elles émane d’un organe répondant à deux conditions cumulatives : d’une part, pouvoir être regardé comme un tribunal répondant aux prescriptions de l’article 6-1 ; d’autre part, puisque l’article 6-1 exige que ce tribunal soit à même de " décider ", avoir eu compétence pour connaître, en droit comme en fait, de l’ensemble des aspects du litige (par exemple : CourEDH, 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, série A n° 43 § 51  ; 10 février 1983, Albert et Le Compte c/ Belgique, série A n° 58 ; 26 avril 1995, Fischer c/ Autriche, série A n° 312) et, lorsque la matière pénale est en cause, pour réformer en tout point la décision entreprise (CourEDH, 23 octobre 1995, Gradinger c/ Autriche, série A n° 328). Dans cet examen, la Cour va passer rapidement sur deux types de décisions  :

    d’une part, les décisions qui sont prises par un organe qui est assurément un tribunal mais qui n’est saisi que des questions de droit et non pas des questions de fait, comme peut l’être un juge de cassation (CourEDH, 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, série A n° 43 § 51 ; 10 février 1983, Albert et Le Compte c/ Belgique, série A n° 58 ; 26 septembre 1995, Diennet c/ France, série A n° 325), mais aussi certaines juridictions administratives dans certains systèmes nationaux (CourEDH, 28 juin 1990, Obermeier c/ Autriche, série A n° 179) ;
    d’autre part, les décisions qui sont prises par un organe purement administratif, tel qu’un chef d’état, un ministre ou un préfet (voir par exemple, jugeant que la Couronne néerlandaise ne peut par hypothèse être regardée comme un tribunal : CourEDH, 23 octobre 1985, Benthem c/ Pays-Bas, série A n° 97), un tel organe ne pouvant être un tribunal car cette notion suppose l’indépendance par rapport au pouvoir exécutif (CourEDH, 27 juin 1968, Neumeister, série A n° 8 § 23  ; 18 juin 1971, De Wilde, Ooms et Versyp c/ Belgique, série A n° 12 ; 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, série A n° 43 § 55).
L’examen de la Cour va donc se porter de manière plus particulière sur les juridictions à compétence générale et sur les organes administratifs spécialisés, tels que " les juridictions ordinales " ou " les autorités administratives ou corporatives ", selon les formulations de l’arrêt du 26 octobre 1984 " De Cubber c/ Belgique " (série A n° 86 § 32). A leur égard, la jurisprudence de la Cour est désormais clairement fixée.

En premier lieu, la Cour ne considère pas que l’article 6-1 renferme une norme qui exclurait par principe que de semblables organismes puissent prendre une décision à l’égard d’accusations en matière pénale ou de droits et obligations de caractère civil : " L’article 6 par. 1 (art. 6-1), s’il consacre le droit à un tribunal […] n’astreint pas pour autant les états contractants à soumettre les "contestations sur (des) droits et obligations de caractère civil" à des procédures se déroulant à chacun de leurs stades devant des "tribunaux" conformes à ses diverses prescriptions. Des impératifs de souplesse et d’efficacité, entièrement compatibles avec la protection des droits de l’homme, peuvent justifier l’intervention préalable d’organes administratifs ou corporatifs, et a fortiori d’organes juridictionnels ne satisfaisant pas sous tous les rapports à ces mêmes prescriptions  ; un tel système peut se réclamer de la tradition juridique de beaucoup d’états membres du Conseil de l’Europe " (CourEDH, 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, série A n° 43 § 51). Si la Cour semble considérer que la dépénalisation de certaines incriminations, relevant de ce qu’on pourrait appeler " la matière pénale par excellence ", ne serait pas acceptable en raison de la généralité des normes répressives en cause et de la gravité des sanctions (jugé uniquement a contrario : CourEDH, 21 février 1984, Oztürk c/ Allemagne, série A n° 73 § 56 ; 23 octobre 1995, Schmautzer c/ Autriche, série A n° 328 § 52 ; 23 septembre 1998, Malige c/ France, § 45, RJF 11/98 n° 1384), la présente espèce n’entre pas dans cette exception éventuelle faute de caractère suffisamment général de la sanction, qui ne saurait toucher n’importe quel citoyen, mais uniquement certaines entreprises prestataires de services d’investissement et leurs employés. La Cour n’a d’ailleurs vu aucun obstacle à ce qu’un organisme administratif prononce des interdictions d’exercer une profession (CourEDH, 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, préc. ; 10 février 1983, Albert et Le Compte c/ Belgique, préc. ; 26 septembre 1995, Diennet c/ France, préc.), ou même des sanctions pouvant consister en de lourdes peines privatives de liberté infligées à des militaires (CourEDH, 8 juin 1976, Engel c/ Pays-Bas, série A n° 22).

En second lieu, puisqu’il n’y a pas de contre-indication de principe à l’intervention d’organes administratifs dans le champ d’application de l’article 6-1, la Cour recherche s’ils méritent l’appellation de tribunal au sens de l’article 6-1, et ce quelle que soit la qualification que leur donne le droit interne (par exemple : CourEDH, 22 octobre 1984, Sramek c/ Autriche, série A n° 84, § 36). Si la procédure devant ces organismes administratifs ne présente pas les caractères du procès équitable, elle examine ensuite la procédure devant les juridictions saisies de recours contre leurs décisions. Par exemple, si elle constate que, dans le cours de la procédure, la seule juridiction ayant statué en audience publique n’avait pas compétence pour se prononcer sur l’ensemble des questions de droit et de fait que soulevait le litige, la Cour en déduit que l’article 6-1 a été méconnu et ce que le défaut de publicité de l’audience ait affecté un organisme qui était lui-même une juridiction, tel que le conseil de discipline d’un ordre professionnel (CourEDH, 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, préc.  ; 10 février 1983, Albert et Le Compte c/ Belgique, préc.  ; 26 septembre 1995, Diennet c/ France, préc.), ou un organe qui présentait un caractère administratif mais qui n’était soumis, sur le fond, qu’à un contrôle réduit d’une juridiction administrative (CourEDH, 28 juin 1990, Obermeier c/ Autriche, série A n° 179).

b/ Pour ce qui vous concerne, vous êtes saisis d’une décision administrative ou juridictionnelle dont vous avez à apprécier la légalité. La Cour de Strasbourg n’a pas à se livrer à une telle appréciation  : elle n’a à se prononcer que sur la question de savoir si le système juridique national garantit le droit au procès équitable  ; si ce droit n’est pas garanti par la procédure prise dans son ensemble, la responsabilité n’en est pas imputée à telle ou telle des décisions prises à l’égard du requérant. Cette appréciation-là, en revanche, vous échappe car par hypothèse, lorsque vous statuez, la procédure interne n’est pas achevée et, d’autre part, vous n’êtes saisis que d’une des étapes de la procédure. Votre rôle et celui de la Cour sont donc différents, et c’est la raison pour laquelle les décisions de la Cour ne sauraient vous lier, pas même par l’autorité de la chose interprétée. Toutefois, parce que vous êtes une juridiction suprême, et que votre décision va mettre un terme à la procédure en droit interne, vous êtes en mesure, dans certains cas, d’apprécier, en statuant sur le moyen de légalité tiré de l’article 6-1, si l’objet de cet article aura ou non été rempli par la procédure nationale prise dans son ensemble. Même si, en effet, le moyen qui vous est présenté est tiré de la violation de telle ou telle composante du procès équitable, et présenté comme un très classique moyen de légalité, il n’est opérant qu’eu égard à la portée de l’article 6-1, c’est-à-dire le droit à un procès équitable  : l’opérance du moyen est subordonnée à la condition que la violation dont le requérant se plaint l’ait empêché de jouir de son droit à un procès équitable.

Lorsque vous êtes saisis par la voie de la cassation d’une décision juridictionnelle, par exemple une décision de sanction prise par une juridiction ordinale, vous pouvez affirmer que pour que le droit au procès équitable ait été assuré, il est nécessaire que les stipulations de l’article 6-1 aient été respectées par les juges du fond : le moyen tiré de leur méconnaissance est donc bien opérant. Lorsque vous êtes saisis par la voie du recours pour excès de pouvoir ou d’un recours spécial de pleine juridiction d’une décision administrative, la situation est en principe inverse  : le moyen est inopérant non pas parce que la décision est administrative, mais parce qu’on peut avoir la conviction raisonnable que le droit au procès équitable est garanti devant le Conseil d’état statuant au contentieux. Pour que le moyen devienne opérant, il faudrait que le requérant démontre en outre qu’il ne bénéficie pas d’un procès équitable devant le Conseil d’état. La jurisprudence issue de votre avis de section du 31 mai 1995 " Ministre du budget c/ SARL Auto-Industrie Méric et autre " (préc.) est donc bien fondée, mais elle ne l’est que parce que le Conseil d’état est une juridiction satisfaisant à l’ensemble des prescriptions de l’article 6-1 et disposant du pouvoir de statuer sur l’ensemble des questions de fait ou de droit que soulève le litige. C’est ce que cherche à marquer une récente décision de vos 6ème et 2ème sous-sections réunies du 9 avril 1999 " G.I.E. Oddo Futures " (n°s 182.421 et 184.097, qui sera mentionnée aux tables, à nos conclusions) dans laquelle, saisis d’un recours dirigé contre une sanction disciplinaire prise par un organisme administratif, le conseil du marché à terme, vous avez écarté le moyen tiré de la violation de l’article 6-1 faute pour cette instance d’avoir statué en audience publique en relevant " que l’examen en séance publique, par le Conseil d’état d’un recours [de pleine juridiction] assure le respect de la publicité de l’audience exigée par l’article 6-1 ".

Cette décision a suscité certaines interrogations. Pour notre part, lorsque nous avions eu l’honneur de conclure devant vos sous-sections réunies sous la décision " G.I.E. Oddo Futures ", nous n’avions pas proposé la solution qui a été retenue, mais celle consistant à écarter le moyen comme inopérant conformément à la jurisprudence " Méric ". Cela ne nous empêche pas de reconnaître que cette décision a le mérite de souligner que c’est bien l’existence du recours au Conseil d’état qui fonde la jurisprudence " Méric ". Nous trouvons en revanche que la décision " G.I.E. Oddo Futures " présente le défaut de paraître reposer sur une approche différente de celle de la Cour, en ce qu’elle semble considérer que la méconnaissance d’une prescription de l’article 6-1 par un organisme administratif est effacée par le respect de la même prescription par le Conseil d’état, alors qu’elle ne peut être rattrapée que par le respect par le Conseil d’état de l’ensemble des prescriptions de l’article 6-1. Si l’organisme saisi en première instance, par exemple, est reconnu comme manquant d’impartialité, et si le recours exercé contre sa décision est jugé par un tribunal qui échappe à ce reproche, mais qui statue en audience non publique, la Cour de Strasbourg constatera une violation de l’article 6-1 parce que le procès n’a été équitable devant aucun des organes saisis. Ainsi, si l’on peut juger qu’il est sans conséquence qu’un organisme administratif méconnaisse telle ou telle prescription de l’article 6-1, c’est parce que sont réunies deux conditions : d’une part, la décision de cet organisme peut être déférée à un juge administratif par la voie d’un recours qui lui permet d’examiner l’ensemble des questions de fait et de droit ; d’autre part, ce juge administratif répond lui-même à l’ensemble des prescriptions de l’article 6-1.

Ce n’est que si le recours devant le juge administratif ne répondait pas à ces deux conditions que l’article 6-1 pourrait être appliqué à la phase administrative. Le pouvoir législatif ou réglementaire a sans doute le pouvoir de décider que des organismes administratifs devront satisfaire à tout ou partie des prescriptions de l’article 6-1 ; mais le juge ne peut en revanche faire produire aux stipulations de cet article plus de droit qu’elles n’en contiennent. L’article 6-1 a pour seul objet de consacrer le droit à un procès équitable ; si ce procès équitable a bien été organisé par le droit interne devant le juge administratif, le requérant a été rempli dans les droits qu’il tient de l’article 6-1  ; vous ne pouvez donc vous fonder sur cet article pour le remplir une seconde fois dans les mêmes droits devant un organe administratif. L’objet de l’article 6-1 étant épuisé par le procès qui se tient devant vous, vous ne pouvez non plus écarter les dispositions législatives ou réglementaires applicables à un organe administratif qui méconnaîtraient telle ou telle prescription de cet article 6-1. Ces prescriptions ne sont que les diverses composantes du droit au procès équitable, et non une collection de règles et de principes dont il appartiendrait au juge national d’étendre, de restreindre ou de moduler l’application en fonction de considérations d’ordre interne.

3. Afin de répondre au moyen de M. DIDIER, il est donc nécessaire d’examiner successivement trois questions : la nature administrative ou juridictionnelle de la décision attaquée ; la question de savoir si le recours au Conseil d’état suffit à assurer le respect de l’article 6-1 ; dans la négative, la question de savoir si l’article 6-1 a été méconnu devant le Conseil des marchés financiers.

a/ La nature administrative ou juridictionnelle de la décision attaquée n’importe à vrai dire qu’en tant qu’elle détermine la nature du recours en Conseil d’état. Or, par une particularité de la rédaction des textes applicables, cette qualification serait ici sans conséquence du point de vue de l’application de l’article 6-1. En effet, l’article 8 du décret n° 96-872 du 3 octobre 1996 dispose que les décisions du CMF vous sont soumises par la voie d’un recours de pleine juridiction. Si vous regardiez le Conseil des marchés financiers comme une juridiction, ces dispositions ne pourraient se comprendre que comme signifiant que ses décisions vous sont soumises par la voie de l’appel. Dans tous les cas, le recours au Conseil d’état permet donc de réexaminer entièrement, en droit comme en fait, les questions qui ont été tranchées par le Conseil des marchés financiers. Il permet en outre, s’agissant d’un recours de plein contentieux, la réformation de la décision entreprise, de sorte qu’il n’y a pas ici à se poser la question de savoir si le recours pour excès de pouvoir assorti d’un contrôle normal suffirait à répondre aux exigences semble-t-il plus rigoureuses de la Cour de Strasbourg quant aux pouvoirs du tribunal saisi du litige lorsque la matière pénale est en cause.

Indiquons cependant qu’il n’est guère douteux que la décision attaquée est une décision administrative et non juridictionnelle.

Tout d’abord, on note que si le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi de la loi du 2 juillet 1996, il avait antérieurement affirmé l’absence de caractère juridictionnel du Conseil de la concurrence (CC, déc. n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Rec. p. 8), du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CC, déc. n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, Rec. p. 18) et de la Commission des opérations des bourse (CC, déc. n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, Rec. p. 71). La loi du 2 juillet 1996 (article 27), en s’inspirant de ces précédents, paraît avoir voulu faire du CMF une autorité administrative indépendante et on note que, dans un domaine voisin, celui de la discipline des établissements bancaires, le législateur a pris soin de préciser expressément que la commission bancaire statuant en matière disciplinaire est une juridiction.

Ensuite, le commissaire du gouvernement peut provoquer, même en matière disciplinaire, une seconde délibération (article 35 de la loi du 2 juillet 1996 - article 7 du décret n° 96-872 du 3 octobre 1996). Cette possibilité ne peut exister que devant une autorité administrative car, ainsi que le relevait Maryvonne de Saint Pulgent dans ses conclusions sous votre arrêt d’Assemblée du 1er mars 1991 " Le Cun " (Rec. p. 70, RFDA 1991 p. 613 concl. M. de Saint Pulgent), par lequel vous avez estimé que le Conseil des bourses de valeur, créé par une loi du 22 janvier 1988 rédigée en termes proches de la loi du 2 juillet 1996, était un organisme administratif : " Un des grands principes applicables aux juridictions est qu’elles sont dessaisies d’un litige dès qu’elles y ont statué  : hormis les cas de révision ou de recours en rectification d’erreur matérielle prévus par la loi, personne, et pas même elle-même, ne peut amener une juridiction à statuer une deuxième fois sur le même litige " (RFDA 1991 p. 616).

Enfin, l’article 69 de la loi du 2 juillet 1996 prévoit que le CMF peut s’auto-saisir en matière disciplinaire ; or si cette possibilité paraît radicalement incompatible avec un caractère juridictionnel, elle est en revanche caractéristique des autorités administratives indépendantes.

b/ Nous en venons à la deuxième condition. La décision attaquée étant une décision administrative, il faudrait, pour que l’article 6-1 soit opérant à son égard, que le recours de plein contentieux exercé devant le Conseil d’état ne suffise pas à garantir le droit du requérant à un procès équitable.

M. DIDIER esquisse une argumentation selon laquelle le recours ouvert devant vous ne présenterait pas un caractère effectif en raison des délais de jugement, qui sont tels que la sanction de retrait temporaire de la carte professionnelle qui lui a été infligée aura été entièrement exécutée à la date à laquelle vous statuerez. M. DIDIER confond ici le droit à un recours effectif, consacré par l’article 13 de la Convention, et le droit à un procès équitable, qui fait l’objet de l’article 6. Or l’article 6-1 ne contient aucune stipulation dont il pourrait se déduire que, lorsque la matière pénale est en cause, les recours juridictionnels devraient être suspensifs. Il se borne à exiger que la procédure juridictionnelle soit de durée raisonnable.

En dépassant l’argumentation de la requête, on peut sans doute relever que la Cour de Strasbourg n’a pas exclu par principe que, dans certains cas, la phase antérieure à l’ouverture du procès puisse conditionner ce dernier dans une telle mesure que le droit à un procès équitable ne serait pas garanti, même devant un tribunal répondant à toutes les exigences de l’article 6-1. Dans un arrêt du 28 octobre 1993 " Imbrioscia c/ Suisse " (série A n° 275), la Cour relève que : " l’article 6 a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un tribunal compétent pour décider du bien-fondé de l’accusation, mais il n’en résulte pas qu’il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement. Ainsi, le délai raisonnable visé au paragraphe 1 commence à courir dès la naissance de l’accusation, au sens autonome et matériel qu’il échet d’attribuer à ce terme […] D’autres exigences de l’article 6, et notamment son paragraphe 3, peuvent aussi jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si et dans la mesure où leur inobservation risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès… " (§ 36). Nous ne voyons aucune autre manière de rattacher, fût-ce de manière fort lâche, à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, la position prise par la Cour de cassation dans deux arrêts récents qui ont censuré, en se fondant sur l’article 6-1, la participation au délibéré du rapporteur devant deux organismes administratifs investis d’un pouvoir de sanction et relevant, par une attribution expresse de compétence, du contrôle des juridictions de l’ordre judiciaire : la Commission des opérations de Bourse (Cass., Ass. plen., 5 février 1999, Commission des opérations de bourse c/ Oury et Agent judiciaire du Trésor, n° Y.97-16.440, Gaz. Pal. 24-25 février 1999 p. 8 concl. M.-A. Lafortune) et le Conseil de la concurrence (Cass. com., 5 octobre 1999, SNC Campenon Bernard et autres c/ ministre de l’économie, des finances et du budget, n° D.97-15.617).

Si nous nous référons aux conclusions de M. l’avocat général Lafortune et au rapport (publié au Bulletin d’information de la Cour de cassation n° 490 du 1er avril 1999) de M. le conseiller Métivet sous le premier de ces arrêts, nous croyons comprendre que le raisonnement de la Cour de cassation consiste, sans remettre en cause le caractère équitable du procès devant la Cour d’appel de Paris : a) à considérer qu’il va de soi qu’en matière pénale, les stipulations des paragraphes 2 et 3 de l’article 6 doivent être respectées pendant toute phase préalable à la saisine du juge [2] ; b) à considérer que ces stipulations ne font qu’expliciter les garanties du paragraphe 1, à l’exception de la publicité de l’audience, mais en incluant le principe de l’égalité des armes et celui de l’impartialité du tribunal ; c) et à en déduire enfin l’application de toutes les stipulations du paragraphe 1 à l’exception de la publicité de l’audience dès la phase administrative. Telle est la solution dégagée dès 1996 par la chambre commerciale de la Cour de cassation selon qui : " ainsi que l’a jugé la Cour européenne des droits de l’homme, des impératifs de souplesse et d’efficacité peuvent justifier l’intervention préalable dans la procédure répressive d’une autorité administrative […] ne satisfaisant pas sous tous leurs aspects aux prescriptions de forme du paragraphe 1er de l’article 6 […] " (Cass. com., 9 avril 1996, Haddad c/ Agent judiciaire du Trésor, Bull. civ. IV n° 115 ; RJA 5/96 p. 438 concl. contraires sur ce point de Mme l’avocat général M.-C. Piniot).

En dépit des acclamations avec lesquelles une large partie de la doctrine spécialisée dans le droit des affaires a accueilli ces arrêts de la Cour de cassation, la solution ne nous convainc guère. En premier lieu, il suffit de se reporter aux paragraphes 2 et 3 de l’article 6, qui sont relatifs à la présomption d’innocence et aux garanties fondamentales des droits de la défense, pour constater qu’ils ne se réfèrent en rien au principe d’impartialité qui n’apparaît qu’au paragraphe 1. En deuxième lieu, contrairement à l’analyse faite de sa jurisprudence par l’arrêt du 9 avril 1996, la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais fait de distinction entre les prescriptions de forme de l’article 6-1 et les prescriptions de fond, et ce pour une raison évidente : c’est que les diverses prescriptions que renferme l’article 6-1 sont les composantes indivisibles de l’unique droit qu’il consacre, le droit à un procès équitable. Enfin, vous avez jugé dans l’avis de Section du 31 mai 1995 " Ministre du budget c/ SARL Auto-Industrie Méric et autre " (préc.) que les stipulations des paragraphes 2 et 3 ne s’appliquent pas plus que celles du paragraphe 1 aux procédures administratives, et la jurisprudence " Imbrioscia c/ Suisse " n’exige l’application des paragraphes 2 et 3 à une phase antérieure à la saisine du juge – et encore une phase bien particulière puisqu’il s’agit de l’instruction pénale – que " si et dans la mesure où leur inobservation risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès… ". Or, nous ne pensons pas que la méconnaissance alléguée de l’obligation d’impartialité devant le Conseil des marchés financiers serait de nature à compromettre gravement le caractère équitable du procès devant le Conseil d’état.

En premier lieu, ni le fait que la matière soit technique, ni celui que le Conseil des marchés financiers soit un organisme spécialisé composé de professionnels, ne sont de nature à vous amener à faire preuve d’une retenue particulière dans votre contrôle de ses décisions. Observons d’ailleurs qu’à l’égard des décisions disciplinaires du Conseil des bourses de valeurs, dont vous étiez saisis par la voie du recours pour excès de pouvoir, vous n’aviez pas hésité à vous reconnaître un contrôle normal (CE, Ass., 1er mars 1991, Le Cun, préc.). Le contentieux des installations classées, pour ne prendre qu’un exemple, nous semble d’une technicité autrement plus redoutable que celui des décisions disciplinaires du Conseil des marchés financiers, et nous trouvons bien plus difficile de décider quel est le système de filtrage des émanations nuisibles d’une usine chimique le mieux adapté et le plus efficace, que de déterminer si M. DIDIER avait ou non entendu apporter des titres à une offre publique d’achat. Or, nous ne savons pas que, dans le contentieux des installations classées, la technicité de la matière vous ait jamais fait hésiter à exercer la plénitude des pouvoirs du juge de pleine juridiction. Si l’on estimait que la technicité de la matière rend illusoire le contrôle du juge, alors, à chaque fois que l’administration au sens strict décide elle-même dans une matière technique, comme en matière d’installations classées (contentieux qui entre sans doute dans le champ d’application de l’article 6-1 : CourEDH, 23 octobre 1985, Benthem c/ Pays-Bas, série A n° 97), il n’y aurait jamais de procès équitable : il n’y en aurait pas devant le juge administratif parce que l’affaire aurait été trop engagée par la décision de l’administration ; et l’administration ne peut jamais être considérée comme un tribunal au sens de l’article 6-1. Peu importerait, d’ailleurs, que l’article 6-1 ait ou non été violé devant l’administration, car l’absence de violation de cet article ne rend pas le contentieux moins technique. L’arbre des autorités administratives indépendantes ne doit pas cacher cette forêt-là.

En deuxième lieu, la jurisprudence précitée de la Cour de Strasbourg ne concerne manifestement pas les procédures de sanctions administratives. Elle n’a fait l’objet que de rares applications, sans rapport avec cette question, concernant le respect par des enquêtes préalables à la saisine du juge pénal de certaines des garanties fondamentales des droits de la défense inscrites à l’article 6 par. 3, à savoir le droit de se défendre soi-même et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (CourEDH, 28 octobre 1993, Imbrioscia c/ Suisse, préc. ; 8 février 1996, John Murray c/ Royaume Uni, Rec. 1996-I p. 49, Rev. science crim. 1997 p. 476 ; 26 septembre 1996, Miailhe c/ France n° 2, Rec. 1996-IV p. 1338). Elle apparaît en réalité comme une sorte de " soupape " à la jurisprudence traditionnelle selon laquelle la Cour de Strasbourg refuse de se prononcer sur les modes d’administration de la preuve devant le juge national.

En troisième lieu, quand bien même voudriez-vous appliquer à l’espèce la jurisprudence " Imbrioscia c/ Suisse ", une abondante jurisprudence de la Cour de Strasbourg montre que le vice invoqué en l’espèce, c’est-à-dire le défaut d’impartialité, peut toujours être rattrapé par un recours devant un tribunal répondant aux prescriptions de l’article 6-1 et que, par voie de conséquence, un défaut d’impartialité à un stade de la procédure ne saurait être de nature à compromettre irrémédiablement le caractère équitable du procès. De la manière la plus nette, dans l’arrêt du 19 décembre 1997 " Helle c/ Finlande " (n° 157/1996/776/977 § 46) : " La Cour rappelle […] que d’après sa jurisprudence constante, une violation de l’article 6-1 de la convention ne peut être fondée sur le manque allégué d’indépendance ou d’impartialité d’un organe juridictionnel, ni sur le manquement par cet organe à une garantie procédurale essentielle si la décision rendue était soumise au contrôle subséquent d’un organe judiciaire doté de la plénitude de juridiction et offrant les garanties de l’article 6 ". Cette jurisprudence s’applique a fortiori aux organes administratifs : ainsi, dans l’arrêt du 25 octobre 1995 " Bryan c/ Royaume Uni " (série A n° 355), la Cour de Strasbourg après avoir considéré que l’inspecteur du logement et de l’urbanisme chargé par le droit britannique d’examiner certains recours en matière d’urbanisme ne pouvait être regardé comme un tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6-1, car le ministre conservait la possibilité d’évoquer l’affaire, a admis que ce défaut d’impartialité était rattrapé par le recours ouvert devant la Haute Cour (§ 48). Un raisonnement similaire est effectué dans l’ arrêt du 26 août 1997 " De Haan c/ Pays-Bas " (n° 84/1996/673/895). De la même manière, dans l’arrêt du 29 avril 1988 " Belilos c/ Suisse " (série A n° 132), la Cour saisie d’un moyen tiré du défaut d’impartialité d’une commission de police chargée par le droit helvétique d’infliger des sanctions administratives, n’a pas considéré que ce vice ne pouvait être purgé par un recours effectif devant un tribunal impartial, mais a au contraire recherché si le recours devant le Tribunal fédéral présentait les caractéristiques d’un recours de plein contentieux, pour conclure en l’espèce par la négative. Enfin, dans l’affaire qui a donné lieu à votre arrêt d’Assemblée du 1er mars 1991 " Le Cun " (préc.), la Commission, saisie d’un moyen tiré de la violation de l’article 6-1 en raison de la participation du rapporteur au délibéré du Conseil des bourses de valeurs français, prédécesseur du CMF, a conclu à l’irrecevabilité de la requête et écarté le moyen en raison du respect de l’article 6-1 par le Conseil d’état saisi par le requérant (ComEDH, 30 juin 1993, J.-P. L. c/ France, n° 18845/91).

En dernier lieu, ainsi que l’exposait le président Labetoulle dans ses conclusions sous l’arrêt de Section du 27 octobre 1978 " Debout " (Rec. p. 395), votre pouvoir autonome d’interprétation de la Convention doit être manié " avec le souci de concilier, dans la mesure du possible, deux préoccupations : d’une part éviter toute solution qui serait radicalement incompatible avec la jurisprudence de la cour ; d’autre part, éviter aussi toute solution qui sur un point marquerait une rupture avec le droit national antérieur. " En l’espèce, aucun arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme n’envisage une situation similaire, et c’est votre jurisprudence actuelle qui est en pleine harmonie avec celle de la Cour, alors que son abandon, même partiel, aurait pour effet de créer, au contraire, une divergence de jurisprudence avec la Cour de Strasbourg. D’autre part, les conséquences d’une évolution ne pourraient sans doute que malaisément être cantonnées au domaine d’intervention des autorités administratives indépendantes, et risqueraient d’entraîner une large remise en cause de la jurisprudence " Méric ", et, par suite, des procédures administratives non contentieuses. S’agissant enfin des autorités administratives indépendantes, l’enjeu d’une application de certaines garanties de l’article 6-1, particulièrement le principe d’impartialité auquel il confère une valeur supra-législative, ne se limitera pas à la question relativement secondaire de la participation du rapporteur au délibéré, mais impliquera la remise en cause des dispositions, y compris législatives, concernant les pouvoirs du commissaire du gouvernement et la possibilité d’auto-saisine en matière disciplinaire. Or la possibilité d’auto-saisine est l’un des principes constitutifs du droit des autorités administratives indépendantes, et l’une des conditions essentielles de l’efficacité de leur pouvoir disciplinaire. Elle résulte d’un choix du législateur, qui a reçu l’approbation du Conseil constitutionnel. N’y a-t-il pas quelque paradoxe à vouloir remettre en cause ce choix au nom de stipulations conventionnelles qui ne s’appliquent qu’aux juridictions  ?

c/ Nous ne pouvons nous arrêter là puisque M. DIDIER invoque également le principe d’impartialité de l’action administrative, qui est un principe général du droit interne (CE, Sect., 20 juin 1958, Louis, Rec. p. 368), applicable aux autorités administratives indépendantes (CC, déc. n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, Rec. p. 71 : la Commission des opérations de bourse " est, à l’instar de tout organe administratif, soumise à une obligation d’impartialité pour l’examen des affaires qui relèvent de sa compétence "). Pour lui faire reste de droit, nous profiterons de l’examen de cette branche de son argumentation pour vous exposer que la participation du rapporteur au délibéré de la formation disciplinaire n’a pas plus méconnu ce principe que la règle d’impartialité contenue dans les stipulations de l’article 6-1, dont le contenu, tel qu’explicité par la Cour de Strasbourg, rejoint celui que votre jurisprudence donne au principe général d’impartialité en matière juridictionnelle ou administrative.

Le principe d’impartialité comporte deux aspects : il implique tout d’abord que les membres de l’organisme en cause soient exempts d’arrière-pensées personnelles ; il exige en second lieu que l’indépendance de l’organisme ne puisse légitimement être soupçonnée. Le premier aspect du principe, dit " impartialité subjective ", n’est pas ici en cause. La contestation porte sur le second aspect, dit " impartialité objective ", que consacre tant la Cour de Strasbourg (CourEDH, 21 septembre 1982, Piersack c/ Belgique, série A n° 53 § 30) que votre jurisprudence (CE, 2 octobre 1996, Commune de Sartrouville, Rec. T. p. 1101).

L’obligation d’impartialité interdit de cumuler la qualité de juge et celle de partie. Il s’agit à la fois d’une question d’impartialité et d’égalité des armes, ainsi que l’exprime une de vos décisions qui relève que : " le principe général du caractère contradictoire de la procédure et du respect dû aux droits de la défense s’oppose à ce que, dans le cours d’une procédure juridictionnelle de caractère répressif, une même personne puisse être à la fois juge et partie " (CE, 14 janvier 1981, Putot, Rec. p. 17).

C’est la raison pour laquelle les représentants du ministère public, lorsqu’il en existe un, ne sauraient participer au jugement de l’affaire (CourEDH, 17 janvier 1970, Delcourt c/ Belgique, Série A n° 11, a contrario  ; 21 septembre 1982, Piersack c/ Belgique, préc. § 30 – d’autre part : Cass. crim., 13 septembre 1827, Bull. crim. n° 237 ; 7 janvier et 6 novembre 1986, D. 1987 Jur. p. 237 note Pradel ; 26 avril 1990, Bull. crim. n° 162 ; 10 janvier 1996, Bull. crim. n° 9). Le ministère public est en effet partie au procès  : ceci est vrai dans tous les cas en matière pénale ; c’est vrai dans certains cas en matière civile, et dans les autres cas, le ministère public a la qualité de " partie jointe " ; devant les juridictions administratives, il n’existe en règle générale pas de ministère public, à quelques rares exceptions qui confirment la règle, comme devant les chambres régionales des comptes, où le commissaire du gouvernement est bien une partie puisqu’il peut faire appel du jugement rendu contrairement à ses conclusions.

C’est également par extension du même principe qu’un magistrat ou un fonctionnaire ne peut juger un recours dirigé contre une décision dont il est l’auteur ou à laquelle il a participé (CE, 11 février 1953, Société industrielle Bozel Malétra, Rec. p. 62 ; Sect., 2 mai 1973, Dlle Arbousset, Rec. p. 190 ; 30 novembre 1994, Pinto, Rec. T. p. 1125 – et d’autre part : CourEDH, 28 septembre 1995, Procola c/ Luxembourg, série A n° 326 et : Crim., 26 janvier 1982, Bull. crim. n° 31 ; 27 mars 1990, Bull. crim. n° 134 ; Civ. 2e, 7 novembre 1988, Bull. civ. II n° 210 ; 21 juin 1989, Bull. civ. II n° 131 ; 5 mai 1993, Bull. civ. II n° 159 ; 3 novembre 1993, Bull. civ. II n°s 306 et 307 ; 10 octobre 1996, Bull. civ. II n° 233).

C’est enfin la même extension du principe qui justifie que ne puisse siéger l’auteur de la plainte qui a saisi une juridiction disciplinaire (CE, Sect., 2 mars 1956, Berson et Mouillard, Rec. p. 104 ; 16 décembre 1960, Colombel, Rec. p. 113, a contrario), bien qu’il ne soit pas à proprement parler partie à l’instance (CE, 30 juillet 1949, Faucon, Rec. p. 409). En revanche, devant un organisme administratif vous considérez qu’aucun principe général du droit n’interdit que siège au sein de l’instance disciplinaire la personne qui a engagé les poursuites disciplinaires (en matière de contentieux de la fonction publique : CE, 11 juillet 1958, Tordo, Rec. p. 431 ; 11 mai 1960, Ministre de l’agriculture c/ Laniez, Rec. p. 316  ; 12 juillet 1969, Lebris, Rec. p. 380 – revenant sur une jurisprudence contraire : CE, 22 mai 1935, Dme Teissier, Rec. p. 579 – devant une autorité administrative indépendante : CE, Ass., 1er mars 1991, Le Cun, préc.). Cette jurisprudence sera peut-être amenée à évoluer, car une évolution vers une conception plus rigoureuse de l’impartialité objective semble se dessiner aussi bien dans la jurisprudence de la Cour de cassation que dans celle de la Cour de Strasbourg, et vous pourriez vouloir en tenir compte. Mais, en l’espèce, la question ne se pose pas, puisque le CMF a été saisi par le président de la COB.

L’obligation d’impartialité interdit également, dans une assez large mesure, la confusion de deux fonctions relevant d’offices judiciaires distincts, lorsque l’exercice de l’une de ces fonctions implique un " pré-jugement " sur ce qui devra être jugé dans le cadre de l’autre.

Ainsi, lorsqu’il existe des juridictions spécialisées dans l’instruction, le magistrat qui y a participé ne peut ensuite participer au jugement de l’affaire au fond. Dans ce cas, l’instruction est en effet " une sorte d’avant-procès permettant de rechercher quelles sont les preuves qui conduiront à établir l’existence d’une infraction et à déterminer si les charges relevées à l’encontre des personnes poursuivies sont suffisantes pour qu’une juridiction de jugement soit saisie " [3]. Quel que soit l’acte qui clôt la phase d’instruction le juge d’instruction effectue une sorte de préjugement de l’affaire, en se prononçant sur les présomptions de culpabilité des personnes mises en examen, et en décidant, selon qu’il estime que ces présomptions sont ou non suffisantes, leur mise hors de cause ou leur renvoi devant une juridiction d’accusation ou de jugement. Ayant ainsi préjugé des principales questions à trancher sur le fond, on peut craindre qu’il serait difficile au juge, lors de l’instance au fond, et quelle que soit la pertinence des arguments nouveaux échangés par les parties, de revenir sur sa première opinion. Telle est la source du principe d’interdiction du cumul des fonctions de juge d’instruction et de juge du fond, solidement établi depuis le Code d’instruction criminelle de 1808 et qui figure aujourd’hui à l’article 49 du CPP, mais qui découle également du principe d’impartialité contenu dans l’article 6-1 ; ce dernier interdit d’exercer successivement des fonctions de juge d’instruction, ou de juge de la détention provisoire, et de juge de fond, lorsque les premières ont conduit à trancher des questions similaires à celles que le juge du fond a à trancher (CourEDH, 26 octobre 1984, De Cubber c/ Belgique, série A n° 86 ; 24 mai 1989, Hauschildt c/ Danemark, série A n° 154 § 49). Ce n’est que lorsque les questions à trancher par le juge saisi en premier lieu sont sensiblement différentes de celles qu’a à trancher la juridiction saisie au fond que l’article 6-1 n’est pas méconnu (CourEDH, 16 décembre 1992, Sainte-Marie c/ France, D. 1993 Somm. p. 384 obs. Renucci ; 24 février 1993, Fey c/ Autriche, série A n° 255 ; 26 février 1993, Padovani c/ Italie, série A n° 257 B, JCP 1994.I.3742 note Sudre, Rev. sc. crim. 1993 p. 369 obs. L.-E. Pettiti ; 24 août 1993, Nortier c/ Pays-Bas, série A n° 267 § 35 ; 22 avril 1994, Saraiva de Carvalho c/ Portugal, § 37, JCP 1995.I.3823 ; 22 février 1996, Bulut c/ Autriche, JCP 1997.1.4000 n° 25 obs. Sudre, Rev. science crim. 1997 p. 473), position plus souple que celle de la Cour de cassation pour qui tout acte d’instruction est " de nature à initier le magistrat à la connaissance des faits incriminés et à influencer son appréciation " (Cass. crim., 21 mars 1935, Bull. crim. 1935 n° 35 – voir ensuite : Cass. crim., 18 mai 1976, Bull. crim. 1976 n° 168).

Le principe d’impartialité ne joue pas seulement entre juridictions d’instruction et juridictions de jugement : il s’étend à tout cumul d’offices judiciaires distincts lorsque les questions à trancher sont similaires. La Cour de cassation interdit ainsi au juge qui statue sur une demande de référé-provision en raison du caractère non sérieusement contestable de l’obligation de participer ensuite au jugement du fond (Cass., Ass. plen., 6 novembre 1998, n° 430 P, Gaz. Pal. 1998.2.865, D. 1999 Jur. p. 1 concl. du procureur général Burgelin).

Il en va ainsi a fortiori lorsque les questions à trancher sont identiques, comme c’est le cas entre la première instance et l’appel. Cette règle est consacrée tant par la Cour de cassation (Cass. crim., 8 novembre 1951, Bull. crim. n° 290 ; 26 janvier 1982, Bull. crim. n° 31 ; 26 septembre 1996, Bull. crim. n° 333Cass. civ. 1ère, 16 juillet 1991, Bull. civ. I n° 247Cass., Civ. 2e, 3 juillet 1985, D. 1986 p. 546 concl. L. Charbonnier ; 3 novembre 1993, JCP 1994.IV.3 – Cass. civ. 3e, 27 mars 1991, Bull. civ. III n° 105) que par vous (CE, 30 novembre 1994, Pinto, préc.  ; 30 juillet 1997, Mme Lévy, Rec. T. p. 1013), et par la Cour de Strasbourg (CourEDH, 23 mai 1991, Oberschlick c/ Autriche (n° 1), série A n° 204).

En dehors de cette dernière hypothèse, votre jurisprudence n’a guère eu l’occasion de se prononcer sur la possibilité de cumuler des fonctions relevant d’offices différents qu’en ce qui concerne les rapports entre le pénal et le disciplinaire, et toujours pour affirmer l’indépendance des deux actions (CE, Sect., 27 avril 1988, Sophie, Rec. p. 160). Peut-être cette jurisprudence sera-t-elle amenée à évoluer. Mais, là non plus, la question ne se pose pas dans la présente affaire.

En effet, les fonctions d’instruction du rapporteur devant le CMF participent de l’office même de cet organisme, c’est-à-dire ses attributions disciplinaires. Le rapporteur intervient après que la formation disciplinaire a été saisie. Si nous réservons le cas de l’auto-saisine, le Conseil est saisi, selon l’article 60 de la loi du 2 juillet 1996, " soit à la demande du commissaire du gouvernement, soit à la demande du président de la Commission des opérations de bourse, soit à la demande du gouverneur de la Banque de France, président de la Commission bancaire, soit à la demande d’une entreprise de marché ou d’une chambre de compensation ". En l’espèce, le Conseil a été saisi, nous l’avons dit, par le président de la COB. Selon l’article 4 du décret n° 96-872 du 3 octobre 1996 : " Le président désigne, pour chaque affaire, la formation saisie et un rapporteur parmi les membres de celle-ci. Le rapporteur, avec le concours des services du Conseil des marchés financiers, procède à toutes investigations utiles. Il peut recueillir des témoignages. Il consigne le résultat de ces opérations par écrit. " Le président du CMF a donc désigné une formation disciplinaire et un rapporteur, M. Alain Ferri.

Le rapporteur ainsi désigné n’avait pas à formuler les griefs faits à M. DIDIER : conformément aux dispositions combinées des articles 2 et 4 du décret du 3 octobre 1996, sa désignation intervient au plus tôt au moment de la notification des griefs faite par le président à la personne poursuivie. Sa fonction ne s’apparentait donc en rien à celle d’un accusateur. Il n’avait pas non plus à se prononcer sur le sérieux des griefs et n’avait pas le pouvoir de clore la procédure ou de renvoyer les personnes mises en cause devant la formation disciplinaire. Sa fonction était donc sans rapport avec celle d’un juge d’instruction. Son seul rôle était, en menant une instruction à charge et à décharge, de réunir l’ensemble des éléments de fait qui permettraient au Conseil de se prononcer sur les griefs dont il était saisi par la plainte de la Commission des opérations de bourse, et de rendre en toute connaissance de cause la décision qu’il lui incombait de prendre dès lors que la saisine avait ouvert la procédure disciplinaire. Le rapporteur agissait, en quelque sorte, comme délégué du Conseil des marchés financiers, afin d’accomplir des actes d’instruction qu’en vertu de ses pouvoirs généraux, le Conseil aurait certainement pu décider d’accomplir lui-même au moment de sa réunion, essentiellement l’audition de témoins à laquelle, selon l’article 6 alinéa 3 du décret du 3 octobre 1996, il peut également être procédé lors de la réunion du Conseil. Enfin, le rapporteur n’avait même pas à prendre parti dans son rapport, et M. Ferri ne l’a pas fait en l’espèce, sur l’issue qui lui semblait devoir être celle de la procédure disciplinaire : il n’avait donc pas manifesté de parti pris ni exprimé de pré-jugement avant la délibération au cours de laquelle, comme les autres membres du collège, il a arrêté sa propre opinion.

Or, l’obligation d’impartialité ne saurait interdire à une juridiction, et il en va a fortiori de même d’un organisme administratif, d’exercer les diverses fonctions qui relèvent de son office, même lorsque celui-ci comporte à la fois des fonctions d’instruction et des fonctions de jugement. Tel est d’ailleurs généralement le cas. Ainsi, devant les juridictions pénales, une partie de l’instruction a lieu à l’audience : c’est la phase dite d’instruction définitive qui vise à l’administration de la preuve à partir des éléments du dossier constitué par le juge d’instruction, en les complétant par les actes d’instruction utiles à la manifestation de la vérité  : interrogatoire du prévenu, audition de témoins et d’experts, examen de pièces à conviction et, le cas échéant, prescription de nouvelles mesures d’instruction confiées à l’un des juges (art. 463 CPP). En matière criminelle, le président de la cour d’assises peut ordonner tout acte pouvant faciliter l’administration de la preuve et aider à la manifestation de la vérité (art. 310 CPP). Il en va de même devant les juridictions civiles (articles 143 et suivants du NCPC) : ainsi, devant la Cour d’appel, c’est le conseiller chargé de la mise en état qui rapporte ensuite l’affaire au civil, et la Cour de cassation n’y fait aucune objection (Cass. civ. 2e, 13 mars 1996, D. 1996 IR 121). Il en va de même devant les juridictions administratives. Il en va également ainsi devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui peut ordonner diverses mesures d’instruction en en chargeant, le cas échéant, certains de ses juges, selon l’article 42 du règlement général de procédure, et désigne dans chaque affaire un ou plusieurs juges rapporteurs qui, selon l’article 49 2. a) du règlement général de procédure, peuvent effectuer certains actes d’instruction.

Il est à cet égard sans importance que les actes d’instruction qui procèdent de l’office même du juge soient accomplis avant l’audience, comme c’est généralement le cas devant les juridictions administratives, ou au cours de celle-ci, comme c’est généralement le cas devant les juridictions pénales. D’abord, ce principe n’a rien d’absolu : c’est bien à l’audience que la juridiction administrative décidera de certaines mesures d’instruction telles que l’interrogatoire, et c’est souvent au moment de l’audience qu’est décidée, avant-dire-droit, une visite des lieux ou une expertise ; et, d’autre part, devant les juridictions judiciaires, les mesures d’instruction décidées à l’audience peuvent entraîner la suspension de celle-ci, comme lorsque est mis en œuvre l’article 463 du CPP. Surtout, qu’il soient effectués avant ou pendant l’audience, les actes d’instruction sont effectués pendant le procès, lequel a été ouvert par l’assignation devant le juge civil, par le renvoi ou la citation directe devant le juge pénal, par la requête devant le juge administratif de droit commun.

L’étendue des pouvoirs d’instruction et l’usage effectif qui en a été fait ne sont pas non plus des considérations primordiales, même si l’on peut noter qu’ils sont ici assez limités et ne sont assortis d’aucun pouvoir de contrainte. De tous les magistrats, c’est le président de la cour d’assises qui a les pouvoirs d’instruction les plus étendus  : ces pouvoirs sont à peu près sans limite ; et pourtant, on ne s’est jamais avisé de soutenir qu’ils l’empêchaient de délibérer. Et les pouvoirs d’instruction de la sous-section saisie de l’affaire au Conseil d’état sont également bien plus importants que ceux du rapporteur devant le CMF. Ce n’est que pour se livrer à une appréciation en l’espèce des conséquences à tirer du cumul de fonctions relevant d’offices distincts que la Cour de Strasbourg prend en considération, ainsi que nous l’avons rappelé, l’importance des mesures d’instruction accomplies par le magistrat.

Il est enfin sans conséquence que les mesures d’instruction soient décidées par la juridiction elle-même ou par un magistrat délégué par celle-ci. Certes, nombre des commentaires qui ont été présentés à propos des arrêts de la Cour de cassation concernant la Commission des opérations de bourse et le Conseil de la concurrence sont d’un avis différent (voir notamment : Bull. Joly Bourse 1999 p. 129 note N. Rontchevsky ; LPA 10 février 1999 n° 29 note P.M. et note C. Ducouloux-Favard ; JCP 3 juin1999 n° 22 p. 957 note E. Garaud) ;. ils relèvent que le rapporteur qui a conduit l’instruction de l’affaire dispose d’une connaissance approfondie d’un dossier complexe qui le met en situation d’exercer, au cours du délibéré, une influence décisive sur les autres membres du collège. Nous pensons toutefois que cet argument procède d’une confusion entre l’exigence d’impartialité, qui interdit tout préjugement, et la règle de l’égalité des armes inscrite dans le principe général du caractère contradictoire de la procédure. Sur le fondement du principe de l’égalité des armes, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la note du rapporteur devant la Cour de cassation devaient être communiquée aux parties dans les mêmes conditions qu’elle l’est à l’avocat général (CourEDH, 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane-Kaïd c/ France, D. 1998 Somm. p. 366 obs. G. Baudoux, D. 1999 Jur. p. 281) ; mais elle n’a pas remis en cause l’appartenance du rapporteur à la formation de jugement. Car l’opinion qu’un magistrat se forme sur un dossier dans le for de sa conscience ne constitue pas un préjugement ; et ce n’est pas parce que cette opinion repose sur une connaissance particulièrement approfondie du dossier qu’elle acquiert ce caractère, sauf à estimer qu’il n’est de bonne justice que rendue par des juges complètement ignorants de l’affaire jusqu’au moment où il leur faut opiner. Poussée à l’extrême, cette logique voudrait que Thémis eût non seulement les yeux bandés, mais qu’elle fût également sourde, muette, et si possible encore dans les langes, et l’on se prend à songer aux réquisitions de l’avocat général qui concluait, sous un arrêt du Parlement d’Aix-en-Provence du 14 juin 1689, que " les aveugles sont d’autant plus propres à remplir [la] fonction [de juge] qu’ils sont plus recueillis et moins distraits par les objets extérieurs " [4]. On peut d’ailleurs s’amuser de noter que tandis que la doctrine spécialisée dans le droit des affaires s’offusquait de voir un rapporteur participer aux débats de la Commission des opérations de bourse, d’éminents pénalistes comme les professeurs Merle et Vitu estimaient pour leur part " qu’il n’y aurait qu’avantage à voir siéger dans la juridiction de jugement le juge qui a instruit l’affaire, celui-ci connaissant bien le délinquant et sa personnalité " [5].

En réalité, ainsi que le juge de manière constante la Cour de Strasbourg, la connaissance approfondie qu’un magistrat peut acquérir du dossier n’implique pas un préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond (CourEDH, 24 août 1993, Nortier c/ Pays-Bas, préc. § 35 ; 22 avril 1994, Saraiva de Carvalho c/ Portugal, préc. § 38). C’est la raison pour laquelle, sauf texte contraire, rien ne s’oppose à ce qu’après cassation, une affaire soit rejugée par une formation dans laquelle siègent plusieurs des juges qui avaient participé au premier jugement (CourEDH, 26 septembre 1995, Diennet c/ France, série A n° 325 § 38), quoique la Cour de cassation en juge différemment (Civ. 2e, 14 octobre 1987, Bull. civ. II n° 194 ; Civ. 3e, 11 juin 1987, Bull. civ. III n° 122), ou bien que les mêmes juges rejugent un accusé qu’ils avaient auparavant condamné par défaut (CourEDH, 10 juin 1996, Thomann c/ Suisse, D. 1997 Somm. p. 207 obs. Renucci).

Si vous nous avez suivis jusqu’ici, le rejet du moyen s’impose, car il ne saurait être question d’imposer à une autorité administrative des règles plus contraignantes que celles qui pèsent sur les juridictions. Si un juge-rapporteur investi de pouvoirs d’instruction peut participer au délibéré de la formation de jugement, il s’en évince nécessairement qu’il en va de même pour le rapporteur qui remplit une fonction similaire devant un organisme administratif, sans qu’aucun principe général du droit n’y fasse obstacle, car si un tel principe existait, il heurterait la plupart des dispositions de droit positif. Or, ainsi que le rappelait le président Labetoulle dans ses conclusions sous l’arrêt de Section du 27 octobre 1978 " Debout " (préc.), " l’affirmation d’un nouveau principe général du droit est moins la création ex nihilo d’une règle vraiment nouvelle que la reconnaissance et la consécration d’une norme jusqu’alors inexprimée mais néanmoins sous-jacente ".

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II. Les trois autres moyens appellent de moins amples développements.

1. Le deuxième moyen est tiré d’une violation des droits de la défense faute pour le rapporteur d’avoir versé au dossier un certain nombre de documents recueillis durant ses investigations.

Le moyen manque en fait s’agissant de la note du service de l’inspection du CMF concernant " l’impact financier ex post pour Dynabourse des opérations parallèles à l’OPA d’Allianz sur les AGF ". Cette note figure en annexe 6 du rapport de M. Ferri, dont le requérant a reconnu avoir pris connaissance le 19 janvier 1999. Dans son mémoire complémentaire, M. DIDIER reproche au rapporteur de n’avoir pas versé au dossier une version préliminaire de cette note, mais il va de soi que seule la version définitive importait, puisqu’elle remplaçait par hypothèse les autres versions provisoires.

En ce qui concerne le courrier du président de la COB du 19 mai 1998 au président du CMF lui transmettant le rapport d’inspection établi par les services de la COB, il se bornait à une brève récapitulation des éléments contenus dans le rapport, qui a bien été versé au dossier. N’apportant aucun élément nouveau, ce courrier n’avait pas à être discuté contradictoirement (CE, 16 mai 1952, Garry, Rec. p. 259 ; 13 mars 1959, Alaux, Rec. p. 179).

En ce qui concerne deux courriers du 28 août 1998 adressés par le président du CMF au président de CAIC, société venue aux droits de la société Dynabourse, lui transmettant le dossier de la procédure, ainsi qu’un envoi complémentaire du 7 septembre 1998, ils étaient sans rapport avec la situation personnelle de M. DIDIER, mais concernaient la procédure disciplinaire engagée par ailleurs contre la société Dynabourse, devenue la société CAIC. Ils n’avaient donc pas à être versés au dossier concernant M. DIDIER.

En ce qui concerne une lettre d’information qui aurait été adressée au commissaire du gouvernement, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que, conformément à l’article 3 du décret du 3 octobre 1996, les observations de M. DIDIER ont été transmises au commissaire du gouvernement, sans autres observations.

En ce qui concerne la description de l’intervention que le CMF aurait effectuée auprès de Dynabourse au moment où se sont déroulées les interventions litigieuses, cette intervention n’a été mentionnée que par M. Perrollaz, président de Dynabourse, lors de son audition par le CMF, et uniquement pour en nier l’existence. Aucune pièce du dossier ne corrobore l’allégation de M. DIDIER selon laquelle tant le rapporteur que le chef du service de l’inspection du CMF auraient fait référence à une telle intervention. Tout donne à croire que le document en cause n’existe pas.

2. La réponse au troisième moyen appelle un rapide exposé des faits. Ceux-ci s’inscrivent dans le contexte de l’offre publique d’achat lancée par la société Allianz sur les actions et obligations convertibles de la société des Assurances Générales de France (AGF). L’article 5-2-11 du règlement général du CMF prévoit que : " Les personnes qui désirent présenter leurs titres en réponse à l’offre transmettent leurs ordres aux intermédiaires qualifiés de leur choix. Ces ordres peuvent être révoqués à tout moment jusque et y compris le jour de clôture de l’offre. " Cette date a été fixée par le CMF au 20 mars 1998, mais il était laissé jusqu’au 3 avril 1998 pour la centralisation des offres présentées par les intermédiaires financiers. Informé que certains professionnels pensaient pouvoir réserver leur décision définitive jusqu’à cette dernière date, le CMF a diffusé, le 25 mars 1998, un communiqué rappelant que les offres devenaient irrévocables à la date de clôture de l’offre, soit dès le 20 mars 1998. Simultanément, la Commission des opérations de bourse diligentait une enquête auprès de certains intermédiaires financiers. Les investigations menées au siège de la société Dynabourse Arbitrage laissaient apparaître que celle-ci avait cédé sur le marché près de 4,2 millions de titres AGF entre le 24 mars et le 3 avril 1998.

Or, selon les inspecteurs de la COB, sur ce montant, plus de 4 millions de titres avaient été apportés à l’offre par la Société Dynabourse Arbitrage le 20 mars 1998, date de clôture de l’offre. C’est le motif qu’a retenu le CMF pour sanctionner M. DIDIER.

La seule chose qui soit certaine est qu’une télécopie a été envoyée le 20 mars 1998 par la Société Dynabourse Arbitrage à la société Dynabourse concernant l’offre publique d’achat sur les AGF. Cette télécopie ayant été reprise par son émetteur et malencontreusement détruite, son contenu exact demeure inconnu.

M. DIDIER soutient qu’il croyait en toute bonne foi qu’en tant qu’intermédiaire financier, il pouvait attendre jusqu’au 3 avril 1998 avant de prendre sa décision définitive. La télécopie du 20 mars 1998 était un document préparatoire, qui aurait d’ailleurs été envoyé par erreur par un de ses collaborateurs qui n’avait pas le pouvoir de donner un ordre au service conservation de la société Dynabourse, lequel l’aurait par erreur interprété comme un ordre d’apport.

On peut s’étonner qu’un professionnel au fait du fonctionnement des marchés puisse de bonne foi commettre une erreur aussi grossière que celle de confondre la date de clôture d’une OPA et le délai technique de centralisation des ordres, et puisse de bonne foi s’imaginer qu’en méconnaissance du principe de base de l’égalité de traitement des actionnaires, le CMF aurait fixé des dates de clôture différentes pour les intermédiaires financiers et pour les autres actionnaires.

Mais, surtout, on observe que le service conservation de la société Dynabourse a manifestement interprété la télécopie du 20 mars 1998 comme un ordre d’apport, quel qu’en ait été le libellé et nonobstant la personnalité de son signataire, puisque dès le 24 mars 1998 était confectionné un bordereau récapitulatif post-daté du 3 avril qui mentionnait les titres apportés par la société Dynabourse Arbitrage, et qui a dû ensuite être rectifié au correcteur afin d’effacer la ligne correspondante. Et sans doute l’hésitation était-elle au moins permise, puisque la télécopie a elle-même été détruite. En outre, il est évidemment troublant d’observer que cette télécopie a été envoyée précisément le 20 mars, date de clôture de l’offre, c’est-à-dire la date qu’en pratique un professionnel attendra avant de prendre sa décision.

On observe également que les titres en question ont été cédés sur le marché le 25 mars 1998. Or, ce jour-là, l’agence Reuter avait diffusé des informations favorables au cours de l’action des AGF, lequel s’était établi, à la clôture de la séance du 24 mars, à un niveau supérieur à celui de l’offre. Les apparences sont bien que, le 25 mars, M. DIDIER s’est avisé qu’il avait eu tort d’apporter ses titres à l’offre publique d’achat, s’est arrangé avec le service conservation pour que l’ordre d’apport soit effacé sur le bordereau établi la veille et a fait détruire la télécopie qui le matérialisait.

En l’absence de preuve matérielle formelle, il faut se former une opinion sur la base d’une intime conviction. En l’espèce, les apparences nous semblent bien aller contre la thèse de la requête. Nous vous proposons donc d’écarter le moyen et d’estimer que le CMF a pu tenir les faits pour établis.

3. En dernier lieu, M. DIDIER soutient que l’amende de 5 millions de francs qui lui a été infligée excédait le plafond fixé par l’article 69 de la loi du 2 juillet 1996 à " quatre cents mille francs ou au triple des profits éventuellement réalisés ". Le CMF a considéré que l’opération litigieuse avait permis à la SNC Dynabourse arbitrage de réaliser un profit de 22 millions de francs, et évalué le profit personnel de M. DIDIER au prorata de ses parts dans cette société, soit 21,74%, ce qui laisse un montant de 4,9 millions de francs.

M. DIDIER conteste en premier lieu l’évaluation du profit réalisé à 22 millions de francs, sur la base de l’écart entre le cours auquel les actions ont été effectivement cédées sur le marché et le prix de l’offre publique d’achat en faisant valoir que les titres auraient dû être évalués au cours de marché à la date de la révocation de l’ordre d’apport. Mais cette argumentation ne saurait convaincre : la méthode de valorisation retenue par la décision attaquée est celle qui s’imposait, c’est-à-dire la différence entre ce que la société Dynabourse aurait perçu si elle avait, comme elle aurait dû le faire, apporté ses titres à l’offre et le montant que la vente irrégulière des titres lui a effectivement procuré.

M. DIDIER rétorque en second lieu que le calcul de la part lui revenant sur ces bénéfices est purement théorique et qu’en l’absence de cession de sa participation, il n’a tiré aucun profit de l’opération. Cependant la société dont il est actionnaire a vu sa valorisation augmenter du bénéfice réalisé, dont M. DIDIER a pu percevoir une partie sous forme de distribution de dividendes, et dont l’autre partie peut être réalisée par la vente de ses titres. Il ne s’agit pas d’un profit hypothétique, mais d’un profit réalisable, même s’il n’a pas été réalisé. Si l’on suivait l’argumentation de la requête, selon laquelle seul les profits effectivement réalisés peuvent être pris en compte, le plafond de l’amende varierait selon l’astuce de la personne poursuivie, selon qu’elle aurait ou non attendu la décision du CMF pour réaliser son bénéfice. Pour pallier cet inconvénient, il nous semble possible de comprendre autrement le texte en rattachant l’adverbe " éventuellement " au mot " réalisés " : il faut entendre que le plafond de la sanction est égal au triple des profits réalisés éventuellement, c’est-à-dire réalisés ou non.

Mais, surtout, le plafond de l’amende est à notre avis indépendant de la part des bénéfices réalisés revenant à la personne sanctionnée. La loi du 2 juillet 1996 a pour objet de permettre de sanctionner des fautes professionnelles, que celles-ci aient ou non permis à leurs auteurs de s’enrichir personnellement. On note en ce sens que la Cour de cassation a interprété les dispositions de l’article 10-2 de l’ordonnance n° 67-833du 28 septembre 1967, concernant le délit d’initié, qui fixent l’amende au maximum au décuple " du profit éventuellement réalisé ", comme n’impliquant pas que les profits aient été réalisés par le prévenu lui-même (Cass. crim., 26 octobre 1995, Bull. crim. n° 324). En l’espèce, il est constant qu’ils l’ont été par la société Dynabourse Arbitrage, de sorte que l’amende qui pouvait être infligée à M. DIDIER pouvait atteindre le triple de ces profits, soit 66 millions de francs.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête.
 



Notes de bas de page

1) Note critique  : L. Maublanc-Fernandez et J.-P. Maublanc, « Dynamique européenne et résistances internes : propos sur l’application de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme en matière fiscale », RFDA 1995 pp. 1181-1188 (retour au texte)

2) Voir également, dans le même sens : Guy Canivet, « La procédure de sanction administrative des infractions boursières à l’épreuve des garanties fondamentales », RJDA 5/96 pp. 423 sqq. (retour au texte)

3) J. Vincent, S. Guinchard, G. Montagnier, A. Varinard, La justice et ses institutions, 4e édition, Paris, Dalloz, 1996, p. 731 (retour au texte)

4) Cité par Merlin de Douai, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, 1827, tome X, V° magistrat (retour au texte)

5) Roger Merle et André Vitu, Traité de droit criminel. Procédure pénale, 4e édition, 1989, tome II, n° 1021 (retour au texte)

© - Tous droits réservés - Alain SEBAN - 3 décembre 1999

 


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