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THEMES ABORDES :
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Conseil d’Etat, Assemblée, 6 avril 2001, n° 206764, SA Entreprise Razel frères et Le Leuch



Conclusions sous Conseil d’Etat, Assemblée, 6 avril 2001, n° 206764, S.A. Razel Frères et M. Christian LE LEUCH

Par Alain SEBAN
Maître des Requêtes au Conseil d’Etat

Il est de pratique courante que la même personne soit chargée de la vérification administrative de la gestion d’un organisme et fasse ensuite fonction de rapporteur dans la procédure juridictionnelle de gestion de fait engagée à la suite de cette vérification. C’est la question de la régularité de ce cumul d’attributions qui a justifié le renvoi de l’affaire devant l’Assemblée du contentieux.

A l’égard des organismes relevant de leur compétence, la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes remplissent deux missions essentielles : juger les comptes des comptables publics et contrôler la gestion des ordonnateurs.

Les comptabilités proprement dites font l’objet d’un contrôle juridictionnel : le comptable est tenu de produire son compte, avec les pièces justificatives de ses opérations, à la juridiction compétente pour procéder à son jugement. Après une procédure contradictoire organisée par un ou plusieurs jugements provisoires, un jugement définitif donne au comptable décharge, et quitus s’il a quitté ses fonctions, ou bien le constitue en débet.

La gestion des ordonnateurs fait l’objet d’un contrôle qui est en principe administratif, puisque les juridictions financières n’ont pas de juridiction sur les ordonnateurs. Ce contrôle, dont les textes précisent qu’il s’effectue « sur pièces et sur place », est traditionnellement dénommé « vérification des comptes et de la gestion », les comptes dont s’agit étant non pas ceux du comptable, mais ceux de l’ordonnateur, c’est-à-dire le budget et les actes pris pour son exécution. Confié à un rapporteur, il donne lieu à la présentation par celui-ci d’un rapport, à la suite duquel la juridiction, statuant comme organe administratif, peut adresser des observations à l’organisme contrôlé.

Il peut cependant arriver que la vérification de la gestion d’un ordonnateur débouche sur une procédure juridictionnelle, lorsqu’elle met au jour des irrégularités constitutives de gestion de fait, c’est-à-dire le maniement irrégulier de deniers relevant d’un comptable public. Dans ce cas, la juridiction peut déclarer les personnes concernées « comptables de fait » : par un jugement de déclaration de gestion de fait, elle reconnaît sa compétence à l’égard des personnes concernées, qui sont dès lors tenues, à peine d’amende, de lui rendre compte de l’emploi des deniers. Elle juge ensuite ce compte, constitue le cas échéant les comptables de fait en débet, et les condamne à une amende qui sanctionne leur immixtion irrégulière dans les fonctions de comptable public.

La présente affaire illustre bien l’enchaînement de la vérification administrative de la gestion d’une collectivité et d’une procédure juridictionnelle de gestion de fait. En 1992, la commune de Loctudy (Finistère) avait conclu avec la société Razel Frères un marché d’un montant de près de 2 millions de francs, présenté comme visant à la fourniture de matériaux de viabilité et de défense contre la mer dans le cadre de la réalisation d’un port de plaisance. Lors d’une vérification de la gestion de la commune, la chambre régionale des comptes de Bretagne a découvert que ce marché était fictif et n’avait en réalité pour objet que de solder une dette de la commune contractée en 1990, lorsque la même société avait réalisé des travaux destinés à permettre le stockage d’excédents de vase. Ces prestations, réalisées sans marché, ne lui avaient jamais été payées. La chambre a alors engagé une procédure de gestion de fait et, dans un jugement du 6 novembre 1997, a déclaré comptables de fait des deniers de la commune, à titre définitif, le maire, M. Andro ; M. Le Leuch, ingénieur des ponts et chaussées chargé de la maîtrise d’œuvre du port de plaisance ; la société Razel Frères et son représentant, M. Desfayes. Les comptables de fait ont relevé appel devant la Cour des comptes qui, par un arrêt définitif du 10 décembre 1998, a confirmé le jugement de première instance. La société Razel Frères et M. Le Leuch se pourvoient régulièrement en cassation contre cet arrêt.

I. – Devant les juridictions financières, les vérifications administratives sont confiées à un « rapporteur », qui est chargé d’établir un rapport de vérification, tandis que les procédures juridictionnelle font également intervenir un magistrat « rapporteur ». Les textes applicables – il s’agit, en ce qui concerne les chambres régionales des comptes, du décret n° 95-945 du 23 août 1995, aujourd’hui codifié au code des juridictions financières – sont rédigés de telle sorte qu’aucune distinction n’est faite entre ces deux fonctions ; les dispositions de procédure s’appliquent, pour nombre d’entre elles, indifféremment que la chambre siège en formation juridictionnelle ou administrative. Il est d’ailleurs de pratique courante que la même personne soit chargée de la vérification administrative de la gestion d’un organisme et fasse ensuite fonction de rapporteur dans la procédure juridictionnelle de gestion de fait engagée à la suite de cette vérification : c’est ce qui s’est produit en l’espèce, et c’est la question de la régularité de ce cumul d’attributions qui a justifié le renvoi de l’affaire devant votre formation.

1. – La Cour des comptes a jusqu’ici refusé de le regarder comme irrégulier. Dans un arrêt du 26 mai 1992 « Médecin et autres comptables de fait de la commune de Nice » (Rec. p. 49, Rev. adm. n°s 270 et 271 note F. Fabre, GAJF 4e éd. n° 11 p. 110), elle estimait que la participation du rapporteur au délibéré de la chambre régionale des comptes n’avait pas été « de nature à priver le requérant d’un examen impartial de l’affaire par les premiers juges, qui ont statué au nombre de 17 pour le jugement provisoire et de 19 pour le jugement définitif  ». Peu après, dans un arrêt du 11 mars et 29 avril 1993 (4e ch.) « Association animation sociale grenobloise, Carignon et autres », la Cour retenait un terrain différent en relevant que le rapporteur menait son instruction à charge et à décharge. Tout récemment, dans un arrêt du 27 janvier 2000 (4e ch.) « Société RMR, région Alsace » (DA juillet 2000 n° 161 p. 15 note C.D.), la Cour des comptes revenait une nouvelle fois sur la question et y apportait encore une nouvelle réponse : « les pouvoirs d’investigation du rapporteur consistent essentiellement en prérogatives de communications de pièces, qui ne le conduisent en aucune manière à exercer, directement ou par commission, quelque contrainte que ce soit sur les personnes ; que sur le fondement des investigations ainsi conduites, le rapporteur se borne, comme en matière administrative contentieuse ou en matière civile, à présenter à la formation de jugement à laquelle il appartient des propositions résultant des constatations qu’il a faites ; que ces propositions, quelque connaissance du dossier qu’elles impliquent, ne sauraient pour autant constituer un préjugement  ».

2. – La Cour des comptes a été confortée dans sa position sur la participation du rapporteur au délibéré par une décision de Section du 6 janvier 1995 « Oltra » (Rec. p. 11), dans laquelle vous avez affirmé que « la participation du rapporteur [de la Cour des comptes] au délibéré ne méconnaît aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit ».

a) Mais depuis cette décision, votre propre jurisprudence a évolué. Vous considérez désormais que le rapporteur peut participer au délibéré des juridictions ou des organismes collégiaux investis d’un pouvoir de sanction administrative dès lors qu’il n’est pas à l’origine de la saisine, qu’il n’a pas le pouvoir de classer l’affaire ou, au contraire, d’élargir le cadre de la saisine, que les pouvoirs d’investigation dont il dispose ne l’habilitent pas à faire des perquisitions, des saisies ni à procéder à toute autre mesure de contrainte au cours de l’instruction (CE, Ass., 3 décembre 1999, Didier, Rec. p. 399, RFDA 2000 p. 584 nos conclusions ; Sect., 3 décembre 1999, Leriche, Rec. p. 402 concl. R. Schwartz).

Cette évolution est le reflet d’une tendance de fond, qui conduit à porter une attention accrue au respect des apparences de l’impartialité, ce qu’on appelle également « l’impartialité objective ». Il est significatif, à cet égard, que vos décisions du 3 décembre 1999 semblent avoir convaincu les juridictions de l’ordre judiciaire, qui retiennent désormais, dans ce domaine, une approche similaire à la vôtre (CA Paris, 7 mars 2000, Société KPMG Fiduciaire de France, n° 1999/15.862 ; Civ 1ère, 23 mai 2000, AJDA 2000 p. 762 note P. Sargos), moins systématique que celle retenue par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans l’arrêt du 5 février 1999 « Commission des opérations de bourse c/ Oury et Agent judiciaire du Trésor » (Bull. R n° 1 p. 1, Gaz. Pal. 24-25 février 1999 p. 8 concl. M.-A. Lafortune ; voir dans le même sens : Com., 5 octobre 1999, SNC Campenon Bernard et autres c/ ministre de l’économie, des finances et du budget, Bull. civ. IV n° 157 p. 132), qui excluait de manière générale le rapporteur du délibéré.

b) Vos arrêts, tout comme ceux des juridictions de l’ordre judiciaire, se fondent sur l’article 6 par. 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Or ces stipulations ne sont pas applicables à la vérification par les juridictions financières des comptes d’un organisme public ou privé (CE, 19 janvier 2000, Société International Développement Communication et Société Distribleu, n°s 177.914 et 177.915, à paraître au Recueil, AJDA 2000 p. 358 concl. R. Schwartz) ; elles ne sont pas davantage applicables à la déclaration définitive de gestion de fait (CE, Sect., 6 janvier 1995, Nucci, Rec. p. 6) ; devant le juge des comptes, elles ne sont applicables qu’à l’amende qui peut être infligée aux comptables de fait (CE, 16 novembre 1998, SARL Deltana et Perrin, Rec. p. 415) et, vraisemblablement, aux amendes pour retard ou défaut de production de compte.

Si nous nous arrêtons un instant sur ce dernier stade, celui de l’amende, l’arrêt de la Cour des comptes du 27 janvier 2000 « Société R.M.R., Région Alsace » que nous avons cité, qui concerne cet aspect de la procédure de gestion de fait, semble en contradiction avec l’avis émis sur ce sujet par vos formations administratives dont la teneur est révélée par le Rapport au Président de la République du décret n° 2000-337 du 14 avril 2000 relatif aux dispositions de la partie réglementaire du code des juridictions financières relevant d’un décret délibéré en Conseil des ministres. Selon ce document : « à l’initiative du Conseil d’État et pour se conformer à l’évolution de la jurisprudence fondée sur les principes du “procès équitable” qui résultent de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les règles de procédure en matière de prononcé d’amendes par la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes ont été modifiées, de manière à mieux distinguer les fonctions d’instruction et de délibéré.  » Ces modifications figurent aux articles R.141-13 pour la Cour des comptes et R.245-5 pour les chambres régionales des comptes ; ces nouvelles dispositions écartent le rapporteur du délibéré lorsque les juridictions financières statuent à titre définitif sur une amende.

Ainsi, et sans que, bien entendu, vous soyez liés par cette position, vos formations administratives ont d’ores et déjà considéré qu’au stade de l’amende pour gestion de fait, où s’appliquent directement les stipulations de l’article 6 par. 1, le rôle et les pouvoirs du rapporteur devant les juridictions financières justifiaient qu’il soit exclu du délibéré. Toutefois, le code des juridictions financières ne distingue pas selon la part que le rapporteur a prise à l’instruction de l’affaire, sans doute afin de ne pas créer une complexité excessive. En outre, le rapporteur est écarté du délibéré non seulement lorsque la juridiction inflige une amende à un comptable de fait, mais également lorsqu’elle sanctionne un comptable patent pour défaut ou retard de production de son compte, hypothèse que nous n’avons pas à envisager ici.

Cette position avait été devancée par Mme le Procureur général près la Cour des comptes, dans ses conclusions contraires du 24 janvier 2000 sur l’arrêt du 27 janvier 2000 « Société RMR, région Alsace », du 16 février 2000 sur l’arrêt de la 4e chambre concernant la gestion de fait de la commune d’Istres, et du 13 juin 2000 sur l’arrêt des chambres réunies concernant l’affaire « SARL Deltana et Perrin » (sur renvoi du Conseil d’État), qui estimait en outre que cette question est constitutive d’un moyen d’ordre public qu’il appartient à la Cour des comptes, statuant comme juge d’appel, de relever d’office. A la suite de vos arrêts du 3 décembre 1999, le Parquet général est donc revenu sur sa position antérieure, exprimée par exemple dans ses conclusions du 30 novembre 1995 sur la gestion de fait de la commune d’Illkirch-Graffenstaden (Bas-Rhin) [1].

c) Nous ne sommes pas ici au stade de l’amende mais au stade de la déclaration définitive de gestion de fait. Mais la rédaction de vos décisions « Didier » et « Leriche » montre que le raisonnement relatif au rapporteur est déduit du « principe d’impartialité rappelé à l’article 6 par. 1 ». Or, le principe d’impartialité est un principe général du droit qui s’applique devant les juridictions financières, et il serait regrettable de lui donner un contenu différent selon que l’on est ou non dans le champ d’application de l’article 6 par. 1. Ce serait affirmer que les principes généraux du droit interne sont moins protecteurs que ces stipulations, ce que nous ne croyons pas. Pour citer notre collègue Rémi Schwartz dans ses conclusions sur la décision de Section du 3 décembre 1999 « Leriche » (publiées au Recueil p. 404 sqq.), entre votre propre jurisprudence concernant les exigences de l’impartialité et celle de la Cour de Strasbourg, « la logique est la même et l’analyse comparée des jurisprudence montre que […] leur portée est identique  ». Dans ce domaine, le détour par l’article 6 par. 1 n’est indispensable que lorsqu’il est nécessaire d’écarter des dispositions législatives ; mais tel n’est pas le cas devant les juridictions financières, les dispositions de procédure concernant le rôle du rapporteur ne résultant que de textes réglementaires.

Par ailleurs, si les arrêts du 3 décembre 1999 concernent des sanctions, alors que la déclaration définitive de gestion de fait n’a pas ce caractère, cette procédure présente incontestablement « une coloration pénale  » selon la célèbre formule de M. le président Braibant dans ses conclusions sur la décision « Darrac » du 12 décembre 1969 (Rec. p. 578). Cette spécificité justifie que le principe d’impartialité fasse, dans ce domaine, l’objet d’une application vigilante (CE, Ass., 23 février 2000, Société Labor Métal et autres, n° 195.715, à paraître au recueil, RFDA 2000 p. 435 nos conclusions).

Vous devez donc appliquer aux juridictions financières statuant en matière de gestion de fait les principes généraux du droit interne dégagés par les décisions « Didier » et « Leriche ».

3. – Une intéressante question de procédure surgirait si vous deviez trancher la question de savoir si le moyen tiré de la participation du rapporteur au délibéré de la chambre régionale des comptes est d’ordre public devant le Conseil d’État. Votre 6e sous-section a considéré que tel est le cas, mais nous pensons pouvoir nous abstenir de vous entretenir de nos doutes sur ce point puisque les parties, informées de ce que ce moyen était susceptible de fonder la décision à intervenir, se sont empressées de le reprendre à leur compte. Dans ces conditions, alors même que le juge se serait mépris sur le caractère d’ordre public du moyen, celui-ci doit être regardé comme ayant été régulièrement soulevé par les parties (CE, 30 juin 1999, Foucher, Rec. p. 232, sol. impl.). Bien qu’il l’ait été après l’expiration du délai de recours, il est recevable, car les parties avaient soulevé, dans le délai, tant des moyens de légalité externe que des moyens de légalité interne.

a) Il faut donc se demander d’abord si le moyen était d’ordre public devant la Cour des comptes et si, par suite, celle-ci était tenue de le relever d’office, dès lors que son bien-fondé ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis. Il s’agit donc de savoir si l’irrégularité résultant de la participation du rapporteur au délibéré d’une juridiction en méconnaissance du principe d’impartialité tel qu’il a été explicité par vos décisions « Didier » et « Leriche » est un moyen d’ordre public.

Le moyen est d’ordre public s’il se rattache à la composition de la formation de jugement (CE, 19 mai 1961, Gianotti, Rec. p. 346 ; 30 novembre 1994, SARL Étude Ravalement Construction, Rec. T. p. 1125, D.1995 SC p. 244 obs. J. Barthélémy) ; il n’est pas d’ordre public s’il se rattache à la récusation, que le requérant aurait alors dû exercer devant les juges du fond (CE, 19 octobre 1979, Darlet, Rec. p. 380). Cette distinction a longtemps été peu claire.

Dans une décision de Section du 7 avril 1967 « Koster » (Rec. p. 151), vous avez jugé que n’est pas d’ordre public le moyen tiré de ce que l’auteur de la plainte devant une juridiction disciplinaire ne peut participer aux délibérations de cette juridiction ; mais vous avez récemment jugé recevable en cassation un moyen tiré de la participation aux délibérations du conseil national de l’ordre des pharmaciens d’un représentant du ministre de la santé, alors que la juridiction disciplinaire avait été saisie par une plainte d’un directeur régional des affaires sanitaires et sociales (CE, 8 décembre 2000, Mongauze, n° 198.372, qui sera mentionnée aux tables). Dans la décision de Section du 2 mars 1973 « Dlle Arbousset » (Rec. p. 189, RDP 1973 p. 1066 concl. du président Braibant) vous avez rattaché à la composition irrégulière d’une juridiction le moyen tiré de ce qu’y avait siégé l’auteur de la décision attaquée. Puis, dans vos décisions de Section des 6 janvier 1995 « Oltra » et 3 décembre 1999 « Leriche » (préc.), vous avez écarté sur le fond, et non comme nouveau en cassation le moyen tiré de la participation du rapporteur au délibéré, qui n’avait pourtant pas été soulevé en appel.

Toutefois, l’état du droit a été clarifié par la récente décision de Section du 5 juillet 2000 « Mme Rochard » (n° 189.523, à paraître au recueil, AJDA 2000 p. 675 et p. 613 chron. M. Guyomar et P. Collin). En l’espèce, vous avez considéré que se rattachait à la récusation un moyen tiré de la désignation du rapporteur devant le conseil national de l’Ordre des pharmaciens, auquel il était reproché d’avoir concouru à une première décision de sanction annulée par le Conseil d’État ; mais les dispositions applicables prévoyaient expressément que le rapporteur ne devait pas être choisi parmi les personnes susceptibles d’être récusées par application de l’article 341 du nouveau code de procédure civile. Selon les commentateurs autorisés de cette décision à l’Actualité Juridique du Droit Administratif : « Relèvent de la récusation et d’elle seule les questions individuelles relatives à l’impartialité subjective. Toutes les autres questions touchent à la régularité de la composition de la formation de jugement et sont donc d’ordre public, qu’elles renvoient à une impartialité collective, qui dans la plupart des cas sera objective, ou à une impartialité individuelle mais objective.  » Selon ce principe, le moyen se rattache à la composition de la formation de jugement. Il est, par suite, d’ordre public.

b) Il convient ensuite de s’assurer que le moyen est recevable en cassation, c’est-à-dire vérifier que ce moyen d’ordre public peut être présenté pour la première fois en cassation, alors que les requérants étaient tout à fait à même de le faire valoir devant la Cour des comptes.

Mais précisément dire que la question est d’ordre public signifie qu’est recevable en cassation le moyen tiré de ce que les juges du fond ont à tort omis de l’examiner (CE, Sect., 28 février 1936, Société Travaux industriels pour l’électricité Trindel, Rec. p. 263 ; 1er mars 1972, Ducreux, Rec. p. 179 ; Sect., 17 octobre 1975, Institut supérieur de droit et d’économie de l’aménagement et de l’urbanisme, Rec. p. 515 ; 27 juin 1980, Torresi, Rec. T. p. 854 ; 25 janvier 1995, Commune de Simiane-Collongue, Rec. p. 40 ; 29 mars 2000, Pacha, n° 196.127, qui sera mentionnée aux tables).

La solution vaut notamment, lorsque la procédure comporte trois degrés de juridiction, lorsque les premiers juges auraient dû relever d’office un moyen d’ordre public : le juge d’appel est alors tenu de rectifier d’office leur décision sur ce point, et s’il s’abstient de le faire, il commet une erreur de droit qui peut être relevée par le juge de cassation, alors même que la question n’a pas été discutée devant les juges du fond. Voir, pour le moyen tiré de ce que les premiers juges n’ont pas opposé une forclusion : CE, 21 octobre 1959, Korsec, Rec. p. 533  ; pour le moyen tiré de ce que les premiers juges ont à tort opposé une forclusion : CE, 19 janvier 1964, Mezergue, Rec. p. 63  ; pour le moyen tiré de l’incompétence des premiers juges : CE, Sect., 31 mai 1963, Kraemer, Rec. p. 337, D. 1963 p. 553 concl. du président Braibant ; pour le moyen tiré de l’irrégularité de la plainte par laquelle les premiers juges ont été saisis : CE, 8 janvier 1982, Devillechaise, Rec. p. 728.

4. – Nous pouvons donc en venir au mérite du moyen sur le fond. Vos décisions « Didier » et « Leriche », pour écarter le moyen tiré de la participation du rapporteur au délibéré, se fondent sur trois critères :

- le rapporteur n’est pas à l’origine de la saisine et ne participe pas à la formulation des griefs ;
- il ne dispose pas de pouvoirs de contrainte au cours de l’instruction ;
- ses pouvoirs d’instruction ne différent pas de ceux que la formation collégiale pourrait exercer elle-même.

Or, l’application de ces trois critères nous semble condamner avec netteté l’exercice par une même personne des fonctions d’auteur de la vérification administrative de la gestion d’une collectivité et de rapporteur de la procédure juridictionnelle de gestion de fait engagées à la suite de cette vérification.

a) En premier lieu, pour conduire la vérification de la gestion, le rapporteur est investi de pouvoirs propres d’instruction, qu’il exerce sous sa responsabilité personnelle et non comme délégué de la formation collégiale. Cette règle est posée, en ce qui concerne la Cour des comptes, par l’article R.141-2 du code des juridictions financières : « Pour l’exécution de leur mission, les rapporteurs procèdent à toutes investigations qu’ils jugent utiles sur pièces et sur place.  » Devant les chambres régionales des comptes, la même règle prévaut, même si elle ne figure pas aussi nettement dans les textes applicables.

La formation collégiale n’a, en revanche, aucune fonction d’instruction ; si elle estime que l’instruction est insuffisante, elle ne peut que demander au rapporteur de la compléter, sans pouvoir prendre elle-même aucune mesure d’instruction. C’est une différence essentielle avec l’instruction devant les juridictions disciplinaires, dont le rapporteur n’est, en règle générale, que le délégué.

b) En second lieu, le rapporteur dispose de pouvoirs importants pour conduire ses investigations. Certes, il ne peut conduire des perquisitions ni ordonner des saisies, comme vous l’avez mentionné à titre d’illustration dans l’arrêt « Didier », mais non dans l’arrêt « Leriche », car il est clair que de tels pouvoirs ne peuvent en pratique exister que devant un organisme administratif et non devant une juridiction administrative, puisqu’ils ne peuvent s’exercer que sous le contrôle de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle et de la propriété privée. Pour autant, les moyens d’investigation du rapporteur devant les juridictions financières sont très importants.

Il est habilité à effectuer toute vérification tant sur pièce que sur place et, de fait, une grande partie de ses investigations sont conduites dans les services contrôlés. Il peut se faire communiquer tout document utile et il peut même exercer le droit de communication que les agents des services financiers tiennent de l’article L.83 du livre des procédures fiscales et du code des douanes (CE, 19 janvier 2000, Société International Développement Communication et Société Distribleu, préc.). Ce droit s’exerce auprès de tiers, notamment les établissements financiers, qui ne peuvent opposer le secret professionnel.

Ces pouvoirs importants sont en outre assortis de moyens de contrainte, puisque les personnes qui feraient obstacle aux investigations du rapporteur s’exposent à des sanctions disciplinaires (article 30 du décret du 23 août 1995), et même à des sanctions pénales puisque « le fait de faire obstacle, de quelque façon que ce soit, à l’exercice des pouvoirs attribués aux magistrats et rapporteurs  » est puni d’une amende de 100.000 francs (article L.241-1 du code des juridictions financières).

c) Enfin, le rapporteur est à l’origine de la saisine dont il détermine lui-même l’étendue. Sa fonction même est de mettre au jour des irrégularités et de présenter à la juridiction des propositions motivées sur les suites à leur réserver. Selon l’article 34 du décret du 23 août 1995 : « Les constatations auxquelles donnent lieu l’examen ou le contrôle des affaires sont consignées dans un rapport. Les suites à leur donner font l’objet de propositions motivées. » L’article 36 du même décret dispose que : « Le rapporteur présente son rapport devant la formation de délibéré. […] La formation devant laquelle le rapport a été présenté délibère ensuite ; elle rend une décision sur chaque proposition.  »

Dès lors que, comme en l’espèce, il n’y a pas eu de réquisitoire du ministère public, le simple fait qu’il y a une déclaration de gestion de fait nous assure donc que lors de l’instruction qu’il a menée sous sa responsabilité propre, le rapporteur a mis en évidence un certain nombre de faits ; qu’il s’est posé la question de savoir si ces faits étaient constitutifs de gestion de fait, c’est-à-dire la question de la qualification juridique de ces faits ; qu’il a estimé que ces faits méritaient d’être consignés dans son rapport pour que la formation de délibéré se prononce sur ces faits. Ce que nous ne pouvons pas savoir, en revanche, c’est ce qu’était l’appréciation personnelle du rapporteur : il est très probable qu’il a proposé une déclaration de gestion de fait ; mais il a très bien pu proposer également un non-lieu à déclaration, s’il a estimé que les opérations avaient été régularisées, ou de « passer pour ordre », selon l’expression consacrée lorsque les faits sont jugés de trop peu d’importance pour que la juridiction s’en saisisse, ou même ne rien proposer du tout s’il a relevé les faits sans idée très précise de leur qualification.

d) Ainsi, lorsque la juridiction se saisit d’office, et que, par suite, les opérations présumées constitutives de gestion de fait lui sont révélées par le rapport de vérification établi par le rapporteur, c’est bien le rapporteur qui est à l’origine des poursuites. Il a conduit l’instruction préliminaire de manière discrétionnaire, en ayant à sa disposition l’arsenal de moyens d’investigation que nous avons rappelé, dont l’efficacité est rendue certaine par la menace de sanctions disciplinaires et pénales. C’est lui qui a mis au jour les faits présumés constitutifs de gestion de fait. Il les a signalés à la chambre dans une proposition d’apostille, en lui proposant le plus souvent d’engager la procédure juridictionnelle de gestion de fait. Après avoir, le plus souvent, rédigé un rapport spécial, il a ensuite préparé le projet de jugement provisoire, qui a été rendu par la chambre. Il a étudié les réponses apportées par les personnes mises en cause, et rapporté le jugement de déclaration définitive de gestion de fait. La ligne de démarcation fixée par les arrêts « Didier » et « Leriche » nous semble donc avoir dépassée : le rapporteur de la procédure juridictionnelle ne peut être le même que celui de la vérification administrative.

e) Vous pourriez hésiter à nous suivre sur ce point s’il apparaissait que l’application aux juridictions financières des principes dégagés par votre décision « Didier » devait remettre en cause des pans entiers de leur organisation, voire entraîner leur paralysie. Notre conviction est que tel ne sera pas le cas.

En premier lieu, il n’est pas question de remettre en cause la faculté des juridictions financières de s’auto-saisir, qui n’est par elle-même contraire à aucun principe général du droit (CE, Sect., 20 octobre 2000, Société Habib Bank Limited, n° 180.122, à paraître au recueil). Il en résulte en particulier qu’à l’exception du rapporteur, les autres magistrats peuvent siéger dans la formation qui se prononce sur les suites à donner au contrôle et dans celle qui délibère sur la gestion de fait. Cette question ayant été résolue, il ne sera donc nécessaire d’aller ni vers la création de formations spécialisées dans le contrôle juridictionnel, ni vers une évolution du rôle du ministère public, deux perspectives que nous avions évoqué devant votre formation dans de précédentes conclusions, et qui n’avaient pas fait l’unanimité au sein de la Cour des comptes, même si elles y avaient trouvé des partisans.

En deuxième lieu, du moins dans l’immédiat, il demeure à notre avis exclu d’appliquer directement l’article 6 par. 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Notre raisonnement consistant à faire coïncider le champ du principe d’impartialité en droit interne avec celui de ce principe tel qu’il découle de ces stipulations, ne conduit donc nullement à appliquer aux juridictions financières des règles contenues dans les stipulations de l’article 6 par. 1 mais qui n’ont pas valeur de principes généraux du droit interne : mentionnons la publicité de l’audience, qui n’est pas un principe général du droit devant les juridictions administratives (CE, Sect., 27 octobre 1978, Debout, Rec. p. 395 concl. de M. le président Labetoulle ; Ass., 11 juillet 1984, Subrini, Rec. p. 259, D. 1985 p. 150 concl. de M. le président Genevois) ; et, s’agissant spécifiquement de la Cour des comptes, la remise en cause du rôle du Procureur général qui découlerait de l’application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme issue de son arrêt du 30 octobre 1991 « Borgers c/ Belgique » (série A n° 214-A) rendu à propos du parquet général de la Cour de cassation de Belgique.

Enfin, si nous ne pouvons nier que la solution que nous vous proposons va conduire à modifier une habitude de travail, nous ne pensons pas qu’il y ait là de difficulté sérieuse. Nous vous avons déjà indiqué que, depuis l’entrée en vigueur de la partie réglementaire du Code des juridictions financières, des dispositions spéciales excluent le rapporteur du délibéré lorsque ces juridictions statuent à titre définitif sur une amende. Mais il convient d’ajouter que, de plus longue date, il est fréquent que le rapporteur qui effectue un contrôle et le rapporteur des suites juridictionnelles de ce contrôle ne soient pas les mêmes. Tel est le cas lorsque le contrôle d’un compte administratif révèle la nécessité de mettre en cause le comptable patent : dans ce cas, l’affaire sera renvoyée à la formation juridictionnelle spécialisée – à la Cour des comptes, la première chambre, compétente à l’égard des trésoriers-payeurs généraux – qui désignera son propre rapporteur. Hors cette hypothèse, il arrive également que le rapporteur quitte la juridiction et doive être remplacé dans le courant de la procédure. Enfin, il faut noter qu’il existe au sein des juridictions financières des rapporteurs qui sont spécialisés dans les contrôles et qui ne peuvent participer aux délibérations juridictionnelles : il s’agit des conseillers maîtres en service extraordinaire à la Cour des comptes et, devant toutes les juridictions financières, des fonctionnaires en mobilité, et des rapporteurs à temps plein ou à temps partiel. Lorsqu’un contrôle est confié à l’un de ces rapporteurs, les juridictions financières savent déjà s’organiser pour en confier les suites juridictionnelles à un autre rapporteur. Il leur suffira d’étendre cette organisation à tous les contrôles qu’elles effectuent.

Quant aux problèmes d’effectifs des chambres régionales des comptes, ils ne paraissent pas insurmontables puisque la combinaison des articles R.212-7 et R.212-33 du code des juridictions financières permet d’instituer des formations de délibéré ayant au minimum trois membres. Or, selon l’arrêté du 19 juillet 1995 fixant les effectifs de magistrats […] des chambres régionales et territoriales des comptes (JORF du 25 août 1995 p. 12.659), seule la chambre territoriale des comptes de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française ne comporte que trois magistrats du siège, sans d’ailleurs compter son président, alors que toutes les chambres régionales proprement dites en comptent au moins cinq, en comptant le président ; on note en outre qu’en ce qui concerne les juridictions de l’outre-mer, l’article R.212-29 du code des juridictions financières prévoit la possibilité de compléter l’effectif par un magistrat de l’ordre judiciaire.

Pour conclure sur ce point, nous pensons donc qu’en imposant que le rapporteur qui a conduit le contrôle d’un organisme ne participe pas aux délibérations qu’implique la procédure juridictionnelle de gestion de fait consécutive à ce contrôle, vous vous inscrirez dans le droit fil de votre jurisprudence, en n’imposant qu’une contrainte légère aux juridictions financières, et sans ouvrir la voie à une plus profonde remise en cause de leur organisation. Ajoutons que, si vous nous suivez, votre décision ne sera sans doute pas une surprise pour ces juridictions, puisque le Parquet général près la Cour des comptes, dans le courant de l’année passée, a alerté à plusieurs reprises la Cour, jusque dans ses plus hautes formations, sur la nécessité de réexaminer avec attention la question de principe de la participation au délibéré des formations de jugement du rapporteur qui a conduit l’instruction.

f) Vous devrez donc, si vous nous suivez, annuler l’arrêt déféré à votre censure en tant qu’il concerne les requérants, dans la mesure où il ressortait des pièces du dossier soumis à la Cour des comptes que le rapporteur du jugement attaqué devant elle avait conduit le contrôle de la gestion de la commune de Loctudy. Par conséquent, la Cour des comptes a commis une erreur de droit en ne relevant pas d’office cette irrégularité.

5. Compte tenu des développements qui précèdent, nous pourrons ne dire qu’un mot du moyen pris de la participation du rapporteur de la Cour des comptes au délibéré de l’arrêt attaqué. En effet, si les pouvoirs d’instruction du rapporteur de la Cour des comptes sont identiques à ceux du rapporteur de la chambre régionale des comptes, le juge d’appel se trouve dans une situation très différente de celle du juge de première instance. Par la décision de Section du 6 janvier 1995 « Gouazé » (Rec. p. 12), vous avez appliqué en matière de gestion de fait la règle selon laquelle l’appel ne peut préjudicier à l’appelant et vous en avez déduit qu’en l’absence d’appel du ministère public, la Cour des comptes ne peut, statuant comme juge d’appel, étendre le périmètre de la gestion de fait déclarée par les premiers juges. Cette décision ne concerne que les opérations constitutives de gestion de fait, mais la même solution doit s’appliquer à la détermination des comptables de fait, malgré la jurisprudence en sens inverse de la Cour des comptes.

Ainsi, s’il n’est pas exclu que le rapporteur de l’appel procède à une nouvelle instruction de l’affaire, celle-ci, en l’absence d’appel du ministère public ou de la collectivité publique intéressée, ne saurait par elle-même modifier le périmètre de la gestion de fait. Le rapporteur devant la juridiction d’appel n’est donc en principe pas à l’origine de la saisine, et n’a pas la possibilité d’en modifier l’étendue. La solution de la décision de Section du 6 janvier 1995, « Oltra » (préc.) doit donc être confirmée.

II. 1. Nous n’évoquerons que brièvement les six autres moyens articulés par la société Razel Frères, qui ne présentent pas de telles difficultés, même si l’un d’entre eux nous paraît fondé.

a) Le moyen tiré de la violation du principe du caractère contradictoire de la procédure comporte quatre branches. Les trois premières ne sauraient prospérer. Le moyen est en effet nouveau en cassation et, par suite, irrecevable dans sa première branche, tirée du défaut de communication des conclusions du commissaire du gouvernement près la chambre régionale des comptes.

En deuxième lieu, les conclusions du Procureur général près la Cour des comptes n’avaient pas à être communiquées (CE, Sect., 2 mars 1973, Massé, Rec. p. 184 avec les concl. du président Braibant, AJDA 1974 p. 97 note J. Magne ; Sect., 6 janvier 1995, Gouazé, préc.).

En troisième lieu, le rapport et le contre-rapport établis devant la Cour des comptes sont des documents internes à la juridiction, couverts par le secret du délibéré, dont les parties ne sauraient avoir communication.

Le moyen est nettement plus délicat dans sa quatrième branche, tirée du défaut de communication du mémoire en duplique présenté par la commune de Loctudy, dont il n’est pas aisé de considérer qu’il ne renfermait aucun élément nouveau (CE, Sect., 3 avril 1998, Mme Barthélémy, Rec. p. 129), alors qu’un passage des conclusions du Procureur général semble très directement inspiré par ce mémoire, et nous pensons que l’arrêt attaqué pourrait également être annulé sur ce terrain.

b) Le moyen tiré de la violation de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme faute pour la Cour des comptes d’avoir statué en audience publique doit être écarté car ces stipulations ne sont pas applicables au stade de la déclaration définitive de gestion de fait (CE, Sect., 6 janvier 1995, Nucci, préc.).

c) En troisième lieu, la société RAZEL reproche à la Cour des comptes d’avoir refusé de prendre en considération les observations complémentaires et les pièces qu’elle avait déposées le 18 juin 1998 en lui opposant les dispositions de l’article 72 du décret du 23 août 1995 relatif aux chambres régionales des comptes, concernant la procédure d’appel, qui déterminent les délais dans lesquels, lorsqu’un jugement est frappé d’appel, les mémoires en défense et en réplique doivent être produits. Mais, s’agissant de délais de procédure fixés par un texte – à la différence de délais fixés par le juge lui-même – c’est à bon droit que la Cour a estimé que leur respect était impératif.

d) Quatrièmement, la Cour des comptes n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que la chambre régionale des comptes avait pu à bon droit s’abstenir de statuer sur une demande de production de pièces présentée par la société RAZEL en dehors du délai qui lui avait été imparti pour présenter sa réplique, en application de l’article 59 du décret du 23 août 1995.

e) En cinquième lieu, la circonstance que les travaux qui ont été payés à la société RAZEL avaient bien été réalisés est sans influence sur le caractère fictif du mandat, qui résulte de la dissimulation de la nature de la dépense sous un intitulé trompeur (CE, 12 décembre 1969, Darrac, préc. ; C. comptes, ch. réunies, 12 avril 1949, Bonnel, administrateur de la commune mixte de Guergour et Cohen-Solal, receveur de ladite commune, Rec. p. 25, Grands arrêts jurispr. financière, 4e éd., n° 41, p. 351).

f) En dernier lieu, la société RAZEL soutient que la Cour des comptes a « dénaturé » le jugement de la chambre régionale des comptes, en réalité, les pièces du dossier. Mais il ressort notamment des auditions de deux représentants de la société RAZEL, M. Baures et M. Petit, que cette société n’ignorait pas l’irrégularité du montage réalisé par la commune pour lui payer ses prestations, ainsi que l’a affirmé la Cour des comptes.

2. Aucun des trois autres moyens articulés par M. LE LEUCH au soutien de son pourvoi n’est en revanche fondé.

a) Le moyen tiré de la violation de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme est, comme nous l’avons dit, inopérant.

b) En second lieu, M. LE LEUCH soutient qu’il ne disposait d’aucune marge de manœuvre et ne pouvait, dès lors, être déclaré comptable de fait, en invoquant la jurisprudence de la Cour des comptes du 15 janvier 1875 « Janvier de la Motte et consorts » (Grand arrêts jurispr. fin. n° 42 p. 359), selon laquelle le subordonné qui n’a fait qu’exécuter des ordres qu’il n’avait pas la possibilité de discuter ne peut être déclaré comptable de fait. Mais M. LE LEUCH, ingénieur des Ponts et Chaussées, est un fonctionnaire de haut rang qui ne peut comparer sa situation personnelle à celle de l’huissier du Préfet de l’Eure. S’il n’a pas personnellement concouru aux opérations constitutives de gestion de fait, il les a connues et les a laissées s’exécuter sans les empêcher, alors qu’il en avait les moyens, ce qui suffit à faire de lui un comptable de fait (CE, Sect., 6 janvier 1995, Gouazé, préc.).

d) Enfin, en relevant que M. LE LEUCH n’avait pu ignorer les irrégularités constitutives de gestion de fait, la Cour des comptes, dont l’arrêt est, sur ce point, suffisamment motivé, a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation. Les compte rendus de réunions de chantier mentionnés par l’arrêt attaqué évoquent sans ambiguïté le marché conclu avec la société Razel Frères, contrairement à ce qui est allégué.

3. Puisque M. LE LEUCH n’obtient satisfaction que sur un moyen dont l’intérêt ne lui a été révélé que par une initiative du Conseil d’Etat, nous inclinons à ne pas l’admettre au remboursement des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS, nous concluons :

- à l’annulation de l’arrêt attaqué en tant que, dans ses dispositions définitives, il a déclaré la SA Razel Frères et M. LE LEUCH comptables de fait des deniers de la commune de Loctudy ;

- au renvoi devant la Cour des comptes du jugement des appels interjetés par la SA Razel Frères et M. LE LEUCH contre le jugement du 6 novembre 1997 de la chambre régionale des comptes de Bretagne ;

- au rejet du surplus des conclusions de la requête de M. LE LEUCH.


[1] « La participation du magistrat-rapporteur au délibéré est une règle inhérente au fonctionnement des juridictions financières. » Voir également : concl. du 12 mai 1992 sur l’arrêt du 26 mai 1992 « Médecin et autres comptables de fait de la commune de Nice » ; concl. du 24 février 1993 sur l’arrêt du 11 mars et 29 avril 1993 « Association animation sociale grenobloise, Carignon et autres »

© - Tous droits réservés - Alain SEBAN - 17 novembre 2001

 


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