CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 297221
SOCIETE CUZET
Mme Caroline Martin
Rapporteur
M. Laurent Olléon
Commissaire du gouvernement
Séance du 12 décembre 2007
Lecture du 14 janvier 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 septembre et 7 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE CUZET, dont le siège est zone industrielle nord allée du Lyonnais à Bourg-de-Péage (26300), représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE CUZET demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 6 juillet 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement du 28 juin 2001 du tribunal administratif de Grenoble rejetant sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes mises à sa charge au titre de la période du 1er avril 1992 au 31 mars 1995, d’autre part, à ce que soit prononcée la décharge de ces impositions ;
2°) statuant au fond, de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil, notamment les articles 1831-1 à 1831-5 ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme Caroline Martin, Conseiller d’Etat,
les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de la SOCIETE CUZET,
les conclusions de M. Laurent Olléon, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE CUZET, qui avait pour activité la réalisation de tous travaux d’électricité générale du bâtiment, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration a assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée une indemnité d’un montant de 1 055 584 F (160 923 euros) perçue en janvier 1994 en exécution d’un protocole transactionnel ; que la société demande l’annulation de l’arrêt du 6 juillet 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté son appel formé à l’encontre du jugement du 28 juin 2001 du tribunal administratif de Grenoble rejetant sa demande en décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge ainsi que des intérêts de retard correspondants ;
Sur la régularité de l’arrêt attaqué :
Considérant que la SOCIETE CUZET, par un mémoire enregistré au greffe de la cour le 23 mars 2006, avant la clôture de l’instruction, a soulevé un nouveau moyen, par lequel elle se prévalait sur le fondement de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales de la position prise par l’administration à l’égard d’un autre entrepreneur qui avait fait l’objet d’un rappel similaire dans le cadre de la même procédure transactionnelle ; qu’il ressort des mentions de l’arrêt attaqué que la cour n’a pas visé ce mémoire et a omis de répondre à ce moyen ; que, dans ces conditions, la société est fondée à soutenir que l’arrêt est entaché d’irrégularité et à en demander pour ce motif l’annulation ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’aux termes du I de l’article 256 du code général des impôts : "Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel" ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que la SOCIETE CUZET a réalisé des travaux d’électricité pour la société Primevères Hôtels (SA PH) pour un montant de 12 096 408 F (1 844 086 euros) en exécution de marchés de construction d’ensembles hôteliers financés par sept sociétés immobilières pour le commerce et l’industrie (SICOMI) dans le cadre de contrats de crédit-bail immobiliers consentis à la SA PH ; qu’à la suite de la procédure de redressement judiciaire dont a fait l’objet la SA PH, alors que celle-ci n’avait pas payé l’intégralité de ses dettes à l’égard de ses fournisseurs, certains d’entre eux, au nombre desquels se trouvait la requérante, ont engagé des actions en paiement à l’encontre des SICOMI, puis ont conclu avec ces dernières un accord transactionnel en décembre 1993 et obtenu le versement d’une somme globale de 26 825 350 F (4 089 498 euros) à titre d’indemnité forfaitaire moyennant le désistement réciproque de toutes les actions engagées ; que, par lettre en date du 21 janvier 1994, la fédération nationale du bâtiment, qui avait représenté les entreprises créancières dans les négociations avec les SICOMI, a informé la requérante qu’elle percevrait 1 055 584 F (160 923 euros) ; que la SOCIETE CUZET a regardé l’indemnité reçue comme constitutive de dommages-intérêts non imposables à la taxe sur la valeur ajoutée ;
Considérant, en premier lieu, que les SICOMI, qui sont les maîtres d’ouvrage des ensembles hôteliers, ont conclu, pour leur édification, des contrats de promotion immobilière avec la SA PH ; que ces contrats sont régis par les dispositions des articles 1831-1 à 1831-5 du code civil ; qu’aux termes de l’article 1831-1 de ce code : "Le contrat de promotion immobilière est un mandat d’intérêt commun par lequel une personne dite "promoteur immobilier" s’oblige envers le maître d’un ouvrage à faire procéder, pour un prix convenu, au moyen de contrats de louage d’ouvrage, à la réalisation d’un programme de construction" et qu’aux termes du troisième alinéa de l’article 1831-2 : "Le maître de l’ouvrage est tenu d’exécuter les engagements contractés en son nom par le promoteur en vertu des pouvoirs que celui-ci tient de la loi ou de la convention" ; que, dans ces conditions, les SICOMI, alors même qu’elles avaient déjà versé à la SA PH dans le cadre des contrats de crédit-bail les sommes dues aux entreprises, étaient tenues de reprendre les engagements du promoteur immobilier et d’acquitter à sa place, en proportion de l’obligation légale qui leur incombait, le prix des travaux réalisés par les entreprises dans le cadre des contrats négociés avec le promoteur par l’intermédiaire d’un groupement d’entreprises solidaires ; qu’en conséquence, bien qu’aucun lien contractuel n’ait initialement existé entre les créanciers et les SICOMI, ces dernières doivent être regardées non comme ayant réparé le préjudice subi par les entreprises mais comme s’étant substituées à la SA PH, en application des dispositions précitées du code civil, pour l’exécution de ses obligations contractuelles, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que les actions en responsabilité pour faute engagées à l’encontre des SICOMI ont conduit à une transaction et que celle-ci a prévu l’abandon des procédures ouvertes sur ce fondement ;
Considérant, en deuxième lieu, que dès lors qu’un versement par un débiteur du prix est opéré en contrepartie d’une opération qu’il rémunère, la circonstance que les créanciers aient, par des stipulations inopposables aux tiers, convenu de règles de répartition de ces versements sans rapport avec les opérations de chaque créancier est sans incidence sur le caractère taxable des versements ; que, par suite, même si la SOCIETE CUZET n’a reçu que 22 % du montant de sa créance hors taxe, alors que, compte tenu du principe de solidarité retenu pour la répartition de l’indemnité, d’autres entreprises ont perçu des sommes proportionnellement plus importantes, et alors même que la transaction qui avait un caractère global ne prenait pas en considération un certain nombre de chantiers auxquels elle avait participé, l’indemnité reçue par la requérante, qui, compte tenu des paiements déjà effectués par la SA PH, porte à environ 70 % le règlement des travaux qu’elle a effectués, doit être regardée comme un paiement partiel des travaux effectués pour la SA PH ;
Considérant, en troisième lieu, que si cet accord a porté sur certaines créances étrangères aux obligations des SICOMI, il ne résulte pas de l’instruction que la SOCIETE CUZET a été indemnisée pour des travaux qu’elle aurait effectués sur des chantiers dont les SICOMI n’étaient pas les maîtres d’ouvrage ; que la requérante ne saurait soutenir qu’en raison de la faible indemnisation dont elle a bénéficié, elle n’aurait pas perçu de contrepartie réelle, dès lors que, comme il a été dit ci-dessus, elle a perçu au total environ 70 % du prix et que la modicité du versement résulte de règles de répartition fixées par les créanciers entre eux ;
Considérant que, dans ces conditions, la somme de 1 055 584 F doit être regardée comme la rémunération des travaux de la société, et, comme telle, imposable à la taxe sur la valeur ajoutée ;
Considérant que la société requérante n’est pas fondée à se prévaloir de l’instruction du 27 mars 2002 publiée au bulletin officiel de la direction générale des impôts sous le numéro 3 B-1-02 dans les prévisions de laquelle, en tout état de cause, elle n’entre pas ; que l’abandon non motivé des redressements envisagés à l’encontre d’autres entreprises ayant participé à la transaction ne constitue pas une prise de position formelle sur l’appréciation d’une situation de fait au regard d’un texte fiscal dont la société puisse se prévaloir sur le fondement de l’article L. 80 B du livre des procédures fiscales ; que le moyen tiré de ce que l’administration, en prenant des positions différentes à l’égard des créanciers parties à la convention, aurait méconnu le principe d’égalité devant l’impôt est inopérant ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE CUZET n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ; qu’en conséquence, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat la somme que la SOCIETE CUZET réclame sur ce fondement ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt en date du 6 juillet 2006 de la cour administrative d’appel de Lyon est annulé.
Article 2 : La requête de la SOCIETE CUZET présentée devant la cour administrative d’appel de Lyon et le surplus des conclusions présentées par cette société devant le Conseil d’Etat sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CUZET et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.