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Conseil d’Etat, 4 juin 2008, n° 299278, Jean-Louis L.

Le fait générateur du droit à déduction du montant des investissements que peut exercer l’entreprise est constitué soit par la création de l’immobilisation au titre de laquelle l’investissement productif a été réalisé, soit par la livraison effective de l’immobilisation dans le département de la Martinique.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 299278

M. et Mme L.

Mme Caroline Martin
Rapporteur

Mme Nathalie Escaut
Commissaire du gouvernement

Séance du 19 mai 2008
Lecture du 4 juin 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 8ème sous-section de la section du contentieux

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 décembre 2006 et 28 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. et Mme Jean-Louis L. ; M. et Mme L. demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 3 octobre 2006 par lequel la cour administrative d’appel de Douai a rejeté leur requête tendant à la réformation du jugement du 7 avril 2005 par lequel le tribunal administratif de Lille, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de la somme de 4 998, 80 euros, a rejeté le surplus des conclusions de leur demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 1995 et à la réduction de la cotisation d’impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 1996 ;

2°) réglant l’affaire au fond, de prononcer la décharge et la réduction des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Caroline Martin, Conseiller d’Etat,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. et Mme L.,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la SNC Baninvest, qui a son siège à la Martinique et dont Mme L. détient 3 % des parts, a acquis en 1995 auprès de l’EURL Groupe Bananier trois immobilisations destinées à l’exploitation de bananeraies pour un montant total de 10 579 542 F ; que le 30 novembre 1995, l’EURL Groupe Bananier a signé un contrat d’achat de ces immobilisations avec la société SCIM SE, installée en métropole, qui lui a adressé les factures correspondantes le 29 décembre 1995 ; que Mme L. a fait l’objet, à l’issue de la vérification de comptabilité de la SNC Baninvest portant sur la remise en cause des déductions opérées sur le fondement de l’article 238 bis HA du code général des impôts, de redressements de ses bases imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux au titre de l’année 1995, à raison de sa quote-part dans les résultats de la société ; que M. et Mme L. se pourvoient en cassation contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 3 octobre 2006 qui a rejeté leur requête tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Lille du 7 avril 2005 en tant qu’il a rejeté le surplus des conclusions de leur demande en décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 1995 et leurs conclusions en réduction de la cotisation d’impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l’année 1996 ;

Sur la déduction des investissements au titre de l’année 1995 :

Considérant qu’aux termes de l’article 238 bis HA du code général des impôts alors en vigueur : " I. Les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou assujetties à un régime réel d’imposition peuvent déduire de leurs résultats imposables une somme égale au montant total des investissements productifs réalisés dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion à l’occasion de la création ou l’extension d’exploitations appartenant aux secteurs d’activité de l’industrie, de la pêche, de l’hôtellerie, du tourisme, des énergies nouvelles, de l’agriculture, du bâtiment et des travaux publics, des transports et de l’artisanat. La déduction est opérée sur le résultat de l’exercice au cours duquel l’investissement est réalisé, le déficit éventuel de l’exercice étant reporté dans les conditions prévues au I des articles 156 et 209." ; qu’aux termes de l’article 46 quaterdecies D de l’annexe III au code, alors applicable : "La déduction est pratiquée par l’entreprise propriétaire. Elle est opérée sur les résultants imposables, déterminés avant toute autre déduction ou abattement, de l’exercice au cours duquel l’immobilisation a été livrée à l’entreprise ou créée par elle." ; qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que le fait générateur du droit à déduction du montant des investissements que peut exercer l’entreprise est constitué soit par la création de l’immobilisation au titre de laquelle l’investissement productif a été réalisé, soit par la livraison effective de l’immobilisation dans le département de la Martinique ;

Considérant qu’alors que les requérants se prévalaient de la réponse du sous-directeur du service de la législation fiscale en date du 2 janvier 1995 qui rappelle les conditions de la délivrance des biens au sens de l’article 1604 du code civil et admet que la livraison des investissements puisse intervenir soit en métropole soit à l’étranger si le transport ne peut se faire au moment de la vente, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que ce courrier ne comportait pas d’interprétation formelle de la loi fiscale qui serait opposable à l’administration ; que, par suite, M. et Mme L. sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai en tant qu’il statue sur la déduction des investissements au titre de l’année 1995 ;

Considérant qu’en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, il y a lieu de régler l’affaire au fond en ce qui concerne ces conclusions ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que si l’ensemble des biens destinés à l’exploitation des cultures a été vendu à la SNC Baninvest le 15 novembre 1995, les motopompes, dont il n’est pas contesté qu’elles sont indissociables des autres éléments d’irrigation et sont nécessaires pour en permettre la mise en service, n’ont été livrées en Martinique par la société SCIM SE à l’EURL Groupe Bananier qu’en janvier et mai 1996 ; que, par suite, les conditions prévues par le code général des impôts pour la déduction des investissements par la SNC en 1995 n’étaient pas remplies ; que M. et Mme L. ne sauraient se prévaloir, sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, ni de la réponse ministérielle faite à M. Dorey, député, en date du 16 juin 1961, laquelle ne concerne que les amortissements dégressifs des matériels et outillages, ni de la documentation administrative de base publiée sous la référence 4 C-31 à jour au 15 novembre 1988 qui est relative à la date à retenir pour l’inscription en stock des marchandises ; que la lettre du service de la législation fiscale en date du 2 janvier 1995 qui rappelle les conditions de la délivrance des biens au sens de l’article 1604 du code civil et admet que la livraison puisse intervenir soit en métropole soit à l’étranger si le transport ne peut se faire au moment de la vente ne peut utilement être invoquée dès lors qu’il ne résulte pas de l’instruction que la SCIM SE et l’EURL Groupe Bananier aient entendu que les biens soient remis en métropole à cette dernière société par le consentement des parties avant le 31 décembre 1995 ; que, par suite, la SNC Baninvest ne pouvait pas déduire la somme de 8 115 572 F de ses résultats de l’année 1995 ; que les conclusions de la requête d’appel doivent donc être rejetées ;

Sur l’imputation des déficits sur le revenu global de l’année 1996 :

Considérant qu’aux termes de l’article 156 du code général des impôts dans sa rédaction applicable à l’imposition de l’année 1996 : "L’impôt sur le revenu est établi d’après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. Ce revenu net est déterminé. sous déduction : I. du déficit constaté pour une année dans une catégorie de revenus ; si le revenu global n’est pas suffisant pour que l’imputation puisse être intégralement opérée, l’excédent du déficit est reporté successivement sur le revenu global des années suivantes jusqu’à la cinquième année inclusivement. Toutefois, n’est pas autorisée l’imputation : . 1° bis. Des déficits provenant, directement ou indirectement, des activités relevant des bénéfices industriels et commerciaux lorsque ces activités ne comportent pas la participation personnelle continue et directe de l’un des membres du foyer fiscal à l’accomplissement des actes nécessaires à l’activité. . Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables au déficit provenant de l’exploitation : . de biens meubles corporels acquis à l’état neuf, non encore livrés au 1er janvier 1996 et ayant donné lieu à cette date à une commande accompagnée du versement d’acomptes au moins égaux à 50 % de leur prix." ; que, pour l’application de ces dispositions, l’investisseur peut passer une commande auprès du fournisseur ou auprès d’un intermédiaire mandaté à cet effet et s’acquitter du paiement des acomptes auprès de ce fournisseur ou de ce tiers ;

Considérant qu’il ressort des pièces soumises aux juges du fond que M. et Mme L., qui font valoir que la SNC Baninvest s’est acquittée de 50 % des acomptes auprès de l’EURL Groupe Bananier, se bornent à produire un extrait du grand-livre général de la SNC dont il résulte que le compte fournisseur de l’EURL Groupe Bananier, créditeur d’une somme équivalente au montant total des achats, a été débité le 29 décembre 1995 des sommes de 3 410 400 F et 3 659 829 F correspondant respectivement au dépôt de garantie de la SARL Plaisance et à une créance détenue sur une tierce société, sans établir que les conditions de la compensation qu’ils invoquent seraient remplies et sans corroborer ce document par aucun autre élément de nature à établir la réalité de ce paiement ; que, par suite, la cour n’a ni dénaturé les pièces du dossier ni commis une erreur de droit en jugeant que la SNC Baninvest n’a pas versé avant le 1er janvier 1996 des acomptes égaux à 50 % du prix de l’investissement projeté au fournisseur des matériels ;

Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative s’opposent à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante en la présente affaire, verse à M. et Mme L. la somme qu’ils réclament sur ce fondement ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 3 octobre 2006 est annulé en tant qu’il statue sur les conclusions de la requête de M. et Mme L. relatives à la déduction d’une somme de 1 237 210, 98 euros (8 115 572 F) des résultats de la SNC Baninvest au titre de l’année 1995.

Article 2 : Les conclusions de la requête d’appel de M. et Mme L. sont rejetées en tant qu’elles portent sur la déduction de la somme de 1 237 210, 98 euros au titre de l’année 1995.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi présenté devant le Conseil d’Etat par M. et Mme L. est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Jean-Louis L. et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.

 


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