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Droit fondamentaux et Science biomédicale : les données d’une prise de conscience universelle

Par Bertrand MATHIEU
Professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

Le développement prodigieux des sciences biomédicales et, plus largement, des biotechnologies est en passe de révolutionner la vie intime et sociale des individus. Il en est ainsi, notamment, en ce qui concerne les rapport du patient avec le médecin, la structure familiale, l’alimentation, l’agriculture, les relations dans le monde du travail...

Le développement prodigieux des sciences biomédicales et, plus largement, des biotechnologies est en passe de révolutionner la vie intime et sociale des individus. Il en est ainsi, notamment, en ce qui concerne les rapport du patient avec le médecin, la structure familiale, l’alimentation, l’agriculture, les relations dans le monde du travail...(1) . Par ailleurs, cette évolution scientifique induit de nouvelles questions en termes de droits fondamentaux. 

Les rapports entre la science, la médecine et le droit sont donc nécessairement transformés par cette évolution. Si le progrès scientifique impose une adaptation, voire une mutation du droit, de manière réflexive, le droit est conduit à canaliser l’activité biomédicale, au nom des choix de société qu’il incarne.

Dans une première partie, je voudrais rapidement parler de ces rapports entre les droits fondamentaux et la science biomédicale, avant d’envisager plus particulièrement le rôle, la signification et la portée de la première intervention normative universelle en la matière, la Déclaration universelle sur le génome humain, adoptée en décembre dernier par l’Assemblée générale des Nations Unies.

I - LES ENJEUX DE L’ACTIVITE BIOMéDICALE EN TERMES DE DROITS FONDAMENTAUX

Les tentatives pour faire de la bioéthique une discipline scientifique autonome, qui se manifeste notamment par la reconnaissance de « bioéthiciens », la structure propre aux comités d’éthique érigés comme modèle d’une nouvelle démocratie du savoir scientifique, le caractère prométhéen et globalisant de la science biomédicale, conduisent à créer la figure d’un «  ordre biomédicale (2) » qui obéirait à sa propre logique et à ses propres règles. Parfois, d’ailleurs, l’argument de la science peut masquer des stratégies et de puissants intérêts industriels et commerciaux (3).

L’idée selon laquelle le droit, porteur des valeurs d’une société et des choix opérés démocratiquement, pourrait s’imposer, de lui même, dans ce contexte est largement illusoire.

Cependant, tout système, tout ordre a besoin d’être régulé. Si cette affirmation n’est pas contestée, il convient de remarquer que la tentation est forte d’aller chercher dans d’autres systèmes, dans d’autres légitimités que celle du droit, les règles applicables. 

Concernant les enjeux économiques de la matière, le phénomène de mondialisation fait des Etats des partenaires secondaires dont la puissance ne saurait rivaliser avec celle de certaines firmes. Les obstacles juridiques posés par le droit étatique sont aisément contournés. Et de ce combat inégal, les Etats les plus contraignants ne peuvent que sortir affaiblis. Les lois sont alors celles de l’économie.
Concernant les enjeux scientifiques, les normes de la bioéthique sont essentiellement des normes déontologiques ou éthiques, produites par les organisations représentatives des scientifiques et des médecins. Le « droit » de la bioéthique a d’abord été élaboré sur la base de règles déontologiques que les médecins se sont imposés à eux mêmes. Mais ces règles déontologiques se sont rapidement révélées inadaptées, à partir du moment ou la médecine a débordé son rôle de thérapie individuelle, pour s’inscrire dans une activité technique, liée à la recherche et à la thérapie de l’espèce (4).  Les grandes déclarations des O.N.G. (Déclaration de  l’Association médicale mondiale et Déclaration de Manille du C.I.O.M.S.) sont incontestablement à l’origine du droit de la bioéthique. D’abord substituts du droit, elles ont ensuite inspiré le contenu des normes proprement juridiques.

Les scientifiques ont également investi les Comités d’éthique, dans lesquels le droit se prépare. Cependant ces comités représentent une vision plus large que celles des scientifiques. Des comités comme celui de l’Unesco, celui de l’Union européenne ou, sous une autre forme, le Comité directeur du Conseil de l’Europe, constituent une interface entre la légitimité scientifique et la légitimité politique. Mis en place par des organisations intergouvernementales, qui définissent leurs rôles, ces organismes ont pour mission de préparer le droit de demain, pour répondre aux défis de la science. Le pluralisme et la pluridisciplinarité qui les caractérise représentent une volonté d’échapper à la pure logique scientifique. Cependant l’existence et le rôle de ces comités démontrent, s’il en était encore besoin, que le droit ne peut plus s’imposer de lui même. Sa légitimité est médiatisée par le débat avec les scientifiques. C’est, non seulement au regard de leurs découvertes, mais aussi des enjeux qu’elles portent, que le droit se construit.

Par ailleurs, ces normes déontologiques ou éthiques entretiennent avec le droit un rapport particulier. D’une part elles visent à s’intégrer dans le processus de construction du droit, mais d’autre part elles le concurrencent en formant un système normatif partiellement autonome, qui possède ses propres modes de régulation, relevant de ce que l’on a appelé la soft law (5). La décision de la Commission européenne de soumettre, pour avis, au Comité d’éthique, établi auprès d’elle, un amendement du parlement européen visant a interdire tout financement de recherches sur l’embryon par l’Union européenne, illustre cette concurrence entre la légitimité démocratique et la légitimité de l’expert (6). Cependant, il convient de relever qu’ à partir de ces légitimités concurrentes, se construit un corpus de principes fondamentaux relativement homogène et cohérent.
 

1 - Le système des droits fondamentaux comme horizon et comme cadre de la bioéthique

La légitimité de la science est fondée sur des caractères qui lui sont propres et qui tiennent essentiellement à la qualité de la recherche. La liberté de la recherche est parfois considérée, notamment dans les pays anglo-saxons, comme un principe tellement fondamental qu’il justifierait une autonomie totale de la science au sein de la société, et partant, une organisation des pratiques sociales fondées sur les seules données de la science. Si les chemins de la connaissance doivent rester libres, si la validité d’une théorie scientifique appartient au jugement des pairs, la société est libre de déterminer son présent et son avenir, au regard des progrès de la science. Eclairés par la science, les individus et les sociétés doivent rester maîtres de leur destin. La légitimité du droit repose essentiellement sur sa vocation à traduire et à faire respecter un système de valeur autour duquel une société humaine s’est construite. La science est muette sur le sens de l’humain.

Cela étant dit, le droit doit s’écarter de deux tentations perverses. La première consisterait à ignorer les données techniques et sociales engendrées par la science et à maintenir contre vents et marées la pureté de règles inadaptées. La seconde conduit le légiste à se limiter à transcrire les avancées scientifiques en règles juridiques sans cesse renouvelées et adaptées (7).

Sur le plan du droit interne, comme sur le plan du droit international, le droit de la bioéthique traduit de manière privilégiée l’émergence d’un nouveau système juridique fondé essentiellement sur les droits fondamentaux. Non seulement l’importance accordée à ces droits fondamentaux, mais aussi la multiplicité et l’interaction des normes juridiques ou a-juridiques utilisées en matière de bioéthique (8), témoignent de cette constitution d’un ordre où la source formelle de la norme compte en définitive moins que la substantialité du droit. 

La mondialisation des forces économiques et des activités scientifiques exige la détermination d’un système de valeur minimum communément accepté sur le plan universel. Ainsi, dans le prolongement de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, se forge, en quelque sorte, un « droit naturel » des droits fondamentaux. Dans de nombreuses régions du monde, et notamment en Europe, la prégnance de ce système est assurée par le développement du rôle des juges, constitutionnels ou supranationaux, érigés en gardien de ce « droit naturel » . L’influence de ce système d’affirmation et de détermination juridictionnelles des droits fondamentaux est renforcée par un phénomène d’homogénéisation des jurisprudences. Ainsi, de plus en plus fréquemment, les juges nationaux et internationaux font appel au droit comparé. La prise en compte par la Cour suprême des Etats Unis d’Amérique, dont le comportement est traditionnellement plutôt insulaire, du droit applicable dans certains Etats européens à propos de l’euthanasie (9), témoigne de cette évolution dont la force est potentiellement considérable.

Trois principes tiennent, au sein des droits fondamentaux, une place particulière : le principe de dignité, le principe de liberté et le principe d’égalité. Si ces principes sont susceptibles de constituer des droits subjectifs, ils sont d’une autre nature. Ce sont non seulement des principes matriciels (10), en ce qu’ils engendrent d’autres droits, mais aussi des « principes essentiels » ou « principes consubstantiels » (11). Ils sont liés à la nature même de l’homme. Ce sont des attributs de l’homme, déterminés par son appartenance à l’humanité. Les questions biomédicales touchant à l’essence même de l’homme, ce sont ces principes qui forment l’armature du système de protection de l’humain. Ils sont liés, la dignité de l’homme supposant sa liberté et l’égale condition des membres de l’humanité. Cependant, le principe de dignité et celui de liberté ont une certaine autonomie et sont susceptibles de s’affronter lorsque la liberté d’un individu menace les intérêts d’un autre individu, ceux de l’espèce humaine ou ceux propres à protéger la dignité de l’homme en général. Ce qui explique le caractère indérogeable du principe de dignité, alors que le principe de liberté est relatif dans sa mise en oeuvre. De cette relativité naît le principe de responsabilité comme sanction de l’atteinte à la liberté et aux droits d’autrui (12). Ce principe de responsabilité propre à conditionner les rapports entre individus est cependant insuffisant pour assurer la protection de la dignité de l’homme. En effet certaines atteintes à la dignité humaine, qu’elles résultent, soit d’un acte de volonté autonome dépourvu de conséquences pour autrui (la vente de l’un de ses organes, par exemple), soit d’une atteinte à un droit ou à un intérêt dont personne n’assure la défense (qui peut résulter, par exemple de la violation du respect du aux morts), soit d’une atteinte consentie à la dignité d’une autre personne (utilisation publique d’une personne en fonction de caractéristiques physiques ou mentales considérées comme monstrueuses (13) ), ne peuvent être sanctionnées et réparées par le jeu des règles de la responsabilité civile. Ce qui justifie l’intervention de règles protectrices pénalement sanctionnées.

Ces trois principes, dignité, liberté, responsabilité, ordonnent le droit de la bioéthique.

Il ne faut cependant pas oublier qu’à coté de la vision individualiste des droits fondamentaux, il existe également une conception plus collective des droits fondamentaux orientée vers les groupes défavorisés. Sur le plan international les pays riches sont les débiteurs  de ces droits dont les créanciers sont les pays défavorisés. Il s’agit de droits à la solidarité ou au partage. Affirmés de manière allusive dans la Déclaration universelle de 1948, ces droits sont plus nettement proclamés par la Déclaration sur le développement adoptée par l’Assemblée générale de l’O.N.U. en 1986. Ils signifient que les pays et les populations de l’ensemble de la planète ont un droit à bénéficier des retombées positives des avancées de la science. En ce sens le droit à bénéficier du progrès scientifique et de ses applications est un élément essentiel du Pacte de 1966 sur les droits économiques sociaux et culturels.

Si cette référence aux droits fondamentaux est le point de passage obligé de tout discours et de tout texte normatif sur la bioéthique, le système présente cependant un certain nombre de failles. La portée des droits fondamentaux est affaiblie, notamment, par deux caractéristiques, les termes employés sont polysémiques et l’affirmation des principes, relativement immuable, est corrigée par le développement exponentiel des dérogations qui y sont apportées. D’abord la portée de certains principes est particulièrement floue. Le principe de dignité sert, par exemple, tout à la fois à justifier le respect de la vie humaine jusqu’à son achèvement et le droit à l’euthanasie au nom du droit à la qualité de la vie. Par ailleurs la marge de manoeuvre du législateur, reste particulièrement large au regard des principes considérés. Ainsi, le législateur a la faculté de déqualifier un être humain (14) et de le faire ainsi échapper au champ de protection des droits fondamentaux. De même, le système des droits fondamentaux court le risque de s’épuiser dans la reconnaissance de droits multiples et contradictoires issus de la revendication de besoins ou de désirs individuels (15). Par exemple, alors que les droits de l’enfant sont de plus en plus largement affirmés (16), l’enfant pourrait devenir, notamment, au travers du développement du champ des techniques de procréation médicalement assistée, de l’extension des pratiques de diagnostic prénatal et de la pratique probable du clonage reproductif, le pur produit du désir des adultes. Plus gravement, les textes les plus récents consacrés au droit de la bioéthique, témoignent de l’abandon progressif d’un principe tout à fait essentiel et primordial, celui du droit au respect de la vie (17). Cette évacuation d’un principe fondamental est opérée afin que soit évité le débat sur le sort que la société réserve à l’embryon. En effet, l’absence de consensus existant sur cette question fait que les textes internationaux n’ abordent pas directement et clairement cette question. Cependant, l’absence de consensus conduit à ne pas protéger le droit, et la solution retenue est alors celle la moins favorable à la protection de l’embryon.
 

2 - Des enjeux de quelques pratiques biomédicales en termes de droits fondamentaux

L’examen des enjeux des progrès bio-médicaux en termes de droits fondamentaux, peut être rapidement illustré par quelques questions tout à fait fondamentales.

A - La liberté de la recherche et la recherche sur l’embryon

La liberté de la recherche est une liberté polymorphe dont la reconnaissance formelle par un texte n’est pas indispensable, tant elle est consubstantielle à d’autres libertés fondamentales. 

La liberté de la recherche, c’est d’abord le droit à la connaissance, comme activité intellectuelle mais aussi le droit à expérimenter. En effet, l’expérimentation est souvent un exercice nécessaire à l’activité de recherche. Sa libre réalisation doit donc être considérée comme une condition nécessaire à la liberté de la science. Il serait alors possible de considérer que ce droit à l’expérimentation concerne les moyens et techniques employés par le chercheur pour effectuer sa recherche.

Cependant, si la liberté de la recherche peut jouir, au sein des droits fondamentaux, d’un traitement privilégié, du fait de l’importance particulière que lui prête le texte constitutionnel ou international, ou le juge, elle obéit au régime général applicable aux droits fondamentaux. Ainsi, elle n’a pas de caractère absolu et doit être conciliée avec d’autres droits et libertés de même niveau. 

C’est en matière de recherche sur l’embryon que cette question se pose aujourd’hui de la manière la plus forte. Le principe susceptible de limiter la liberté de la recherche est, en l’espèce, celui de la dignité humaine. Ainsi, la loi espagnole 42/88, sur le don et l’utilisation d’embryons et foetus humains, garantit la liberté scientifique et de la recherche en la cadrant dans les valeurs reconnues par la Constitution comme, la protection du corps et de la vie, la capacité de décision de la personne concernée et la dignité humaine.

En fait, l’évolution du droit tend à écarter certains embryons du champ de protection du principe de dignité afin de pouvoir en faire des objets de recherche, de les instrumentaliser. En ce qui concerne les embryons, la distinction majeure au regard de la liberté de la recherche semble être celle qui sépare les embryons faisant l’objet d’un projet parental et ceux qui ne sont pas portés par une telle projection.

Le Groupe européen d ’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne a rendu en novembre 1998 un avis concernant la question de la recherche sur les embryons humains (18). La question posée à cette institution visait un amendement du parlement européen tendant à exclure tout financement européen de recherches sur l’embryon impliquant sa destruction. Le Groupe s’est d’abord intéressé aux législations en vigueur dans les différents Etats européens. Ainsi, malgré l’interdiction de principe posée par la Convention du Conseil de l’Europe sur la bioéthique de conduire des recherches sur l’embryon n’assurant pas une protection adéquate de ce dernier (art. 18), le Groupe a pu relevé que le paysage législatif national européen est contrasté. L’avis même du Comité européen d’éthique manifeste à la fois une conscience des problèmes moraux et éthiques posés par une telle recherche et un souci de réalisme qui conduit, en fait, à accepter que soit mise en oeuvre une conception utilitariste de l’embryon humain. 

B - Dignité, eugénisme et clonage

Un certain nombre d’avis ont été rendus par des instances éthiques à la suite de l’annonce de la naissance d’une brebis , Dolly, clonée par voie de transfert nucléaire, et des interrogation suscitées par une possible extension à l’homme de cette technique. Les condamnations prononcées à l’encontre de cette pratique l’ont été, pour l’essentiel, au regard des potentialités d’eugénisme qu’elle portait. Ainsi le Parlement européen, dans une résolution du 12 mars 1997 (19), a estimé que le clonage humain "permet une sélection eugénique et raciste de l’espèce humaine". Le Groupe de conseillers pour l’éthique des biotechnologies, placé auprès de la Commission européenne, a, pour sa part, estimé, que l’ "intrumentalisation de l’homme, voire le danger d’eugénisme, liés au clonage reproductif, le rendait éthiquement inacceptable" (20).

Le 12 janvier 1998 a été adopté un protocole additionnel à la Convention bioéthique du Conseil de l’Europe portant interdiction du clonage d’êtres humains. Le rapport explicatif, joint au protocole, met l’accent sur le lien entre l’interdiction du clonage et la protection de la dignité et de l’intégrité de la personne humaine.

Un certain nombre de législations nationales ont relayé, ou précédé, ces dispositions internationales (21). Elles se distinguent par leur champ d’application. Soit elles interdisent toute forme de clonage, soit le clonage d’un embryon humain, soit de manière plus restreinte, et plus ambiguë, la création d’un être humain.

Cependant, à partir d’expériences récentes semblant ouvrir techniquement la voie au clonage humain, il est permis de se demander si ces interdictions seront suffisantes, alors même que les règles posées sont précises et spécifiques.

C - Discriminations et informations génétiques

Les discriminations fondées sur le patrimoine génétique tendent à faire admettre qu’il existe des degrés dans la reconnaissance des droits liés à l’appartenance à espèce humaine.

L’un des risques majeurs des avancées scientifiques en matière de tests et d’identifications génétiques est de déboucher sur une catégorisation des individus entraînant des discriminations sociales.

La Convention bioéthique adoptée par les Etats du Conseil de l’Europe, en novembre 1996 prohibe "toute forme de discrimination à l’encontre d’une personne en raison de son patrimoine génétique" (art. 11). Il ne peut être dérogé à ce principe alors même qu’il s’agirait de "mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui" (art. 26). Cependant le rapport explicatif fait état de l’ambiguïté de la rédaction de la version anglaise du texte qui ne vise que les discriminations injustifiées. Par ailleurs une résolution de 1989 du Parlement européen préconise l’interdiction de l’usage de tests génétiques en matière d’emploi et d’assurance (22). 

L’on imagine facilement les enjeux considérables que peut représenter, pour les employeurs ou pour les assureurs, la connaissance des caractéristiques génétiques d’une personne. Alors que les principes posés semblent relativement clairs, le droit applicable à l’utilisation des tests génétiques est beaucoup plus flou qu’une lecture rapide des textes pertinents pourrait le laisser supposer. Une véritable réglementation de l’usage des tests génétiques est probablement nécessaire (23). Par ailleurs, l’utilisation de tests génétique concernant une personne par un tiers doit être envisagée à deux niveaux. Soit, un employeur ou un assureur, par exemple, peut exiger d’être informé des résultats d’un test génétique subis par une personne à condition que ces résultats soient connus par l’intéressé et déterminant relativement à la formation du lien contractuel envisagé. Soit l’employeur, ou l’assureur peut demander à la personne de subir un test génétique visant telle ou telle prédisposition. Dans ce dernier cas, l’atteinte aux droits fondamentaux serait particulièrement grave car non seulement elle attenterait au principe du consentement, mais encore elle conduirait la personne à prendre connaissance d’informations dont il ne souhaite pas nécessairement disposer.

D - Thérapie germinale et principe de précaution

La thérapie germinale, en tant que traitement médical d’une anomalie génétique modifiant le patrimoine génétique d’un individu tel qu’il sera transmis à sa descendance, ne porte, en elle même, aucune atteinte aux droits fondamentaux de l’individu. Elle ne met en particulier pas nécessairement en cause le principe de dignité de la personne humaine. Cependant, pour pouvoir imaginer que la thérapie génique soit utilisée, deux conditions, en l’état difficiles à remplir, sont exigées : ne pas conduire d’expériences contraires à la dignité de l’être humain et maîtriser, conformément au principe de précaution, les conséquences, même sur le long terme, de ces pratiques. Ce principe de précaution, intégré récemment dans le droit de la responsabilité, au travers du droit de l’environnement, traduit la prise en compte par le droit de l’incertitude scientifique. La précaution consiste à prendre des mesures de protection au-delà de ce que la probabilité rend nécessaire et à l’encontre de risques qui ne sont pas nécessairement probabilisables (24). 

II - L’APPREHENSION DE CES ENJEUX PAR LA DECLARATION UNIVERSELLE SUR LE GENOME HUMAIN

La Déclaration universelle sur le génome humain, adoptée par l’Unesco représente essentiellement une prise de conscience, au niveau mondial, des implications que la science biomédicale peut avoir sur l’homme. Elle détermine, autant qu’elle prolonge, une conception générale des rapports entre, d’une part, la connaissance et l’activité scientifiques et, d’autre part, les droits fondamentaux de la personne humaine. Cette prise de conscience a par ailleurs vocation à l’universalité comme en témoigne sa ratification par l’Assemblée générale des Nations Unies. Ce caractère universel des principes posés induit nécessairement leur généralité, mais il renforce également leur portée.
 

1 - Les principes directeurs de la bioéthique

L’affirmation fondamentale de ce texte est celle selon laquelle le respect de la dignité de la personne humaine, de ses droits et de sa liberté prime sur toute  autre considération d’ordre technologique, économique ou politique (25). A coté de cette première affirmation, la Déclaration procède à une vigoureuse reconnaissance du principe de la liberté de la recherche. L’article 12 proclame que « la liberté de la recherche, qui est nécessaire au progrès de la connaissance, procède de la liberté de pensée »..

Ces principes sont fondés sur une conception de l’homme. En effet, la Déclaration de l’Unesco fixe les limites de l’appréhension de l’homme au travers de son génome. Elle rappelle, opportunément que l’homme est à la fois le produit de ses gènes et de son histoire, du rapport entretenu avec son environnement. 

Enfin, elle explicite un principe de solidarité en soulignant les devoirs des Etats dans le cadre de la coopération, notamment entre les pays industrialisés et les pays les plus démunis.

De ces principes matriciels sont tirés un certains nombre de préceptes dérivés, qui forment le cadre fondamental dans lequel doivent s’inscrire les règles relatives à la bioéthique et s’exercer les recherches et les techniques biomédicales.

Ainsi le respect des droits de la personne humaine se traduit par un certain nombre d’exigences. Est d ’abord rappelé le principe originel du droit de la bioéthique, posé dès le Code de Nuremberg, celui de l’exigence d’un consentement libre et éclairé de qui se prête, ou subi, une recherche, un traitement ou un diagnostic de caractère génétique. Ce principe du consentement connaît cependant une atténuation concernant les personnes qui ne sont pas en mesure de l’exprimer. L’intervention d’un tiers « guidé par l’intérêt supérieur de intéressé » est alors exigé. Le droit de savoir ou de ne pas savoir est également reconnu concernant les résultats des examens génétiques. Corollaire du droit au respect de la vie privée, le principe de confidentialité est inséré dans cette déclaration, il est cependant assorti de certaines dérogations. De même, consubstantiel au principe de dignité, l’exigence de non discrimination en fonction de critères génétiques est clairement affirmée.

Le principe de la liberté de la recherche est assorti d’exigences précises. La Déclaration fixe aux Etats une obligation de créer des conditions favorables aux activités de recherche. Cette activité scientifique est cependant finalisée. elle doit être tournée vers «  l’allégement de la souffrance et l’amélioration de la santé de l’individu et de l’humanité toute entière ». Les conséquences qui sont tirées de ce principe de la liberté de la recherche tendent à créer des droits et des obligations tant pour les individus que pour les chercheurs. Ainsi, « toute personne a le droit... de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ». Les chercheurs se voient, quant à eux, soumis à une « évaluation rigoureuse et préalable des risques et des avantages potentiels » de leur activité. Le rôle des comités d’éthique est, sur ce point, valorisé. Enfin, la Déclaration pose de manière très clair le principe de responsabilité. Cette responsabilité pèse tant sur les chercheurs que les décideurs publics et privés. Elle peut se manifester par un droit à réparation du dommage subi. L’aspect économique de la question est également abordé, non seulement au travers de l’exigence d’une aide étatique à la recherche, mais aussi au travers de l’affirmation selon laquelle «  le génome humain en son état naturel ne peut donner lieu à des gains pécuniaires. Cette dernière formule marque à la fois une reconnaissance des enjeux économiques de la biomédecine et une limite à la commercialisation de l’humain.

Concernant l’exigence de solidarité, elle doit se manifester tant à l’égard des pays défavorisés que vis à vis des populations vulnérables ou des victimes de maladies rares.

Enfin la Déclaration, déroge à la règle implicite qui veut qu’elle ne se prononce que par voie de directives générales en prônant l’interdiction du clonage à des fins de reproduction d’êtres humains.
 

2 - La portée de la Déclaration sur le génome humain

Le choix par l’Unesco de recourir à l’instrument de la Déclaration pour traiter d’une telle question manifeste une volonté précise. Il s’agissait, tout d’abord, d’un choix excluant, tout du moins en l’état, la conclusion d’un Traité. En effet, la formule de la déclaration permettait de surmonter les réticences des Etats à se créer des obligations juridiques dans des domaines sensibles ou de caractère nouveau (26). Mais d’un autre coté, la formule de la Déclaration, identique à celle employée par l’O.N.U. pour édicter la charte universelle des droits fondamentaux en 1948, n’est utilisée que pour des questions d’importance majeures et durables. 

L’adoption de ce texte, le 9 décembre 1998 par l’Assemblée générale des Nations Unies, à l’initiative de la France à laquelle s’étaient joints d’autres Etats, dont l’Espagne, est porteuse de symboles particulièrement révélateurs de l’importance que la société des Etats accorde à cette question. La date choisie, le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme,  permet de marquer le lien de filiation établi entre la Déclaration de l’Unesco et ce texte fondateur. Elle a également permis à des Etats, représentants l’ensemble de la communauté universelle, de manifester leur approbation des principes affirmés. En ce sens, l’Allemagne s’est ralliée à ce texte et les Etats-Unis l’ont approuvé. Dans un Préambule, l’Assemblée générale des Nations Unies inscrit ce texte dans la continuité de la Déclaration de 1948, rappelle la fondamentalité du principe de dignité et les enjeux de l’évolution des sciences de la vie au regard de ce principe, elle affirme également la nécessité de promouvoir le progrès scientifique et le partage de ses bénéfices. C’est ainsi, de manière particulièrement explicite, une réappropriation par l’O.N.U. des grands axes de la Déclaration de l’Unesco qui est opérée.

Sur le plan juridique, le fait que ce texte relève de ce qu’il est convenu d’appeler la soft law, ne doit pas conduire à mésestimer ses implications et l’influence qu’il est susceptible d’avoir en droit positif. D’abord si ce texte n’est pas protégé par un mécanisme juridictionnel, il est instauré un système de suivi de l ’application des principes posés par le Comité international de bioéthique de l’Unesco. Par ailleurs, il existe une imbrication de plus en plus étroite entre la soft law et le droit positif. En ce sens, les principes posés engagent, tout du moins moralement, les Etats qui les ont soutenus. Ils peuvent être utilisés comme système de référence pour les Etats dépourvus d’une législation en la matière et encadrer l’élaboration d’une telle législation par les Etats qui souhaiteraient s’en doter. 

A des questions dont la portée est universelle, la réponse se devait d’être mondiale. Elle est partielle, parfois floue, elle a l’insigne mérite d’exister. Cette déclaration doit être conçue à la fois comme le socle sur lequel doit se construire le droit, ou les droits, tant internationaux que nationaux de la bioéthique. Elle n’a pas la prétention de résoudre l’ensemble des problèmes, mais de constituer un niveau d’exigence minimal, état de la conscience universelle, de déterminer le cadre que l’humanité assigne à des développements scientifiques susceptibles d’influer profondément sur son avenir. L’enjeu n’est pas négligeable, il s’agit en particulier de s’interroger et d’apporter des réponses à la question de la compatibilité entre, les exigences liées à la reconnaissance de la primauté de l’individu, et celles tenant à la maîtrise, la plus totale possible, de son destin par l’humanité.



Notes de bas de page :

(1) cf. N.Lenoir, intervention au Colloque d’Athénes du 13 novembre 1998 sur le cinquantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme,  (retour au texte)

(2) cf. de manière plus générale, R. Encinos de Munagorri, la Communauté scientifique est ‘elle un ordre juridique ?, R.T.D.C, 1998-248 (retour au texte)

(3) cf. en matière de biotechnologie, cf. J.P.Berlan et R.C. Lewontin, la menace du complexe génético industriel, Le monde diplomatique, déc. 1998 (retour au texte)

(4) cf. en ce sens D. Thouvenin, Comment construire un droit de la bioéthique, A.L.D. 1995-149 (retour au texte)

(5) sur cette question, cf. N. Lenoir et B. Mathieu, Les normes internationales de la bioéthique, Q.S.J., précité (retour au texte)

(6) avis n°12 du Groupe européen d ’éthique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission européenne, novembre 1998 , cf. infra (retour au texte)

(7) cf. C. Byk, un paysage juridique recomposé : bioéthique un facteur de (re)construction du droit, Journal international de Bioéthique, n° 1-2-1997. cf. également C. Labrusse Riou, Biomédecine, bioéthique, biodroit, l’état du droit français in Bioéthique, de l’éthique au droit, du droit à l’éthique, Publications Institut suisse de droit comparé n°30, 1997 (retour au texte)

(8) cf. B. Mathieu, Les normes éthiques et le droit : légitimité des sages et légitimité démocratique. Réflexions à partir de l’exemple français, publié en allemand in (s.d.) U. Tröhler et S. Reiter-Theil, Ethik und Medizin, 1947-1997, Wallstein Verlag Gottingen, 1997 (retour au texte)

(9) décis. Washington v.Glucksberg, 117 S. cf. 2302 (1997) et Vacco Quill, 117  S. Ct 2293 (1997) ; cf. à ce propos l’entretien entre Madame Noëlle Lenoir, membre du Conseil constitutionnel français et Mesdames Sandra Day O’Connor et Ruth Ginsburg, membres de la Cour suprême des Etats Unis, Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 1998, n°5, p. 52 ; cf. également le propos du juge Breyer, dans le cadre de la Table ronde organisée à Paris en février 1997, in s.d. N.Lenoir, B.Mathieu, D.Maus, Constitution et éthique biomédicale, précité  (retour au texte)

(10) sur ces principes, cf. B. Mathieu, Pour une reconnaissance de principes matriciels, en matière de protection constitutionnel des droits de l’homme, D. 1995, C. 211 (retour au texte)

(11) cf. B.Mathieu, Génome humain et droits fondamentaux, à par. edit. Economica, 1999 (retour au texte)

(12) cf. l’article 29 de la Déclaration universelle des droits de l’homme « ... Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien être général dans une société démocratique ... » (retour au texte)

(13) voir à ce propos la jurisprudence du Conseil d’Etat français sur le « lancer de nain » et les conclusions éclairantes du commissaire du gouvernement Frydmann sur CE 27 octobre 1995, Cune de Morsang sur Orge et Ville d’Aix en Provence, R.F.D.A., 1995, p. 878 (retour au texte)

(14) cf. en ce sens G. Mémeteau, la définition de la personne par la loi, Journal international de bioéthique, 1-2-1997-39 (retour au texte)

(15) cf. en ce sens A.M. Le Pourhiet, la démocratie selon Ponce- Pilate, Pouvoirs, 1991, n°59, p. 159 (retour au texte)

(16) cf. notamment la Convention sur les droits de l’enfant de l’O.N.U. du 26 janvier 1990 (retour au texte)

(17) sur cet abandon, cf. N. Lenoir, Conclusions au colloque « Bioéthique et droits de l’homme », organisé à Caen les 23 et 24 octobre par la Mission pour le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Sur la reconnaissance du droit à la vie cf. not. 
article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme « tout individu a droit à la vie... » et article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. (retour au texte)

(18) avis n°12 du 23 novembre 1998 (retour au texte)

(19) B’ 0209 (retour au texte)

(20) avis du 28 mai 1997 (retour au texte)

(21) cf. A. Kahn et F. Papillon, Copies conformes, le clonage en question, NIL éditions, p. 262 et s ; (retour au texte)

(22) résolution du 16 mars 1989, cf. le texte in N. Lenoir et B. Mathieu, Le droit international de la bioéthique (textes), P.U.F, 1998, p47 (retour au texte)

(23) cf. en ce sens N.Lenoir, conclusions au colloque Bioéthique et droits de l’homme organisé par la Mission interministérielle sur les droits de l’homme à Caen, les 23 et 24 octobre 1998 (retour au texte)

(24) cf. not. G.J. Martin, Précaution et évolution du droit, D. 1995, J. 299 et L. Boy, la référence au principe de précaution et l’émergence de nouveaux modes de régulation, P.A., 1997, n°4, p.4 (retour au texte)

(25) cf N.Lenoir, conférence prononcée à Athénes en novembre 1998, précitée (retour au texte)

(26) cf N.Lenoir, La Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme de l’Unesco, Rapport public du Conseil d’Etat 1998, La Documentation française (retour au texte)

© - Tous droits réservés - Bertrand MATHIEU - 14 février 2000

 


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