CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 211510
M. S.
M. Sanson
Rapporteur
M. Chauvaux
Commissaire du gouvernement
Séance du 16 janvier 2004
Lecture du 11 février 2004
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 août et 13 décembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Luc S. ; M. S. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 21 janvier 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a annulé, sur la requête de la commune de Beuvillers, le jugement en date du 13 avril 1993 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé la prescription incluse dans le permis de construire délivré le 2 avril 1992 et lui imposant la cession gratuite d’une bande de terrain nécessaire à l’élargissement du "chemin des jardins" ;
2°) de condamner la commune de Beuvillers à lui verser la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code de l’urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Sanson, Conseiller d’Etat,
les observations de Me Brouchot, avocat de M. S. et de la SCP Boutet, avocat de la commune de Beuvillers,
les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 332-6 du code de l’urbanisme, "Les bénéficiaires d’autorisations de construire ne peuvent être tenus que des obligations suivantes : (.) 2° Le versement des contributions aux dépenses d’équipements publics mentionnés à l’article L. 332-6-1 (.)" ; qu’aux termes de l’article L. 332-6-1 du même code : "Les contributions aux dépenses d’équipements publics prévues au 2° de l’article L. 332-6 sont les suivantes : (.) 2° (.) e) Les cessions gratuites de terrains destinés à être affectés à certains usages publics qui, dans la limite de 10 % de la superficie du terrain auquel s’applique la demande, peuvent être exigées des bénéficiaires d’autorisations portant sur la création de nouveaux bâtiments ou de nouvelles surfaces construites" ; que l’article R. 332-15 prévoit que "l’autorité qui délivre le permis de construire ou l’autorisation de lotissement ne peut exiger la cession gratuite de terrains qu’en vue de l’élargissement, du redressement ou de la création des voies publiques" ;
Considérant que la cour administrative d’appel de Nancy n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’il n’appartenait pas au juge administratif d’apprécier la conformité des articles L. 332-6 et L. 332-6-1 précités du code de l’urbanisme aux principes définis par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, que cette conformité soit contestée directement ou au travers de l’article R. 322-15 du même code qui se borne à faire application des dispositions législatives mentionnées ci-dessus ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international./ Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes" ;
Considérant, en premier lieu, que les dispositions précitées des articles L. 332-6 et L. 332-6-1 du code de l’urbanisme, en ce qu’elles permettent de subordonner la délivrance d’un permis de construire à la cession gratuite de 10 % au plus de la superficie du terrain au titre de la contribution du bénéficiaire aux dépenses d’équipements publics, ont pour objet non pas, comme la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique, de priver une personne de la propriété d’un bien mais de réglementer le droit de construire, qui, faute d’être un droit nécessairement attaché à la propriété du terrain, relève de l’usage d’un tel bien au sens des stipulations précitées du protocole ; qu’en deuxième lieu, la contribution demandée au bénéficiaire du permis de construire sous la forme de la cession gratuite d’une partie du terrain ne peut être exigée que si l’intéressé demande un permis de construire, en vue de la création de nouveaux bâtiments ou de nouvelles surfaces construites, et mise en œuvre, par un acte accompli par celui-ci, qu’au moment du commencement des travaux autorisés, sans pouvoir s’appliquer au titulaire qui, avant cette dernière date, a renoncé au projet de construction ; qu’en troisième lieu, cette cession est strictement encadrée par la loi en ce qu’elle ne peut excéder 10 % de la superficie du terrain et doit être justifiée par un projet précis d’opération de voirie publique, conforme à l’intérêt général ; qu’enfin et en quatrième lieu, les dispositions précitées ne font pas obstacle à ce qu’un propriétaire à l’égard duquel est prescrite une cession prétende à une indemnisation dans le cas où il résulte de l’ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la cession a été prescrite et mise en œuvre que ce propriétaire supporte, nonobstant l’avantage tiré du permis de construire qui lui a été accordé, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ; que, dans ces conditions, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que ces dispositions législatives n’étaient pas incompatibles avec les stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant enfin qu’en estimant que la commune de Beuvillers entendait réaliser un projet précis de création d’une nouvelle voie publique destinée à desservir une zone urbanisable et à rejoindre une autre rue, la cour administrative d’appel de Nancy s’est livrée à une appréciation souveraine des faits de l’espèce, exempte de dénaturation ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. S. n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt en date du 21 janvier 1999 de la cour administrative d’appel de Nancy ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Beuvillers, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à M. S. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. S. est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Luc S., à la commune de Beuvillers et au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.