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Cour des comptes, 4e chambre, arrêt n° 22582, 7 avril 1999, Commune de Dangé-Saint-Romain

Par Michel LASCOMBE
Professeur de Droit Constitutionnel à l’Université de Lille 2

Les règles de la comptabilité publique sont destinées à garantir un usage rigoureux des deniers publics. Il est donc parfaitement normal que soient mis en œuvre tous les moyens permettant d’éviter qu’une même facture soit payée deux fois. C’est la raison pour laquelle les comptables ne doivent payer les factures que s’ils disposent effectivement de l’original de celles-ci.


Cour des comptes, 4e chambre, arrêt n° 22582, 7 avril 1999, Commune de Dangé-Saint-Romain

Appel d’un jugement de la chambre régionale des comptes de Poitou-Charentes

LA COUR,

Vu le jugement en date du 23 juin 1998 par lequel la chambre régionale des comptes de Poitou-Charentes a constitué M. Jean B..., comptable de la Commune de Dangé-Saint-Romain (VIENNE), débiteur envers cette commune de la somme de 4358,55 F indûment payée, augmentée des intérêts de droit ;

Vu la requête enregistrée le 28 août 1998 au greffe de la chambre régionale des comptes, par laquelle M. B... a élevé appel dudit jugement et demandé le sursis à exécution ;

Vu les avis de réception faisant preuve de la notification de la requête à toutes les parties désignées dans ledit jugement ;

Vu le réquisitoire du procureur général de la République en date du 6 novembre 1998 transmettant le dossier d’appel ;

Vu les pièces de la procédure suivie en première instance, ensemble les jugements provisoire du 14 avril 1998 et définitif du 23 juin 1998, dont il est élevé appel ;

Vu le Code des juridictions financières ;

Vu le décret n° 95-945 du 23 août 1995 ;

Vu le décret n° 85-199 du 11 février 1985 ;

Vu les conclusions du procureur général de la République ;

Après avoir entendu M. Moreau, conseiller maître, en son rapport et M. Thuillier, conseiller maître, en ses observations ;

Sur la recevabilité  :

Attendu que M. B..., comptable de la commune de Dangé-Saint-Romain, a qualité et intérêt pour agir ;

Attendu que son appel a été introduit dans le délai de notification du jugement qui lui a été fait ;

Attendu que l’absence de réponse aux injonctions du jugement provisoire de la chambre régionale, qui ont conduit à bon droit celle-ci à prononcer le débet définitif pour regrettable que soit ce silence initial du comptable, n’invalide pas l’appel ;

Attendu dès lors que l’appel est recevable ;

Sur la demande de sursis à exécution :

Attendu que le dossier est en état d’être jugé, que la demande de sursis à exécution est donc sans objet et qu’il n’y a pas lieu d’y statuer  ;

Sur le fond :

Attendu que le comptable a visé le 1er juin 1995 le mandat n° 10 de 4 358,55 F au bénéfice de Havas Régie Tours pour la publication d’un avis d’appel d’offre destiné à la construction d’un bâtiment industriel dans la commune ; qu’il a visé le 30 juin le mandat n° 17 du même montant et pour le même objet, au bénéfice de Publiprint, Poitiers ;

Attendu que le comptable indique, pour sa défense, que les pièces produites à l’appui des deux mandats étaient régulières, certifiées par l’ordonnateur, qu’elles provenaient au surplus de deux fournisseurs différents ; qu’elles satisfaisaient donc à la liste limitative des pièces justificatives exigées pour le paiement des mandats en application du décret n° 88-74 du 21 janvier 1988 ; mais attendu que la seconde facture était un duplicata et qu’il revenait donc au comptable de vérifier qu’il n’y avait pas eu un premier paiement, que cette vérification lui aurait permis de retrouver le mandat précédent de même montant et pour un même objet, relatif à la publication d’un unique avis d’appel d’offre qui a effectivement eu lieu le 23 avril 1995 ; qu’il devait dès lors en suspendre le paiement ; que c’est donc à bon droit que la chambre régionale a prononcé son injonction, par jugement provisoire, avant de déclarer le comptable débiteur de la somme réglée par le jugement attaqué ;

Par ces motifs,

ORDONNE ce qui lui suit :

STATUANT DEFINITIVEMENT,

La requête de M. B... est déclarée recevable.

Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution.

Le jugement n° 980056 du 23 juin 1998 de la chambre régionale des comptes de Poitou-Charentes est confirmé.
 

Observations  : 
 

Les règles de la comptabilité publique sont destinées à garantir un usage rigoureux des deniers publics. Il est donc parfaitement normal que soient mis en œuvre tous les moyens permettant d’éviter qu’une même facture soit payée deux fois. C’est la raison pour laquelle les comptables ne doivent payer les factures que s’ils disposent effectivement de l’original de celles-ci (C. comptes 18 mars 1992, collège Ch. Péguy à Bondoufle : Rec. C. comptes 24).

Or, on imagine bien que, compte tenu de l’importance des commandes que réalisent certaines administrations, il est possible que des factures se perdent. Dans ce cas, il appartient à l’ordonnateur de certifier que la facture a bien été perdue, que le service a été fait et que le duplicata joint à l’ordre de payer est conforme à la facture originale. Dès lors, et conformément aux dispositions de l’article 7 du RGCP (D. 62-1587 du 29 déc. 1962), la certification engage la responsabilité de l’ordonnateur et, en principe, le comptable ne peut lui refuser effet.

C’est l’argument qu’utilise le comptable en l’espèce pour demander à la Cour de réformer le jugement de la Chambre régionale des comptes de Poitou-Charentes qui l’avait constitué en débet. Le comptable estimait que, le duplicata ayant été certifié par l’ordonnateur, il ne lui appartenait pas de mettre en cause cette certification et qu’il était donc contraint de payer sans vérifier si un payement préalable été intervenu. Cette interprétation est erronée.

En effet, la solution dans ce cas est classique : le comptable n’est tenu par les certifications de l’ordonnateur que dans la mesure où il ne peut établir qu’elles sont fausses. Si ses investigations l’amène à penser que la pièce est fausse, il doit, à peine d’engager sa propre responsabilité, suspendre le paiement (art. 37 du RGCP).

La solution trouve application en cas de faux grossier (C. Comptes 15 mai 1997, Ambassade de France au Tchad : Rev. Trésor 1998. 103). Elle s’applique aussi dès lors que le comptable dispose de toutes les informations utiles pour opérer la vérification (C. comptes 24 mars 1994, comptable de la Cne de Miramas : Rev. Trésor 1994. 515. C. Comptes 11 sept. 1996, 20 mars et 3 avril 1997, 13 et 27 nov. 1997, E.N.A : Rev. Trésor 1998. 260) ce qui est le cas en particulier suite à la perte d’originaux de factures dont il a déjà réalisé le paiement (C. comptes 24 mars 1994, Cne de Miramas : préc.). En effet, le comptable doit en toute hypothèse s’assurer qu’il n’a pas déjà payé une facture avant de l’acquitter à nouveau et doit être particulièrement vigilant lorsque deux factures sont de même montant et portent la même référence (Ch. rég. comptes Haute-Normandie 28 sept. 1995 et 3 janv. 1996, comptables successifs de la Cne de Val-de-Reuil : Rev. Trésor 1996. 425).

L’originalité de l’espèce ci-dessus reproduite, tient au fait que la facture originale et le duplicata n’étaient pas libellés au nom du même fournisseur (Havas dans un cas, Publiprint dans l’autre). La Cour des comptes ne voit pas là un élément suffisant pour relever le comptable de toute responsabilité. Elle estime que le simple fait d’avoir un duplicata comme pièce justificative d’un mandatement, devait le conduire à la prudence et en l’espèce s’apercevant que les deux justificatifs étaient relatifs à la publication du même avis le même jour, à suspendre le paiement. On ajoutera par ailleurs, comme le fait remarquer le Parquet de la Cour des Comptes dans ses conclusions, que les deux mandats ayant été payés à un mois d’intervalle et n’étant séparés que de six mandats (n° 10 pour le premier et n° 17 pour le second), la recherche eut été rapidement concluante.

Ajoutons pour conclure que le juge constate, non sans une certaine amertume, la recevabilité de l’appel interjeté par le comptable alors même que celui-ci n’a pas présenté de défense en première instance. Cela nous permet de rappeler la particularité de la procédure financière. Lorsque le juge s’apprête à engager la responsabilité d’un comptable, il rend un arrêt (ou un jugement) provisoire dans lequel il fait part des griefs qu’il a dégagés lors de l’instruction ; le comptable est invité à répondre aux arguments ainsi développés par le juge avant que celui-ci, s’il n’est pas convaincu par les explications du comptable, ne le constitue en débet par un arrêt (ou un jugement) définitif. Cette procédure dite du « double arrêt » est, dans l’état actuel du droit applicable, le moyen de garantir le caractère contradictoire de la procédure devant le juge financier. Le fait que le comptable renonce à développer des arguments en réponse au jugement provisoire, conduit naturellement le juge à rendre une décision définitive de débet. Pourtant, cette abstention ne vaut donc pas acquiescement et le comptable conserve, nonobstant, donc la possibilité de faire appel du jugement (Voir également dans le même sens  : C. comptes 7 avril 1999, Synd. Intercom. d’adduction d’eau potable du Haut-Châtelleraudais : n° 22580).

© - Tous droits réservés - Michel LASCOMBE - 18 février 2000

 


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