format pour impression
(imprimer)

DANS LA MEME RUBRIQUE :
Conseil d’Etat, 27 juillet 2001, 223568, M. Petit
Conseil d’Etat, 11 février 2004, n° 242160, Société Etablissements Grassot SA et Société Jardivil
Conseil d’Etat, 17 octobre 2003, n° 255591, Syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier "les Alpages" et Syndicat des copropriétaires de l’ensemble immobilier "Les 3 Mousquetaires"
Conseil d’Etat, 7 mai 2008, n° 309316, La Poste
Conseil d’Etat, 17 mars 2004, n° 227000, Sarl Loisirs 2000 et SA Cinémas Forum
Conseil d’Etat, 21 mars 2001, n° 207877, SOCIETE VERVEINE et autres
Conseil d’Etat, 20 mars 2002, n° 218995, M. M.
Conseil d’Etat, 25 juin 2003, n° 232665, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c/ Banque Worms
Conseil d’Etat, 2 avril 2003, n° 238266, M. Ullah M. 
Conseil d’Etat, 8 juin 2001, n° 225119, Société Golden-Harvest-Zelder SARL




Conseil d’Etat, Section, 6 février 2004, n° 249262, Société Royal Philips Electronic et autres

Pour la mise en œuvre des dispositions du Code de commerce, il appartient au ministre, avant d’examiner si, le cas échéant, la contribution au progrès économique apportée par la concentration projetée est suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence redoutées, ou s’il convient de subordonner l’opération à l’observation de prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser ces atteintes, de procéder d’abord au bilan des effets de l’opération sur la concurrence. S’agissant de la reprise, par un concurrent, d’une société en difficulté, il doit autoriser l’opération sans l’assortir de prescriptions lorsqu’il apparaît au terme de ce bilan que les effets de cette opération sur la concurrence ne seraient pas plus défavorables que ceux qui résulteraient de la disparition de l’entreprise en difficulté, c’est-à-dire s’il est établi, en premier lieu, que ces difficultés entraîneraient la disparition rapide de la société en l’absence de reprise, en deuxième lieu, qu’il n’existe pas d’autre offre de reprise moins dommageable pour la concurrence, portant sur la totalité ou une partie substantielle de l’entreprise et, en troisième lieu, que la disparition de la société en difficulté ne serait pas moins dommageable pour les consommateurs que la reprise projetée.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 249262, 252297, 252350, 252809

SOCIETE ROYAL PHILIPS ELECTRONIC et autres

M. Verclytte
Rapporteur

M. Glaser
Commissaire du gouvernement

Séance du 6 février 2004
Lecture du 6 février 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux)

Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°, sous le n° 249267, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 août 2002 et 2 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE ROYAL PHILIPS ELECTRONIC et la SOCIETE PHILIPS FRANCE ; les SOCIETES ROYAL PHILIPS ELECTRONIC et PHILIPS France demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 5 juillet 2002 par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a autorisé la reprise par la société Seb des activités de la société Moulinex sur le marché français du petit équipement électroménager ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice des communautés européennes de quatre questions préjudicielles afin de juger : en premier lieu, si l’article 10 du traité instituant la communauté européenne et l’article 9§8 du règlement (CEE) n° 4064/89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises peuvent être interprétés comme permettant aux autorités nationales d’un Etat membre d’autoriser une opération de concentration en l’assortissant de conditions plus douces que celles fixées par la Commission européenne pour les autres marchés concernés alors que les problèmes de concurrence posés dans cet Etat sont au moins aussi sérieux que pour ces derniers marchés ; en deuxième lieu, si l’article 9 du règlement précité autorise les autorités nationales à demander le renvoi de l’examen d’une opération au motif qu’elles ont identifié des problèmes importants de concurrence sur un marché national considéré comme distinct, avant de déclarer qu’il n’existe pas de problème de concurrence au motif que l’exception de l’entreprise défaillante s’appliquerait, alors même qu’elles disposaient de tous les éléments de fait et de droit leur permettant d’apprécier, au moment de la demande, l’applicabilité de cette exception ; en troisième lieu, si les dispositions précitées autorisent les autorités nationales à faire application de l’exception de l’entreprise défaillante alors même que la Commission en aurait écarté la possibilité ; en quatrième lieu, si les articles 2 et 9 du règlement précité autorisent les autorités d’un Etat membre qui ont obtenu le renvoi à adopter une décision sans s’exprimer sur l’impact de celle-ci sur l’effet utile des obligations par ailleurs imposées par la Commission dans sa décision d’autorisation concernant les autres Etats membres ;

Vu 2°, sous le n° 252297, la requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 4 décembre 2002, présentée pour les SOCIETES ROYAL PHILIPS ELECTRONIC et PHILIPS FRANCE ; elles reprennent les conclusions et les moyens de leur requête n° 249267, en se fondant sur la décision telle qu’elle a été publiée le 21 octobre 2002 au Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et en soutenant de surcroît que l’annulation de cette décision s’imposerait par voie de conséquence si le tribunal de première instance des communautés européennes faisait droit à la demande présentée devant lui tendant à l’annulation de la décision du 8 janvier 2002 par laquelle la Commission européenne a renvoyé aux autorités françaises l’appréciation des effets de l’opération en France ;

Vu 3°, sous le n° 252350, la requête enregistrée le 6 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la SOCIETE DE’LONGHI S.P.A, et la SOCIETE DE’LONGHI FRANCE ; les SOCIETES DE’LONGHI demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en date du 5 juillet 2002, publiée au bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes le 21 octobre 2002, autorisant la reprise par la société Seb des activités de la société Moulinex sur le marché français du petit équipement électroménager ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice des communautés européennes d’une question préjudicielle afin de juger s’il est possible pour une autorité nationale contrôlant une opération de concentration dans le cadre de la procédure de renvoi visée à l’article 9 du règlement (CE) n° 4064/89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des concentrations, de faire application de la théorie de l’entreprise défaillante alors même que la Commission en a écarté l’application à l’occasion de son contrôle communautaire ;

3°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 7 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 4°, sous le n° 252809, la requête enregistrée le 23 décembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la SOCIETE BABYLISS S.A. ; la SOCIETE BABYLISS S.A. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 5 juillet 2002 par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a autorisé la reprise par la société Seb des activités de la société Moulinex sur le marché français du petit équipement électroménager ;

2°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice des communautés européennes de trois questions préjudicielles afin de juger : en premier lieu, si une autorité nationale, agissant sur renvoi de la Commission sur le fondement de l’article 9 du règlement concentrations, peut, dans le cadre d’un contrôle national d’une opération de concentration, tirer des conclusions différentes d’une même situation déjà analysée par la Commission ; en deuxième lieu, si, en l’espèce, la conclusion de la Commission selon laquelle la théorie de l’entreprise défaillante ne trouvait pas à s’appliquer à la concentration Seb/Moulinex s’imposait au ministre ; en troisième lieu, si le ministre était tenu, dans le cadre de l’application de la théorie de l’entreprise défaillante à l’opération Seb/Moulinex, de limiter l’analyse de la solution la moins dommageable au seul candidat dont l’offre de reprise a été retenue par la juridiction nationale compétente en matière de redressement judiciaire ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la note en délibéré produite pour la société Seb Moulinex le 6 février 2004 ;

Vu le Traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne ;

Vu le règlement (CEE) n° 4064/89 du 21 décembre 1989 modifié relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises ;

Vu le code de commerce ;

Vu la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques ;

Vu le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1989 modifié fixant les conditions d’application de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence ;

Vu le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d’application du livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Verclytte, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE ROYAL PHILIPS ELECTRONIC et de la SOCIETE PHILIPS FRANCE et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Seb Moulinex,
- les conclusions de M. Glaser, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes des SOCIETES ROYAL PHILIPS ELECTRONIC et PHILIPS FRANCE, des SOCIETES DE’LONGHI S.P.A et DE’LONGHI FRANCE et de la SOCIETE BABYLISS S.A. présentent à juger les mêmes questions ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;

Considérant qu’aux termes de l’article 9 du règlement 4064/89 du Conseil du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises : " 1. La Commission peut, par voie de décision qu’elle notifie sans délai aux entreprises concernées et dont elle informe les autorités compétentes des autres Etats membres, renvoyer aux autorités compétentes de l’Etat membre concerné un cas de concentration notifié, dans les conditions suivantes. / 2. Dans le délai de trois semaines à compter de la réception de la copie de la notification, un Etat membre peut communiquer à la Commission, qui en informe les entreprises concernées, que : a) une opération de concentration menace de créer ou de renforcer une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans un marché à l’intérieur de cet Etat membre qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct … / 3. Si la Commission considère que, compte tenu du marché des produits ou services en cause et du marché géographique de référence …, un tel marché distinct et une telle menace existent : a) soit elle traite elle-même le cas en vue de préserver ou de rétablir une concurrence effective sur le marché concerné ; b) soit elle renvoie tout ou partie du cas aux autorités compétentes de l’Etat membre concerné en vue de l’application de la législation nationale sur la concurrence dudit Etat. (…) / 6. La publication des rapports ou l’annonce des conclusions de l’examen de l’opération concernée par les autorités compétentes de l’Etat membre concerné intervient au plus tard quatre mois après le renvoi par la Commission. (…) / 8. Pour l’application du présent article, l’Etat membre concerné ne peut prendre que les mesures strictement nécessaires pour préserver ou rétablir une concurrence effective sur le marché concerné. (…) " ;

Considérant qu’aux termes des dispositions du code de commerce relatives au contrôle des concentrations, dans leur rédaction applicable en l’espèce, qui est celle antérieure à la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques dès lors que l’opération ici en cause a été engagée de façon irrévocable avant la publication du décret du 30 avril 2002 : "Article L. 430-2 : La concentration résulte de tout acte, quelle qu’en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d’une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d’entreprises d’exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante./ Article L. 430-3 : Le silence gardé pendant deux mois [par le ministre saisi d’un projet de concentration] vaut décision tacite d’acceptation du projet de concentration ou de la concentration ainsi que des engagements qui y sont joints (…). Ce délai est porté à six mois en cas de saisine du Conseil de la concurrence./ Article L. 430-4 : Le Conseil de la concurrence apprécie si le projet de concentration ou la concentration apporte au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Le Conseil tient compte de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale./ Article L. 430-5 : Le ministre chargé de l’économie et le ministre dont relève le secteur économique intéressé peuvent, à la suite de l’avis du Conseil de la concurrence, par arrêté motivé et en fixant un délai, enjoindre aux entreprises, soit de ne pas donner suite au projet de concentration ou de rétablir la situation de droit antérieure, soit de modifier ou compléter l’opération ou de prendre toute mesure propre à assurer ou à rétablir une concurrence suffisante. Ils peuvent également subordonner la réalisation de l’opération à l’observation de prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Ces injonctions et prescriptions s’imposent quelles que soient les stipulations des parties " ;

Considérant que, par jugement du 22 octobre 2001, le tribunal de commerce de Nanterre a agréé le plan de cession partielle de la société Moulinex présenté par la société Seb, après que celle-ci eut obtenu de la Commission européenne l’autorisation de n’assortir son offre de reprise d’aucune condition suspensive ; que, saisie le 13 novembre 2001 de cette opération de concentration par la société Seb, la Commission européenne, sur demande présentée par les autorités françaises sur le fondement du a) du paragraphe 2 de l’article 9 du règlement du 21 décembre 1989 a, par décision du 8 janvier 2002, renvoyé à ces autorités l’appréciation des effets de cette opération de concentration sur le marché français ; que, par lettre du 5 juillet 2002, dont le sens a fait l’objet d’un communiqué de presse le 8 juillet, et qui a été publiée au bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes le 21 octobre 2002, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, après avoir pris connaissance, notamment, de l’avis n° 02-A-07 du 15 mai 2002 du Conseil de la concurrence, a indiqué aux parties à l’opération que si la reprise de la société Moulinex par la société Seb impliquait la création ou le renforcement de la position dominante du nouveau groupe, sur au moins neuf des treize marchés de produits identifiés, cette reprise relevait néanmoins de " l’exception de l’entreprise défaillante " dès lors qu’elle n’était pas, en tant que telle, à l’origine de la dégradation constatée de la situation concurrentielle, et que, dans ces conditions, il n’entendait pas s’opposer à cette concentration pour ce qui concerne les marchés français ;

Sur la fin de non-recevoir invoquée par la société Seb :

Considérant que, contrairement à ce que soutient cette société, il ne ressort pas des dispositions précitées du règlement communautaire du 21 décembre 1989 qu’en l’absence de décision explicite des autorités nationales au terme du délai de quatre mois fixé par le paragraphe 6 de l’article 9 de ce règlement, l’opération dont l’examen a été renvoyé à l’appréciation de ces autorités doive être regardée comme ayant fait l’objet d’une décision tacite de non-opposition ; que, dans ces conditions, c’est bien la décision explicite attaquée qui a autorisé l’opération de reprise de la société Moulinex ; que le délai de recours à l’égard des tiers contre cette décision n’a couru qu’à compter de sa publication au bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ; qu’à la date à laquelle les requêtes susvisées ont été enregistrées au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, ce délai n’était pas expiré ; que, dès lors, la société Seb n’est pas fondée à soutenir que ces requêtes seraient tardives ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

Considérant que, pour la mise en œuvre des dispositions précitées du code de commerce, il appartient au ministre, avant d’examiner si, le cas échéant, la contribution au progrès économique apportée par la concentration projetée est suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence redoutées, ou s’il convient de subordonner l’opération à l’observation de prescriptions de nature à apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser ces atteintes, de procéder d’abord au bilan des effets de l’opération sur la concurrence ; que, s’agissant de la reprise, par un concurrent, d’une société en difficulté, il doit autoriser l’opération sans l’assortir de prescriptions lorsqu’il apparaît au terme de ce bilan que les effets de cette opération sur la concurrence ne seraient pas plus défavorables que ceux qui résulteraient de la disparition de l’entreprise en difficulté, c’est-à-dire s’il est établi, en premier lieu, que ces difficultés entraîneraient la disparition rapide de la société en l’absence de reprise, en deuxième lieu, qu’il n’existe pas d’autre offre de reprise moins dommageable pour la concurrence, portant sur la totalité ou une partie substantielle de l’entreprise et, en troisième lieu, que la disparition de la société en difficulté ne serait pas moins dommageable pour les consommateurs que la reprise projetée ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, s’agissant de la première de ces conditions, que la société Moulinex, mise en règlement judiciaire après constatation de sa cessation de paiements, aurait fait l’objet d’une liquidation à défaut de reprise par une autre société et, s’agissant de la deuxième de ces conditions, que d’une part le tribunal de commerce de Nanterre a rejeté comme non sérieuses les offres de reprise présentées devant lui et que d’autre part, si l’offre présentée par la société Babyliss le 29 novembre 2001 portait sur l’ensemble des effectifs et des actifs de la société Moulinex, cette société est revenue aux termes de son offre initiale limitée à la reprise des actifs de la société Krups ; que ces deux premières conditions étaient donc en l’espèce remplies ;

Considérant que, pour conclure que la troisième de ces conditions était satisfaite, le ministre dans sa décision comme devant le Conseil d’Etat se borne à soutenir que la disparition de la société Moulinex, " entraînerait très certainement une détérioration importante des conditions de fonctionnement de plusieurs marchés du petit électroménager, au détriment des consommateurs ", d’une part en créant un " goulet d’étranglement " sur les marchés concernés dont il serait à craindre qu’il entraîne des hausses de prix, au moins temporaires, sur plusieurs de ces marchés, d’autre part du fait de la disparition du service après-vente concernant les produits de la marque Moulinex ; qu’à l’appui de cette démonstration, le ministre a relevé d’abord qu’il ressortait de l’analyse des différentes offres présentées, tant avant qu’après le jugement susmentionné du tribunal de commerce de Nanterre, qu’en cas de liquidation de la société Moulinex, qui fournissait plus de 22 % du secteur du petit électroménager, il était peu vraisemblable que ses actifs, et notamment ses actifs de production, soient repris, ensuite qu’il était improbable que l’offre des pays asiatiques, essentiellement axée sur les produits de bas de gamme, puisse répondre à la demande des consommateurs français et enfin que le défaut de fourniture de nombreux produits Moulinex au cours des quatre derniers mois de l’année 2001 s’était traduit par une hausse des prix de 0,6 % sur le marché français du petit électroménager, non seulement supérieure à celle de l’indice d’ensemble des prix à la consommation, qui était de 0,1 %, mais encore contrastant avec la baisse de 0,7 % observée sur ce marché au cours de la même période de l’année 2000 ;

Considérant, toutefois, que même si le ministre a pu sans erreur d’appréciation estimer qu’en cas de liquidation de la société Moulinex, la disparition de ses actifs de production était quasi-certaine, et même en admettant que dans l’hypothèse de cette liquidation la demande se fût portée exclusivement sur les produits de la société Seb ou de ses concurrents déjà présents sur le marché français, la probabilité du goulet d’étranglement invoqué par le ministre était limitée ; qu’en effet, compte tenu, d’une part, des caractéristiques technologiques des produits en cause, et, d’autre part, de l’existence de capacités de production immédiatement ou rapidement mobilisables par ces concurrents, directement ou en recourant à la sous-traitance, comme c’est déjà largement le cas dans ce secteur, il n’est pas établi que ces concurrents n’auraient pas été en mesure de fournir rapidement les quantités nécessaires pour pallier la disparition des produits Moulinex ; que la principale source de délai susceptible de retarder cette offre tenait donc moins aux contraintes de montée en puissance des capacités de production qu’à celles des procédures de référencement nécessaires à la commercialisation de ces produits ; qu’à cet égard, la raréfaction de l’offre observée à la fin de l’année 2001, lors de l’interruption de la production de la société Moulinex, s’explique principalement par l’impossibilité pour ses concurrents de faire aboutir immédiatement ces procédures de référencement ; qu’il n’est pas contesté, toutefois, que celles-ci, en cas de disparition de la société Moulinex, auraient pu être engagées et achevées rapidement ; que, dans ces conditions, la baisse de l’offre envisagée par le ministre dans cette hypothèse n’aurait probablement pas duré plus de quelques mois ; qu’ainsi, à supposer même que la corrélation observée à la fin de l’année 2001 entre la baisse de l’offre et la hausse des prix se soit reproduite, cette hausse des prix, d’ampleur limitée, n’aurait pas excédé cette très courte période ;

Considérant, en outre, qu’en estimant qu’une éventuelle acquisition des marques détenues par la société Moulinex, sans reprise des actifs industriels, ne modifiait pas l’analyse, le ministre a méconnu les possibilités offertes par une telle acquisition à un opérateur désireux de pénétrer le marché français du petit électroménager, sur lequel, d’après le ministre lui-même, la principale barrière à l’entrée était constituée par les marques ;

Considérant que, dans ces conditions, les motifs invoqués par le ministre - qui au demeurant a omis de prendre en compte les conséquences négatives que cette concentration pourrait avoir pour les consommateurs, cette fois de manière durable - ne suffisent pas à justifier qu’était remplie la troisième des conditions exigées pour le recours à " l’exception de l’entreprise défaillante " ; qu’ainsi, les requérantes sont fondées à demander l’annulation de la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de leurs requêtes ;

Considérant qu’à la suite de cette annulation, le ministre, qui reste saisi du renvoi décidé par la Commission européenne le 8 janvier 2002, devra se prononcer à nouveau dans le délai prévu par l’article L. 430-3 précité du code de commerce, décompté à partir de la notification de la présente décision ; qu’à cet effet, il pourra prendre en compte l’ensemble des données de fait existant à la date à laquelle il statuera, au regard des règles de fond et de procédure énoncées par le titre III du livre IV du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 15 mai 2001, telles qu’interprétées par la présente décision, lesquelles restent applicables s’agissant d’une opération irrévocablement engagée avant la publication du décret du 30 avril 2002 ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 7 000 euros que les SOCIETES DE’LONGHI S.P.A ET DE’LONGHI FRANCE demandent en application de ces dispositions et la somme de 10 000 euros que la SOCIETE BABYLISS S.A. demande au même titre ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 5 juillet 2002 par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a autorisé la reprise par la société Seb d’une partie des activités de la société Moulinex sur le marché français du petit équipement électroménager est annulée.

Article 2 : L’Etat versera, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 7 000 euros aux SOCIETES DE’LONGHI S.P.A. ET DE’LONGHI FRANCE et la somme de 10 000 euros à la SOCIETE BABYLISS S.A.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ROYAL PHILIPS ELECTRONIC, à la SOCIETE PHILIPS FRANCE, à la SOCIETE DE’ LONGHI S.P.A., à la SOCIETE DE’LONGHI FRANCE, à la SOCIETE BABYLISS S.A., à la société SEB S.A., à la société Moulinex, à la Commission européenne et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

 


©opyright - 1998 - contact - Rajf.org - Revue de l'Actualité Juridique Française - L'auteur du site
Suivre la vie du site