CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 248186
FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE UNCP
M. El Nouchi
Rapporteur
M. Collin
Commissaire du gouvernement
Séance du 8 décembre 2003
Lecture du 30 décembre 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 juin et 25 octobre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE UNCP, dont le siège est 7, passage Tenaille 75014 Paris, représentée par son secrétaire général en exercice domicilié en cette qualité audit siège ; la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE UNCP demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2002-622 du 25 avril 2002 relatif à la durée du travail dans les entreprises de transport routier de marchandises ;
2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 3 048 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la directive n° 2002/15 du 11 mars 2002 ;
Vu le code du travail ;
Vu le décret n° 83-40 du 26 janvier 1983 ;
Vu le décret n° 2000-69 du 27 janvier 2000 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. El Nouchi, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Bouzidi, avocat de la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIÈRE UNCP,
les conclusions de M. Collin, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 212-1 du code du travail : " Dans les établissements ou professions mentionnés à l’article L. 200-1 (...), la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à trente-cinq heures par semaine " ; qu’aux termes de l’article L.212-2 : " Des décrets en conseil des ministres déterminent les modalités d’application de l’article L. 212-1 pour l’ensemble des branches d’activité ou des professions ou pour une branche ou une profession particulière. Les décrets fixent notamment l’aménagement et la répartition des horaires de travail, les périodes de repos, les conditions de recours aux astreintes, les dérogations permanentes ou temporaires applicables dans certains cas et pour certains emplois, les modalités de récupération des heures de travail perdues et les mesures de contrôle de ces diverses dispositions du code du travail " ; que l’article L.212-4 du même code dispose que : " La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles / Le temps nécessaire à la restauration ainsi que les temps consacrés aux pauses sont considérés comme du temps de travail effectif lorsque les critères définis au premier alinéa sont réunis. Même s’ils ne sont pas reconnus comme du temps de travail, ils peuvent faire l’objet d’une rémunération par voie conventionnelle ou contractuelle (...) Une durée équivalente à la durée légale peut être instituée dans les professions et pour des emplois déterminés comportant des périodes d’inaction soit par décret, pris après conclusion d’une convention ou d’un accord de branche, soit par décret en Conseil d’Etat. Ces périodes sont rémunérées conformément aux usages ou aux conventions ou accords collectifs " ;
Considérant qu’en application des dispositions précitées, un précédent décret du 27 janvier 2000 a modifié le 3° de l’article 5 du décret du 26 janvier 1983 relatif aux modalités d’application des dispositions du code du travail concernant la durée du travail dans les entreprises du transport routier, en définissant " la durée du temps passé au service de l’employeur, ou temps de service, des personnels roulants marchandises " grands routiers " ou " longue distance " (...) ; que l’article 1er du décret attaqué, qui a repris sans la modifier ni la compléter la définition de cette durée équivalente, s’est borné à modifier les durées de temps de service telles que fixées par le décret du 27 janvier 2000, en fixant la " durée du temps de service " des personnels roulants " grands routiers " ou " longue distance " à 43 heures par semaine et celle des autres personnels roulants marchandises à 39 heures par semaine ; que c’est sans excéder les limites de sa compétence que l’auteur du décret attaqué a, d’une part, sur le fondement des articles L. 212-2 et L. 212-4 du code du travail, fixé, au 3° de l’article 5 tel qu’il résulte du décret attaqué, pour tenir compte de périodes autres que celles du travail effectif, une durée équivalente à la durée légale du travail, plus élevée que celle-ci ;
Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 212-1 du code du travail : " (...) la durée quotidienne du travail effectif par salarié ne peut excéder dix heures, sauf dérogations dans des conditions fixées par décret " ; que l’article 2 du décret du 26 janvier 1983 dispose que "sous réserve du respect des articles L. 221-1 et suivants du code du travail relatifs au repos hebdomadaire (...), l’employeur peut répartir sur l’ensemble ou seulement sur certains des six autres jours de la semaine la durée légale du travail effectif, prévue par l’article L. 212-1 du code du travail, sans que la durée journalière du travail puisse excéder le maximum prévu audit article (...) " ; que l’article 3 du décret attaqué fixe la durée de temps de service maximale hebdomadaire sur un mois à 50 heures et sur une semaine isolée à 56 heures pour les personnels roulants " grands routiers " ; qu’il fixe à 48 heures ces deux limites pour les autres personnels roulants à l’exception des conducteurs de messagerie et de convoyeurs de fonds ; que l’accomplissement de la totalité de ces horaires sur six jours n’exige pas, par lui-même, une durée de travail quotidienne excédant le plafond de dix heures prévu par l’article L. 212-1 du code du travail ; qu’ainsi, la fédération requérante n’est pas fondée à soutenir que le décret méconnaîtrait les dispositions fixées par le législateur à l’article L. 212-1 du code du travail relative à la durée maximale journalière du travail ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 212-7 du code du travail : " La durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-quatre heures (...) " ; que les heures d’équivalence, telles qu’elles découlent des durées du temps de service fixées à l’article 1er du décret attaqué, conduisent à majorer la durée du temps de travail effectif respectivement de 8 heures pour les personnels roulants " grands routiers " et de 4 heures pour les autres personnels roulants, de sorte que la durée maximale hebdomadaire de travail de quarante-quatre heures au sens de l’article L. 212-7 du code du travail correspond à, respectivement, 52 heures et à 48 heures par semaine pour les personnels susmentionnés ; qu’ainsi, et au regard des dispositions sus rappelées de l’article 3 du décret attaqué, le pouvoir réglementaire n’a pas davantage méconnu les dispositions de l’article L. 212-7 précité concernant la durée hebdomadaire maximale de travail ;
Considérant que si la fédération requérante soutient que le décret attaqué méconnaîtrait les objectifs de la directive 2000/15 CE du 11 mars 2002 relative à l’aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier, il résulte des dispositions de l’article 14 de cette directive que "les Etats-membres adoptent les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 23 mars 2005 ou s’assurent, que, d’ici cette date, les partenaires sociaux ont mis en place les dispositions par voie d’accord, les Etats-membres devant prendre toute disposition leur permettant d’être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive" ; que, par suite, la fédération requérante ne peut utilement invoquer la méconnaissance des objectifs d’une directive dont le délai de transposition dans le droit interne n’a pas expiré ; que d’ailleurs, et en tout état de cause, les dispositions susanalysées du décret attaqué ne sont pas de nature à compromettre sérieusement la réalisation desdits objectifs ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la fédération requérante n’est pas fondée à demander l’annulation du décret du 25 avril 2002 ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions susmentionnées font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante soit condamné à payer à la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE UNCP la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE UNCP est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la FEDERATION NATIONALE DES TRANSPORTS FORCE OUVRIERE UNCP, au Premier ministre, au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.