CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 290962
Mme B.
M. Herbert Maisl
Rapporteur
M. Jean-Philippe Thiellay
Commissaire du gouvernement
Séance du 11 février 2008
Lecture du 5 mars 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 3 mars et 3 juillet 2006, présentés pour Mme Nadia B. ; Mme B. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 29 décembre 2005 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a réformé le jugement du tribunal administratif de Lyon du 14 mai 2002 et a ramené à 7.724, 65 euros la somme que les Hospices civils de Lyon ont été condamnés à lui verser en réparation des préjudices qu’elle a subis à la suite d’un diagnostic tardif d’une perforation oesophagienne ;
2°) réglant l’affaire au fond, de réformer le jugement du tribunal administratif de Lyon du 14 mai 2002 et de condamner les Hospices civils de Lyon à lui verser une somme globale de 253.217, 80 euros, assortis des intérêts au taux légal capitalisés ;
3°) de mettre à la charge des Hospices civils de Lyon la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 376-1 modifié ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Herbert Maisl, Conseiller d’Etat,
les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de Mme B. et de Me Le Prado, avocat des Hospices civils de Lyon,
les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 28 avril 1998, devenu définitif sur ce point, les Hospices civils de Lyon ont été déclarés intégralement responsables des dommages résultant des retards dans l’établissement du diagnostic et dans l’administration des soins délivrés dans cet établissement en juin 1993 à Mme B., qui ont entraîné la nécessité pour l’intéressée de subir une oesophagectomie suivie d’une oesogastroplastie ; que Mme B. se pourvoit en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative de Lyon a ramené la somme que l’établissement hospitalier avait été condamné à lui verser par un jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 14 mai 2002, de 21 326, 76 euros à 7 724 , 65 euros ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure au III de l’article 25 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007, applicable à la date à laquelle la cour administrative d’appel a statué, : " Si la responsabilité du tiers auteur de l’accident est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part de l’indemnité mise à la charge du tiers qui répare l’atteinte à l’intégrité de la victime, à l’exclusion de la part d’indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d’agrément " ;
Considérant que, lorsque l’organisme de sécurité sociale qui verse une rente d’invalidité à la victime d’un accident corporel en demande le remboursement au tiers auteur de l’accident dont la responsabilité est engagée, il appartient au juge d’inclure dans l’évaluation du préjudice résultant de l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, le cas échéant, les pertes de revenus dont cette rente assure la compensation ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B. n’a pas retrouvé d’emploi lorsqu’a pris fin sa période d’incapacité temporaire totale et qu’elle bénéficie d’une rente qui lui a été attribuée en raison d’une invalidité l’empêchant d’exercer une activité professionnelle ; qu’en accordant à la caisse primaire d’assurance maladie de Vienne le remboursement des arrérages échus et du capital représentatif des arrérages à échoir de cette rente, par imputation sur l’indemnité mise à la charge des Hospices civils de Lyon au titre de l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, sans avoir pris en compte, pour déterminer cette indemnité, les pertes de salaires dont la rente a assuré la compensation, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que Mme B. est, dès lors, fondée à en demander l’annulation ;
Considérant qu’il y a lieu, en application de l’article de l’article L. 821-2 du code de justice administrative de régler l’affaire au fond ;
Sur les droits à réparation de Mme B. et le recours subrogatoire de la caisse primaire d’assurance maladie de Vienne :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant du III de l’article 25 de la loi du 21 décembre 2006 applicable aux évènements ayant occasionné des dommages survenus antérieurement à son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une décision passée en force de la chose jugée : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l’assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l’assuré ou ses ayants droit conserve contre l’auteur de l’accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n’est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l’assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l’auteur responsable de l’accident dans les conditions ci-après. / Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s’exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’elles ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel. / Conformément à l’article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l’indemnisation, lorsqu’elle n’a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l’assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. / Cependant, si le tiers payeur établit qu’il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s’exercer sur ce poste de préjudice " ;
Considérant qu’en application de ces dispositions le juge, saisi d’un recours de la victime d’un dommage corporel et d’un recours subrogatoire d’un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ; qu’il lui appartient ensuite de fixer l’indemnité mise à la charge de l’auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s’il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ; que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n’a pas été réparée par des prestations, le solde, s’il existe, étant alloué à l’organisme de sécurité sociale ;
Considérant qu’en l’absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu, pour mettre en œuvre la méthode sus-décrite, de distinguer, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l’incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage ; que parmi les préjudices personnels, sur lesquels l’organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s’il établit avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d’existence, envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial de Mme B. :
Considérant, en premier lieu, que la caisse primaire d’assurance maladie de Vienne justifie avoir pris en charge les dépenses de santé résultant de l’état de Mme B. pour un montant de 105.552, 65 euros ; qu’il y a lieu de lui accorder cette somme ;
Considérant, en second lieu, que Mme B., âgée de 35 ans au moment de l’accident, a subi une incapacité temporaire totale du 5 juin 1993 au 31 octobre 2001 ; que, si elle n’exerçait plus d’activité rémunérée depuis 1991, elle avait été recrutée quelques jours avant l’accident sur un emploi de femme de service ; que l’intéressée, qui est atteinte d’une invalidité définitive de 30 % n’a, à l’issue de sa période d’incapacité temporaire totale, pas retrouvé d’activité professionnelle ; que, dans les circonstances de l’espèce, il sera fait une juste appréciation des pertes de revenus occasionnées par son état en les évaluant à la somme globale de 75 000 euros, incluant, d’une part, 35 000 euros à raison de son incapacité à occuper le poste dans lequel elle avait été recrutée quelques jours avant son accident et, d’autre part, 40 000 euros pour l’incidence de son état sur sa capacité à percevoir des revenus à l’avenir ; que les sommes que la caisse primaire d’assurance maladie de Vienne justifie avoir versées à Mme B. au titre des indemnités journalières et du capital représentatif de la rente qui lui a été allouée, laquelle doit être regardée comme réparant, en l’espèce, dans leur intégralité les conséquences économiques de l’invalidité et est donc imputable sur la part d’indemnités réparant la perte de revenus, s’élèvent à 47.027, 51 euros, laissant par suite à la charge de Mme B. un préjudice complémentaire de 27.972, 49 euros ; qu’il y a lieu d’allouer cette somme à la requérante et le reliquat de la somme réparant la perte de revenus, soit 47.027, 51 euros, à la caisse primaire d’assurance maladie de Vienne ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel de Mme B. :
Considérant qu’il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature dans les conditions d’existence de Mme B. occasionnés par les interventions qu’elle a subies et l’état général qui en est résulté en les fixant à la somme de 40.000 euros ;
Considérant qu’il résulte de ce qui tout ce qui précède, d’une part, que l’indemnité due par les Hospices civils de Lyon à Mme B. s’établit à la somme de 67.972, 49 euros ; qu’il convient d’en déduire les sommes allouées au titre des provisions par le tribunal administratif de Lyon, lesquelles après imputation des indemnités réparant le préjudice esthétique et les souffrances physiques que l’établissement hospitalier a été condamné à verser par le jugement de ce tribunal en date du 28 avril 1998 devenu définitif, s’élèvent à la somme de 15.244, 90 euros ; que par suite la somme que les Hospices civils de Lyon ont été condamnés à verser à Mme B. par le jugement attaqué doit être portée de 21.326, 76 euros à 52.727, 59 euros, assortie des intérêts capitalisés ;
Considérant, d’autre part, que l’indemnité due par les Hospices civils de Lyon à la caisse primaire d’assurance maladie de Vienne s’élève à 152.580, 16 euros ; que c’est par suite à bon droit que le tribunal administratif de Lyon a condamné les Hospices civils de Lyon à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de Vienne, compte tenu de la condamnation prononcée par son jugement du 28 avril 1998 pour une somme de 57.652, 30 euros, la somme de 94.927, 86 euros ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge des Hospices civils de Lyon le versement d’une somme de 7.000 euros au titre des frais exposés par Mme B. tant en première instance qu’en appel et en cassation et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon en date du 29 décembre 2005 est annulé.
Article 2 : La somme que les Hospices civils de Lyon ont été condamnés à verser à Mme B. par l’article 1er du jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 14 mai 2002 est portée de 21.326, 76 euros à 52.727, 59 euros, avec intérêts capitalisés.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 28 avril 1998 est réformé en ce qu’il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Les Hospices civils de Lyon verseront, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 7 000 euros à Mme B..
Article 5 : Le surplus de la requête et de la requête d’appel de Mme B. et l’appel incident des Hospices civils de Lyon devant la cour administrative d’appel de Lyon sont rejetés.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Nadia B., aux Hospices civils de Lyon et à la caisse primaire d’assurance maladie de Vienne.