CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 241664
M. et Mme C.
M. Crépey
Rapporteur
M. Glaser
Commissaire du gouvernement
Séance du 29 octobre 2003
Lecture du 24 novembre 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 janvier et 7 mai 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. et Mme Chaohong C. ; M. et Mme C. demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 31 octobre 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté leurs requêtes tendant à l’annulation, d’une part, du jugement du tribunal administratif de Caen du 4 juin 1998 rejetant leur demande en décharge des suppléments d’impôt sur le revenu auxquels ils ont été assujettis au titre des années 1991 à 1993 et, d’autre part, du jugement du tribunal administratif de Caen du 7 avril 1999 rejetant leur demande en décharge des suppléments de contribution sociale généralisée auxquels ils ont été assujettis au titre des années précitées ;
2°) statuant au fond, de prononcer la décharge des suppléments d’impôt litigieux ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Crépey, Auditeur,
les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. et Mme Chaohong C.,
les conclusions de M. Glaser, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’à l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les années 1991 à 1993, l’administration fiscale a écarté comme non probante la comptabilité de la SARL Shangaï, dont Mme C. était la gérante, et reconstitué le chiffre d’affaires de l’entreprise ; que Mme C. s’étant désignée comme bénéficiaire, à hauteur de 50 %, des distributions de bénéfices correspondant aux redressements notifiés à la SARL, M. et Mme C. ont été assujettis, au titre des années 1991 à 1993, à des suppléments d’impôt sur le revenu et de contribution sociale généralisée, assortis de pénalités pour mauvaise foi ; qu’ils se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 31 octobre 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a confirmé les jugements des 4 juin 1998 et 7 avril 1999 du tribunal administratif de Caen rejetant leurs demandes en décharge de ces impositions ;
Sur la régularité de l’arrêt attaqué :
Considérant que la cour a jugé que la notification de redressement adressée à la SARL Shangaï et jointe à la notification de redressement du 5 décembre 1994 adressée aux époux C. indiquait les modalités de reconstitution du taux de marge de la société et que ces indications, " nonobstant la circonstance qu’elles ne précisaient pas la date du relevé de prix, les conditions de pondération des différentes catégories d’articles retenus dans l’échantillon et les raisons de l’extrapolation du coefficient de marge à l’ensemble des années vérifiées ", étaient suffisantes pour permettre à M. et Mme C. de formuler leurs observations ou de faire connaître leur acceptation ; que le moyen tiré de ce que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt en ne répondant pas au moyen tiré de ce que certaines données utilisées pour reconstituer le taux de marge ne figuraient pas dans la notification de redressement manque donc en fait ;
Sur les redressements :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la notification de redressement adressée à M. et Mme C. le 5 décembre 1994 indique que les revenus redressés sont des revenus distribués en application de l’article 109-1 du code général des impôts ; que la cour a donc pu, sans dénaturer les pièces du dossier, juger que cette notification de redressement mentionne la catégorie de revenus faisant l’objet des suppléments d’imposition ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la notification de redressement adressée aux époux C. indique les modalités essentielles du calcul du taux de marge ayant permis de reconstituer le chiffre d’affaires de la SARL Shangaï ; que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’administration fiscale n’était pas tenue de mentionner, en outre, le détail de la pondération ayant affecté ce taux de marge et les raisons de son extrapolation à l’ensemble des années vérifiées ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour reconstituer le chiffre d’affaires de la SARL Shangaï, l’administration fiscale a sélectionné un échantillon de 437 articles répartis en 29 catégories homogènes, calculé un taux de marge moyen par catégorie d’articles puis, à partir de ces taux de marge moyens, déterminé un taux de marge global ; que la cour n’a ni commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en validant cette méthode de reconstitution du chiffre d’affaires, qui comportait une pondération suffisante pour appréhender la réalité des ventes de la société ;
Considérant que les juges d’appel n’ont pas dénaturé les écritures des requérants en estimant que ces derniers, qui se bornaient à faire valoir que le second magasin de la SARL Shangaï avait ouvert au cours de l’exercice 1991, n’apportaient aucun élément de nature à remettre en cause l’extrapolation à l’ensemble des années vérifiées du taux de marge reconstitué à partir des prix de vente de l’année 1994 ;
Sur les pénalités :
Considérant qu’aux termes de l’article L. 80 D du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable./ Toutefois, lorsque la pénalité mise en recouvrement ne constitue pas l’accessoire d’une imposition ou lorsqu’elle sanctionne une infraction dont la qualification est fondée sur l’appréciation du comportement du contribuable, la motivation est portée à sa connaissance au moins trente jours avant la notification du titre exécutoire ou de son extrait. Durant ce délai, le contribuable peut présenter ses observations " ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, lorsque la pénalité mise en recouvrement ne constitue pas l’accessoire d’une imposition ou lorsqu’elle sanctionne une infraction dont la qualification est fondée sur l’appréciation du comportement du contribuable, l’administration fiscale doit faire connaître à l’intéressé, au moins trente jours avant la notification du titre exécutoire ou de son extrait, les motifs de cette sanction et la possibilité dont il dispose de présenter ses observations ; qu’en jugeant que l’administration n’était pas tenue d’informer M. et Mme C. des conditions dans lesquelles ils pouvaient présenter leurs observations sur les pénalités pour mauvaise foi auxquelles ils étaient assujettis, la cour a donc commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, par suite, être annulé en tant qu’il rejette les conclusions de M. et Mme C. tendant à la décharge de ces pénalités ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, par application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au fond ;
Considérant que la notification de redressements du 5 décembre 1994 indiquait aux contribuables qu’ils disposaient d’un délai de trente jours pour faire valoir leurs observations sur les redressements envisagés, appelait leur attention sur les sanctions fiscales dont ils pourraient être assortis et précisait les motifs pour lesquels leur bonne foi ne pouvait pas être retenue ; que, dans ces conditions, l’administration doit être regardée comme ayant régulièrement invité M. et Mme C. à produire leurs observations sur les pénalités auxquelles ils étaient assujettis ; que les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Caen a rejeté leurs conclusions tendant à la décharge des pénalités pour mauvaise foi auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 1991 à 1993 ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser à M. et Mme C. la somme qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 31 octobre 2001 de la cour administrative d’appel de Nantes est annulé en tant qu’il rejette les conclusions de M. et Mme C. tendant à la décharge des pénalités pour mauvaise foi auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 1991 à 1993.
Article 2 : Les conclusions de M. et Mme C., présentées devant la cour administrative d’appel de Nantes, tendant à la décharge des pénalités pour mauvaise foi auxquelles ils ont été assujettis sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de M. et Mme C. tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Chaohong C. et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.