CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 305582
MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE
c/ société Les laboratoires Servier
M. Benoit Bohnert
Rapporteur
M. Laurent Vallée
Commissaire du gouvernement
Séance du 3 mars 2008
Lecture du 23 avril 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le recours du MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE, enregistré le 14 mai 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat ; le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’article 1er de l’arrêt du 9 mars 2007 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a fait droit à la requête de la société Les Laboratoires Servier tendant à l’annulation du jugement du 8 juillet 2005 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à obtenir la décharge de l’amende fiscale à laquelle elle a été assujettie au titre de l’année 1996, à hauteur de la somme de 44 942 F (6 851, 36 euros) en application de l’article 1768 du code général des impôts ;
2°) réglant l’affaire au fond, de remettre l’amende à la charge de la société ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 mars 2008, présentée pour la société Les Laboratoires Servier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l’harmonisation et l’aménagement du régime des pénalités ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Benoit Bohnert, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la société Les Laboratoires Servier,
les conclusions de M. Laurent Vallée, Commissaire du gouvernement
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’administration a, par une notification de redressements en date du 22 juillet 1998, avisé la société Les Laboratoires Servier de son assujettissement, sur le fondement des dispositions de l’article 1768 du code général des impôts, à une amende fiscale au motif qu’elle n’avait pas, à tort, effectué le versement des retenues à la source prévues aux articles 182 B et 1671 A du même code au titre de redevances de licence de brevet versées au cours de l’exercice clos en 1996 à une société domiciliée au Danemark et ne disposant pas en France d’installation professionnelle permanente dès lors que les documents produits ne permettaient pas de tenir pour établi que cette société était domiciliée dans ce pays, de sorte que les stipulations de l’article 10 de la convention fiscale signée le 8 février 1957 entre la France et le Danemark ne pouvaient recevoir application ; que le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE se pourvoit en cassation contre l’article 1er de l’arrêt du 9 mars 2007 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a fait droit à la requête d’appel de la société Les Laboratoires Servier dirigée contre le jugement du 8 juillet 2005 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande et l’a déchargée de l’amende d’un montant de 44 942 F (6 851, 36 euros) mise en recouvrement le 7 décembre 1998 ;
Considérant qu’aux termes de l’article 182 B du code général des impôts : "I. Donnent lieu à l’application d’une retenue à la source lorsqu’ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés, qui n’ont pas dans ce pays d’installation professionnelle permanente : (.) / c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France (.)" ; qu’aux termes de l’article 1671 A du même code, dans sa rédaction applicable à la date des faits reprochés à la société : "Les retenues prévues aux articles 182 A et 182 B sont opérées par le débiteur des sommes versées et remises à la recette des impôts accompagnées d’une déclaration conforme au modèle fixé par l’administration, au plus tard le 15 du mois suivant celui du paiement. Les dispositions des articles 1768, 1771 et 1926 sont applicables à ces retenues." ; qu’aux termes de l’article 1768 du même code, alors en vigueur : "Toute personne physique ou morale, toute association ou tout organisme qui s’est abstenu d’opérer les retenues de l’impôt sur le revenu prévues à l’article 1671 A ou qui, sciemment, n’a opéré que des retenues insuffisantes, est passible d’une amende égale au montant des retenues non effectuées." ; qu’aux termes du 28° de l’article 22 de l’ordonnance du 7 décembre 2005 : "A l’article 1671 A, le mot : "1768, " est supprimé" ; qu’en vertu de l’article 17 de la même ordonnance, les dispositions de l’article 1768 ont été abrogées ; que les dispositions des articles 17 et 22, insérées dans le chapitre II de cette ordonnance, sont, en application de l’article 25, entrées en vigueur le 1er janvier 2006 ;
Considérant que les dispositions précitées de l’article 1768 du code général des impôts avaient pour objet et pour effet de sanctionner le comportement du débiteur lorsque l’administration établissait qu’il s’était s’abstenu, en méconnaissance de l’article 1671 A du même code, d’opérer les retenues à la source prévues notamment à l’article 182 B de ce code ou que, sciemment, il n’avait opéré que des retenues insuffisantes ; qu’elles instituaient ainsi une sanction tendant à réprimer de tels agissements et à en empêcher la réitération alors même qu’elles faisaient obstacle à ce que l’administration réclamât au débiteur, en sus de l’amende qu’elles instituaient, le montant du prélèvement éludé et que l’amende mise à la charge du débiteur correspondait au montant de ce prélèvement ; qu’une telle amende ne pouvait d’ailleurs être assortie ni de l’intérêt de retard mentionné à l’article 1727 du même code, dans sa rédaction alors applicable, ni des pénalités prévues aux articles 1728 et 1729, dans leur rédaction alors applicable, et venant en majoration de droits mis à la charge d’un contribuable ; qu’elle ne pouvait pas davantage, en application du 2 de l’article 39 de ce code, être déduite du bénéfice du redevable, alors qu’il pouvait procéder à la déduction de la retenue prévue à l’article 182 B du même code s’il l’avait régulièrement opérée et versée ; qu’ainsi, cette amende avait le caractère d’une sanction soumise au principe selon lequel la loi répressive nouvelle doit, lorsqu’elle abroge une incrimination ou prononce des peines moins sévères que la loi ancienne, s’appliquer aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée ; qu’en jugeant, après avoir reconnu un tel caractère à cette amende, que les dispositions de l’article 1768 avaient été abrogées par les dispositions précitées de l’ordonnance du 7 décembre 2005 et qu’elles n’avaient pas été remplacées par d’autres dispositions réprimant les manquements qu’elles sanctionnaient et en tirant les conséquences de la suppression de cette infraction en prononçant la décharge de l’amende notifiée à la société sur le fondement de cet article, la cour n’a pas commis d’erreur de droit dès lors que, si l’administration a, depuis le 1er janvier 2006, la possibilité de procéder auprès du redevable à un rappel de droits correspondant au montant de la retenue à la source non effectuée et assorti d’intérêts de retard ainsi que, le cas échéant, des majorations prévues aux articles 1728 et 1729 du code général des impôts en cas de défaut de déclaration, d’activité occulte ou d’insuffisance délibérée de déclaration, ces majorations n’ont pas pour objet de sanctionner les mêmes agissements que ceux qui étaient visés par l’article 1768 désormais abrogé ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le MINISTRE de L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros demandée par la société Les Laboratoires Servier au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le recours du MINISTRE de L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE est rejeté.
Article 2 : L’Etat versera à la société Les Laboratoires Servier la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE et à la société Les Laboratoires Servier.