CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 234812
SOCIETE IMPREMANUS
M. Bereyziat
Rapporteur
M. Bachelier
Commissaire du gouvernement
Séance du 19 mars 2003
Lecture du 25 avril 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juin et 18 octobre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE IMPREMANUS, dont le siège est 10, allée de la Civelière à Nantes (44200), représentée par son gérant en exercice ; la SOCIETE IMPREMANUS demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 27 mars 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté sa demande tendant à l’annulation du jugement du 16 octobre 1997 du tribunal administratif de Nantes rejetant ses demandes en décharge, d’une part, des cotisations supplémentaires à l’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 1985 à 1987, d’autre part, des compléments de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période correspondant à ces trois exercices, ainsi que des majorations pour mauvaise foi dont ces impositions ont été assorties pour les années 1985 et 1986 ;
2°) de lui accorder la décharge des impositions et pénalités litigieuses ;
3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le livre des procédures fiscales et le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Bereyziat, Auditeur,
les observations de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat de la SOCIETE IMPREMANUS,
les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
En ce qui concerne les années 1985 et 1986 :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la vérification de la comptabilité de la SOCIETE IMPREMANUS, éditeur de revues de rencontres, portant sur les exercices clos en 1985, 1986 et 1987, dont la société a été avisée le 17 juin 1988, s’est déroulée du 4 juillet au 28 septembre 1988 alors que depuis le 23 février 1988 sa comptabilité et les documents annexes relatifs aux exercices 1985 et 1986 avaient fait l’objet d’une saisie par la brigade de recherche de la gendarmerie de Nantes agissant sur commission rogatoire d’un juge d’instruction au tribunal de grande instance de Nantes ; qu’informé de ces circonstances par une lettre de la société en date du 4 juillet 1988, le vérificateur, ainsi que l’y invitait la société, a examiné les documents comptables saisis dans les locaux de la gendarmerie où ils étaient conservés ; qu’il résulte des énonciations non contestées de l’arrêt attaqué que les redressements notifiés à la société, tant en matière d’impôt sur les sociétés que de taxe sur le chiffre d’affaires, au titre des exercices 1985 et 1986 ont été établis sur la base des documents comptables saisis ainsi communiqués à l’administration fiscale ;
Considérant qu’eu égard aux garanties dont le livre des procédures fiscales entoure la mise en œuvre d’une vérification de comptabilité, l’administration est tenue, lorsque, faisant usage de son droit de communication, elle consulte au cours d’une vérification les pièces comptables saisies et détenues par l’autorité judiciaire, de soumettre l’examen de ces pièces à un débat oral et contradictoire avec le contribuable ; qu’à défaut, les impositions découlant de l’examen de ces pièces sont entachées d’irrégularité ; qu’en l’espèce, la cour, qui n’a pas vérifié que ces garanties avaient été assurées au contribuable, ne pouvait sans erreur de droit écarter comme inopérant le moyen tiré de ce que la société n’aurait pas bénéficié du débat oral et contradictoire auquel elle pouvait prétendre en application de l’article L. 47 du livre des procédures fiscales, au motif que les redressements en cause ne procédaient pas de la vérification de sa comptabilité ; que la SOCIETE IMPREMANUS est fondée à demander, pour ce seul motif, l’annulation de l’arrêt attaqué, en tant qu’il concerne les exercices 1985 et 1986 ;
En ce qui concerne l’année 1987 :
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que pour reconstituer les recettes de l’exercice 1987 de la SOCIETE IMPREMANUS, le vérificateur s’est fondé sur des données, tel le pourcentage moyen des invendus sur la période vérifiée, tirées des constatations faites lors de la consultation des documents comptables communiqués dans le cadre de la vérification de comptabilité susmentionnée ; qu’il résulte de ce qui précède que la cour n’a pu, sans erreur de droit, juger qu’à l’occasion de cette vérification, la société n’avait pas été privée du débat oral et contradictoire auquel elle pouvait prétendre sans vérifier si le débat avait porté sur les pièces communiquées ; que la SOCIETE IMPREMANUS est dès lors également fondée à demander, pour ce seul motif, l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il concerne l’exercice 1987 ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu pour le Conseil d’Etat de régler l’affaire au fond ;
Sur la régularité de la procédure d’imposition :
Considérant, d’une part, qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le contribuable a lui-même informé le vérificateur que ses documents comptables avaient été saisis par l’autorité judiciaire et l’a invité à les examiner dans les locaux où il savait qu’ils étaient conservés ; qu’il résulte, d’autre part, de l’instruction que le vérificateur a effectué plusieurs visites sur place et a rencontré les mandataires de la société après ses interventions dans les locaux de la brigade de gendarmerie ; que s’il n’a pas donné au contribuable copie des pièces saisies, il est constant qu’il a soumis au débat contradictoire les éléments qu’il avait recueillis dans l’exercice de son droit de communication, notamment les taux d’invendus à retenir pour la reconstitution des recettes du contribuable ; que, dès lors, et alors même qu’elle n’aurait pas été informée, avant la notification de redressement, de ce que le caractère régulier et probant de sa comptabilité ne serait pas admis, la société requérante n’est pas fondée à soutenir qu’elle aurait été privée de débat oral et contradictoire lors de la vérification de sa comptabilité relatives aux exercices clos en 1985, 1986 et 1987 ;
Sur le bien-fondé de l’imposition :
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que pour l’ensemble des exercices vérifiés, la comptabilité de la SOCIETE IMPREMANUS, comportait de nombreuses irrégularités tels le défaut de journaux de ventes, l’absence de détail des recettes portées au livre de trésorerie, l’absence de justifications précises du nombre des revues invendues et de ventilation des recettes provenant respectivement des ventes de publications, de la diffusion d’annonces et des produits accessoires ; que, dans ces conditions, l’administration était en droit de regarder la comptabilité comme irrégulière et non probante et de reconstituer les recettes de la SOCIETE IMPREMANUS ; qu’est, à cet égard, sans influence le moyen tiré de ce que l’avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires serait irrégulier ; qu’il suit de là qu’en application des dispositions de l’article L. 192 du livre des procédures fiscales, il appartient au contribuable d’apporter la preuve du caractère exagéré du chiffre d’affaires reconstitué par l’administration ;
Considérant, en second lieu, que pour reconstituer le chiffre d’affaires de la société, le vérificateur a déterminé, outre les recettes provenant de la diffusion d’annonces et des produits accessoires, le produit des ventes de publications ainsi que le pourcentage de revues invendues en comparant, à partir des factures adressées aux dépositaires, le nombre des revues vendues à celui des revues mises en dépôt ; que, d’une part, si la société requérante conteste cette méthode de reconstitution de ses recettes en faisant valoir que pour obtenir les achats revendus, il faut tenir compte des revues mises au pilon et des revues retournées, les pièces qu’elle produit, insuffisamment précises ou qui ne concernent pas la période vérifiée, ne suffisent pas, à elles seules, à remettre en cause ladite méthode ; que, d’autre part, la méthode de reconstitution du chiffre d’affaires proposée par la société requérante minore de 25 %, sans justification, le nombre de revues vendues par les dépositaires et prend en compte un prix moyen de revue calculé sur trois ans sans distinguer la nature des revues effectivement commercialisées ni leur évolution, alors que le vérificateur a procédé à une reconstitution revue par revue ; qu’elle omet les recettes provenant de la diffusion d’annonces et des produits accessoires ; qu’elle ne peut, par suite, être regardée comme plus précise que celle du vérificateur ni, par voie de conséquence, comme de nature à remettre en cause les redressements litigieux ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin d’ordonner l’expertise sollicitée que la SOCIETE IMPREMANUS n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, du caractère exagéré des bases d’imposition reconstituées par l’administration ;
Sur les pénalités :
Considérant qu’en faisant valoir, d’une part, que la globalisation des recettes, l’absence de bordereaux de remise en banque de factures et l’encaissement de recettes sur comptes de tiers constatés au cours du contrôle fiscal avaient notamment pour objet de rendre plus difficile la vérification du chiffre d’affaires de la société vérifiée, d’autre part, l’importance des recettes minorées et le caractère répétitif des infractions, l’administration établit que la SOCIETE IMPREMANUS a délibérément cherché à éluder l’impôt, tant en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée que l’impôt sur les sociétés ; que, par suite, le moyen tiré de l’absence de mauvaise foi du contribuable doit être écarté ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
.Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la SOCIETE IMPREMANUS les sommes que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt en date du 27 mars 2001 de la cour administrative d’appel de Nantes est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la SOCIETE IMPREMANUS devant la cour administrative d’appel de Nantes et le surplus de ses conclusions devant le Conseil d’Etat sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE IMPREMANUS et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.