format pour impression
(imprimer)

DANS LA MEME RUBRIQUE :
Conseil d’Etat, 11 avril 2008, n° 289798, Arlette H.
Conseil d’Etat, 6 juin 2008, n° 285629, SA Gustave Muller
Conseil d’Etat, 7 novembre 2008, n° 291064, EURL Seurlin Immobilier
Conseil d’Etat, 14 janvier 2008, n° 301239, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c/ M. S.-P.
Conseil d’Etat, 17 octobre 2008, n° 293467, Société COGEFAL
Conseil d’Etat, 3 juillet 2002, n° 219730, Ministre de l’économie et des finances c/ M. F.
Conseil d’Etat, 5 juin 2002, n° 219339, Association technique de la réfrigération et de l’équipement ménager
Conseil d’Etat, 26 septembre 2001, n° 219825, SA Rocadis
Conseil d’Etat, 3 mai 2004, n° 236669, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie c/ M. B.
Conseil d’Etat, 4 juin 2008, n° 292102, Syndicat national des professionnels des activités nautiques




Conseil d’Etat, 3 novembre 2003, n° 232393, Société Trinome

Un engagement de non-concurrence ne constitue un élément incorporel de l’actif immobilisé que si, eu égard à son ampleur, à sa durée et au degré de protection qu’il implique, il a pour effet d’accroître la valeur de l’actif incorporel de l’entreprise, notamment par le gain de parts de marché.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 232393

SOCIETE TRINOME

Mlle Burguburu
Rapporteur

M. Vallée
Commissaire du gouvernement

Séance du 13 octobre 2003
Lecture du 3 novembre 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 avril et 31 juillet 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE TRINOME, dont le siège est avenue Saint-Exupéry à Saint-Aignan-de-Grand-Lieu (44860) ; la SOCIETE TRINOME demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt en date du 6 février 2001 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 16 janvier 1997 du tribunal administratif de Nantes rejetant sa demande tendant à la décharge du complément d’impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l’exercice clos en 1988 ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 15 000 F en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Burguburu, Auditeur,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE TRINOME,
- les conclusions de M. Vallée, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, que, par un protocole d’accord signé le 22 février 1985 entre M. Jacques Simoneau et M. David-Bellouard, principaux actionnaires de la SA Trinome, anciennement Simoneau Cart’Ouest, M. Simoneau a cédé la totalité de ses actions, s’est engagé à démissionner de ses fonctions de directeur commercial et a souscrit un engagement de non-concurrence confirmant et complétant les obligations résultant de son contrat de travail ; que, par ce protocole, M. Simoneau s’engageait d’une part à ne pas concurrencer la société auprès de certains de ses clients jusqu’au 31 mars 1987, d’autre part à ne pas travailler avec certains de ses concurrents jusqu’au 31 mars 1988, et enfin à ne pas utiliser son nom patronymique comme enseigne ou raison sociale dans l’activité d’imprimerie pendant une durée de quinze ans ; que ce même protocole prévoyait que M. Simoneau percevrait au titre d’agent commercial une commission hors-taxe de 10 % sur le chiffre d’affaire réalisé jusqu’au 31 mars 1987 auprès d’une liste de clients jointe en annexe ; qu’à la suite d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos le 31 mars des années 1986 à 1988, l’administration fiscale a réintégré dans les bénéfices imposables de la société les sommes de 191 468 F pour l’exercice clos le 31 mars 1986 et 201 484 F pour l’exercice clos le 31 mars 1987, qui avaient été versées à M. Simoneau et déduites par la société au titre du 1° du 1 de l’article 39 du code général des impôts, au motif que ces sommes ne rémunéraient pas un travail effectif mais avaient pour contrepartie l’engagement de non-concurrence souscrit par M. Simoneau, lequel accroissait l’actif immobilisé de la société ; que ces redressements ont eu pour conséquence un complément d’impôt sur les sociétés au titre de l’année 1988, assorti de pénalités ;

Considérant qu’un engagement de non-concurrence ne constitue un élément incorporel de l’actif immobilisé que si, eu égard à son ampleur, à sa durée et au degré de protection qu’il implique, il a pour effet d’accroître la valeur de l’actif incorporel de l’entreprise, notamment par le gain de parts de marché ;

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, si M. Simoneau était le fils et portait le nom du fondateur de l’imprimerie Simoneau qui a fusionné pour devenir Simoneau Cart’Ouest, la garantie de non-concurrence conclue au bénéfice de la société, aux termes de laquelle il était interdit à l’intéressé de conclure des affaires avec certains clients pendant une durée de deux ans et de s’associer avec des entreprises concurrentes pendant trois ans, et qui avait pour seul effet de protéger l’entreprise, pendant une durée limitée, contre un risque de diminution de sa clientèle provenant d’un ancien salarié, ne pouvait être regardée comme augmentant la valeur de l’actif immobilisé de la société ; qu’ainsi la cour administrative d’appel de Nantes, en regardant cet engagement comme un élément incorporel de l’actif immobilisé de la SOCIETE TRINOME a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; qu’il y a lieu, dès lors, d’annuler l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’aux termes de l’article 39 du code général des impôts : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : /1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main d’œuvre (...)./ Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l’importance du service rendu. Cette disposition s’applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursement de frais." ;

Considérant qu’aucune pièce du dossier ne permet de rattacher les commissions versées à M. Simoneau et réintégrées par l’administration dans les résultats de la société à des prestations réelles de l’intéressé, dès lors que ni les factures de vente qui ont servi à calculer le montant des commissions, ni les déclarations annuelles des salaires (DAS 2) remplies par la société, ni les factures émises par M. Simoneau ne mentionnent ou ne justifient la réalité de son intervention ; qu’ainsi, les commissions réintégrées par l’administration au titre des exercices clos en 1986 et 1987 ne sont pas des rémunérations déductibles en application du 1° du 1 de l’article 39 du code général des impôts ;

Considérant toutefois qu’eu égard aux explications subsidiairement apportées par la société et admises par l’administration, ces sommes doivent être regardées comme la rémunération de l’engagement de non-concurrence liant M. Simoneau ; que, pour les motifs mentionnés ci-dessus, cet engagement ne saurait constituer un accroissement de l’actif immobilisé de l’entreprise ; que, dès lors, les sommes versées en contrepartie de cet engagement, dans l’intérêt de l’entreprise, constituent des charges déductibles de ses résultats ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE TRINOME est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande de décharge du complément d’impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes auxquels elle a été assujettie au titre de l’exercice clos en 1988 ;

Sur les conclusions de la SOCIETE TRINOME tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à la SOCIETE TRINOME une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle devant la cour administrative d’appel de Nantes et le Conseil d’Etat et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 6 février 2001 et le jugement du tribunal administratif de Nantes du 16 janvier 1997 sont annulés.

Article 2 : Il est accordé à la SOCIETE TRINOME la décharge du complément d’impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l’année 1988, et des pénalités y afférentes.

Article 3 : L’Etat versera à la SOCIETE TRINOME une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE TRINOME et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

 


©opyright - 1998 - contact - Rajf.org - Revue de l'Actualité Juridique Française - L'auteur du site
Suivre la vie du site