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La détention provisoire : quelle réparation en cas d’abus ? (II)

Par Patrick LINGIBÉ
Avocat au Barreau de la Guyane, Chargé de Cours à l’Institut d’Études Supérieures de la Guyane

La détention provisoire est une mesure que peut prendre une juridiction, le plus souvent le juge d’instruction, à l’encontre d’une personne mise en examen, prévenue ou accusée, et au terme de laquelle l’intéressé est placé sous écrou pour une période plus ou moins longue, bien qu’il n’ait pas encore été statué sur sa culpabilité.


II - LE REGIME JURIDIQUE DE L’INDEMNISATION DE LA DETENTION PROVISOIRE.

A)- Organisation  et fonctionnement du système.

Nous procéderons tout d’abord à l’étude de l’organisation de la Commission nationale d’indemnisation (1°) et nous aborderons le fonctionnement de ladite Commission (2°).

1°)- Le rôle dévolu à la Commission nationale d’indemnisation.

Créée par la loi de 1970, la Commission nationale d’indemnisation est, aux termes de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire «  une commission juridictionnelle chargée de statuer sur les demandes d’indemnités présentées par certaines personnes ayant fait l’objet, dans les conditions de l’article 149 du Code de procédure pénale, d’une détention provisoire »

Aux termes de l’article 149-1 du Code de procédure pénale, la Commission, ou chacune des formations qu’elle comporte le cas échéant, est composée du :

- du Premier Président de la Cour de cassation ou de son représentant qui la préside  ;

- de deux magistrats du siège appartenant à la même Cour ayant le grade de président de chambre, de conseiller ou, depuis une loi de 1993, de conseiller référendaire, désignés annuellement par le bureau de la Cour de cassation en même temps que trois suppléants.

La Commission a le caractère d’une juridiction civile et à ce titre c’est donc au requérant de démontrer le préjudice que lui a causé sa détention.

Aux termes de l’article R. 40-4 du Code de procédure pénale, les fonctions du ministère public sont exercées par le Procureur Général près la Cour de cassation.

Les fonctions de secrétaire et de greffier de ladite Commission sont remplies par un secrétaire-greffier à la Cour de cassation.

L’Etat pris en sa qualité de débiteur prétendu est représenté par l’agent judiciaire du Trésor.

Le débat devant la Commission fait intervenir trois parties, à savoir dans l’ordre de leur prise de parole :

- le demandeur ou son avocat ;

- l’agent judiciaire du Trésor ;

- le ministère public.

Les débats ont lieu et la décision est rendue en chambre du conseil.

Le débat est oral et le requérant peut être entendu personnellement sur sa demande.

Aux termes des articles combinés 149-1 et 149-2 du Code de procédure pénale, la Commission statue souverainement par une décision non motivée, laquelle n’est susceptible d’aucun recours de quelque nature que ce soit.

L’article R. 38 précise que si la requête est rejetée, le demandeur est condamné aux dépens, à moins que la commission ne l’en décharge d’une partie ou de la totalité.

La décision de la commission comporte exécution forcée pour le paiement des dépens.

Si la commission accorde une provision ou une indemnité, le paiement de l’indemnité et le remboursement des frais de copie de pièces exposées par le demandeur sont faits à ce dernier par le comptable direct du Trésor de Paris chargé du paiement des frais de justice, sur un état exécutoire établi par le président de la commission.

L’article R. 40-1 du Code de procédure pénale attribue un rôle particulier au président de la commission dans l’instruction des demandes d’indemnisation. En effet, il prévoit que lorsqu’il apparaît manifestement, au vu des renseignements recueillis sur les énonciations de la requête, que le demandeur n’a pas fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, le président peut décider qu’il n’y a pas lieu à plus ample instruction et fixer sans délai la date de l’audience.
 

2°)- Le fonctionnement de la Commission.

Le fonctionnement de la Commission est organisé par les articles R. 26 à R. 40-4 du Code de procédure pénale.

La Commission est saisie par une requête.

Dans un délai de quinze jours à compter de la réception de ladite requête, le secrétaire de la commission en transmet copie au procureur général près la Cour de cassation et, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, à l’agent judiciaire du Trésor.

Le secrétaire se fait communiquer par le greffe de la juridiction qui a rendu la décision l’intégralité du dossier de la procédure.

De même, le demandeur peut se faire délivrer à ses frais copie des pièces de la procédure pénale. Le Conseil de ce dernier peut prendre communication du dossier au secrétariat de la commission.

L’agent judiciaire du Trésor peut prendre connaissance du dossier de la procédure pénale au secrétariat de la commission. Sur sa demande, il lui est délivré sans frais copie des pièces dudit dossier.

Dans le délai de deux mois à compter de la réception de la requête, transmise par lettre recommandée avec avis de réception, l’agent judiciaire du Trésor dépose ses conclusions au secrétariat de la commission.

Lorsque l’agent judiciaire du Trésor a déposé ses conclusions ou à l’expiration du délai de deux mois précité, le secrétaire de la commission transmet le dossier au procureur général près la Cour de cassation.

Le procureur général dépose ses conclusions dans le mois suivant.

Le secrétaire de la commission notifie au demandeur, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, dans le délai de quinze jours à compter de leur dépôt, les conclusions de l’agent judiciaire du Trésor ainsi que celles du procureur général.

Dans le délai d’un mois à compter de la dernière des notifications précitées, le demandeur remet ou adresse au secrétaire de la commission ses observations en réponse, lesquelles sont communiquées à l’agent judiciaire du Trésor et au procureur général dans le délai de quinze jours.

A partir de ce moment de cette phase de la procédure, aucune pièce ne peut plus être déposée par le demandeur.

Dans le délai de quinze jours qui suit l’expiration du délai de quinze jours susvisé, le président de la commission charge un de ses assesseurs ou un conseiller référendaire à la Cour de cassation du rapport, lequel n’a pas voix délibérative.

La commission procède ou fait procéder à toutes mesures d’instruction utiles, notamment, s’il y a lieu, à l’audition du demandeur.

Le président de la commission fixe la date de l’audience après avis du procureur général.

Cette date est notifiée par le secrétaire de la commission, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, au demandeur et à l’agent judiciaire du Trésor un mois au moins avant l’audience.

Le demandeur est invité à faire connaître s’il comparaîtra, assisté ou non d’un avocat, devant la commission pour être entendu personnellement ou s’il entend se faire représenter par un avocat. Sur ce point, le demandeur et l’agent judiciaire du Trésor peuvent être représentés ou assistés par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ou encore par un avocat régulièrement inscrit à un barreau.

Après le rapport, le demandeur s’il y a lieu, l’agent judiciaire du Trésor et leurs avocats respectifs sont entendus. Le procureur général développe ses conclusions.

La décision de la commission est notifiée sans délai au demandeur et à l’agent judiciaire du Trésor par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

De même, le dossier de la procédure pénale est renvoyé à la juridiction concernée avec une copie de la décision.

B)- La procédure d’indemnisation.

La procédure d’indemnisation répond d’une part à des conditions de forme (1°) et d’autre part à des conditions de fond (2°).

1°)- Les conditions de forme.

Aux termes de l’article R.26 du Code de procédure pénale, la Commission est saisie par une requête signée du demandeur (23) et remise ou adressée au secrétaire de la commission qui délivre récépissé.

Celle-ci doit contenir l’exposé des faits et toutes indications utiles, notamment :

1° Sur la date et la nature de la décision qui a ordonné la détention provisoire ainsi que sur l’établissement pénitentiaire où cette détention a été subie ;

2° Sur la juridiction qui a prononcé la décision de non-lieu de relaxe ou d’acquittement ainsi que sur la date de sa décision ;

Sur la nature et le montant des préjudices allégués ;

4° Sur l’adresse où doivent être faites les notifications au demandeur.

La requête est accompagnée de toutes les pièces justificatives.

S’agissant du délai de saisine de la Commission, l’article 149-2, alinéa 1er, précise que la Commission doit être saisie par voie de requête dans le délai de six mois de la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive.

Le caractère définitif qui s’attache à la décision intervenue dépend de la juridiction qui l’a rendue.

Ainsi, en cas de décision de relaxe prononcée par une Cour d’appel, ladite décision ne devient définitive qu’à l’expiration du délai de pourvoi en cassation.

De même, la décision de relaxe rendue par un tribunal correctionnel ne devient définitive qu’au terme du délai imparti par l’article 505 du Code de procédure pénale au procureur général pour interjeter appel, soit deux mois à compter du jour du prononcé du jugement intervenu.

Aux termes de l’article R. 40-2 du Code de procédure pénale l’admission au bénéfice de l’aide judiciaire devant la commission peut être accordée dans les mêmes formes et conditions et avec les mêmes effets qu’en matière civile, soit par le bureau établi près la Cour de cassation, soit par le bureau établi près la juridiction qui a rendu la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement, selon que le demandeur aura demandé à être représenté ou assisté par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ou par un avocat régulièrement inscrit à un barreau.

Cette demande interrompt le délai de six mois de l’article 149-2 du Code de procédure pénale.

2°)- Les conditions de fond.

Le système d’indemnisation mise en place par la loi de 1970 pose une double condition au fond, dont l’une a été récemment modifiée.

a)- Sur la nature de la décision ouvrant droit à réparation.
En premier lieu, pour être recevable il faut qu’il y ait eu une mesure de mise en détention provisoire du demandeur.

D’emblée, cette exigence exclut toute autre forme de privation de liberté, telle la garde à vue, la rétention douanière ou encore l’exécution de peine.

En deuxième lieu, conformément à l’article 149-2 du Code de procédure pénale, il faut que la procédure au cours de laquelle la détention a été prononcée se soit terminée par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement.

Cette énumération limitative exclut du processus indemnitaire les procédures ayant donné lieu à des non-lieu, relaxes ou acquittements partiels.

b)- La condition tenant au préjudice subi du fait de la détention provisoire.
La loi du 17 Juillet 1970 avait posé comme condition pour que le demandeur soit indemnisé que celui-ci apporte la preuve que la détention provisoire lui avait causé un « préjudice manifestement anormal et d’une particulière gravité ».

La Commission veillait au respect de cette double condition cumulative.

Ainsi, pour appréhender le caractère « manifestement anormal » du préjudice, la commission vérifiait les conditions dans lesquelles la décision de placement en détention provisoire avait été prise par la juridiction (juge d’instruction le plus souvent). En fait, elle recherchait ainsi si la mesure n’était pas due à un laxisme du juge ou encore à un fonctionnement défectueux du service public judiciaire, tel par exemple l’absence ou le remplacement tardif du magistrat ayant en charge l’affaire.

De même, la commission prenait en compte pour déterminer la réalité de ce premier caractère le comportement du demandeur. Ainsi, elle vérifiait si par son comportement (mensonges, mutisme, etc...), le requérant n’avait pas favorisé la mesure de placement en détention provisoire prise à son encontre.

En ce qui concerne la seconde condition, celle d’un préjudice « d’une particulière gravité », celle-ci se déduisait d’elle-même à partir du moment où le préjudice manifestement anormal était démontré.

En fait, la commission appréciait la gravité particulière du préjudice en fonction des pièces justificatives produites par le requérant, lesquelles permettaient à la commission de déterminer le degré du préjudice subi.

Ainsi, étaient pris en compte à ce titre la profession exercée, la perte de rémunération subie, la perte d’emploi, etc ...

Depuis le 31 Mars 1997, l’article 149 modifié par l’article 9 de la loi du 30 Décembre 1996 ne soumet plus l’indemnisation à la preuve d’un préjudice « manifestement anormal et d’une particulière gravité  ». 

En conséquence, les conditions d’octroi d’une indemnité par la commission devraient être nettement assouplies puisque désormais ladite indemnité peut être accordée au requérant « lorsque cette détention lui a causé un préjudice », sans plus.

La Commission nationale d’indemnisation semblait avoir tiré dans un premier temps les conséquences de cette réforme législative puisque la somme totale des indemnités allouées en 1997 a été de 4.094.000,00 Francs contre 1.430.000,00 Francs en 1996 (24), soit une augmentation de plus de 186 %.

La moyenne d’indemnisation par dossier est passée ainsi de 42.857,00 Francs en 1996 à 62.985,00 Francs en 1997. (25

Ainsi, cela nous laissait à penser que l’indemnisation devait intervenir dans tous les cas puisque par essence même toute détention provisoire close par un non-lieu, une relaxe ou un acquittement entraîne nécessairement un préjudice, ne serait-ce que par la simple privation de la liberté.

Restait donc à la Commission à quantifier ce préjudice à partir des éléments fournis par le demandeur ; ces pièces justificatives devaient jouer désormais un rôle très important pour caractériser les différents éléments du préjudice à réparer (moral, professionnel, etc ...).

Malheureusement, la réforme législative de 1996 ne parle pas d’indemnisation automatique et l’indemnisation reste toujours une possibilité puisque l’article 149 dans sa version modifiée précise toujours «  une indemnité peut être accordée à la personne ayant fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, lorsque cette détention lui a causé un préjudice. »

Cela veut dire concrètement que la Commission conserve toujours un pouvoir d’appréciation tant sur le principe de la réparation que sur celui concernant le quantum du préjudice subi. (26

Force est de constater à regret que ce pouvoir d’appréciation a été exercé de façon assez restrictive puisque la hausse des indemnités allouées par la Commission nationale d’indemnisation a, a priori, régressé par la suite.

En effet, la somme totale des indemnités allouées en 1998 a été seulement de 3.734.000,00 Francs contre 4.094.000,00 en 1997, soit une baisse de plus de 8,79 %. (27)

Cette baisse est notable au niveau de la moyenne d’indemnisation par dossier puisque celle-ci passe ainsi de 62.985,00 Francs en 1997 à 42.432,00 Francs en 1998, chiffre inférieur à celui de 1996 (42.857,00 Francs), cela bien que le taux d’indemnisation ait augmenté.(28)

Cependant, les décisions d’indemnisation intervenues très récemment courant Mars 2000 marquent une volonté manifeste d’améliorer le quantum d’indemnisation. En effet, la Commission nationale d’indemnisation vient d’allouer à douze justiciables une somme globale aux alentours de 1,7 MF, soit une moyenne théorique d’indemnité de plus de 141.000,00 Francs par victime (Source : base Juriline de LAMY).

Toutefois, nous pensons que des modifications substantielles devraient être apportées au système d’indemnisation de la détention provisoire tel qu’appliqué actuellement.

III - POUR UNE AMELIORATION DU SYSTEME D’INDEMNISATION ET DE RéPARATION DE LA  DETENTION PROVISOIRE.

Le système d’indemnisation et de réparation de la détention provisoire injustifiée doit être réformé à plusieurs niveaux.

A)- Pour une indemnisation systématique.

Nous avons vu que les termes de l’article 149 du Code de procédure pénale tels que votés en 1970 étaient manifestement trop restrictifs puisqu’ils exigeaient pour toute indemnisation que le préjudice soit « manifestement anormal et d’une particulière gravité  ».

Un tel système était manifestement inacceptable.

D’une part, il était choquant de demander à une personne en détention provisoire de justifier un préjudice manifestement anormal et d’une particulière gravité.
Est-ce à croire que la prison est une sinécure ?

Le seul fait pour un Innocent d’être en prison constitue en lui-même un préjudice.

D’ailleurs, le Législateur l’a tellement bien compris qu’à travers l’article 9 de la loi n° 96-1235 du 30 Décembre 1996 il a supprimé purement et simplement l’exigence de la démonstration d’un préjudice « manifestement anormal et d’une particulière gravité ».

Toutefois, nous pensons que l’exigence actuelle de la preuve d’un « préjudice » causé par la détention provisoire demeure une condition trop limitée.

D’autre part, l’article 5.-5 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales prévoit que toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.

Ainsi, la convention ne semble pas exiger la preuve d’un préjudice : celui-ci étant démontré ipso facto par la mesure de détention elle-même intervenue à tort.

C’est pourquoi nous pensons qu’une indemnisation systématique devrait être instituée.

Ce système n’est pas nouveau puisque certains pays étrangers, telle l’Allemagne Fédérale, appliquent un système d’indemnisation automatique de toute détention provisoire d’une personne dont l’innocence est prouvée judiciairement. 

B)- Pour une modification de l’organisation de la Commission nationale.

Nous pensons que les règles d’organisation de la Commission devraient être modifiées.

L’organisation de la Commission Nationale d’Indemnisation pose problème au regard des règles posées par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En effet,

En premier lieu, la Commission statue en chambre du conseil.

Or, l’article 6 § 1 de la Convention européenne précise le principe selon lequel la décision adoptée par un tribunal doit être rendue publiquement. La finalité de ce principe général de publicité a été posée par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Pretto du 8 Décembre 1983 (29), lequel précise « la publicité des procédures des organes judiciaires visés à l’article 6 § 1 protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public ; elle constitue aussi l’un des moyens qui contribuent à préserver la confiance dans les Cours et tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à réaliser le but de l’article 6 § 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la Convention ».

Dans ce sens, nous pensons qu’il serait souhaitable que les décisions rendues par la Commission le soient en audience publique, sauf si le justiciable y renonce. L’innocence d’une personne victime à tort d’une détention provisoire doit être proclamée avec force, d’autant plus si cette personne a fait l’objet d’une publicité médiatique.

A cette obligation de publicité, nous serions favorables à ce que le législateur impose la publication aux frais de l’Etat dans les journaux d’une part de la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement et d’autre part, de celle accordant une indemnisation à ce titre. Cela facilitera ainsi la réintégration de la personne innocentée dans son statut social. 

En deuxième lieu, les décisions rendues par la Commission ne sont pas motivées.

Cette absence de motivation contrevient aux règles tant de notre Droit que de celles de la convention européenne.

En effet, l’obligation formelle faite aux juges de motiver leurs jugements a été instituée par la loi des 16-24 Août 1790. C’est un principe primordial qui s’applique en principe à toutes les décisions rendues par toutes les juridictions, quelles qu’elles soient.(30

D’ailleurs, l’article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile impose en écho cette obligation traditionnelle de motivation, laquelle se traduit dans la décision rendue par des motifs exposant les éléments de fait et de droit fondant la solution adoptée par le magistrat.

En ce qui la concerne, la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Van de Hurk c./. Pays-Bas du 19 Avril 1994 (31) considère que « l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, mais .../... il ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument  ». Ainsi, même si elle est sommaire, la Cour du Luxembourg semble imposer une obligation de motivation minimum.

Or, dans notre cas, nous pensons que les décisions rendues par la Commission Nationale d’Indemnisation doivent être soumises à l’obligation de motivation. Ainsi, les requérants pourraient comprendre les raisons de fait et de droit qui ont conduit ladite commission à prendre telle décision indemnitaire à leur égard.

Enfin, en troisième lieu, les décisions rendues par la Commission ne sont susceptibles d’aucun recours de quelque nature que se soit.

Même si, la nature de la juridiction (démembrement de la Cour de cassation) qui statue offre des garanties de compétence, nous pensons qu’il serait souhaitable de mettre en place un double degré de juridiction.

Le principe du double degré de juridiction offre nécessairement une garantie de bonne justice. (32) (33) 

D’ailleurs, cela est si vrai que le protocole n° 7 additionnel à la convention européenne, entré en vigueur depuis le 1er Novembre 1988, précise en son article 2 que « toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation .../...  ».

Le gouvernement français a ratifié ce protocole en précisant toutefois que «  l’examen par une juridiction supérieure peut se limiter à un contrôle de l’application de la loi, tel le recours en cassation  ».

Dans cette optique et même si ce texte ne concerne que le domaine pénal, nous pensons qu’il conviendrait de mettre en place à un niveau départemental ou régional des commissions d’indemnisation similaires (34) à celles de la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infraction (CIVI), lesquelles rendraient des décisions motivées susceptibles de faire l’objet d’un pourvoi devant la Commission Nationale d’Indemnisation près de la Cour de cassation.

Nous constatons que le projet de la loi relatif à la présomption d’innocence et aux droits des victimes comporte des réformes qui répondent à nos critiques.

Ainsi, l’article 19 du projet de loi (articles 149 et 149-2 du Code de procédure pénale) dispose que les décisions relatives à l’indemnisation des détentions provisoires seront prises en audience publique, seront motivées et l’indemnisation portera sur l’ensemble du préjudice tant matériel que moral.

A la suite d’un amendement parlementaire, les cas d’indemnisation ont été étendus à la quasi-totalité des détentions provisoires, suivies d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement.

Le projet prévoit même que les juridictions qui rendront une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement après une détention provisoire devront aviser la personne concernée de son droit à être indemnisée et des modalités à suivre.

Dans la même optique, l’article 21 duodecies de ce projet de loi (article 800-2 du Code de procédure pénale), résultant d’un amendement parlementaire, dispose que les personnes qui bénéficieront d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement pourront se faire indemniser, par le Trésor Public, sur décision de la juridiction concernée, des frais engagés par elles, pour leur défense.

Ce dernier texte est important car il permettra à une personne injustement poursuivie par le ministère public d’être indemnisé des frais engagés par elle pour se défendre.

Quels seront les critères qui seront pris en compte pour indemniser l’innocent de ses frais de défense pénale ?

Il conviendrait que le calcul de ces frais soit déterminé par les ordres des avocats, étant rappelé que les honoraires des avocats sont libres.

Les frais engagés peuvent être différents d’une affaire à l’autre.

Enfin, il conviendrait à notre sens que la Commission nationale puisse procéder, dans chaque cas, à une analyse des causes ayant entraîné la mise en détention provisoire d’une personne innocente et établir un rapport public sur les causes ayant entraîné de telles erreurs de la part des magistrats.

Il faudrait par exemple connaître avec exactitude le coût réel de la procédure ayant conduit à une erreur judiciaire : la Justice est un service public qui manipule des fonds publics dont le citoyen est en droit de connaître l’usage exact qu’on en fait, juridiction par juridiction.

Il nous semble tout aussi intéressant que la Commission s’intéresse aux intervenants entourant le magistrat, notamment le juge d’instruction.

Ainsi, il serait intéressant de savoir quelle part de responsabilité les services d’enquête (policiers et gendarmes), de par les informations qu’ils collectent notamment au cours des gardes à vue, ont pris dans la décision du juge d’instruction décidant une mesure de détention provisoire qui ne s’imposait pas en l’espèce ?

Avec une telle analyse, nous aurions des indicateurs qui permettraient de prendre en amont des mesures visant à corriger certains errements.(35)

Rendre la justice plus accessible au justiciable.

Rendre à l’Homme Innocenté l’Innocence dans toutes ses composantes, perdue par une détention provisoire malheureuse, voilà une gageure à tenir dans un monde où tout fait anodin peut se voir projeter sur la place publique avec des effets parfois mortels. (36)

C’est une gageure à tenir au nom du respect des Droits de l’Homme et de la confiance légitime que tout citoyen présumé innocent doit avoir dans les institutions judiciaires de son pays. 


Notes de Bas de page  :

(23) La requête signée par l’avocat du requérant est déclarée irrecevable par la Commission. Voir étude de Gilbert AZIBERT «  La commission nationale d’indemnisation en matière de détention provisoire », Revue de science criminelle 1985, page 517. [retour au texte]

(24) Rapport de la Cour de Cassation 1997, La Documentation Française, page 393. [retour au texte]

(25) Rapport de la Cour de Cassation 1997, La Documentation Française, page 393. [retour au texte]

(26) Rapport de la Cour de Cassation 1997, La Documentation Française, page 394. [retour au texte]

(27) Rapport de la Cour de Cassation 1998, La Documentation Française, page 401. [retour au texte]

(28) Rapport de la Cour de Cassation 1998, La Documentation Française, page 401 et 402. « 88 indemnités ont été accordées en 1998 (65 en 1997) ; ce qui représente un taux d’indemnisation de 57 %, supérieur à celui de 1997 qui avait été de 50 %, et à celui de 1996 qui était de 24 % (antérieurement à la réforme) », cité page 402. [retour au texte]

(29) Arrêt du 8 Décembre 1983, Pretto, série A, n° 71, par. 21. [retour au texte]

(30) Voir VINCENT et GUINCHARD, Procédure civile, Précis Dalloz. [retour au texte]

(31) Arrêt du 19 Avril 1994, Van de Hurk c./. Pas-Bas, série A, n° 288, § 61. [retour au texte]

(32) SOLUS et PERROT, Traité de droit judiciaire privé, n° 525. [retour au texte]

(33) Le Conseil Constitutionnel considère que ce principe a une valeur « para-constitutionnelle ». F. LUCHAIRE «  Un Janus constitutionnel, l’égalité, Revue de droit public 1986.1253. [retour au texte]

(34) Ainsi, cette commission d’indemnisation départementale ou régionale de la détention provisoire pourrait comprendre aux côtés de magistrats des personnes extérieures. [retour au texte]

(35) Plusieurs réformes sont actuellement envisagées pour éviter des dérives : institution d’un juge des libertés chargé de se prononcer sur la détention provisoire ; mise en place d’un régime de responsabilité personnelle des magistrats, renforcement des droits de la défense, etc. Toutefois, en dépit de ces projets, il est un fait certain : les moyens tant humains que matériels donnés à la Justice pour fonctionner sont nettement insuffisants. Les juridictions judiciaires de la Guyane sont un exemple criant de quasi-faillite sur le plan matériel et humain comme le démontre, chiffres à l’appui, un récent rapport de diagnostic établi par Madame le Bâtonnier Hélène SIRDER et le Conseil de l’Ordre des avocats de la Guyane, rapport transmis notamment au Garde des Sceaux. 
En tout état de cause, une étude analytique des mises en détention injustifiées permettrait de mettre en exergue des dysfonctionnements graves non diagnostiqués antérieurement et de pouvoir prendre des mesures en amont.  [retour au texte]

(36) Ainsi le journal Le Monde daté du 15 Juillet 1997 rapportait l’histoire malheureuse de Bernard HANSE, professeur de gymnastique, qui s’est suicidé à la suite d’accusations mensongères de pédophilie avancées par un mineur de treize ans. Cette tragique affaire n’illustre-t-elle pas les effets mortels que peuvent entraîner l’atteinte à la présomption d’innocence – confer le Monde du 15 Juillet 1997 – article intitulé « Pédophilie : l’éducation nationale mise en cause après le suicide de Bernard HANSE » de GURREY Béatrice. [retour au texte]

© - Tous droits réservés - Patrick LINGIBÉ - 22 mai 2000

 


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