II - LE REGIME
JURIDIQUE DE L’INDEMNISATION DE LA DETENTION PROVISOIRE.
A)- Organisation
et fonctionnement du système.
Nous procéderons
tout d’abord à l’étude de l’organisation de la Commission
nationale d’indemnisation (1°) et nous aborderons le fonctionnement
de ladite Commission (2°).
1°)- Le rôle
dévolu à la Commission nationale d’indemnisation.
Créée
par la loi de 1970, la Commission nationale d’indemnisation est, aux termes
de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire «
une commission juridictionnelle chargée de statuer sur les demandes
d’indemnités présentées par certaines personnes ayant
fait l’objet, dans les conditions de l’article 149 du Code de procédure
pénale, d’une détention provisoire »
Aux termes de l’article
149-1 du Code de procédure pénale, la Commission, ou chacune
des formations qu’elle comporte le cas échéant, est composée
du :
- du Premier Président
de la Cour de cassation ou de son représentant qui la préside
;
- de deux magistrats
du siège appartenant à la même Cour ayant le grade
de président de chambre, de conseiller ou, depuis une loi de 1993,
de conseiller référendaire, désignés annuellement
par le bureau de la Cour de cassation en même temps que trois suppléants.
La Commission
a le caractère d’une juridiction civile et à ce titre
c’est donc au requérant de démontrer le préjudice
que lui a causé sa détention.
Aux termes de l’article
R. 40-4 du Code de procédure pénale, les fonctions du ministère
public sont exercées par le Procureur Général près
la Cour de cassation.
Les fonctions de
secrétaire et de greffier de ladite Commission sont remplies par
un secrétaire-greffier à la Cour de cassation.
L’Etat pris en
sa qualité de débiteur prétendu est représenté
par l’agent judiciaire du Trésor.
Le débat devant
la Commission fait intervenir trois parties, à savoir dans l’ordre
de leur prise de parole :
- le demandeur ou
son avocat ;
- l’agent judiciaire
du Trésor ;
- le ministère
public.
Les débats
ont lieu et la décision est rendue en chambre du conseil.
Le débat
est oral et le requérant peut être entendu personnellement
sur sa demande.
Aux termes des articles
combinés 149-1 et 149-2 du Code de procédure pénale,
la Commission statue souverainement par une décision non motivée,
laquelle n’est susceptible d’aucun recours de quelque nature que ce soit.
L’article R. 38 précise
que si la requête est rejetée, le demandeur est condamné
aux dépens, à moins que la commission ne l’en décharge
d’une partie ou de la totalité.
La décision
de la commission comporte exécution forcée pour le paiement
des dépens.
Si la commission
accorde une provision ou une indemnité, le paiement de l’indemnité
et le remboursement des frais de copie de pièces exposées
par le demandeur sont faits à ce dernier par le comptable direct
du Trésor de Paris chargé du paiement des frais de justice,
sur un état exécutoire établi par le président
de la commission.
L’article R. 40-1
du Code de procédure pénale attribue un rôle particulier
au président de la commission dans l’instruction des demandes d’indemnisation.
En effet, il prévoit que lorsqu’il apparaît manifestement,
au vu des renseignements recueillis sur les énonciations de la requête,
que le demandeur n’a pas fait l’objet d’une détention provisoire
au cours d’une procédure terminée à son égard
par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue
définitive, le président peut décider qu’il n’y a
pas lieu à plus ample instruction et fixer sans délai la
date de l’audience.
2°)- Le fonctionnement
de la Commission.
Le fonctionnement
de la Commission est organisé par les articles R. 26 à R.
40-4 du Code de procédure pénale.
La Commission
est saisie par une requête.
Dans un délai
de quinze jours à compter de la réception de ladite requête,
le secrétaire de la commission en transmet copie au procureur général
près la Cour de cassation et, par lettre recommandée avec
demande d’avis de réception, à l’agent judiciaire du Trésor.
Le secrétaire
se fait communiquer par le greffe de la juridiction qui a rendu la décision
l’intégralité du dossier de la procédure.
De même, le
demandeur peut se faire délivrer à ses frais copie des pièces
de la procédure pénale. Le Conseil de ce dernier peut prendre
communication du dossier au secrétariat de la commission.
L’agent judiciaire
du Trésor peut prendre connaissance du dossier de la procédure
pénale au secrétariat de la commission. Sur sa demande, il
lui est délivré sans frais copie des pièces dudit
dossier.
Dans le délai
de deux mois à compter de la réception de la requête,
transmise par lettre recommandée avec avis de réception,
l’agent judiciaire du Trésor dépose ses conclusions au secrétariat
de la commission.
Lorsque l’agent judiciaire
du Trésor a déposé ses conclusions ou à l’expiration
du délai de deux mois précité, le secrétaire
de la commission transmet le dossier au procureur général
près la Cour de cassation.
Le procureur général
dépose ses conclusions dans le mois suivant.
Le secrétaire
de la commission notifie au demandeur, par lettre recommandée avec
demande d’avis de réception, dans le délai de quinze jours
à compter de leur dépôt, les conclusions de l’agent
judiciaire du Trésor ainsi que celles du procureur général.
Dans le délai
d’un mois à compter de la dernière des notifications précitées,
le demandeur remet ou adresse au secrétaire de la commission ses
observations en réponse, lesquelles sont communiquées à
l’agent judiciaire du Trésor et au procureur général
dans le délai de quinze jours.
A partir de ce
moment de cette phase de la procédure, aucune pièce ne peut
plus être déposée par le demandeur.
Dans le délai
de quinze jours qui suit l’expiration du délai de quinze jours susvisé,
le président de la commission charge un de ses assesseurs ou un
conseiller référendaire à la Cour de cassation du
rapport, lequel n’a pas voix délibérative.
La commission procède
ou fait procéder à toutes mesures d’instruction utiles, notamment,
s’il y a lieu, à l’audition du demandeur.
Le président
de la commission fixe la date de l’audience après avis du procureur
général.
Cette date est notifiée
par le secrétaire de la commission, par lettre recommandée
avec demande d’avis de réception, au demandeur et à l’agent
judiciaire du Trésor un mois au moins avant l’audience.
Le demandeur est
invité à faire connaître s’il comparaîtra, assisté
ou non d’un avocat, devant la commission pour être entendu personnellement
ou s’il entend se faire représenter par un avocat. Sur ce point,
le demandeur et l’agent judiciaire du Trésor peuvent être
représentés ou assistés par un avocat au Conseil d’Etat
et à la Cour de cassation ou encore par un avocat régulièrement
inscrit à un barreau.
Après le rapport,
le demandeur s’il y a lieu, l’agent judiciaire du Trésor et leurs
avocats respectifs sont entendus. Le procureur général développe
ses conclusions.
La décision
de la commission est notifiée sans délai au demandeur et
à l’agent judiciaire du Trésor par lettre recommandée
avec demande d’avis de réception.
De même, le
dossier de la procédure pénale est renvoyé à
la juridiction concernée avec une copie de la décision.
B)- La procédure
d’indemnisation.
La procédure
d’indemnisation répond d’une part à des conditions de forme
(1°) et d’autre part à des conditions de fond (2°).
1°)- Les conditions
de forme.
Aux termes de l’article
R.26 du Code de procédure pénale, la Commission est saisie
par une requête signée du demandeur (23)
et remise ou adressée au secrétaire de la commission qui
délivre récépissé.
Celle-ci doit contenir
l’exposé des faits et toutes indications utiles, notamment :
1° Sur la date
et la nature de la décision qui a ordonné la détention
provisoire ainsi que sur l’établissement pénitentiaire où
cette détention a été subie ;
2° Sur la juridiction
qui a prononcé la décision de non-lieu de relaxe ou d’acquittement
ainsi que sur la date de sa décision ;
3° Sur la
nature et le montant des préjudices allégués ;
4° Sur l’adresse
où doivent être faites les notifications au demandeur.
La requête
est accompagnée de toutes les pièces justificatives.
S’agissant du délai
de saisine de la Commission, l’article 149-2, alinéa 1er, précise
que la Commission doit être saisie par voie de requête dans
le délai de six mois de la décision de non-lieu,
de relaxe ou d’acquittement devenue définitive.
Le caractère
définitif qui s’attache à la décision intervenue dépend
de la juridiction qui l’a rendue.
Ainsi, en cas de
décision de relaxe prononcée par une Cour d’appel, ladite
décision ne devient définitive qu’à l’expiration du
délai de pourvoi en cassation.
De même, la
décision de relaxe rendue par un tribunal correctionnel ne devient
définitive qu’au terme du délai imparti par l’article 505
du Code de procédure pénale au procureur général
pour interjeter appel, soit deux mois à compter du jour du prononcé
du jugement intervenu.
Aux termes de l’article
R. 40-2 du Code de procédure pénale l’admission au bénéfice
de l’aide judiciaire devant la commission peut être accordée
dans les mêmes formes et conditions et avec les mêmes effets
qu’en matière civile, soit par le bureau établi près
la Cour de cassation, soit par le bureau établi près la juridiction
qui a rendu la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement,
selon que le demandeur aura demandé à être représenté
ou assisté par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de
cassation ou par un avocat régulièrement inscrit à
un barreau.
Cette demande interrompt
le délai de six mois de l’article 149-2 du Code de procédure
pénale.
2°)- Les conditions
de fond.
Le système
d’indemnisation mise en place par la loi de 1970 pose une double condition
au fond, dont l’une a été récemment modifiée.
a)- Sur
la nature de la décision ouvrant droit à réparation.
En premier lieu,
pour être recevable il faut qu’il y ait eu une mesure de mise
en détention provisoire du demandeur.
D’emblée,
cette exigence exclut toute autre forme de privation de liberté,
telle la garde à vue, la rétention douanière ou encore
l’exécution de peine.
En deuxième
lieu, conformément à l’article 149-2 du Code de procédure
pénale, il faut que la procédure au cours de laquelle la
détention a été prononcée se soit terminée
par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement.
Cette énumération
limitative exclut du processus indemnitaire les procédures ayant
donné lieu à des non-lieu, relaxes ou acquittements partiels.
b)- La condition
tenant au préjudice subi du fait de la détention provisoire.
La loi du 17 Juillet
1970 avait posé comme condition pour que le demandeur soit indemnisé
que celui-ci apporte la preuve que la détention provisoire lui avait
causé un « préjudice manifestement anormal et d’une
particulière gravité ».
La Commission veillait
au respect de cette double condition cumulative.
Ainsi, pour appréhender
le caractère « manifestement anormal » du préjudice,
la commission vérifiait les conditions dans lesquelles la décision
de placement en détention provisoire avait été prise
par la juridiction (juge d’instruction le plus souvent). En fait, elle
recherchait ainsi si la mesure n’était pas due à un laxisme
du juge ou encore à un fonctionnement défectueux du service
public judiciaire, tel par exemple l’absence ou le remplacement tardif
du magistrat ayant en charge l’affaire.
De même, la
commission prenait en compte pour déterminer la réalité
de ce premier caractère le comportement du demandeur. Ainsi, elle
vérifiait si par son comportement (mensonges, mutisme, etc...),
le requérant n’avait pas favorisé la mesure de placement
en détention provisoire prise à son encontre.
En ce qui concerne
la seconde condition, celle d’un préjudice « d’une particulière
gravité », celle-ci se déduisait d’elle-même
à partir du moment où le préjudice manifestement anormal
était démontré.
En fait, la commission
appréciait la gravité particulière du préjudice
en fonction des pièces justificatives produites par le requérant,
lesquelles permettaient à la commission de déterminer le
degré du préjudice subi.
Ainsi, étaient
pris en compte à ce titre la profession exercée, la perte
de rémunération subie, la perte d’emploi, etc ...
Depuis le 31 Mars
1997, l’article 149 modifié par l’article 9 de la loi du 30 Décembre
1996 ne soumet plus l’indemnisation à la preuve d’un préjudice
« manifestement anormal et d’une particulière gravité
».
En conséquence,
les conditions d’octroi d’une indemnité par la commission devraient
être nettement assouplies puisque désormais ladite indemnité
peut être accordée au requérant « lorsque
cette détention lui a causé un préjudice »,
sans plus.
La Commission nationale
d’indemnisation semblait avoir tiré dans un premier temps les conséquences
de cette réforme législative puisque la somme totale des
indemnités allouées en 1997 a été de 4.094.000,00
Francs contre 1.430.000,00 Francs en 1996 (24), soit
une augmentation de plus de 186 %.
La moyenne d’indemnisation
par dossier est passée ainsi de 42.857,00 Francs en 1996 à
62.985,00 Francs en 1997. (25)
Ainsi, cela nous
laissait à penser que l’indemnisation devait intervenir dans tous
les cas puisque par essence même toute détention provisoire
close par un non-lieu, une relaxe ou un acquittement entraîne nécessairement
un préjudice, ne serait-ce que par la simple privation de la liberté.
Restait donc à
la Commission à quantifier ce préjudice à partir des
éléments fournis par le demandeur ; ces pièces justificatives
devaient jouer désormais un rôle très important pour
caractériser les différents éléments du préjudice
à réparer (moral, professionnel, etc ...).
Malheureusement,
la réforme législative de 1996 ne parle pas d’indemnisation
automatique et l’indemnisation reste toujours une possibilité puisque
l’article 149 dans sa version modifiée précise toujours «
une indemnité peut être accordée à la personne
ayant fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure
terminée à son égard par une décision de non-lieu,
de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, lorsque cette détention
lui a causé un préjudice. »
Cela veut dire concrètement
que la Commission conserve toujours un pouvoir d’appréciation tant
sur le principe de la réparation que sur celui concernant le quantum
du préjudice subi. (26)
Force est de constater
à regret que ce pouvoir d’appréciation a été
exercé de façon assez restrictive puisque la hausse des indemnités
allouées par la Commission nationale d’indemnisation a, a priori,
régressé par la suite.
En effet, la somme
totale des indemnités allouées en 1998 a été
seulement de 3.734.000,00 Francs contre 4.094.000,00 en 1997, soit une
baisse de plus de 8,79 %. (27)
Cette baisse est
notable au niveau de la moyenne d’indemnisation par dossier puisque celle-ci
passe ainsi de 62.985,00 Francs en 1997 à 42.432,00 Francs en 1998,
chiffre inférieur à celui de 1996 (42.857,00 Francs), cela
bien que le taux d’indemnisation ait augmenté.(28)
Cependant, les décisions
d’indemnisation intervenues très récemment courant Mars 2000
marquent une volonté manifeste d’améliorer le quantum d’indemnisation.
En effet, la Commission nationale d’indemnisation vient d’allouer à
douze justiciables une somme globale aux alentours de 1,7 MF, soit une
moyenne théorique d’indemnité de plus de 141.000,00 Francs
par victime (Source : base Juriline de LAMY).
Toutefois, nous pensons
que des modifications substantielles devraient être apportées
au système d’indemnisation de la détention provisoire tel
qu’appliqué actuellement.
III - POUR UNE
AMELIORATION DU SYSTEME D’INDEMNISATION ET DE RéPARATION DE LA
DETENTION PROVISOIRE.
Le système
d’indemnisation et de réparation de la détention provisoire
injustifiée doit être réformé à plusieurs
niveaux.
A)- Pour une
indemnisation systématique.
Nous avons vu que
les termes de l’article 149 du Code de procédure pénale tels
que votés en 1970 étaient manifestement trop restrictifs
puisqu’ils exigeaient pour toute indemnisation que le préjudice
soit « manifestement anormal et d’une particulière gravité
».
Un tel système
était manifestement inacceptable.
D’une part, il était
choquant de demander à une personne en détention provisoire
de justifier un préjudice manifestement anormal et d’une particulière
gravité.
Est-ce à
croire que la prison est une sinécure ?
Le seul fait pour
un Innocent d’être en prison constitue en lui-même un préjudice.
D’ailleurs, le Législateur
l’a tellement bien compris qu’à travers l’article 9 de la loi n°
96-1235 du 30 Décembre 1996 il a supprimé purement et simplement
l’exigence de la démonstration d’un préjudice « manifestement
anormal et d’une particulière gravité ».
Toutefois, nous pensons
que l’exigence actuelle de la preuve d’un « préjudice »
causé par la détention provisoire demeure une condition trop
limitée.
D’autre part, l’article
5.-5 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme
et des libertés fondamentales prévoit que toute personne
victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions
contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.
Ainsi, la convention
ne semble pas exiger la preuve d’un préjudice : celui-ci étant
démontré ipso facto par la mesure de détention elle-même
intervenue à tort.
C’est pourquoi
nous pensons qu’une indemnisation systématique devrait être
instituée.
Ce système
n’est pas nouveau puisque certains pays étrangers, telle l’Allemagne
Fédérale, appliquent un système d’indemnisation automatique
de toute détention provisoire d’une personne dont l’innocence est
prouvée judiciairement.
B)- Pour une
modification de l’organisation de la Commission nationale.
Nous pensons que
les règles d’organisation de la Commission devraient être
modifiées.
L’organisation de
la Commission Nationale d’Indemnisation pose problème au regard
des règles posées par la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
En effet,
En premier
lieu, la Commission statue en chambre du conseil.
Or, l’article
6 § 1 de la Convention européenne précise le principe
selon lequel la décision adoptée par un tribunal doit être
rendue publiquement. La finalité de ce principe général
de publicité a été posée par la Cour européenne
des droits de l’homme dans son arrêt Pretto du 8 Décembre
1983 (29), lequel précise « la publicité
des procédures des organes judiciaires visés à l’article
6 § 1 protège les justiciables contre une justice secrète
échappant au contrôle du public ; elle constitue aussi l’un
des moyens qui contribuent à préserver la confiance dans
les Cours et tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration
de la justice, elle aide à réaliser le but de l’article 6
§ 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi
les principes de toute société démocratique au sens
de la Convention ».
Dans ce sens, nous
pensons qu’il serait souhaitable que les décisions rendues par la
Commission le soient en audience publique, sauf si le justiciable y renonce.
L’innocence d’une personne victime à tort d’une détention
provisoire doit être proclamée avec force, d’autant plus si
cette personne a fait l’objet d’une publicité médiatique.
A cette obligation
de publicité, nous serions favorables à ce que le législateur
impose la publication aux frais de l’Etat dans les journaux d’une part
de la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement et d’autre
part, de celle accordant une indemnisation à ce titre. Cela
facilitera ainsi la réintégration de la personne innocentée
dans son statut social.
En deuxième
lieu, les décisions rendues par la Commission ne sont pas motivées.
Cette absence de
motivation contrevient aux règles tant de notre Droit que de celles
de la convention européenne.
En effet, l’obligation
formelle faite aux juges de motiver leurs jugements a été
instituée par la loi des 16-24 Août 1790. C’est un principe
primordial qui s’applique en principe à toutes les décisions
rendues par toutes les juridictions, quelles qu’elles soient.(30)
D’ailleurs, l’article
455 du Nouveau Code de Procédure Civile impose en écho cette
obligation traditionnelle de motivation, laquelle se traduit dans la
décision rendue par des motifs exposant les éléments
de fait et de droit fondant la solution adoptée par le magistrat.
En ce qui la concerne,
la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt
Van de Hurk c./. Pays-Bas du 19 Avril 1994 (31) considère
que « l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver
leurs décisions, mais .../... il ne peut se comprendre comme exigeant
une réponse détaillée à chaque argument
». Ainsi, même si elle est sommaire, la Cour du Luxembourg
semble imposer une obligation de motivation minimum.
Or, dans notre cas,
nous pensons que les décisions rendues par la Commission Nationale
d’Indemnisation doivent être soumises à l’obligation de motivation.
Ainsi, les requérants pourraient comprendre les raisons de fait
et de droit qui ont conduit ladite commission à prendre telle décision
indemnitaire à leur égard.
Enfin, en troisième
lieu, les décisions rendues par la Commission ne sont susceptibles
d’aucun recours de quelque nature que se soit.
Même si, la
nature de la juridiction (démembrement de la Cour de cassation)
qui statue offre des garanties de compétence, nous pensons qu’il
serait souhaitable de mettre en place un double degré de juridiction.
Le principe du
double degré de juridiction offre nécessairement une garantie
de bonne justice. (32) (33)
D’ailleurs, cela
est si vrai que le protocole n° 7 additionnel à la convention
européenne, entré en vigueur depuis le 1er Novembre 1988,
précise en son article 2 que « toute personne déclarée
coupable d’une infraction pénale par un tribunal a le droit de faire
examiner par une juridiction supérieure la déclaration de
culpabilité ou la condamnation .../... ».
Le gouvernement français
a ratifié ce protocole en précisant toutefois que «
l’examen par une juridiction supérieure peut se limiter à
un contrôle de l’application de la loi, tel le recours en cassation
».
Dans cette optique
et même si ce texte ne concerne que le domaine pénal, nous
pensons qu’il conviendrait de mettre en place à un niveau départemental
ou régional des commissions d’indemnisation similaires (34)
à celles de la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infraction
(CIVI), lesquelles rendraient des décisions motivées susceptibles
de faire l’objet d’un pourvoi devant la Commission Nationale d’Indemnisation
près de la Cour de cassation.
Nous constatons que
le projet de la loi relatif à la présomption d’innocence
et aux droits des victimes comporte des réformes qui répondent
à nos critiques.
Ainsi, l’article
19 du projet de loi (articles 149 et 149-2 du Code de procédure
pénale) dispose que les décisions relatives à l’indemnisation
des détentions provisoires seront prises en audience publique, seront
motivées et l’indemnisation portera sur l’ensemble du préjudice
tant matériel que moral.
A la suite d’un amendement
parlementaire, les cas d’indemnisation ont été étendus
à la quasi-totalité des détentions provisoires, suivies
d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement.
Le projet prévoit
même que les juridictions qui rendront une décision de non-lieu,
de relaxe ou d’acquittement après une détention provisoire
devront aviser la personne concernée de son droit à être
indemnisée et des modalités à suivre.
Dans la même
optique, l’article 21 duodecies de ce projet de loi (article 800-2 du Code
de procédure pénale), résultant d’un amendement parlementaire,
dispose que les personnes qui bénéficieront d’un non-lieu,
d’une relaxe ou d’un acquittement pourront se faire indemniser, par le
Trésor Public, sur décision de la juridiction concernée,
des frais engagés par elles, pour leur défense.
Ce dernier texte
est important car il permettra à une personne injustement poursuivie
par le ministère public d’être indemnisé des frais
engagés par elle pour se défendre.
Quels seront les
critères qui seront pris en compte pour indemniser l’innocent de
ses frais de défense pénale ?
Il conviendrait que
le calcul de ces frais soit déterminé par les ordres des
avocats, étant rappelé que les honoraires des avocats sont
libres.
Les frais engagés
peuvent être différents d’une affaire à l’autre.
Enfin, il conviendrait
à notre sens que la Commission nationale puisse procéder,
dans chaque cas, à une analyse des causes ayant entraîné
la mise en détention provisoire d’une personne innocente et établir
un rapport public sur les causes ayant entraîné de telles
erreurs de la part des magistrats.
Il faudrait par exemple
connaître avec exactitude le coût réel de la procédure
ayant conduit à une erreur judiciaire : la Justice est un service
public qui manipule des fonds publics dont le citoyen est en droit de connaître
l’usage exact qu’on en fait, juridiction par juridiction.
Il nous semble tout
aussi intéressant que la Commission s’intéresse aux intervenants
entourant le magistrat, notamment le juge d’instruction.
Ainsi, il serait
intéressant de savoir quelle part de responsabilité les services
d’enquête (policiers et gendarmes), de par les informations qu’ils
collectent notamment au cours des gardes à vue, ont pris dans la
décision du juge d’instruction décidant une mesure de détention
provisoire qui ne s’imposait pas en l’espèce ?
Avec une telle analyse,
nous aurions des indicateurs qui permettraient de prendre en amont des
mesures visant à corriger certains errements.(35)
Rendre la justice
plus accessible au justiciable.
Rendre à l’Homme
Innocenté l’Innocence dans toutes ses composantes, perdue par une
détention provisoire malheureuse, voilà une gageure à
tenir dans un monde où tout fait anodin peut se voir projeter sur
la place publique avec des effets parfois mortels. (36)
C’est une gageure
à tenir au nom du respect des Droits de l’Homme et de la confiance
légitime que tout citoyen présumé innocent doit avoir
dans les institutions judiciaires de son pays.
Notes de Bas de
page :
(23)
La requête signée par l’avocat du requérant est déclarée
irrecevable par la Commission. Voir étude de Gilbert AZIBERT «
La commission nationale d’indemnisation en matière de détention
provisoire », Revue de science criminelle 1985, page 517. [retour
au texte]
(24)
Rapport de la Cour de Cassation 1997, La Documentation Française,
page 393. [retour au texte]
(25)
Rapport de la Cour de Cassation 1997, La Documentation Française,
page 393. [retour au texte]
(26)
Rapport de la Cour de Cassation 1997, La Documentation Française,
page 394. [retour au texte]
(27)
Rapport de la Cour de Cassation 1998, La Documentation Française,
page 401. [retour au texte]
(28)
Rapport de la Cour de Cassation 1998, La Documentation Française,
page 401 et 402. « 88 indemnités ont été accordées
en 1998 (65 en 1997) ; ce qui représente un taux d’indemnisation
de 57 %, supérieur à celui de 1997 qui avait été
de 50 %, et à celui de 1996 qui était de 24 % (antérieurement
à la réforme) », cité page 402. [retour
au texte]
(29)
Arrêt du 8 Décembre 1983, Pretto, série A, n° 71,
par. 21. [retour au texte]
(30)
Voir VINCENT et GUINCHARD, Procédure civile, Précis Dalloz.
[retour au texte]
(31)
Arrêt du 19 Avril 1994, Van de Hurk c./. Pas-Bas, série A,
n° 288, § 61. [retour au texte]
(32)
SOLUS et PERROT, Traité de droit judiciaire privé, n°
525. [retour au texte]
(33)
Le Conseil Constitutionnel considère que ce principe a une valeur
« para-constitutionnelle ». F. LUCHAIRE «
Un Janus constitutionnel, l’égalité, Revue de droit public
1986.1253. [retour au texte]
(34)
Ainsi, cette commission d’indemnisation départementale ou régionale
de la détention provisoire pourrait comprendre aux côtés
de magistrats des personnes extérieures. [retour
au texte]
(35)
Plusieurs réformes sont actuellement envisagées pour éviter
des dérives : institution d’un juge des libertés chargé
de se prononcer sur la détention provisoire ; mise en place d’un
régime de responsabilité personnelle des magistrats, renforcement
des droits de la défense, etc. Toutefois, en dépit de ces
projets, il est un fait certain : les moyens tant humains que matériels
donnés à la Justice pour fonctionner sont nettement insuffisants.
Les juridictions judiciaires de la Guyane sont un exemple criant de quasi-faillite
sur le plan matériel et humain comme le démontre, chiffres
à l’appui, un récent rapport de diagnostic établi
par Madame le Bâtonnier Hélène SIRDER et le Conseil
de l’Ordre des avocats de la Guyane, rapport transmis notamment au Garde
des Sceaux.
En tout état
de cause, une étude analytique des mises en détention injustifiées
permettrait de mettre en exergue des dysfonctionnements graves non diagnostiqués
antérieurement et de pouvoir prendre des mesures en amont.
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Ainsi le journal Le Monde daté du 15 Juillet 1997 rapportait l’histoire
malheureuse de Bernard HANSE, professeur de gymnastique, qui s’est suicidé
à la suite d’accusations mensongères de pédophilie
avancées par un mineur de treize ans. Cette tragique affaire n’illustre-t-elle
pas les effets mortels que peuvent entraîner l’atteinte à
la présomption d’innocence – confer le Monde du 15 Juillet 1997
– article intitulé « Pédophilie : l’éducation
nationale mise en cause après le suicide de Bernard HANSE »
de GURREY Béatrice. [retour au texte]