CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 208958
Assistance publique-Hôpitaux de Paris
M Aladjidi, Rapporteur
M Chauvaux, Commissaire du gouvernement
Lecture du 15 Janvier 2001
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 11 juin 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, dont les locaux sont au 3, avenue Victoria à Paris (75004) ; l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 23 février 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Paris, à la demande de Mme Enid Shames, l° a annulé le jugement en date du 16 décembre 1997 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de cette dernière tendant à la condamnation de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à l’indemniser du préjudice causé à Mme Sands, sa soeur, et à elle-même par la contamination en 1984 de Mme Sands, par le virus de l’immunodéficience humaine, à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, 2° a condamné l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à verser à Mme Shames une somme de 1 400 000 F en réparation du préjudice subi par Mme Sands du fait de la contamination de cette dernière par le virus de l’immunodéficience humaine et de son décès, 3° a condamné l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à verser à Mme Shames la somme de 15 000 F, au titre des frais irrépétibles exposés et non compris dans les dépens ;
2°) de condamner Mme Shames à lui verser la somme de 12 000 F sur le fondement de l’article L 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l’article 47 de la loi n° 91-1046 du 31 décembre 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en audience publique :
le rapport de Mme Le Bihan-Graf, Auditeur,
les observations de Me Foussard, avocat de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS et de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de Mme Shames,
les conclusions de M Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant que, dans le cas où les produits sanguins à l’origine d’une contamination ont été élaborés par plusieurs centres de transfusion ayant des personnalités juridiques distinctes, la personne publique mise en cause devant le juge administratif doit être tenue pour responsable de l’ensemble des dommages subis par la victime et condamnée à les réparer si elle n’établit pas l’innocuité des produits qu’elles a elle-même élaborés, sans préjudice de la possibilité pour elle, si elle s’y croit fondée, d’appeler en garantie devant le juge administratif les autres centres de transfusion ayant la qualité de personne publique ou d’exercer une action devant le juge judiciaire à l’encontre des autres centres de transfusion ayant la qualité de personne morale de droit privé dans la mesure où ils seraient co-auteurs de la contamination ;
Considérant qu’après avoir constaté que la séropositivité de Mme Sands avait été diagnostiquée postérieurement à des transfusions sanguines réalisées lors de ses séjours à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière et au centre privé de cardiologie du Nord, et après avoir souverainement estimé que l’instruction n’avait pas permis d’identifier d’autres modes de contamination propres à la victime, la cour a pu, sans erreur de droit, considérer que la contamination était imputable aux transfusions ; que l’enquête transfusionnelle n’ayant pas permis de conclure à l’innocuité des produits sanguins fournis par le centre de transfusion dépendant de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière qui n’avait pas de personnalité juridique distincte de celle de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, la cour a pu légalement condamner l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à réparer l’ensemble des préjudices subis par Mme Sands et ce alors même que certains produits sanguins administrés au centre de cardiologie du Nord avaient été fournis par une autre personne morale ;
Sur le préjudice :
Considérant que le droit à réparation d’un dommage, quelle que soit sa nature, s’ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime d’un dommage décède avant d’avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ; qu’il suit de là que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le droit à réparation des préjudices tant matériels que personnels subis par Mme Sands est entré dans le patrimoine de ses héritiers alors même que Mme Sands n’avait, avant son décès, introduit aucune action tendant à la réparation de ces préjudices ;
Considérant que la cour administrative d’appel a souverainement procédé à l’évaluation des préjudices de toute nature subis tant par Mme Sands que par son héritière, Mme Shames ; que son arrêt est suffisamment motivé sur ce point ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme Shames qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à payer à Mme Shames la somme de 10 000 F qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS est rejetée.
Article 2 : L’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS versera à Mme Shames une somme de 10 000 F au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, à Mme Enid Shames et au ministre de l’emploi et de la solidarité.