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Tribunal administratif de Strasbourg, 24 juillet 2003, n° 01-04641, Société Brit Air c/ Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin et Société Ryanair

L’aide qui est versée par un établissement public de l’État qui gère des deniers publics prélevés et redistribués au moyen d’actes de puissance publique, et qui, en versant les financements contestés, n’a pas agi comme un investisseur privé en économie de marché, constitue une aide de l’État au sens des dispositions communautaires susrappelées. Cette aide, qui profite à une seule compagnie aérienne gérant une ligne aérienne de transport international, est, par nature, susceptible d’affecter les échanges entre États membres de la Communauté européenne. Elle aurait du, de ce fait, être notifiée, au préalable, à la Commission des communautés européennes. Cette absence de notification préalable entraîne l’illégalité de la délibération et des décisions du président de la CCI.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE STRASBOURG

N° 02-04641

SOCIETE BRIT AIR c/
CHAMBRE DE COMMERCE ET D’INDUSTRIE DE STRASBOURG ET DU BAS-RHIN
SOCIETE RYANAIR

Audience du 27 juin 2003
Lecture du 24 juillet 2003

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE STRASBOURG,

dans sa formation plénière de jugement composée de
Mme MAZZEGA, vice-présidente, pour le président empêché, MM. PIETRI et VIVENS, vice-présidents,
Mme COSTA, premier conseiller faisant fonction de vice-président et _ Mme FISCHER-HIRTZ, premier conseiller,
Mme MESSE et M. SIMON, conseillers,
M. COLLIER, commissaire du gouvernement,
assistés de M. HAAG, greffier,

rend le jugement suivant

Par une requête enregistrée le 30 décembre 2002, sous le n° 02-04641, et par des mémoires complémentaires enregistrés respectivement les 20 janvier, 6 mars, 9 et 22 mai 2003, la société BRIT AIR ayant son siège Aéroport, B.P. 156, 29204 Morlaix, représentée par Me Pierre-Alain Jeanneney, avocat au barreau de Paris, demande au tribunal administratif :

1/ d’annuler la délibération en date du 28 juin 2002 par laquelle l’Assemblée plénière de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg approuve « l’opportunité d’ouvrir » une liaison aérienne de Strasbourg à Londres exploitée par la société Ryanair et autorise son président à signer des engagements financiers et techniques avec cette même société ;

2/ d’annuler les décisions du président de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin de signer les deux conventions en application de ces engagements ;

3/ d’enjoindre à la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin de saisir le juge du contrat afin de résolution desdites conventions sous astreinte de 1000 euros par jour, de suspendre le versement des sommes et de récupérer celles déjà versées à ce titre ;

4/ de condamner la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg à verser une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5/ de condamner la société Ryanair à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Par des mémoires en défense enregistrés les 30 avril 2003 et 5 juin 2003, la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin, représentée par Me Robert Saint-Esteben, avocat au barreau de Paris, conclut. au rejet de la requête et demande la condamnation de la société BRIT AIR à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Par des mémoires enregistrés les 17 mars et 26 mai 2003, la compagnie Ryanair, représentée par Me Lucien Rapp, avocat au barreau de Paris, conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens que la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin et demande en outre la condamnation de la société BRIT AIR à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience publique qui a eu lieu le 27 juin 2003.

Le tribunal a examiné la requête, la décision attaquée et pris connaissance de l’ensemble des mémoires et pièces produits par les parties.

Il a entendu à l’audience publique
- le rapport de M. SIMON, conseiller,
- les observations de Me JEANNENEY, avocat au barreau de Paris, pour la société BRIT AIR, requérante, de Me BILLARD et Me ROUSSELOT (cabinet BREDIN PRAT), avocats au barreau de Paris, substituant Me SAINT-ESTEBEN, pour la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin, et de Me Lucien RAPP, avocat au barreau de Paris, pour la société Ryanair,
- les conclusions de M. COLLIER, commissaire du gouvernement.

En application de l’article R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture d’instruction a été fixée au 23 mai 2003.

En application de l’article R. 613-4 du code de justice administrative, l’instruction a été rouverté par décision du 5 juin 2003.

Au vu
- du traité du 25 mars 1957 modifié instituant la Communauté européenne,
- du règlement communautaire n° 2408/92 CE du 23 juillet 1992,
- du code de l’aviation civile,
- du code des marchés publics, - du code du commerce,
- du décret n° 95-698 du 9 mai 1985, - du code de justice administrative,

Considérant que par une délibération en date du 28 juin 2002 l’assemblée plénière de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin, qui a approuvé « l’opportunité d’ouvrir » une ligne aérienne reliant Strasbourg à Londres exploitée par la compagnie Ryanair, a également autorisé son président à signer des engagements financiers avec cette même société, que cette délibération doit ainsi être analysée comme ayant pour objet d’autoriser le président de la Chambre à signer des conventions en application de ces engagements ; que celui-ci a signé deux conventions le 28 juin 2002 ; que la société BRIT AIR demande l’annulation de cette délibération, ainsi que des décisions du président de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin de signer ces conventions ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin et la société RYANAIR :

Considérant, en premier lieu, que la société BRIT AIR, qui gérait une ligne aérienne reliant Strasbourg à Londres à la date des décisions attaquées, a bien un intérêt qui lui donne qualité pour agir ;

Considérant, en deuxième lieu, que les trois décisions dont la société BRIT AIR demande l’annulation, sont des actes à caractère administratif détachables des conventions susmentionnées et sont par suite susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ;

Considérant, en troisième lieu, que la société BRIT AIR ne conteste pas les paiements effectués par la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin en faveur de la compagnie Ryanair, lesquels relèveraient du juge du contrat, mais uniquement les décisions précitées ;

Considérant, en quatrième lieu, que les décisions litigieuses du président de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin ne sont pas matériellement distinctes des conventions conclues par la Chambre avec la compagnie Ryanair, lesquelles figurent au dossier ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée du défaut de production des décisions attaquées doit être écartée ;

Considérant, en cinquième lieu, qu’aux termes de l’article R421-i du code de justice administrative : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée » ;

Considérant qu’il n’est pas établi que les décisions litigieuses aient fait l’objet de mesures de publicité susceptibles de faire courir le délai de recours contentieux à l’égard des tiers ; que si le groupe AIR FRANCE est représenté à l’assemblée plénière de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin, la société BRIT AIR, qui appartient à ce groupe, n’est pas elle-même représentée au sein de cette assemblée et ne saurait, de ce fait, être réputée avoir eu connaissance des décisions attaquées ; que si elle a bien été informée par la presse de l’intention de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin de contracter avec la société Ryanair et si son président a demandé, par courrier en date du 16 septembre 2002, à l’établissement public des précisions à cc sujet, elle n’a pas pour autant à cette date eu connaissance des décisions attaquées et les délais de recours ne sauraient lui. être opposés ; que, par suite, la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin n’est pas fondée à soutenir que la requête de la société BRIT AIR est tardive ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées à la société BRIT AIR doivent être rejetées ;

Sur la légalité

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;

Considérant qu’aux termes de l’article 87 (ancien article 92) du traité instituant la Communauté européenne : « 1. Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions [...] » ; qu’aux terme de l’article 88 (ancien article 93) du même traité : « 1. La Commission procède avec les États membres à l’examen permanent des régimes d’aides existant dans ces États. Elle propose à ceux-ci les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché commun. [...] 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu’un projet n’est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l’article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L’État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. » ;

Considérant, d’une part, que par la délibération de son assemblée plénière extraordinaire du 28 juin 2002 ainsi que par les stipulations contractuelles des conventions signées par son président le même jour, la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin s’engage à verser à la compagnie aérienne Ryanair les sommes de 150 000 euros pour chaque fréquence journalière nouvellement ouverte de la ligne reliant Strasbourg à Londres, de 216 000 euros par an pour chaque service journalier au départ de Strasbourg ou de 224 000 euros par service journalier sur chaque fréquence et à garantir le paiement par la communauté urbaine de Strasbourg « et/ou » la région Alsace « et/ou » le département du Bas-Rhin d’une somme de 492 000 euros par an pour chaque fréquence journalière partant de Strasbourg ; qu’en contrepartie de ces financements la compagnie Ryanair s’engagerait à réaliser un plan de promotion de l’Alsace et de Strasbourg sur son site Internet et sur d’autres supports médiatiques ; qu’il résulte, toutefois, des pièces du dossier, que ce plan marketing fait très accessoirement la promotion de la région Alsace et de Strasbourg et souligne essentiellement les mérites du bas prix de la ligne aérienne reliant Strasbourg à Londres ; que cette promotion publicitaire profite donc essentiellement à la compagnie Ryanair et ne peut constituer une contrepartie directe suffisante aux engagements financiers pris, à son profit, par la chambre consulaire ; que, dès lors, la délibération attaquée doit être interprétée comme instituant une aide financière de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin au profit de la société Ryanair ;

Considérant, d’autre part, que l’aide qui est ainsi versée par un établissement public de l’État qui gère des deniers publics prélevés et redistribués au moyen d’actes de puissance publique, et qui, en versant les financements contestés, n’a pas agi comme un investisseur privé en économie de marché, constitue une aide de l’État au sens des dispositions communautaires susrappelées ; que cette aide, qui profite à une seule compagnie aérienne gérant une ligne aérienne de transport international, est, par nature, susceptible d’affecter les échanges entre États membres de la Communauté européenne ; qu’il est constant que la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin n’a pas, préalablement à la mise en place de ladite aide, informé la Commission des communautés européennes ; que, dès lors, la société BRIT AIR est fondée à soutenir que la délibération de l’assemblée délibérante de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin du 28 juin 2002 instaurant une aide financière au profit de la société Ryanair est, faute d’avoir été notifiée au préalable à la Commission des communautés européennes, illégale et doit être annulée ;

Considérant que, par voie de conséquence, il y a lieu d’annuler les décisions du président de la Chambre de signer les engagements résultant de cette délibération ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution » ;

Considérant, en premier lieu, que l’annulation des décisions du président de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin de signer les deux conventions conclues avec la compagnie Ryanair en application de la délibération annulée implique, soit que ladite Chambre saisisse le juge du contrat, pour qu’il prononce leur nullité, à défaut d’obtenir l’accord de son cocontractant, soit qu’elle les résilie ; qu’il y a lieu de prononcer contre la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin, à défaut pour elle de justifier de cette mesure dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 1000 euros par jour jusqu’à la date où cette mesure aura été prise ;

Considérant, en second lieu, que le versement par la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin à la compagnie Ryanair des sommes évoquées ci-dessus est une mesure d’exécution desdites conventions qu’il n’appartient pas au juge de l’excès de pouvoir de connaître ; que, par suite, les conclusions à fin de suspension et de restitutions de ces sommes ne peuvent qu’être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin et la compagnie Ryanair à payer chacune la somme de 750 euros à la société BRIT AIR au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le Tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie perdante du paiement par l’autre partie des frais qu’elle a exposés à l’occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin et la société Ryanair doivent dès lors être rejetées ;

D E C I D E :

ARTICLE 1er : La délibération du 28 juin 2002 de l’assemblée plénière de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin est annulée.

ARTICLE 2 : Les décisions du 28 juin 2002 du président de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin de signer, en exécution de ladite délibération, deux conventions avec la compagnie Ryanair, sont annulées.

ARTICLE 3 : Il est enjoint à la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin soit de saisir le juge du contrat, pour qu’il prononce la nullité des deux conventions conclues avec la compagnie Ryanair, à défaut d’obtenir l’accord de son cocontractant, soit de les résilier dans les deux mois suivant la notification du présent jugement sous astreinte de 1 000 euros mille euros par jour de retard.

ARTICLE 4 : La Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin et la compagnie Ryanair sont condamnées à verser chacune la somme de 750 euros sept cent cinquante euros à la société BRIT AIR au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

ARTICLE 5 : Le surplus des conclusions de la compagnie BRIT AIR est rejeté.

ARTICLE 6 : Les conclusions de la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin et de la société Ryanair tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

ARTICLE 7 : Le présent jugement sera notifié à la société BRIT AIR, à la Chambre de commerce et d’industrie de Strasbourg et du Bas-Rhin et à la société Ryanair.

 


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