CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 227890
MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE
c/ M. L.
M. Bereyziat
Rapporteur
M. Bachelier
Commissaire du gouvernement
Séance du 19 mars 2003
Lecture du 25 avril 2003
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-section réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du contentieux
Vu le recours, enregistré le 6 décembre 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE ; le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE demande au Conseil d’Etat d’annuler les articles 1er et 2 de l’arrêt du 3 octobre 2000 par lesquels la cour administrative d’appel de Nantes, réformant le jugement du 22 octobre 1996 du tribunal administratif de Caen, a, d’une part, réduit d’une somme de 2 816 750 F la base d’imposition de M. Pierre-Jean L. à l’impôt sur le revenu pour 1985, d’autre part, réduit la cotisation supplémentaire à l’impôt sur le revenu et les pénalités y afférentes auxquelles M. L. a été assujetti au titre de l’année 1986, à raison du report, sur cette dernière année, de la fraction du déficit global constaté pour l’année 1984 non reportée sur l’exercice 1985, que la réduction de la base d’imposition susmentionnée a eu pour effet d’accroître ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Bereyziat, Auditeur,
les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. L., qui exerce une activité d’intermédiaire immobilier, a fait l’objet de deux vérifications de comptabilité successives portant respectivement sur les années 1985 et 1986, d’une part, et sur l’année 1987, d’autre part ; qu’au terme de ces contrôles, il n’a été assujetti à des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu, assorties de pénalités, que pour les années 1986 et 1987, le vérificateur ayant estimé que, compte tenu des reports déficitaires constatés à la fin de l’année 1984 dont le contribuable avait entendu se prévaloir, les bénéfices imposables de l’intéressé pour l’année 1985 étaient nuls et ceux de l’année 1986 devaient être réduits du surplus du déficit pour 1984 non reporté sur l’année 1985 ; que, par un jugement du 22 octobre 1996, le tribunal administratif de Caen a refusé de faire droit aux conclusions en décharge de la totalité de ces suppléments d’imposition dont M. L. l’avait saisi ; que le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE se pourvoit en cassation contre les articles 1er et 2 de l’arrêt du 3 octobre 2000 par lesquels la cour administrative d’appel de Nantes, réformant ce jugement, a, d’une part, réduit d’une somme de 2 816 750 F la base d’imposition de M. L. au titre de l’année 1985, d’autre part, réduit le supplément d’imposition auquel l’intéressé a été assujetti au titre de l’année 1986, à raison du report, sur cette dernière année, du surplus du déficit global constaté au terme de l’année 1984 et non reporté sur l’année 1985, que la réduction de la base d’imposition susmentionnée aurait eu pour effet d’accroître ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du recours :
Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour faire droit aux conclusions en réduction dont elle était saisie, la cour s’est fondée sur la circonstance que la commission de 2 816 750 F que M. L. a portée en comptabilité et encaissée au cours de l’année 1985, et que le vérificateur a prise en compte dans la détermination des bénéfices industriels et commerciaux du contribuable imposables au titre de cette année, devait être rattachée aux créances de l’exercice clos le 31 décembre 1984, au cours duquel elle avait acquis un caractère certain ;
Considérant qu’aux termes de l’article 156 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux faits de la cause : "L’impôt sur le revenu est établi d’après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal. Ce revenu net est déterminé eu égard (...) aux bénéfices de toutes opérations lucratives auxquelles ils se livrent, sous déduction : I. Du déficit constaté pour une année dans une catégorie de revenus ; si le revenu global n’est pas suffisant pour que l’imputation puisse être intégralement opérée, l’excédent du déficit est reporté successivement sur le revenu global des années suivantes jusqu’à la cinquième année inclusivement (...)" ; qu’aux termes de l’article 38-2 du même code : "Le bénéfice net imposable est constitué par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt (...). L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiées" ; que la combinaison de ces dispositions, dès lors qu’elle permet à un contribuable d’imputer sur les bénéfices imposables d’un exercice non couvert par la prescription les déficits d’exercices précédents même couverts par la prescription, autorise également l’administration à vérifier l’existence ou le montant de ces déficits et, par suite, à remettre en cause, le cas échéant, les résultats prétendument déficitaires d’exercices prescrits, les rectifications apportées à ces résultats ayant toutefois pour seul effet de réduire ou de supprimer les reports déficitaires opérés sur des exercices non prescrits ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’à supposer même que M. L. fût fondé à demander la correction de l’erreur comptable affectant la détermination de ses bénéfices industriels et commerciaux imposables au titre de l’année 1985, pour laquelle le droit de reprise de l’administration et du contribuable était encore ouvert, la cour ne pouvait, sans erreur de droit, réduire à due concurrence les bénéfices de l’intéressé imposables dans cette catégorie pour l’année 1985 sans corriger l’erreur symétrique de même montant qui entachait nécessairement, dans les circonstances de l’espèce, la détermination des bénéfices imposables dans la même catégorie au titre de l’année 1984 et, par suite, celle du déficit global, constaté au terme de cette dernière année, que le contribuable avait imputé sur les années suivantes, alors même que le droit de reprise n’était plus ouvert pour l’année 1984 ; qu’il suit de là que le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE est fondé soutenir qu’en ne procédant pas à cette correction, après avoir pourtant réduit la base de l’imposition de M. L. au titre de l’année 1985 du montant de la créance rattachée par erreur à cet exercice plutôt qu’au précédent, puis en réduisant l’impôt sur le revenu auquel le contribuable a été assujetti au titre de l’année 1986 à concurrence de l’augmentation corrélative du surplus du déficit global de l’année 1984 reportable sur l’année 1986, la cour n’a pas tiré toutes les conséquences légales des constatations auxquelles elle s’était livrée, au vu des pièces du dossier qui lui était soumis ; qu’il est fondé, pour ce seul motif, à demander l’annulation des articles 1er et 2 de l’arrêt attaqué ;
Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu pour le Conseil d’Etat de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’au soutien des conclusions de sa requête tendant à la réduction des bases de son imposition, à raison du rattachement à l’année 1984, dernière année prescrite, d’une commission de 2 816 750 F que l’entreprise OCIRP lui a versée au cours de l’année suivante, M. L. produit la copie de la facture émise le 27 décembre 1984 en vue du paiement de cette somme ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’administration fiscale apporte la preuve, qui lui incombe, de ce que la prestation que cette commission avait pour objet de rémunérer n’ait été achevée que postérieurement à l’émission de cette facture et au cours de l’année 1985 ; que, dès lors, M. L. est fondé à demander la réduction, à concurrence du montant de cette commission, de ses bénéfices imposables au titre de l’exercice 1985 ; qu’il résulte toutefois de ce qui précède qu’une fois opérée la correction symétrique des bénéfices industriels et commerciaux imposables pour l’année 1984, cette circonstance est sans incidence sur la base d’imposition à l’impôt sur le revenu de M. L. pour l’année 1985, ni sur le montant du surplus des déficits antérieurs à l’année 1985 que l’intéressé pouvait légalement imputer sur les bénéfices postérieurs à cette même année ni, par voie de conséquence, sur le quantum de l’imposition supplémentaire à laquelle l’intéressé doit être assujetti au titre de l’année 1986 ; qu’il y a lieu, par suite, de rejeter ses conclusions dirigées contre le jugement attaqué ;
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 1er et 2 de l’arrêt du 3 octobre 2000 de la cour administrative d’appel de Nantes sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de la requête de M. L. devant la cour administrative d’appel de Nantes tendant à la réduction, à raison du rattachement à l’année 1984 d’une créance de 2 816 750 F, des suppléments d’impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti, sont rejetées.
Article 3 : M. L. est rétabli au rôle de l’impôt sur le revenu pour 1986, à concurrence des cotisations supplémentaires et pénalités dont la cour administrative d’appel de Nantes a prononcé la décharge.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE et à M. Pierre-Jean L..