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Conseil d’Etat, 30 décembre 2002, n° 216358, Société Clinique Armand Brillard

Il résulte clairement des dispositions de la sixième directive que, d’une part, les prestations d’hospitalisation et de soins médicaux dont l’exonération de TVA est prévue au b) sont fournies dans des organismes hospitaliers de droit public ou dans des établissements privés exerçant une activité hospitalière dans des conditions sociales comparables et que, d’autre part, les prestations de soins médicaux mentionnées au c) sont effectuées par les praticiens en dehors de toute institution hospitalière dans le cadre de leurs cabinets professionnels.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 216358

SOCIETE CLINIQUE ARMAND BRILLARD

M. Bereyziat
Rapporteur

M. Bachelier
Commissaire du gouvernement

Séance du 27 novembre 2002
Lecture du 30 décembre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 3ème et 8ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 janvier et 20 avril 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SOCIETE CLINIQUE ARMAND BRILLARD, dont le siège est 3-5 avenue Watteau à Nogent-sur-Marne (94130), représentée par M. Yvon Le Taillander, agissant en qualité d’administrateur au redressement judiciaire de cette société ; la SOCIETE CLINIQUE ARMAND BRILLARD demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 28 octobre 1999 rejetant sa requête tendant à l’annulation du jugement du 4 juillet 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté, d’une part, sa demande en décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités y afférentes qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 1984 au 31 août 1988 par avis de mise en recouvrement du 22 juillet 1991 et, d’autre part, sa demande de restitution de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée au titre de la période du 1er janvier 1984 au 31 décembre 1988 ;

2°) de lui accorder la décharge et la restitution des impositions litigieuses ;

3°) de condamner l’Etat au paiement d’une somme de TS 000 F en application de l’article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991, repris à l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la 6ème directive du 17 mai 1977 du Conseil des communautés européennes relative à l’harmonisation des régimes de taxe sur le chiffre d’affaires ;

Vu la loi n° 78-240 du 29 décembre 1978 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bereyziat, Auditeur,
- les observations de Me Jacoupy, avocat de la SOCIETE CLINIQUE ARMAND BRILLARD et de M. Le Taillander,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE CLINIQUE ARMAND BRILLARD, qui exploitait un établissement de soins privé à Nogent-sur-Marne, a estimé pouvoir bénéficier, avant le 1er janvier 1988, et sur le fondement du second alinéa de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée sur les recettes qu’elle avait perçues à raison des soins prodigués à ses patients ; qu’en conséquence elle s’est abstenue de porter sur ses déclarations de chiffre d’affaires la part des forfaits journaliers afférente aux prestations de soins pour la période du 1er septembre 1986 au 31 décembre 1987 ; qu’elle a également déduit, dans ses déclarations de mars et novembre 1987, les taxes qu’elle avait spontanément acquittées au titre de la période du 1er janvier 1984 au 31 août 1986 ; que l’administration a procédé, en tenant compte du crédit de taxe dont disposait la société au 31 août 1988, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à l’imposition des recettes non déclarées et à la reprise des taxes qui avaient fait l’objet d’une imputation en 1987 ; que la société demande l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel qui, confirmant le jugement du tribunal administratif, a rejeté sa requête en décharge des rappels de taxe qui lui ont été réclamés ;

Sur la régularité de la procédure d’imposition :

Considérant qu’en jugeant que la notification de redressements du 10 février 1989 adressée à la requérante était suffisamment motivée, la cour s’est livrée, sans dénaturer les pièces du dossier ni commettre d’erreur de droit dans l’application de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales, à une appréciation souveraine qui ne peut être utilement contestée devant le juge de cassation ;

Sur le principe de l’imposition :

Considérant qu’aux termes du § 1 du A de l’article 13 de la sixième directive du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977 susvisée : "1. (...) Les Etats membres exonèrent, dans les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuel : (...) b) l’hospitalisation et les soins médicaux ainsi que les opérations qui leur sont étroitement liées, assurés par des organismes de droit public ou, dans des conditions sociales comparables à celles qui valent pour ces derniers, par des établissements hospitaliers, des centres de soins médicaux et de diagnostic et d’autres établissements de même nature dûment reconnus ; c) les prestations de soins à la personne, effectuées dans le cadre de l’exercice des professions médicales et paramédicales telles qu’elles sont définies par l’Etat membre concerné" ; qu’aux termes du a) du § 2 du même article : "Les Etats membres peuvent subordonner, cas par cas, l’octroi, à des organismes autres que ceux de droit public, de chacune des exonérations prévues au § 1 sous b), g), h), i), 1), m) et n) au respect de l’une ou plusieurs des conditions suivantes : - les organismes en question ne doivent pas avoir pour but la recherche systématique du profit, les bénéfices éventuels ne devant jamais être distribués mais devant être affectés au maintien ou à l’amélioration des prestations fournies, -ils doivent être gérés et administrés à titre essentiellement bénévole par des personnes n’ayant, par elles-mêmes ou par personnes interposées, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l’exploitation (...)" ; qu’il résulte clairement de ces dispositions que, d’une part, les prestations d’hospitalisation et de soins médicaux dont l’exonération est prévue au b) sont fournies dans des organismes hospitaliers de droit public ou dans des établissements privés exerçant une activité hospitalière dans des conditions sociales comparables et que, d’autre part, les prestations de soins médicaux mentionnées au c) sont effectuées par les praticiens en dehors de toute institution hospitalière dans le cadre de leurs cabinets professionnels ;

Sur la portée du code général des impôts :

Considérant, en premier lieu, qu’en jugeant que les dispositions de l’article 261-4-1° du code général des impôts qui, dans leur rédaction issue de l’article 31 de la loi n° 78-240 du 29 décembre 1978, lui-même adopté pour rendre la législation nationale conforme aux objectifs poursuivis par la sixième directive du Conseil des communautés européennes du 17 mai 1977 susvisée, exonèrent de taxe sur la valeur ajoutée "les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales", ne sont pas applicables aux soins dispensés aux personnes hébergées dans les établissements de soins privés à caractère lucratif, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des termes clairs de l’article 13 A 1 b) que ces dispositions concernent des prestations comprenant un ensemble de soins médicaux effectuées normalement sans but lucratif dans des établissements d’hospitalisation qui poursuivent des finalités sociales ; que la circonstance que le législateur français n’a pas fait application de la faculté, qui lui est ouverte par l’article 13 A 2 a), de subordonner au cas par cas à une ou plusieurs conditions qui y sont énumérées l’exonération prévue à l’article 13 A 1 b) en faveur d’établissements hospitaliers autres que ceux de droit public, n’a pas pour effet, contrairement à ce que soutient la requérante, de rendre applicable le régime d’exonération prévu par l’article 13 A 1 b) aux établissements de soins de droit privé qui exercent leurs activités dans un but lucratif ; que, dès lors, en écartant le moyen tiré de ce que les objectifs poursuivis par ladite directive faisaient obstacle à ce que les recettes perçues au cours des périodes litigieuses à raison des soins prodigués à ses patients par la SOCIETE CLINIQUE ARMAND BRILLARD, organisme de droit privé à but lucratif, soient assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ;

Sur la portée de la doctrine administrative :

Considérant qu’aux termes du second alinéa de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales : "Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportées à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun redressement en soutenant une interprétation différente" ;

Considérant que la société se prévaut de plusieurs prises de position formelles par lesquelles l’administration a admis d’exonérer les prestations de soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales exerçant dans les établissements d’hospitalisation privés à la condition que les recettes afférentes à ces soins soient distinguées des autres recettes dans la comptabilité ;

Considérant, en premier lieu, que pour soutenir que c’est à tort que la cour lui a refusé le bénéfice de ces dispositions pour le motif qu’elle ne justifiait pas avoir satisfait à la prescription comptable qui y est énoncée, la SOCIETE CLINIQUE ARMAND BRILLARD fait valoir que les dispositions en cause doivent être regardées comme une transposition de l’objectif d’exonération des établissements hospitaliers privés poursuivi par le b) du § 1 du A de l’article 13 de la sixième directive, et que la condition mise à cette exonération n’est pas prévue par ladite directive et n’est dès lors pas compatible avec celle-ci ; que cependant les prises de position de l’administration fiscale ne peuvent être regardées comme des modalités de transposition de la sixième directive ; que la requérante n’est dès lors pas fondée à soutenir qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour a méconnu un principe général du droit communautaire qui ferait obstacle à ce qu’un contribuable soit légalement assujetti à une imposition à la taxe sur la valeur ajoutée que, par une pratique constante et conforme aux objectifs poursuivis par la législation communautaire, les autorités fiscales se seraient abstenues d’établir ;

Considérant, en second lieu, qu’il appartient au contribuable qui entend invoquer une interprétation formelle de la loi exprimée par l’administration, de justifier remplir les conditions auxquelles le bénéfice de cette interprétation est subordonné ; qu’en jugeant que la société ne fournissait aucune précision sur celles des recettes qu’elle avait perçues qui correspondraient à des soins de la nature de ceux visés par l’interprétation administrative qu’elle invoquait, la cour s’est bornée à rechercher, comme elle y était tenue, si les conditions posées par l’interprétation de l’administration invoquée par la requérante étaient remplies ; qu’ainsi elle n’a commis aucune erreur de droit dans l’application de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales ; qu’elle s’est, par ailleurs, livrée à une appréciation souveraine des faits qui n’est entachée d’aucune dénaturation ;

Considérant, en dernier lieu, que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en écartant comme inopérant le moyen tiré de l’illégalité alléguée d’une lettre que l’administration fiscale a adressée le 26 octobre 1987, sur le formulaire n° 751, à de nombreux établissements de soins privés, dès lors que les redressements litigieux n’étaient pas fondés sur cette lettre ;

Sur le taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable :

Considérant qu’aux termes de l’article 279 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en l’espèce : "La taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux réduit de 7 % en ce qui concerne : a) les prestations relatives à la fourniture de logement et aux trois quarts du prix de pension ou de demi-pension dans les établissements d’hébergement autres que les hôtels de tourisme de catégorie 4 étoiles et 4 étoiles de luxe et les relais de tourisme de catégorie 4 étoiles" ; qu’en jugeant que l’opération par laquelle l’établissement de soins met à la disposition de ses patients des chambres individuelles au cours de leur hospitalisation est indissociable des prestations de soins qu’il leur prodigue et ne peut être assimilée à une fourniture de logement entrant dans les prévisions de l’article 279 précité, la cour a donné une exacte qualification juridique aux faits de l’espèce ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SOCIETE CLINIQUE ARMAND BRILLARD n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant que les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la SOCIETE CLINIQUE ARMAND BRILLARD la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SOCIETE CLINIQUE ARMAND BRILLARD est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE CLINIQUE ARMAND BRILLARD et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

 


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