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Tribunal Administratif de Marseille, 11 janvier 2000, M. LEBON et ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES et autres

Une commune ne peut légalement apporter son soutien ni octroyer de subvention à une association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes moeurs ou à l’ordre public ; que, par ailleurs, si une association régie par la loi du 1er juillet 1901, personne morale de droit privé, n’est pas, sauf lorsqu’elle gère une activité de service public, tenue de respecter le principe d’égalité dans les mêmes conditions qu’une personne publique, elle ne peut néanmoins pratiquer des discriminations contraires à la loi

Vu, 1°, la requête, enregistrée le 23 juin 1998 sous le n°9804408, présentée pour M. Denis LEBON, et pour l’ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES, par Me Benoît CANDON, avocat  ; M. LEBON et l’ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES demandent que le Tribunal  :

1°) annule pour excès de pouvoir la délibération n°98.178 en date du 23 avril 1998 par laquelle le conseil municipal de Vitrolles a alloué une subvention de 20 000 F à l’association Fraternité française ;

2°) enjoigne à la commune de Vitrolles de demander à l’association Fraternité française la restitution de la subvention de 20 000 F octroyée illégalement, dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 F par jour de retard ;

3°) condamne la commune de Vitrolles à leur verser une somme de 3 000 F au titre de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu, 2°, la requête, enregistrée le 5 janvier 1999 sous le n°9901083, présentée pour l’ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES, pour Mme Annie MORVAN, pour Mme Simone BESSADE, pour Mme Paquerette VILLIEN, pour M. Denis LEBON, pour Mme Maria PENA-PAJON, pour Mme Nathalie JULIEN BLOT, par Me Benoît CANDON, avocat ; l’ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES et autres demandent que le Tribunal :

1°) annule pour excès de pouvoir la décision n°98-431 du maire de Vitrolles, portée à la connaissance du Conseil municipal lors de sa séance du 6 novembre 1998, "accordant un bail de location à l’association Fraternité française pour un loyer annuel d’un franc symbolique non révisable, pour une durée de douze ans, et prenant en charge les frais de fourniture et de consommation d’eau, d’électricité et de chauffage, en imputant les recettes et dépenses au budget de fonctionnement de la commune, ainsi que tout autre avantage consenti par ladite décision à ladite association qui n’apparaîtrait pas au compte-rendu du conseil municipal du 6 novembre 1998" ;

2°) enjoigne à la commune de Vitrolles de résilier le bail et de demander à l’association Fraternité française la restitution du local illégalement octroyé, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 F par jour de retard ;

3°) condamne la commune de Vitrolles à leur verser une somme de 3 000 F au titre de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu, 3°, la requête enregistrée le 4 mai 1999 sous le n°9903495, présentée pour l’ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES et pour M. Denis LEBON par Me Benoît CANDON, avocat ; l’ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES et M. LEBON demandent que le Tribunal ;

1°) annule pour excès de pouvoir la délibération n°99.88 en date du 25 mars 1999 par laquelle le conseil municipal de Vitrolles a alloué une subvention de 20 000 F à l’association Fraternité française ;

2°) enjoigne à la commune de Vitrolles, d’une part, de demander à l’association Fraternité française la restitution de la subvention de 20 000 F octroyée illégalement, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 F par jour de retard et, d’autre part, de cesser toute forme de soutien à l’association Fraternité française ;

3°) condamne la commune de Vitrolles à leur verser une somme de 3 000 F au titre de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Vu l’ordonnance portant clôture de l’instruction au 30 octobre 1999 et en vertu de laquelle, en application de l’article R.156 du code des tribunaux administratif et des cours administratives d’appel, les mémoires produits après cette date n’ont pas à être examinée par le Tribunal ;

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales  ;

Vu le code pénal  ;

Vu la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel

Considérant que la requête susvisée n°9804408 présentée pour M. LEBON et pour l’ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES, la requête susvisée n°9901083 présentée pour l’ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES et autres, et la requête susvisée n°9903495 présentée pour l’ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES et pour M. LEBON présentent à juger les mêmes questions et ont fait l’objet d’une instruction commune  ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement ;

Considérant que les désistements de Mme BESSADE, de M. LEBON, de Melle PENA-PAJON et de Mme JULIEN BLOT dans l’instance n°9901083 sont purs et simples ; que rien ne s’oppose à ce qu’il en soit donné acte ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par la commune de Vitrolles  :

Considérant que, par les deux délibérations attaquées en date des 23 avril 1998 et 25 mars 1999, le conseil municipal de Vitrolles a décidé d’allouer à l’association Fraternité française deux subventions d’un montant de 20 000 F pour les années 1998 et 1999 ; que le maire de Vitrolles a, par décision n°98.431 prise par délégation du conseil municipal en application de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales et portée à la connaissance du conseil municipal le 6
novembre 1998, décidé de passer un bail avec l’association Fraternité française, de fixer le montant, non révisable, du loyer annuel au franc symbolique, de fixer la durée du contrat à douze ans, et de prendre en charge les frais de fourniture et de consommation d’eau, d’électricité et de chauffage en imputant les recettes et dépenses an budget de fonctionnement de la commune  ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. LEBON, dans les instances n°9804409 et n°9903495, d’une part, et Mme MORVAN et Mme VILLIEN, dans l’instance n°9901083, d’autre part, sont contribuables de la commune de Vitrolles ; qu’il sont donc recevables, en cette qualité, à demander l’annulation, d’une part, des délibérations en date des 23 avril 1998 et 25 mars 1999 par lesquelles le conseil municipal de Vitrolles a octroyé ces subventions et, d’autre part, de la décision n°98.431 par laquelle le maire a renoncé à la perception par la commune de recettes de la part de l’association Fraternité française ;

Considérant qu’aux termes de l’article 2 des statuts de l’association RAS L’FRONT VITROLLES : "Cette association a pour but d’étudier les causes et les conséquences de la progression de toutes les idées d’exclusion, d’intolérance, de racisme, de sexisme, de fascisme et d’agir de toutes les façons possibles pour enrayer cette progression"  ; que l’association RAS L’FRONT VITROLLES justifie ainsi d’un intérêt pour agir contre les décisions attaquées ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des requêtes  :

Considérant qu’aux termes de l’article 2 des statuts de l’association Fraternité française qui ont été déposés le 18 janvier 1996 en préfecture d’Isère : " L’association Fraternité française a pour but d’organiser, toute action de bienfaisance visant à venir en aide sur les plans moral, juridique, culturel, social, médical, matériel et alimentaire aux citoyennes et citoyens français déshérités ou dans le besoin " et qu’aux termes de l’article 2 des statuts de l’association Fraternité française - Délégation de Vitrolles, qui ont été déposés le 27 février 1998 en sous-préfecture d’Istres : " L’association Fraternité française a pour but  : d’organiser toute action de bienfaisance visant à venir en aide sur les plans moral, juridique, culturel, médical [aux] citoyens deshérités ou dans le besoin ... " ; que le siège local de l’association Fraternité française est situé à Vitrolles, et son siège national à Grenoble, siège de l’association homonyme ; que l’association Fraternité française
- Délégation de Vitrolles se présente en outre comme une délégation subordonnée de l’association Fraternité française située à Grenoble ; que, dans ces conditions, l’association Fraternité française - Délégation de Vitrolles doit être regardée comme ayant faite sienne la distinction pratiquée entre Français et étrangers, alors même qu’elle n’a pas été expressément prévue par les statuts ;
 

Considérant qu’une commune ne peut légalement apporter son soutien ni octroyer de subvention à une association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes moeurs ou à l’ordre public ; que, par ailleurs, si une association régie par la loi du 1er juillet 1901, personne morale de droit privé, n’est pas, sauf lorsqu’elle gère une activité de service public, tenue de respecter le principe d’égalité dans les mêmes conditions qu’une personne publique, elle ne peut néanmoins pratiquer des discriminations contraires à la loi ;

Considérant qu’aux termes de l’article 225-1 du code pénal  : "Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison ... de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposées à ... une nation ... déterminée ... " et qu’aux termes de l’article 225-2 du même code : "La discrimination définie à l’article 225- 1, commise à l’égard d’une personne physique on morale, est punie de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 F d’amende lorsqu’elle consiste . 1°) à refuser la fourniture d’un bien ou d’un service ;... 4°) à subordonner la fourniture d’un bien on d’un service à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ., " ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la distinction entre Français et étrangers pratiquée par l’association Fraternité française dans son action de bienfaisance présente le caractère d’une discrimination contraire a la loi ; que par suite, la commune de Vitrolles ne pouvait légalement ni mettre un local à sa disposition à titre gratuit ni lui allouer deux subventions de fonctionnement d’un montant de 20 000 F pour les années 1998 et 1999 ; que, dès lors, la décision n°98.431 du maire doit être annulée ; que les délibérations du conseil municipal en date des 23 avril 1998 et 25 mars 1999 sont également, dans cette mesure, entachées d’excès de pouvoir et doivent être annulées, en tant qu’elles allouent les subventions litigieuses à l’association Fraternité française ;

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel : "Lorsqu’un jugement ... implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ... prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, le tribunal administratif ... , saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure, assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution, par le même jugement ... " et qu’aux termes de l’article L. 8-3 : "Saisi de conclusions, en ce sens, le tribunal ... peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application de l’article L. 8-2 d’une astreinte qu’il prononce dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l’article L. 8-4 et dont il fixe la date d’effet" ;

Considérant que, l’interdiction de toute forme de soutien à l’association Fraternité française ne peut pas être regardée comme la conséquence nécessaire de l’annulation des décisions attaquées au sens des dispositions précitées de l’article L. 8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ; qu’en revanche, l’exécution du présent jugement implique nécessairement que la commune de Vitrolles, d’une part, fasse restituer par l’association Fraternité française qui en a été bénéficiaire, le montant des subventions de 20 000 F qui lui ont été versées pour les années 1998 et 1999 et, d’autre part, résilie le contrat de location conclu avec cette association et fasse procéder au remboursement par celle-ci des sommes correspondant au montant des consommations d’eau, de chauffage et d’électricité que la commune a exposées pour son compte au titre du local qu’elle a mis gratuitement à la disposition de ladite association ; qu’il y a lieu d’enjoindre à cette collectivité de prendre une décision en ce sens dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement ; qu’en outre, il y a lieu, compte tenu des circonstances de l’affaire, de prononcer contre la commune de Vitrolles, a défaut pour elle de justifier de l’exécution de la présente décision dans le délai imparti, une astreinte de 500 F par jour jusqu’à la date à laquelle le présent jugement aura reçu exécution ;

Sur l’application de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner la commune de Vitrolles à payer à M. LEBON, à L’ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES, à Mme MORVAN et à Mme VILLIEN une somme globale de 5 000 F au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, le Tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l’autre partie des frais qu’elle a exposés à l’occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la commune de Vitrolles doivent dès lors être rejetées  ;

D E C I D E :

Article 1er  : Il est donné acte des désistements de Mme BESSADE, de M. LEBON, de Mlle PENA-PAJON et de Mme JULIEN BLOT de la requête n°9901083

Article 2  : La décision n°98.431 du maire de Vitrolles est annulée. Les délibérations du conseil municipal de Vitrolles n°98.178 du 23 avril 1998 et n°99.88 du 25 mars 1999 sont annulées en tant qu’elles décident d’allouer à l’association Fraternité française deux subventions de 20 000 F pour les années 1998 et 1999.

Article 3  : Il est enjoint à la commune de Vitrolles, d’une part, de résilier le contrat de bail conclu avec l’association Fraternité française et de faire procéder au remboursement par celle-ci des sommes correspondant au montant des consommations d’eau, de chauffage et d’électricité que la commune a exposées pour son compte au titre du local mis gratuitement à la disposition de ladite association, et, d’autre part, de faire restituer par l’association Fraternité française qui en a été bénéficiaire le montant des subventions de 20 000 F qui lui ont été versées pour les années 1998 et 1999, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 4  : Une astreinte est prononcée à l’encontre de la commune de Vitrolles si elle ne justifie pas de l’exécution du présent jugement dans le délai indiqué à l’article 3 ci-dessus. Le taux de l’astreinte est fixé à 500 F par jour à compter de l’expiration de ce délai.

Article 5  : La commune de Vitrolles versera à M. LEBON, à l’ASSOCIATION RAS L’FRONT VITROLLES, à Mme MORVAN et Mme VILLIEN une somme de 5 000 F au titre de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

Article 6  : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 7  : Les conclusions de la commune de Vitrolles tendant à la condamnation des requérants au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

 


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