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Vers un nouveau principe général du droit : Le respect du « principe de précaution » ?

Par Zia OLOUMI
Docteur en droit Avocat à la Cour au Barreau de Paris

L’étude conduit à mieux cerner le principe de précaution en tant que principe général du droit de l’environnement avant de l’analyser au regard de toute l’actualité de la théorie des principes généraux du droit et de ses traces dans la jurisprudence. Enfin, à travers l’étude de ses bienfaits et de ses risques, sera vu qu’une telle extension comporte un changement de mentalité non négligeable.

« Y a-t-il un progrès du droit ? ». Question pertinente que tout juriste se pose dès l’apparition d’un nouveau concept juridique. C’est ainsi, en cette fin de siècle, de la « précaution », vulgarisée de nos jours, érigée en principe moral, devenant même pour certains auteurs, un véritable « standard juridique » [1]. Le principe de précaution semblant devenir le nouveau principe de la société post-moderne [2].

Nous savons que le progrès du droit est fragile. Reflet de la conscience collective, le droit est voué à se transformer au gré des évolutions [3]. En France, et surtout ces quarante dernières années, il a pris une importance toujours plus grande dans la vie sociale, résultat d’une vraie « passion du droit » [4]. Les évolutions récentes conduisent à une remise en cause des fondements mêmes de l’exception française de l’existence de deux ordres juridictionnels. L’organisation sociale actuelle, l’affaiblissement de la figure de l’Etat, l’importance des objets techniques, le phénomène de la « mondialisation », la recherche de la « sécurité-à-tout-va », etc. opèrent une énorme pression sur les mécanismes juridiques en place [5] . Nous sommes entrés dans l’âge du risque (ou de l’assurance tous risques), qui est aussi celui de la « victimisation » (recherche désespérée de la réparation et de coupables [6]), de la « judiciarisation (société contentieuse) » à l’américaine et de la « civilisation de sécurité » [7].

Dans ce climat, on assiste à la crise, du moins à la transformation, de la régulation juridique [8] et politique [9], qu’exprime l’émergence de ce qu’on qualifie de droit « post-moderne » [10]. Même si le thème de la « post-modernité » est porteur d’une « extraordinaire confusion » [11], la pensée « post-moderne » gagne tous les champs de l’analyse : philosophique, sociologique et aussi juridique [12].

Dans un monde où le risque d’entreprise et l’audace sont toujours les moteurs de l’action, la référence à un principe de précaution paraît difficilement acceptable. Mais, face aux nouvelles transformations de la société post-Moderne, le principe de précaution trouve un terrain favorable de développement. En cela, le principe pourrait ressembler à la « vertu de la prudence » [13] des Anciens à laquelle les Modernes (XVIIe - XVIIIe s.) [14] avaient substitué la certitude de la science et de l’expérimentation. La prudence des Anciens était une « véritable vertu (dispositions visant au meilleur) active ». La « précaution » serait-elle cette « prudence moderne » [15] ? Le champ de la prudence est l’action. La précaution conviendrait-elle mieux à notre temps caractérisé par l’incertitude ? Pour les Modernes la science permet à l’homme de se défaire de la nature et de progresser dans la certitude. L’incertitude qui caractérise les sociétés occidentales donne pourtant raison à Michel Villey qui estimait à juste titre que « les Modernes ont corrompu le droit en le confondant avec la morale » [16]. Si le monde Moderne était caractérisé par l’abandon de toute réflexion sur les fins (mais uniquement sur les moyens), la société post-Moderne a besoin de comprendre et d’accepter les fins qui justifient les moyens. Aussi, l’apparition du concept de précaution peut se justifier du fait de l’absence dans notre droit d’une morale de la prudence.

Devant cette nécessité d’éviter de prendre des risques inutiles, c’est au juge qu’est revenu le soin d’opérer la liaison entre le droit et la morale [17]. La théorie des principes généraux du droit permet justement d’adapter sans cesse le droit aux « nécessités du temps » [18]. Naturellement donc, la précaution fait lentement son apparition dans le champ juridique. Principe d’ordre moral et politique, la précaution retrouve un nouveau souffle depuis une décision récente de la Haute juridiction administrative française. Dans un récent arrêt, qui a défrayé la chronique [19], le Conseil d’Etat, saisi au contentieux, dans l’affaire du « maïs transgénique » [20], fait, pour la première fois, une référence directe au « principe de précaution ». Cette « affaire » emblématique de la crainte de dérives suscitées par les progrès scientifiques et de toute la complexité du problème d’un point de vue strictement juridique [21], a une importance dans la mise en place progressive d’un nouveau principe général de droit. Il est vrai que cette référence directe est faite à l’occasion d’une demande de sursis à exécution [22] et n’a pas été confirmée par le Conseil dans sa décision postérieure prise quant au fond de l’affaire [23]. Le Conseil y a néanmoins vu une violation du principe de précaution [24]. Il n’en demeure pas moins que ce faisant, la Haute juridiction a franchi une nouvelle étape dans la reconnaissance d’un nouveau principe général de droit. Un principe qui devrait fixer les limites ou les fondements de la prise de décision et de l’action dans un environnement où règne l’incertitude.

Depuis la loi n°95-101 du 2 février 1995 dite « Barnier », le principe de précaution est reconnu comme un principe général du droit de l’environnement. Dans ses conclusions relatives à l’affaire du maïs transgénique [25], le commissaire du Gouvernement M. Stahl, demandait au Conseil de se prononcer sur le caractère normatif de l’art. 200-1 du Code rural, « article liminaire, fronton déclaratif de la loi », qui énonce le principe de précaution. Or précisément, et contre l’avis de son commissaire du Gouvernement, le Conseil d’Etat donne au principe un caractère d’invocabilité directe en l’acceptant comme « moyen sérieux de nature à justifier l’annulation de l’acte ». En effet, l’attitude du Conseil d’Etat laisse le commentateur perplexe sur la clarté des réponses juridiques face aux progrès scientifiques. En poussant plus loin notre raisonnement, il s’agit de savoir si l’on assiste au vu de l’évolution jurisprudentielle communautaire et nationale, à la naissance d’un nouveau « principe général de droit » pouvant dicter la conduite des acteurs économiques et sociaux et d’une référence pour le juge afin de contrôler l’action de ces derniers [26].

Cette interrogation, pour légitime qu’elle soit, nous conduira à mieux cerner le principe de précaution en tant que principe général du droit de l’environnement (I) avant de l’analyser au regard de toute l’actualité de la théorie des principes généraux du droit et de ses traces dans la jurisprudence (II). Nous verrons enfin, à travers l’étude de ses bienfaits et de ses risques, qu’une telle extension comporte un changement de mentalité non négligeable (III).

I.- Le « principe de précaution », un principe général du droit de l’environnement

Un accord existe pour qualifier le principe de précaution de principe de droit de l’environnement. Mais, peut-être du fait de sa définition imprécise (A), il reste un principe essentiellement politique à portée juridique restreinte (B).

A.- Un concept nouveau aux contours imprécis

Si on se réfère au dictionnaire (Le Petit Robert), la précaution serait « une disposition prise pour éviter un mal ou en atténuer l’effet ». Il ne connaît pourtant pas encore le principe de précaution. Selon M. Lascoumes, la notion de précaution connaît des définitions variables que plusieurs formulations juridiques se sont efforcées de stabiliser [27]. Un autre spécialiste, mais économiste, M. Mondello, complète cet avertissement et en donne une première explication : « définir la notion de précaution semble hasardeux tant les domaines concernés sont nombreux » [28]. Un juriste spécialiste de la question, le Professeur Gilles Martin, en donne une définition encore plus étendue lorsqu’il écrit : « La précaution consiste à aller plus loin (que la prévention), en multipliant, au-delà de ce que la probabilité rend nécessaire, les mesures de protection à l’encontre de risques qui ne sont même pas probabilisables » [29].

Le Rapport public 1998 du Conseil d’Etat quant à lui, définit ce « nouveau concept » comme « l’obligation pesant sur le décideur public et privé de s’astreindre à une action ou de s’y refuser en fonction du risque possible. Dans ce sens, il ne lui suffit pas de conformer sa conduite à la prise en compte des risques connus. Il doit, en outre, apporter la preuve, compte tenu de l’état actuel de la science, de l’absence de risque » [30].

Précisons que la notion de risque correspond à la caractérisation d’un danger auquel est associée la probabilité qu’il se concrétise. Or il convient de souligner que le risque zéro relève de l’utopie et que, sans un minimum de risques il devient impossible d’agir. Ainsi, la notion même de progrès ne peut se passer de celle de « prise de risque ». L’approche de la prévention impose d’évaluer le risque pour le minimiser et pour le rendre acceptable.

L’usage de la notion de précaution s’est banalisé en quelques années pour caractériser des « comportements de prudence liés aux situations de forte incertitude scientifique ou technique » [31]. L’approche de précaution est issue de la notion de dommages non décelables immédiatement, mais où l’absence de préjudice évident ne signifiait pas absence de risques. Cette notion apparue récemment en droit, incite à penser le dommage sur le long terme. Il faut désormais anticiper le risque.

Dès lors, le principe de précaution doit être distingué des notions voisines. Ainsi par exemple, la précaution se distingue de la « prévoyance », notion inventée au XIXe siècle et liée à la notion de sort, de chance et de malchance. Il s’agissait d’intégrer l’avenir dans le présent, mais à l’échelle individuelle. Elle se distingue aussi de la « prévention », c’est-à-dire la prise de mesures nécessaires à la non-survenance d’événements prévisibles [32]. Alors que la prévoyance était contemporaine d’une ignorance des aléas de l’existence, la prévention se développe sur les certitudes de la science. La « précaution » concerne au contraire des risques, même s’ils ne sont pas encore probabilisables [33]. Le décideur est donc confronté aux risques de l’incertain [34]. Ainsi, la prévention, justifiée par l’intérêt général, conduit à la prise de mesures nécessaires à la non survenance d’événements prévisibles [35], alors que la précaution, elle, nécessite l’incertitude et inspire l’intérêt général. C’est donc abusivement que la notion de précaution est utilisée dans des contextes où il n’y a pas d’incertitude, mais absence de prise en compte de risques connus ou relativement cernables [36]. La base de la précaution est donc l’absence de connaissance du risque et se distingue des comportements d’imprudence par refus de prise en compte des informations disponibles sur les dommages susceptibles d’être créés.

Le principe de précaution est dès lors plus exigeant que la prévention. Il impose non seulement de ne pas agir en cas de risque avérés ou probables mais aussi de prendre des mesures positives pour éviter la survenance d’un risque probable. En conséquence, « l’incertitude n’exonère pas la responsabilité, elle la renforce en créant un devoir de prudence » [37].

Le devoir de précaution se distingue aussi de la simple obligation de prudence ou de diligence qui caractérise l’obligation de moyen. En effet, ce principe (« due diligence » en anglais) est conforme aux règles classiques de la responsabilité en matière environnementale. La preuve du manquement à l’obligation de vigilance devant être rapportée par la victime. Le devoir général de prudence marque depuis longtemps le droit civil de la responsabilité et aussi les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité pour faute de l’administration [38].

Avec le principe de précaution, au contraire, il ne s’agit plus de se contenter de prendre les mesures nécessaires pour parer à un danger potentiel, il faut se prémunir, comme on l’a déjà précisé, contre le risque imprévisible. Ainsi, d’une simple obligation de moyen on passe à une obligation de moyen renforcée plus proche de l’obligation de résultat [39]. De même, la charge de la preuve est désormais renversée, puisque si l’ensemble des précautions avait été pris, le dommage ne se serait dès lors pas produit. Le principe de précaution ferait donc disparaître le dommage comme base du risque.

B.- Un principe d’ordre moral et d’orientation politique

Certains auteurs dénient au principe de précaution tout caractère juridique du fait notamment du caractère déclaratoire des textes qui s’y référent. Ainsi, pour M. Godard, le principe ne serait « qu’un principe moral et politique inscrit dans différents textes de droit international et interne » sans pour autant jouir du statut juridique « qu’il n’a pas et n’est pas en mesure d’avoir ». Selon cet auteur, l’idée même de principe évoquerait « une définition précise et au contenu dépourvu d’ambiguïté » [40].

Il est vrai que la lecture des textes nationaux et internationaux qui font références au principe de précaution peut militer en faveur de la thèse du caractère non obligatoire du principe, tout au plus peut-on le qualifier de « standard de jugement », c’est-à-dire « une norme qui a besoin d’être complétée par des informations extérieures au droit pour pouvoir produire des effets juridiques » [41].

Si le principe de précaution paraît d’abord dans quelques législations nationales dès les années 1970, notamment dans la législation allemande qui le baptise « Vorsorgeprinzip » [42], son succès vient de son insertion dans des textes internationaux. En effet, le principe de précaution quant à son élaboration et sa reconnaissance, trouve sa source dans le droit international [43] avant d’être introduit dans le droit interne français.

Au niveau international, certains textes affirment le principe sans en donner une définition précise. Ainsi, le Traité de Maastricht reprenant l’art. 130 R de l’Acte unique européen [44], prévoit entre autre, que « la politique de la Communauté est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive … » [45]. Ces engagements prévus pour la Communauté valent également pour les Etats membres qui doivent les traduire en droit interne, obligation prévue à d’autres niveaux. La Cour de Justice de la Communauté Européenne (CJCE) a déjà eu l’occasion de rappeler que « l’article 130 R du traité se borne à définir les objectifs généraux de la Communauté en matière d’environnement » [46]. Le soin de décider de l’action à entreprendre est confié au Conseil par l’article 130 S du traité. Plus récemment, la CJCE a suivi l’avocat général qui affirmait : « Il ne peut donc être déduit de ce texte, selon nous, que la politique de la Communauté en matière de protection de l’environnement est encadrée par des limites précises devant être strictement respectées puisqu’elle a seulement pour mission de ’contribuer à la poursuite’ d’objectifs énoncés en termes généraux » [47]. Plus qu’une obligation, il s’agirait donc d’une recommandation adressée au législateur communautaire, aux termes de laquelle il lui est demandé de veiller à améliorer constamment la politique déjà menée.

Mais l’affirmation du principe est parfois suivie d’une définition plus claire dans d’autres textes internationaux. Ainsi, le principe 15 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de juin 1992 affirme : « Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités ». La Déclaration définit le principe de précaution comme : « en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement » [48].

Ces références au principe de précaution restent imprécises et n’emportent pas une quelconque obligation juridique et justifient son caractère programmatoire, essentiellement moral et politique. Il n’y aurait donc pas soumission au principe mais simple référence.

Dans ce sens et au niveau international, l’Organe d’appel de l’Organisation Mondiale du Commerce, statuant sur les mesures prises par la Communauté européenne concernant la viande aux hormones, s’est simplement borné à constater que le principe de précaution demeurait, en droit international de l’environnement, un sujet de débat, estimant qu’il « est superflu et probablement imprudent » pour lui de prendre parti dans cette affaire sur cette « question importante mais abstraite » [49]. La Communauté européenne avait soutenu que le principe de précaution était une « règle coutumière générale du droit international ou du moins un principe de droit général », qui par essence ne s’applique pas seulement à la gestion du risque mais aussi à son évaluation (point 16 du rapport). Les Etats-Unis au contraire, considéraient qu’il s’agit davantage d’une « approche » que d’un « principe » (point 121 du rapport), alors que le Canada avait certes affirmé l’absence à ce jour de portée juridique du principe, mais reconnaissait que le « concept » est un « principe de droit naissant » qui pourrait à l’avenir devenir l’un des « principes généraux de droit reconnu par les nations civilisées ». L’organe d’appel, dans une section intitulé « VI. La pertinence du principe de précaution ... » a conclu cependant que le principe, du moins en dehors du droit international de l’environnement, « n’a pas encore fait l’objet d’une formulation faisant autorité ».

La traduction française du principe se trouve dans la loi du 2 février 1995 [50], dite « loi Barnier » qui, dans son article 1er, donne une définition assez proche de celle de la Déclaration de Rio en la limitant cependant : « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversible à l’environnement à un coût économiquement acceptable » [51]. Pour le commissaire du Gouvernement dans l’affaire du maïs transgénique, cette inscription législative de 1995 est « une résurgence, en droit interne, d’un principe essentiellement politique qui s’affirmait en matière d’environnement depuis la seconde moitié des années 1980 » [52]. En effet, une interprétation restrictive de l’article L 200-1 du Code rural peut conduire à cette conclusion [53]. Cet article énonce que les politiques de l’environnement « s’inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants… ». Le Conseil d’Etat avait déjà considéré que des normes supérieures posant des principes en des termes trop généraux ne peuvent recevoir une traduction juridique aussi longtemps qu’une loi particulière n’est pas venue en préciser les modalités de mise en œuvre [54]. Ainsi, en intégrant des éléments d’appréciation économiques et en posant la proportionnalité de l’action, la loi tempérerait, semble-t-il, le caractère impératif de l’action. M. Stahl, relève encore que le fait pour l’article de renvoyer à des lois pour définir la portée des principes énoncés [55] peut légitimement conduire à leur dénier tout caractère d’invocabilité directe et rejette le caractère normatif du principe. Il nous semble pourtant que la vision de M. Stahl occulte la formulation de l’article L 200-2 du Code Rural, qui dispose : « Il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l’environnement. Les personnes publiques et privées doivent, dans toutes leurs activités, se conformer aux mêmes exigences ».

Le principe de précaution ne s’incarnerait ainsi pas dans des textes obligatoires [56]. M. Godard, souligne qu’il « ne peut pas donner corps à lui tout seul à une responsabilité pénale ni à des obligations juridiques particulières pour les membres de la société civile » [57]. Cette thèse peut être fondée dès lors que l’on assimile le critère du juridique à la sanction répressive étatique [58]. L’ancien Vice-président du Conseil d’Etat, M. Long, dans sa préface à un ouvrage récent, s’est aussi positionné sur ce terrain en affirmant que la précaution n’est encore « qu’un principe politique… Elle n’est pas encore une règle de droit » [59]. En ce sens, d’autres considèrent que du fait même qu’il n’y ait pas de règles quant à son application, le principe de précaution resterait un « principe de bon sens » [60].

Pour le Professeur Martin, au contraire, loin de constituer un simple principe d’orientation politique, le principe de précaution « peut (doit) venir modeler ex ante le processus décisionnel. En cela, il est de nature à enrichir considérablement certains concepts fondamentaux de notre droit » [61]. Dans un récent article, un auteur affirme même que la multiplication des principes « comportementaux » de type mixte, à la fois politique et juridique, sont transformés en standard juridique du fait même de « leur insistante présence dans les textes positifs » [62].

Toujours est-il que même si la nature juridique du principe de précaution intéresse la doctrine, on peut souligner trois de ses caractéristiques : Existence d’un risque de dommage grave et (’ou’ dans la définition de la Déclaration de Rio) irréversible ; Absence de certitude scientifique et technique ; Un coût économiquement acceptable (condition qui n’existe pas dans la définition retenue par le texte de Rio et qui limite d’autant la portée du principe) [63]. L’obligation qui en ressort est alors la légitimation de l’action de prévention, le principe interdisant alors de s’abstenir de prendre des mesures de prévention effectives et proportionnées.

Ainsi a priori, le principe éclaire la prise de décision, tel un principe d’orientation, alors qu’a posteriori, il peut permettre de juger le comportement des acteurs publics ou privés dont les décisions ou même l’absence de décisions peuvent être considérées comme étant à l’origine du dommage.

A partir de cette définition encore imprécise, il est possible de confronter le principe de précaution à la théorie des principes généraux du droit et d’étudier la réception du principe par la jurisprudence. Si l’on s’arrête à la définition restrictive du principe, essentiellement d’ordre moral, on pourrait n’accorder aucune valeur juridique au principe du fait de l’absence de textes définissant expressément cette obligation. C’est sans doute oublier toute la théorie des principes généraux du droit. L’évolution jurisprudentielle en la matière permet de pressentir une application progressive du principe à d’autres domaines que l’environnement proprement dit.

II.- La lente construction prétorienne d’un nouveau principe général de droit

Nous savons que le Conseil d’Etat n’a pas l’habitude d’exposer, dans ses arrêts, toutes les déductions juridiques qui motivent ses décisions. Cependant, « ces déductions n’en existent pas moins » [64]. En effet, dans une distinction entre le juridictionnel et le jurisprudentiel opérée par M. Gaudemet, le juge administratif remplit deux missions parallèles : la « mission immédiate de donner solution aux litiges » et une « mission occasionnelle de participer à la création de règles de droit positif » [65]. Sans polémiquer sur la prééminence de l’une sur l’autre mission [66], nous préférons affirmer que ces deux fonctions sont « hiérarchisées et successives » [67] : elles sont entremêlées et exprimées par un instrument unique, la décision de justice. Quand la fonction normative apparaît, c’est toujours et nécessairement pour permettre à la fonction juridictionnelle de s’exercer dans un second temps. En effet, « ceux qui ont à décider du maintien ou du changement du droit, doivent seulement constater la situation sociale, et en enregistrer les exigences » [68].

Il s’agit pour nous de souligner, à travers l’étude de la jurisprudence nationale et communautaire, l’ébauche d’un nouveau principe général de droit qui commence à frayer son chemin non seulement dans les esprits mais aussi dans la jurisprudence [69] (B) et qui trouve sa place dans une théorie qui garde toute son actualité (A).

A.- L’actualité de la théorie des « principes généraux du droit »

Selon la définition du président Bouffandeau, les « principes généraux du droit » sont « des règles de droit non écrites, ayant valeur législative, et qui, par suite s’imposent au pouvoir réglementaire et à l’autorité administrative, tant qu’elles n’ont pas été contredites par une disposition de loi positive ; (…) mais ces règles ne peuvent pas être regardées comme faisant partie d’un droit public coutumier, car, pour la plupart, la constatation de leur existence par le juge administratif est relativement récente. En réalité, il s’agit d’une œuvre constructive de la jurisprudence, réalisée pour des motifs supérieurs d’équité, afin d’assurer la sauvegarde des droits individuels des citoyens » [70].

Loin de constituer une vague notion de philosophie juridique, les « principes généraux du droit » sont une catégorie de normes bien ancrée dans le droit positif [71]. Leur importance varie d’une branche du droit à l’autre, selon que le terrain juridique était plus ou moins recouvert de textes, mais la voie a été ouverte par le droit public.

La première référence juridique à la notion peut être observée dans le droit international public et notamment l’art. 38 du Statut de la Cour internationale de justice (CIJ) qui fait figurer « les principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées » parmi les sources du droit applicables par la Cour. Au nombre de ces « principes généraux » on peut citer la permanence des engagements conclus par les Etats, quelles que soient les vicissitudes de leurs gouvernements [72].

Au niveau interne, c’est dans le droit administratif que l’importance de tels principes s’est d’abord affirmée [73]. Par sa jurisprudence, le Conseil d’Etat voulait ainsi assurer la souplesse dans l’exercice du contrôle juridictionnel de l’administration tout en permettant un raisonnement que la loi ne peut toujours procurer en en assurant la généralité [74]. Les « principes généraux du droit » affirmés dans la jurisprudence du Conseil d’Etat sont caractérisés par l’affirmation d’un pouvoir créateur du juge, par l’indépendance vis à vis des principes ainsi créés et par leur valeur utilitaire.

En droit privé également, et surtout depuis une vingtaine d’années, la Cour de cassation a assez souvent fondé ses décisions sur des « principes généraux » ou sur des « principes », en dehors de tout texte formulant ceux-ci [75].

Les principes généraux du droit développés à l’origine par le Conseil d’Etat l’ont été également par le Conseil constitutionnel. C’est dans sa décision du 23 mai 1979 que le Conseil constitutionnel a affirmé pour la première fois, la valeur constitutionnelle du principe de la séparation des pouvoirs, en donnant une valeur constitutionnelle à un principe général de droit du Conseil d’Etat indépendamment d’une référence à un texte [76]. Après une période de conflit entre les deux juridictions se disputant la paternité des principes généraux du droit, la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987, marque le début de nouvelles relations entre les deux juridictions. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel se fonde sur un « principe fondamental reconnu par les lois de la République », principe de valeur constitutionnelle. Pour affirmer son rôle et sa primauté sur le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel utilise une approche et une interprétation différentes des principes de séparation des pouvoirs et de séparation des autorités administratives et judiciaires [77].

Pour le Conseil d’Etat, comme pour le Conseil constitutionnel, les principes créés se rattachent à une éthique, stable ou évolutive, ou à une tradition qui s’exprime parfois dans les textes ou à l’expression d’un sentiment général, plus ou moins ancien, soit qu’il fonde le système politique, juridique, économique, soit que, plus récent, il corresponde simplement à l’esprit du temps [78]. La particularité des principes généraux du droit dégagés par le Conseil d’Etat réside dans le fait que, contrairement au Conseil constitutionnel, il n’y a pas d’exigence de référence à un texte existant. Ainsi, alors que pour le Conseil d’Etat, les principes sont affirmés indépendamment des textes, le Conseil constitutionnel, quant à lui, va choisir un texte de rattachement qui justifie la valeur attribuée. Les textes sont sources d’inspiration pour le Conseil d’Etat et de rattachement pour le Conseil constitutionnel.

La portée juridique de tels principes est reconnue sur leur terrain de prédilection, le droit administratif : ils ont « valeur infralégislative mais supradécrétale », selon l’expression du Professeur R. Chapus [79]. L’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat a consacré ce point de vue à l’occasion du célèbre arrêt Koné rendu le 3 juillet 1996 [80].

La vitalité de la production jurisprudentielle de principes généraux du droit avait été mise en cause, notamment du fait de l’évolution du rôle du Conseil constitutionnel qui a intégré quelques uns des principes généraux du droit les plus significatifs dégagés par le Conseil d’Etat dans le domaine du droit constitutionnel. Du fait de leur plus grande solennité, on aurait pu croire que le rôle créateur de la jurisprudence administrative allait déclinant. Certains auteurs avaient déjà prévu cette évolution il y a une vingtaine d’années, alors que le Conseil constitutionnel n’en avait pas encore tracé le cadre [81].

L’actualité de la théorie a été récemment soulignée par le Professeur Moderne qui parle d’une démarche volontariste et d’une véritable « politique jurisprudentielle » [82]. Il est vrai que depuis quelques années on assiste à une extension notoire des principes généraux du droit propres à certaines matières [83]. Aussi, des développements dans d’autres domaines qui intéressent la vie quotidienne des administrés, n’est pas à exclure. Cette affirmation se vérifie pour les activités sportives et de loisirs [84], mais surtout et de plus en plus dans les domaines de l’environnement [85], de la santé [86], de la bioéthique ou encore, de la biotechnologie [87].

Tout principe général de droit étant l’œuvre créatrice du juge, l’étude de la jurisprudence nationale, internationale et communautaire récente peut mieux nous éclairer sur la nature juridique du principe de précaution et son domaine d’application. Avant d’analyser plus avant la jurisprudence, signalons que pour plusieurs auteurs la sanction qui caractérise la nature juridique d’un phénomène s’entend de l’éventualité du recours au juge ou à l’arbitre qui permet d’affirmer que telle norme de fait est en même temps une norme juridique ou ne l’est pas. Le recours au juge ou à l’arbitre permet de définir très exactement la forme de la « sanction substantielle » juridique [88].

B.- La trace jurisprudentielle du « principe de précaution »

Pour voir dans le principe de précaution un nouveau principe général du droit, encore faut-il relever trace de son utilisation par le juge.

Or dès lors qu’un recours peut être fondé sur la seule violation d’un principe, et ce indépendamment de tout texte, voire contrairement à une disposition existante et non abrogée, on peut parler de norme juridique existante sans pouvoir être ramené à une opinion doctrinale ou à une disposition de la loi [89]. Le Conseil d’Etat en accueillant le 25 septembre 1998 le principe de précaution comme un moyen qui « paraît, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier l’annulation de l’arrêté attaqué » et donc en acceptant son invocabilité directe, accélére le mouvement de reconnaissance du principe de précaution comme un principe général du droit.

Cette évolution de la position du Conseil d’Etat marque ses distances par rapport aux juridictions internationales et communautaires qui, quand elles prennent en considération le principe de précaution, ne l’appliquent qu’en matière environnementale. Cette anticipation sur l’évolution de la jurisprudence internationale et communautaire n’est pas étrangère à la volonté de la Haute juridiction administrative française de marquer son rôle jurisprudentiel.

Le principe de précaution devant le juge international

Il est vrai qu’en droit international, le principe n’a pas encore été consacré par la Cour internationale de justice. Dans sa requête introduite auprès de la Cour, la Nouvelle-Zélande, a pourtant invoqué le principe de précaution contre la France à propos des essais nucléaires français dans le Pacifique. En effet, il s’agissait pour la Nouvelle-Zélande de faire suspendre les essais en question jusqu’à ce que la France ait fait la preuve de leur innocuité [90].

La même affaire a donné lieu à l’affirmation par la Commission européenne, dans ses « Conclusions sur les essais nucléaires » [91], du caractère non dangereux, au sens de l’article 34 CECA [92], des essais français. La Commission n’hésite pourtant pas à demander à la France de prendre des mesures de surveillance du fait de la subsistance de certains doutes. Prenant acte de ces conclusions, une résolution du Parlement européen, en opposition avec la reprise des essais, demande au gouvernement français de mettre en place des dispositifs de surveillance environnementale et sanitaire pour permettre une évaluation des « conséquences des essais à long terme ». Le principe de précaution n’était pas étranger à une telle décision.

Dans une autre affaire, la Cour internationale de justice (CIJ) a évité de se prononcer sur le principe de précaution alors qu’il était invoqué devant elle à propos des conséquences écologiques d’un grand projet d’aménagement hydraulique du Danube [93]. Après avoir relevé que : « Il est clair que les incidences du projet sur l’environnement et ses implications pour celui-ci seront nécessairement une question clef », la Cour contourne le principe dans un énoncé pourtant très pédagogique : « Aux fins de l’évaluation des risques écologiques, ce sont les normes actuelles qui doivent être prises en considération (…). La Cour ne perd pas de vue que, dans le domaine de la protection de l’environnement, la vigilance et la prévention s’imposent en raison du caractère souvent irréversible des dommages causés à l’environnement et des limites inhérentes au mécanisme même de réparation de ce type de dommages ». La juridiction internationale poursuit ainsi : « Au cours des âges, l’homme n’a cessé d’intervenir dans la nature pour des raisons économiques et autres. Dans le passé, il l’a souvent fait sans tenir compte des effets sur l’environnement. Grâce aux nouvelles perspectives qu’offre la science et à une conscience croissante des risques que la poursuite de ces interventions à un rythme inconsidéré et soutenu représenterait pour l’humanité - qu’il s’agisse des générations actuelles ou futures -, de nouvelles normes et exigences ont été mises au point, qui ont été énoncées dans un grand nombre d’instruments au cours des deux dernières décennies. Ces normes nouvelles doivent être prises en considération et ces exigences nouvelles convenablement appréciées, non seulement lorsque des Etats envisagent de nouvelles activités, mais aussi lorsqu’ils poursuivent des activités qu’ils ont engagées dans le passé. Le concept de développement durable traduit bien cette nécessité de concilier développement économique et protection de l’environnement ». Mais la Cour considère que dans le cas d’espèce c’était aux parties de déterminer d’un commun accord une solution qui tienne compte des « objectifs du traité, de même que des normes du droit international de l’environnement et des principes généraux du droit… ».

Alors qu’il était quasiment absent des préoccupations premières du GATT (Accord général de commerce, précurseur de l’Organisation Mondiale du Commerce), les jalons du principe de précaution au sein de l’OMC ont été posé dès sa création, à travers l’Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaire. L’Organe du règlement des différends (ORD) de l’OMC est de plus en plus sollicité pour trancher des divergences d’intérêts liées à la santé et à l’environnement. Les règles de l’OMC imposent d’apporter la preuve scientifique du danger [94]. Cette contrainte n’est pas à proprement parler, l’application du principe de précaution, qui aurait dû conduire au raisonnement inverse : l’Etat peut protéger son marché tant qu’aucune preuve matérielle de l’innocuité du produit n’a pas été apportée. Ce n’est pas cette dernière acception que l’ORD a choisi de privilégier [95]. Cependant, toute l’évolution récente des négociations commerciales internationales dans le cadre de l’OMC conduit à une plus grande reconnaissance du principe de précaution dans les choix des politiques commerciales [96].

Le principe de précaution et le juge communautaire

La référence au principe de précaution a également été implicite pour le juge communautaire concernant des mesures de politiques sanitaires. Sans utiliser le terme, la Cour de justice des Communautés européennes a reconnu le 5 mai 1998, la validité d’une décision de la Commission adoptant des mesures d’urgence contre la maladie d’ESB dite de la « Vache folle » [97]. Cette maladie caractérisée par une dégénérescence mortelle des cellules nerveuses affectant les bovins a été détectée au Royaume-Uni en 1986 [98]. En 1996, une grave suspicion à la suite de travaux scientifiques a fait apparaître un lien probable entre cette maladie et celle de Creutzfeldt-Jakob chez l’homme, maladie incurable à ce jour. Malgré les précautions du Royaume-Uni depuis 1988 afin de réduire les risques pour la santé de l’homme [99], la Commission européenne décide le 27 mars 1996 d’interdire temporairement les exportations de viande bovine en provenance de ce pays [100]. Saisie par ce dernier, la Cour de Justice devait se prononcer le 5 mai 1998 sur une question préjudicielle émanant de la High Court of justice [101] et un recours en annulation de la décision susvisée de la Commission [102]. La Cour confirme la validité de la décision d’interdiction, estimant que « les nouvelles informations faisant état d’un lien probable entre la maladie de la vache folle et la maladie de Creutzfeld-Jakob justifiaient, sur le fondement des directives en cause, des mesures de sauvegarde confiant les viandes bovines à l’intérieur du territoire d’un Etat membre ». La Cour précise : « Il doit être admis que lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées » (point 99, aff. C-180/96). On voit bien qu’une telle formulation correspond à la définition du principe de précaution (même si la Cour parle « d’approche ») corroborée (selon les termes de l’arrêt) par l’art. 130 R du traité CE.

Par ailleurs, à propos de l’affaire des plantes trangéniques, le Parlement européen vient d’adopter le 28 janvier 1999, un rapport qui durcit la proposition de modification de la Directive 90/220. Fondé sur le principe de précaution, il préconise l’introduction de la notion de « responsabilité civile », assortie d’une « prime d’assurance » rendant responsable le producteur et l’importateur d’OGM et propose l’interdiction de toute commercialisation de plantes transgéniques contenant un gène de résistance aux antibiotiques [103].

Il est vrai qu’avec le traité de Maastricht, la protection de l’environnement est devenue une priorité. C’est ainsi que, notamment, dans un souci d’efficacité, les textes fondés sur l’article 130 R sont adoptés à la majorité qualifiée et non plus à l’unanimité. Quant à la contradiction entre le principe de précaution et celui de la libre circulation des marchandises énoncé par l’article 30 du traité CE, la Cour s’est prononcée dans une décision plus récente du 14 juillet 1998 [104]. Elle a rappelé à propos de l’examen de la légalité d’un Règlement communautaire limitant la commercialisation de produits de nature à porter atteinte à la couche d’ozone [105] - et après avoir affirmé que les prescriptions du traité assurant la libre circulation des marchandises s’imposent même aux institutions communautaires- -, que la protection de l’environnement a déjà été considérée par elle comme « l’un des objectifs essentiels de la Communauté » [106]. La Cour a même reconnu que « la protection de l’environnement constitue une exigence impérative pouvant limiter l’application de l’article 30 CEE en matière de libre circulation des marchandises » [107].

Le juge administratif français et la prise en compte du principe de précaution

Quant à la prise en compte du principe de précaution par les juridictions nationales, l’étude de la jurisprudence démontre que peu de décisions ont, implicitement ou explicitement, fait appel à la notion. La juridiction administrative considère depuis longtemps l’imprudence ou le manque de prudence comme une faute. « De là elle serait passée au défaut de précaution, sans avoir le sentiment de changer ’’d’âge’’ » [108].

On peut tout d’abord citer une décision du Conseil d’Etat du 4 janvier 1995 [109], qui avant la promulgation de la loi dite Barnier, est considérée par le commentateur de l’arrêt, M. Sachs, comme la première manifestation du principe et « l’introduction du principe de précaution dans le contrôle de la légalité, avant même qu’il ait reçu un fondement législatif » [110]. M. Sachs se demandait si le Conseil d’Etat a vraiment entendu introduire un nouveau paramètre dans le contrôle de légalité de l’action administrative, ou bien s’il ne s’agit que d’une solution dictée peut-être par certaines circonstances de l’espèce. En l’occurrence, le Conseil d’Etat devait statuer sur la validité d’un arrêté de déclaration d’utilité publique (D.U.P.) du préfet de l’Hérault portant sur le périmètre de protection rapprochée d’un captage d’eau. Dans une formulation pour le moins surprenante, bien avant l’adoption de la loi « Barnier », la Haute juridiction confirme la décision des juges de première instance ayant annulé ledit arrêté. En effet, le Conseil d’Etat annule la D.U.P. au motif que le fait que les tests imposés par la réglementation ne permettaient pas de confirmer les risques d’infiltration n’est pas « de nature à démontrer, à eux seuls, l’absence de nécessité d’élargir le périmètre de protection rapprochée en cause afin de garantir la qualité des eaux ». Ce qui permettait de déceler « un changement profond de perspective quant à la conception même de la légalité de l’action administrative en matière d’environnement ». En demandant à l’administration de démontrer l’absence de nécessité de mesures de prévention, alors même que n’étaient pas établis avec certitude les risques d’infiltration, c’est bien sans le nommer de l’application du principe de précaution qu’il s’agissait. Nous nous plaçons bien dans un processus de reconnaissance d’un principe général de droit et l’arrêt Rossi « atteste donc d’une volonté autonome du Conseil d’Etat par rapport au vœu du législateur ».

Quelques temps plus tôt, et toujours avant l’intégration du principe de précaution dans la législation nationale, le Conseil d’Etat avait déjà retenu la responsabilité de l’Etat pour faute simple dans l’affaire du sang contaminé au motif que la vigilance extrême commandée par l’enjeu de santé lui « imposait d’interdire, sans attendre d’avoir la certitude que tous les lots étaient contaminés, la délivrance de produits dangereux » [111]. Le commissaire du Gouvernement, M. Legal avait souligné que : « Ce qui importe (est) ce que l’on pouvait raisonnablement tenir au fil du temps comme suffisamment établi dans la connaissance générale du phénomène et de ses solutions pour rendre nécessaire la prise de mesures sanitaires. Face à un risque connu comme mortel pour un certain nombre de patients au moins, il serait évidemment irréaliste d’affirmer que seule une certitude scientifique fait obligation d’agir » [112]. Ainsi, le Conseil d’Etat, en engageant la responsabilité de l’Etat pour faute simple à raison de la contamination par des produits stables, suivait son commissaire du Gouvernement qui avait fait prévaloir le principe de précaution.

Par trois arrêts, l’Assemblée plénière du Conseil a également reconnu implicitement le principe, à propos de produits sanguins transfusés, mais de produits « labiles » insusceptibles de bénéficier de la technique du chauffage, contrairement aux produits prescrits au hémophiles [113]. Ici, la responsabilité des centres de transfusion est engagée même sans faute : « eu égard aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion sont responsables même en l’absence de faute, des conséquences dommageables dues à la mauvaise qualité des produits fournis ». Il s’agit alors de la sanction de comportements toujours difficiles à censurer dans la mesure où la faute est le manquement aux « règles communément admise ». Le commissaire du Gouvernement Daël, a donc l’occasion d’éclairer en la nuançant la position prise par M. Legal.

Plus tard, la Haute juridiction avait eu l’occasion, encore de manière implicite et sans le qualifier, d’appliquer le principe de précaution au droit des déchets en considérant que « compte tenu, d’une part, du risque de nuisances lié notamment à la restitution finale de dragage dont l’innocuité toxiologique n’est pas garantie, d’autre part (…), les changements ainsi adoptés au plan d’occupation des sols portent atteinte à son économie générale » [114].

Dans le domaine de la police sanitaire encore, signalons l’arrêt dans lequel le Conseil a jugé, à propos d’un recours contre un arrêté conjoint du ministre de l’économie et des finances et du ministre des affaires sociales suspendant pour un an, sur le fondement des dispositions de l’article L. 221.5 du Code de la consommation, la fabrication, l’importation, la mise sur le marché et l’utilisation d’un produit pharmaceutique contenant du collagène bovin, que « compte tenu des précautions qui s’imposent en matière de protection de la santé publique, la décision des ministres n’était entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation » [115]. Sans parler du principe de précaution, le Conseil d’Etat a ainsi fait référence au concept pour conforter la légalité d’une mesure de police sanitaire intervenue dans le contexte des craintes suscitées par la maladie de la vache folle.

Dans une décision plus récente encore, le Conseil d’Etat a écarté un moyen tiré de l’article L. 200-1 du Code rural, articulé à l’appui d’un recours contre une décision du service des haras excluant l’achat de chevaux ayant subi l’ablation de leur appendice caudal, en estimant que la mesure attaquée n’avait nullement pour objet de porter atteinte à une espèce animale et d’en compromettre le développement [116]. Pourtant, par un arrêt du 13 mars 1998, le Conseil a écarté un moyen tiré des principes posés par l’article L 200.1 en estimant qu’il n’était pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien fondé [117].

Toutes ces décisions font appel au principe d’une manière implicite sans le nommer expressément. L’arrêt du 25 septembre 1998 du Conseil d’Etat franchit le pas en inscrivant le principe de précaution dans notre appareil juridique [118]. C’est en effet la première référence expresse au principe. Le Conseil opte pour la notion face à « une menace grave ou irréversible » en accordant le sursis à exécution visant à éviter l’irréparable. En l’espèce, toutes les mesures de prévention imposées par la Directive communautaire du 23 avril 1990 (art. 2-5), transposée en droit français par une loi du 13 juillet 1992 (art. 11 et 15), avaient été suivies par l’administration pour accorder l’agrément au maïs transgénique Novartis, et l’évaluation des risques avait été effectuée. Une évaluation dévolue, selon les termes de la loi de 1992 (art. 3-III), à la Commission d’études de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire (C.G.B.). La mise sur le marché de ce type de maïs avait été autorisée par un arrêté du 4 février 1997, c’est donc de sa mise en culture qu’il s’agissait dans la présente affaire. Or le Conseil d’Etat a accueilli favorablement l’argument des associations écologiques concernant une faille de procédure pouvant entraîner un « préjudice difficilement réparable », le dossier au vu duquel avait été rendu l’avis de la C.G.B. ne comportait pas d’éléments permettant d’évaluer l’impact sur la santé publique du gène de résistance à un antibiotique, l’ampicilline. L’incertitude résultait ici de la carence du dossier et n’aurait pas pu fonder le recours au principe de précaution pour un problème de procédure. C’est pourquoi le Conseil d’Etat fonde également le sursis sur l’incertitude entourant « la nature des conséquences » que l’exécution de l’arrêté pourrait entraîner. Décision singulière sans doute mais on peut légitimement s’interroger sur les arrières pensées de la Haute juridiction de faire de la notion un principe qui, détachée de la simple prudence, s’appliquerait dans une situation d’incertitude lorsque la santé et la vie des hommes sont en cause et pas seulement dans le domaine de l’environnement stricto sensu [119]. On peut l’affirmer d’autant plus facilement qu’en l’espèce, le Conseil pouvait partir de la loi de 1992 qui autorise, organise et encadre la dissémination d’organismes génétiquement modifiées [120], sans faire référence au principe de précaution contenu dans l’art. L. 200.1 du Code rural.

Au vu de cette jurisprudence, l’extension du principe au champ de la santé publique et du soin paraît légitime puisque le poids croissant des maladies chroniques résulte, non seulement du vieillissement, mais aussi de la dégradation de l’environnement, d’où le concept de « santé environnementale », promu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [121]. Ainsi, il a été invoqué en France lors des crises sanitaires récentes, pour mettre en cause les systèmes traditionnels de gestion des risques iatrogènes (contamination post-tranfusionnelle), chimiques (dioxine), alimentaires (encéphalite spongiforme bovine ou organismes génétiquement modifiés), nucléaires (La Hague ou Valognes) ou toxiques (amiante). Il est vrai cependant, qu’à l’étranger, sa validité dans le champ de la santé n’est pas expressément reconnue par aucun texte, sinon en liaison étroite avec l’environnement [122].

La multiplication de ces cas correspond bien à l’une des recherches prioritaires de notre temps : la sécurité au travers le développement d’un principe général de précaution. Il nous faut alors vérifier les dangers et les apports d’une telle évolution, car un doute subsiste sur l’opportunité de son extension à d’autres champs.

III.- Les bienfaits et les risques d’une généralisation du « principe de précaution »

« Bien que d’apparition très récente, le principe de précaution n’en interroge pas moins notre droit tout entier » ; c’est ainsi que l’auteur du Rapport 1998 du Conseil d’Etat commence son paragraphe sur les « Vertus et limites du principe de précaution » [123].

En effet, si l’on accepte que toute activité humaine entraîne nécessairement un dommage inéluctable et donc irréversible, le principe de précaution aurait vocation à s’appliquer dans beaucoup de cas, puisque le risque zéro n’existe pas.

Dans le domaine industriel, le souci de prévention des dommages à l’environnement existe du fait d’un double risque : le risque de catastrophe industrielle et celui de pollution. L’analyse des risques potentiels pour les individus et pour la société est d’ailleurs une technique qui s’est développée dans ce secteur. Mais le domaine sanitaire (Santé publique) serait touché également par le « virus » de la précaution. Dans nos sociétés industrielles et techno-scientifiques, beaucoup de risques sont en effet, d’ordre sanitaire. D’une façon plus générale, le principe pourrait s’imposer dès qu’une activité présente des risques de dommages collectifs ce que, du fait du développement du phénomène de contamination, on appelle aussi « risques sériels ». Dans un climat marqué par l’incertitude scientifique et aggravé par les affaires du sang contaminé, de la « vache folle », du « poulet à la dioxine », de l’amiante [124] et par les progrès rapides de la biotechnologie, le principe de précaution dispose d’un terrain favorable pour étendre son domaine d’intervention sous le contrôle du juge.

Au carrefour du droit, de la science et du politique [125], le principe de précaution signifie alors que les incertitudes scientifiques ne doivent pas retarder l’adoption de mesures qui auraient été jugées légitimes si de telles certitudes avaient été acquises.

La généralisation du principe de précaution est sans doute indispensable (A) mais son application extrême paraît dangereuse (B). Dès lors, une meilleure gestion des risques s’impose, ce qui passe, au nom du principe de la sécurité juridique, par une définition plus claire du principe de précaution (C).

A.- Un principe indispensable, conforme à « l’esprit de notre temps »

Pour le Conseil d’Etat, comme pour le Conseil constitutionnel, les principes généraux du droit se rattachent, nous l’avons vu, à une éthique, stable ou évolutive, qui peut correspondre simplement à « l’esprit du temps » [126]. Et nous pouvons affirmer que le principe de précaution est conforme à l’esprit de notre temps.

Désormais, l’homme prend conscience de son pouvoir comme illimité, souverain, au sens d’une capacité infinie à produire des effets qu’il ne saurait prévoir avec certitude et au sens qu’il n’a plus d’autre maître que lui-même. Maîtrisant la nature grâce aux progrès technologiques et scientifiques, son pouvoir démesuré exige une mesure. Dans un monde d’incertitude, où la décision est nécessaire et immédiate, cette puissance de l’homme moderne lui confère une responsabilité infinie. Le principe de précaution peut être cette mesure qui combine l’action et la réflexion. C’est bien d’une révolution qu’il s’agit. La logique marchande faisant appel aux mécanismes de l’assurance, avait elle même succédé à la démarche scientifique qui privilégie la réflexion à l’action. La dialectique qui concilie l’action et la réflexion les a relayé.

A l’aube du XXIe siècle, l’homme ne peut oublier dans ses actions leurs conséquences à long terme et leur possibilité d’emporter avec elles, du moins pour certaines, le pire, la catastrophe. Nous pouvons ainsi substituer à l’impératif catégorique kantien, comme l’a déjà fait François Ewald, un impératif adapté au nouveau type de l’action humaine : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » [127]. Cet impératif est bien à la base du principe de précaution qui invite à mesurer chacune de nos actions par référence au principe du pire. Il s’agit de chercher le meilleur en évitant le pire. Si le XIXe siècle a inventé la prévoyance et en a fait la principale des vertus, si le XXe siècle lui a substitué la prévention (la prévoyance rendue obligatoire par la sécurité sociale), le XXIe siècle sera sans doute, celui de la précaution qui vise l’incertitude du savoir scientifiques eux-mêmes.

La généralisation de l’application du principe de précaution à tous les domaines où règne l’incertitude ou un risque accepté par la collectivité, conduirait à reconnaître qu’une bonne décision est celle qui ne comporte aucun risque, même si chacun s’accorde sur le fait que le risque nul n’est pas, de façon générale, d’accessible. La dynamique du principe ainsi dégagé conduit à deux attitudes : il aide à la prise de décision a priori mais, a posteriori, il peut aussi permettre d’apprécier la responsabilité éventuelle de ceux qui sont à l’origine d’une décision pouvant éventuellement présenter des dangers pour la sécurité, pour la santé ou pour l’environnement. Or la menace de cette mise en responsabilité conduira souvent à l’action a priori [128]. Ce qui présente justement d’énormes inconvénients.

L’intérêt de l’introduction du principe de précaution en tant qu’élément de responsabilisation des acteurs publics et privés n’est guère discuté dans le domaine de l’environnement et même de façon générale, lorsqu’est en jeu une obligation de sécurité [129] . En effet, l’approche prospective du principe permet de prendre en compte les « risques de développement » [130] en élargissant l’application du principe d’égalité aux générations futures. On peut détecter un progrès du droit dans le fait que le principe élargit la notion d’intérêt public à des critères nouveaux, notamment en matière d’équipement publics, d’investissement industriels ou de sécurité sanitaire. Il incite à un meilleur examen de la proportionnalité entre la mesure prise et l’objectif poursuivi. Le bilan ainsi dressé ne se limitant pas simplement au respect des normes minimales édictées par les textes.

Le principe de précaution qui vient pallier ainsi les lacunes de notre système de prévention, est en soi une révolution : il porte sur l’incertitude, sur le risque non prévisible, alors que la certitude fonde l’idée même de la loi et que le droit attend des sciences des réponses exactes. Or devant l’échec de la science moderne et la complexité des phénomènes naturels [131], le juriste décide sans savoir puisqu’il doit paradoxalement, maîtriser le savoir et l’ignorance. De même, alors que pour le droit, le temps reste mesurable, la précaution, qui concerne les « risques de développement », impose désormais de raisonner dans la durée, sur le long voire le très long terme. Dès lors, la généralisation de cette incertitude comme fondement de l’action comporte une révolution dont les dimensions n’ont pas encore été mesurées dans nos sociétés.

Dans le domaine de la responsabilité, le principe conduirait à une meilleure « responsabilisation » des acteurs concernés [132]. En imposant au décideur de fournir la preuve, compte tenu de l’état actuel de la science, de l’absence de risque, on assiste à un élargissement du domaine de la faute, l’agir en fait de précaution pouvant signifier avant tout s’abstenir, les ’mesures effectives’ consistant souvent à renoncer ou à surseoir à une pratique suspecte [133]. Dans l’affaire du sang contaminé, par exemple, les personnes incriminées évoquent l’incertitude du savoir pour affirmer leur innocence. L’application du principe de précaution dans ce domaine donnerait un résultat très différent : l’incertitude des connaissances, non seulement n’excuse pas, mais doit être prise comme une incitation à plus de prudence. La précaution aurait donc pour effet d’augmenter les responsabilités. Inversement, le principe pourrait obliger l’auteur du risque à prendre les mesures de précaution et de suivi conduisant à une plus grande transparence.

Dès lors, la tentation d’une refondation du droit de la responsabilité autour de la notion de précaution refait surface [134]. Il nous incombe de souligner les dangers d’une telle évolution.

B.- Les dangers d’une application sans limite du principe

Dans un climat où la responsabilité pénale des élus peut être engagée [135], l’intrusion du principe de précaution comme nouveau principe général du droit comporte des risques qui invitent à mesurer l’enthousiasme dû à l’apparition d’un nouveau principe juridique.

Trois séries de problèmes peuvent être distinguées : le domaine d’application (le seuil de déclenchement) du principe, l’étendue du contrôle exercé par le juge de l’excès du pouvoir, et la responsabilité des décideurs et des experts.

Les effets pervers probables du principe de précaution sur le droit de la responsabilité ont été évoqués par la doctrine [136]. Concernant le droit de la responsabilité civile on a déjà soulevé les craintes d’une conception régressive par un glissement insidieux de la responsabilité sans faute à une responsabilité pour faute, même s’il s’agit d’une « faute rénovée, inédite » [137]. En effet, loin de constituer un progrès du droit, on pourrait assister à un retour en force de la responsabilité pour faute dans des secteurs où la responsabilité était fondée sur le risque.

En droit administratif, relevons avec M. Sachs trois séries de risques [138]. D’abord, la preuve d’une « absence de nécessité » conduit à un débat technique incompatible avec les exigences d’un véritable contrôle normal de l’action administrative. Ensuite, le principe faciliterait la procédure de sursis à exécution : en effet, en raison même de sa définition, la seule démonstration de la persistance d’un doute sur l’absence de conséquences potentielles pour l’environnement ou la santé de la décision déférée au juge suffirait désormais pour établir à la fois le sérieux du moyen et le risque de dommage irréversible ou difficilement réparable [139]. Enfin, l’administration pourrait pour se mettre à l’abri du reproche, assortir les autorisations qu’elle délivre de prescriptions abusivement sévères et donc d’un coût financier excessif pour les intéressés, au regard de la marge d’incertitude des impacts potentiels sur l’environnement et la santé de l’activité en cause. Ce qui augure de l’élargissement du champs du contentieux en la matière. Le principe peut servir à fonder des actions en responsabilité de l’Etat du fait de la juridiction administrative. Un administré pouvant toujours reprocher à celle-ci d’avoir reconnu la légalité d’une autorisation dont les conséquences se sont avérées, par la suite, dangereuses pour la santé humaine et pour l’environnement [140]. On peut aussi s’interroger une nouvelle fois, sur les risques d’un gouvernement des juges [141]. En effet, le principe pourrait être invoqué dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une mesure dont il est soutenu qu’elle pourrait peut-être, dans un avenir pas nécessairement proche, emporter des conséquences néfastes. Intégrer le principe au mécanisme de contrôle de la légalité d’une décision administrative en prenant ainsi en compte un risque incertain, fait craindre le risque du gouvernement des juges, donnant un pouvoir d’appréciation non négligeable au juge administratif, manipulant un concept encore imprécis.

Dès lors, on ne peut négliger la question de l’étendue du contrôle du juge de la légalité. La mise en œuvre d’un contrôle normal nous paraît difficilement contestable, le texte de référence du principe de précaution (art. L. 200.1 du Code rural) portant sur des « mesures effectives et proportionnées ». Le juge administratif a déjà fait application du plein contrôle de la proportionnalité par sa « théorie du bilan » consacrée en 1971 en matière d’expropriation [142]. L’hypothèse est renforcée par la tendance générale de la jurisprudence administrative à étendre le domaine de ce type de contrôle. En effet, on assiste de plus en plus à la transformation du contrôle restreint en contrôle normal [143]. Dans ses conclusions, le commissaire du Gouvernement M. Stahl relevait pourtant deux lignes jurisprudentielles militant en faveur d’un contrôle restreint [144]. D’une part, le caractère imprécis du principe limiterait le contrôle du juge à l’erreur manifeste d’appréciation [145]. D’autre part, lorsque les appréciations portées par les autorités administratives sont empreintes d’une grande technicité, le juge s’en tient à un contrôle restreint [146]. Ainsi, alors que traditionnellement le juge administratif n’est pas un juge d’équité, l’évolution récente du contrôle exercé par le juge administratif favorise une prise en compte d’éléments d’équité. En passant d’un contrôle plus ou moins formel de légalité des actes à un contrôle du bien-fondé des décisions administratives [147], le juge administratif devient de moins en moins, s’il l’a jamais été, « la bouche qui prononce les paroles de la loi » comme le voulait Montesquieu. Au delà de ce contrôle normal, la mise en œuvre du principe de précaution suppose d’abord l’appréciation des risques, de leur gravité et de leur probabilité, ce qui implique de prendre parti sur des sujets techniques qui relèvent d’expertises scientifiques contradictoires. Le juge peut en effet se sentir mal aisé pour trancher dans un débat d’experts et dans le domaine scientifique.

De même, le fondement de l’action administrative qui se voit également remis en cause dans un mouvement de banalisation du droit des personnes publiques déjà décelée par la doctrine [148]. Alors que l’intérêt général justifiait l’action administrative et les prérogatives exceptionnelles dont elle dispose, les transformations mêmes du contenu de la notion confirment cette tendance [149]. On peut ainsi distinguer trois mouvements dans l’évolution de l’action administrative : La première phase voyait consacrée à l’origine, la toute puissance de l’Etat garant de l’intérêt général et le principe de l’action administrative (des mécanismes comme le privilège du préalable, la théorie de l’urgence, etc., favorisant cette action et le mécanisme de la responsabilité administrative permettant a posteriori d’indemniser les victimes). La seconde phase fut consacrée en 1971 par la « théorie du bilan coût-avantage », une tentative de rationaliser, a posteriori, au contentieux, les choix administratifs français discrétionnaires [150]. Une nouvelle étape de contrôle des décisions administratives voit ainsi le jour dès lors que le principe de précaution interviendrait a priori sur la simple hypothèse d’un risque de dommage incertain. Un auteur souligne aussi que le principe de précaution peut être un facteur d’assouplissement du contrôle de la légalité [151], l’invocation du principe permettant au juge d’admettre la légalité d’un acte qui serait probablement illégal si ce principe n’était pas invoqué. Même si un tel risque ne peut être complètement écarté, force est de constater que l’évolution récente va plutôt dans le sens d’un renforcement du contrôle du juge.

Enfin, on peut se demander, dans un domaine plus éthique, si la prise de risque n’est pas précisément le moteur même du progrès et le fondement de l’évolution. S’il était nécessaire, l’histoire de l’humanité démontre la capacité infinie de l’être humain et des espèces à s’adapter. Les défis de demain sont les risques d’aujourd’hui et le conservatisme n’aurait sans doute jamais permis de pousser les limites de la vie. Face à ce dilemme, il est nécessaire de bien définir les limites du principe de précaution et de déterminer le seuil du risque accepté par la collectivité.

C.- La nécessité d’une définition plus claire du principe et une meilleure gestion du risque accepté

Eu égard à ces risques, la Haute juridiction sera amenée à préciser sa jurisprudence et à définir l’étendue de son contrôle. Nous proposons que soit recherché systématiquement le souci de l’action et de la gestion de risque par des mesures d’accompagnement et de suivi dont le financement devrait être pris en compte par le décideur lui-même.

Le principe devrait imposer la prise de mesures immédiates en combinant la précaution et l’innovation. Nous avons pu voir que le principe de précaution intervient dans les cas où l’incertitude porte sur un risque de dommage grave et irréversible. Il faudra donc adopter des mesures et en évaluer l’utilité. Tout l’effort se situe ainsi dans l’acceptabilité sociale du risque qu’il s’agit de gérer. Le principe conduirait à imposer une meilleure transparence dans les décisions, de sorte que le risque socialement accepté soit effectivement partagé.

Devant le flou de la définition, c’est au décideur, sous le contrôle du juge, que reviendrait le soin, par une évaluation des risques et par la prise de mesures qui rendent plus acceptables le risque encouru, de ne pas geler celui-ci. La science alerte et éclaire le débat en mettant toutes les pièces sur la table, en énonçant les incertitudes. Mais c’est ensuite, à la collectivité représentant l’intérêt général que revient la gestion du risque. C’est elle qui doit déterminer le niveau de risque qu’elle est prête à prendre et donc à assumer. Contrairement à une idée courante, le principe de précaution n’est pas un principe qui empêche l’action. Il serait plutôt, nous semble-t-il, le fondement de cette action. Il ne devrait pas conduire à gêner la prise de risque et donc l’innovation mais plutôt, à faciliter et à rendre plus transparente sa gestion. Loin de signifier « dans le doute abstient toi », le principe doit conduire à « mieux vaut prévenir que guérir ». Toute autre interprétation serait en contradiction avec la formulation donnée par les textes qui en font référence et acceptée par la doctrine. C’est uniquement dans cette acception, qui nous semble la plus conforme à l’esprit des textes, que le principe pourrait être un progrès pour le droit obligeant les décideurs à endosser pleinement les mesures prises, a être pleinement responsable de leur libre choix. Face au risque probable, que la précaution conduise à l’inaction, M. Ewald propose par exemple, de ne retenir comme critère de responsabilité qu’une précaution « raisonnable » [152].

Le principe de précaution constitue donc un enjeu de transparence et de démocratie. C’est grâce au respect du principe de transparence que la décision sera partagée par tous. Parallèlement, en assurant cette transparence et donc le partage des responsabilités, le principe de précaution annonce une transformation de la vision juridique et sociale puisqu’il encourage à la participation citoyenne et assure une nécessaire information du public [153].

De plus, le principe imposerait un temps de réflexion et un suivi, incompatibles avec la démarche concurrentielle, la logique marchande et à court terme, de nos sociétés post-modernes. C’est donc là encore d’un choix de société qu’il s’agit : Plus qu’à la question « où est la limite du progrès et de l’innovation ? », c’est à celle « quel est l’objectif de ce progrès ? » que le décideur et le juge, mais aussi la société toute entière devraient répondre.

En France, la récente loi sur la « veille sanitaire » garantit une gestion plus intégrée des risques sanitaires en établissant un système de surveillance et d’observation, duquel les juges pourront s’inspirer. L’Institut de veille sanitaire et les deux nouvelles agences qui ont en charge la gestion des médicaments, des produits humains et de l’alimentation, traduisent le souci du législateur de se préparer à l’âge de la précaution. Ce qui facilitera sans doute l’avènement du principe comme fondement del’actionet donc de la responsabilité, l’outil intermédiaire d’aide à la décision se mettant peu à peu en place. De telles structures d’évaluation et de contrôle doivent permettre de trouver le juste équilibre entre le progrès et le respect de l’éthique, de la sécurité et de la santé individuelles et collectives des générations présentes et à venir.

Le risque socialement acceptable étant impossible à définir scientifiquement, dans des domaines qui sont devenus davantage des enjeux financiers, le principe de précaution devra permettre de trouver les meilleures voies à suivre pour l’intérêt du plus grand nombre et non uniquement dans le seul souci de la rentabilité immédiate. Le juge, en prenant modèle sur la « théorie du bilan » peut donner toute sa force au principe comme il peut le vider de son contenu par une vision trop restrictive et conservatrice. Le principe devra donc inciter à rechercher toutes les voies alternatives.

Dans le respect du principe de la sécurité juridique [154], le législateur et le juge auront à préciser les contours du nouveau principe général de droit en construction et notamment les règles de la responsabilité pour l’âge de la précaution : les normes de procédures, étude d’impacts sanitaires, mécanismes de traçabilité et de vigilance, références aux principes de proportionnalité au regard d’une échelle de risques. Finalement l’objectif est, à travers le principe de précaution, de rechercher un compromis entre l’environnement et la santé, l’économique et le social, ceci sans faire prévaloir l’un des aspects sur les autres, afin de maîtriser le progrès et rendre le développement écologiquement viable. Nous sommes bien dans une logique d’anticipation du risque. Le principe ne doit pas consister à bloquer toute action, mais doit conduire à accompagner une prise de risque raisonnée et socialement acceptée. Il introduit un autre rapport au temps fondé sur la prise en compte précoce des problèmes et la réévaluation des décisions. Dans la lutte de « la science contre la civilisation », le principe de précaution permettra-t-il de « civiliser la science » [155] ?

Enfin, le contenu du principe de précaution sera fonction du choix de société qu’il reste à faire entre le profit éphémère et à court terme et le bien-être durable et à long terme. Ce choix conditionnera pour le XXIe siècle les nouvelles règles de responsabilité des experts, de l’administration et des décideurs publics ou privés. Le principe nous paraît en tous cas indispensable, puisqu’il permet de définir des critères de décision et de responsabiliser davantage les décideurs, mais il est dangereux s’il est poussé à l’extrême, car le risque zéro n’existant pas, cela peut conduire le décideur à l’immobilisme [156]. Il faut donc appliquer le principe de précaution au principe lui-même pour ne pas exclure le dynamisme et le progrès. C’est pourquoi la prudence impose de mieux préciser la notion de « précaution », concept phare du siècle à venir.

Z.O. - décembre 1999


[1] Pierre Lascoumes, « La précaution, un nouveau standard de jugement », Esprit, Novembre 1997, p. 129 s., Laurence Boy, « La référence au principe de précaution et l’émergence de nouveaux modes de régulation », P.A., 8 janvier 1997, n°4, p. 5 s., Gilles Martin, « Précaution et évolution du droit », D., 1995, Chr. p. 299.

[2] Après celle de l’assurance (individuelle puis sociale), concept phare du XXe siècle.

[3] Gilles Lebreton, « Y a-t-il un progrès du droit ? », D., 1991, chr., p. 99 et s.

[4] Jean Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Cinquième République, éd. Flammarion, 1996.

[5] Roland Drago et Marie-Anne Frisson-Roche, « Mystères et mirages des dualités des ordres de juridictions et de la justice administrative », Arch. phil. droit, t. 41, 1997, p. 135 et s. Voir aussi, Didier Truchet, « Mauvaises et bonnes raisons de mettre fin au dualisme juridictionnel », in Justice et pouvoirs, Justices, n°3, 1996, p. 53 et s. Voir aussi : R. Chapus, L’administration et son juge, éd. PUF, coll. Doctrine juridique, 1999.

[6] Face aux risques engendrés par la vie moderne, les victimes sont devenus plus exigeantes. Alors que jadis, la résignation était perçue comme une attitude banale et raisonnable, elle a aujourd’hui cédé la place à la recherche du responsable. Sur cette tendance, voir : A. Etchegoyen, La vraie morale se moque de la morale : Être responsable, Seuil-Essai, 1999.

[7] Sur la notion de « sécurité », voir l’article « Sécurité » in Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, REDS, 1993. Sur le besoin social de la sécurité, voir l’ouvrage de G. Le Gall, Les Français et la sécurité : L’état de l’opinion, Seuil, 1994, où l’auteur cite notamment J. Delumeau (p. 117) : « La plus grande pulsion n’est pas la libido, mais le besoin de sécurité ».

[8] Voir l’ouvrage de G. Martin et J. Clam, Les transformations de la régulation juridique, L.G.D.J., 1998.

[9] A ce propos, l’ouvrage de : Jacques Commaille et Bruno Jobert, Les métamorphoses de la régulation politique, L.G.D.J., 1998.

[10] Jacques Chevallier, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », RDP, n°3, 1998, p. 659 et s. Voir aussi : André-Jean Arnaud, Entre modernité et mondialisation : Cinq leçons de la philosophie du droit et de l’Etat, LGDJ, 1998, coll. Droit et société, nota. « Leçon 5 : De la globalisation au postmodernisme en droit », p. 147 et s. Voir aussi : le tome 34 de la revue Arch. phil. droit, intitulé Le droit et l’immatérial, éd. Dalloz-Sirey, 1999, qui s’interroge sur la naissance probable d’une régulation sociale et se demande si le droit pourra y puiser de nouvelles forces : « L’époque qui s’ouvre sera-t-elle pour le droit une aube ou un crépuscule ? ».

[11] Jacques Chevallier, « Vers un droit post-moderne ? Les transformations de la régulation juridique », RDP, n°3, 1998, p. 659 et s.

[12] Pour le Professeur Jacques Chevallier, la post-modernité juridique est à la fois une « anti-modernité » et une « hyper-modernité », Ibid.

[13] Concept clé chez Aristote, la prudence signifie la capacité de bien délibérer, en faisant le bon choix de moyens utiles et efficaces dans une situation affectée d’indétermination. voir nota. Solange Vergnière, Ethique et politique chez Aristote, PUF, 1995, où l’on apprend que l’éthique chez Aristote c’est précisément la réflexion sur l’agir de l’homme.

[14] Pour Descartes et les philosophes des Lumières après lui, l’univers est sur le plan spéculatif calculable et prévisible, il est sur le plan pratique manipulable et consommable à volonté. La philosophie et la sciences permettent aux hommes d’être comme maître et possesseur de la nature. C’est en cela peut-être que leur responsabilité est accru de nos jours.

[15] S. Rials et P. Raynaud, Une prudence moderne ?, Journée organisée par l’Institut La Boétie, éd. PUF, coll. Politique d’aujourd’hui, 1992. nota. les contributions de : C. Million-Delsol, « La prudence des Anciens », p. 7-19 ; L. Ferry, « La prudence en bioéthique : De la prudence à la délibération », p. 133-140 ; J. Rigaud, « Prudence et entreprise », p. 147-154.

[16] J. Freund, « Michel Villey et le renouveau de la philosophie du droit », Arch. phil. droit, t. 37, 1992, p. 5 et s. ; J-F Niort et G. Vannier, Michel Villey et le droit naturel en question, L’Harmattan, coll. « Logiques juridiques », 1994.

[17] Sur le nouveau rôle du juge (d’où le concept de juris-prudence) : D. Salas, « Le juge dans la cité : nouveaux rôles, nouvelle légitimité », Justices, 1995, n°2, p. 181 et s. ; A. Pézard, « L’éthique du juge », P.A., 1995, 20 sept. et 1 nov.

[18] La peur est mauvaise conseillère et les progrès scientifiques et techniques sont si rapides qu’une législation trop précise, qui viendrait figer une situation nécessairement provisoire, serait bien imprudente.

[19] CE 25 septembre 1998, Association Greenpeace France c/ Ministère de l’agriculture et de la pêche, n°194348, Concl. M. Stahl. Voir pour les commentaires : Joël Andriantsimbazovina, « Le CE et le principe de précaution : L’affaire du maïs transgénique », Dr. adm., juin 1999, p. 4 et s. ; Martine Remond-Gouilloud, « Les OGM au Conseil d’Etat : Commentaire de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 25 septembre 1998 », G.P., 22-23 janvier 1999, p. 13 (texte de l’arrêt p. 23) ; voir aussi la note de la revue Dr. Adm., octobre 1998, p. 18, n° 310.

[20] La Haute juridiction était saisi par des associations écologiques sur des autorisations accordées par le Gouvernement en novembre 1997 de mettre sur le marché un maïs dont l’organisme a été génétiquement modifié. Or une seule mutation d’un des gènes introduit risquait entraîner selon certains biologistes un phénomène de résistance aux céphalosporines, une nouvelle classe d’antibiotiques de plus en plus utilisée en médecine humaine. (L’Express, 5 février 1998, « Maïs transgénique : Les apprentis sorciers »). Le Conseil accorde le sursis à exécution de l’arrêté du 5 février 1998, du Ministère de l’agriculture et de la pêche portant modification du catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France, autorisant la dissémination du maïs transgénique Novartis. Les demandeurs avaient notamment fondé leur requête sur le « principe de précaution ».

[21] Qu’il s’agisse du clonage des mammifères, du séquençage du génome, ou des organismes génétiquement modifiés. Le généticien A. Khan dresse un remarquable bilan des menaces et opportunités réelles en soulignant la particularité des progrès de la génétique : « Les hommes ont toujours été inquiets de l’avenir - source à la fois d’espoirs et de peurs. Mais cette inquiétude s’est sans doute accrue à mesure que le changement s’accélérait et qu’au sentiment de continuité se substituait l’anticipation de ruptures, donc celui d’une pluralité de futurs possibles… », in A. Kahn, « Les progrès de la génétique : Risques et opportunités, peurs et espoirs », Futuribles, n°223, septembre 1997, p. 5-27.

[22] En soulignant « qu’eu égard par ailleurs à la nature des conséquences que l’exécution de l’arrêté pourrait entraîner… », le Conseil d’Etat donne une formulation explicite du principe de précaution.

[23] Dans sa décision du 11 décembre 1998, le CE décide de ne pas se prononcer sur le fond, en renvoyant le problème devant la Cour de justice de la communauté européenne, chargée de lui indiquer l’étendue de ses propres compétences en la matière. En effet, le Conseil aurait pu saisir l’occasion de se prononcer sur les deux aspects induits du principe de précaution : quant à sa réception et à son application totale et quant à ses effets sur le droit de la responsabilité. Mais sur ces deux aspects, le Conseil d’Etat n’a pas voulu trancher, laissant sans doute le temps de la réflexion notamment au législateur.

[24] Il a également considéré que l’un des quatre risques évoqués par les associations requérantes, celui de l’apparition possible d’un gêne de résistance à un antibiotique, n’avait pas fait l’objet d’une évaluation complète dans le dossier rendu par la Commission d’étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire, ce qui constituait un vice de forme (au vu de la loi n°92-654 du 13 juillet 1992 autorisant la dissémination des OGM).

[25] Sur la question particulière des OGM, voir l’article de D. Bodin-Rodier, « Les plantes du futur : Les organismes génétiquement modifiés (OGM) », Futuribles, mars 1997, 5-19.

[26] Ce dernier serait-il source d’obligations juridiques contraignantes ou ne constituerait-il que le réceptacle de principes généraux au contenu plus politique que juridique ? La réponse à cette question est déterminante pour l’extension du contrôle de la légalité opéré par le Conseil d’Etat.

[27] P. Lascoume, « La précaution, un nouveau standard de jugement », Esprit, 1997, n°11, p. 129-140.

[28] G. Mondello, Principe de précaution et industrie, Paris : L’Harmattan, 1998. nota. La préface de l’ouvrage.

[29] G. Martin, « Précaution et évolution du droit », in Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, MSH et INRA, Paris, 1997, p. 331-351.

[30] Conseil d’Etat, Rapport public 1998 (Jurisprudence et avis de 1997), intitulé « Réflexions sur le droit de la santé », E.D.C.E., n° 49, La documentation française, nota. p. 256 et s.

[31] Pierre Lascoumes, « La précaution, un nouveau standard de jugement », Esprit, Novembre 1997, p. 129 et s.

[32] Ainsi, selon l’art. 11 de la loi Barnier du 2 février 1995, c’est la prévention qui justifie certaines expropriations et explique toute une série de dispositions en matière de sécurité du travail ou d’environnement. Selon L. Boy (« La référence au principe de précaution et l’émergence de nouveaux modes de régulation ? », op. cit.), c’est l’intérêt général qui « justifie » la prévention.

[33] G. Martin, « Précaution et évolution du droit », op. cit. Pour L. Boy (ibid.), ici la précaution « inspire » l’intérêt général.

[34] L’expression est de Martine Rémond-Guilloud, « Le risque de l’incertain : la responsabilité face aux avancées de la science », La vie des sciences, 1993, n° 4, p. 431.

[35] Il faut prendre en compte les risques connus même si leur probabilité est faible.

[36] Par exemple, P. Lascoumes, (op. cit., p. 129) rejette l’utilisation du principe contre l’importation de farines contaminées par les prions, alors que la démonstration de leur nocivité et de leur relation avec ESB (maladie de la ’vache folle’) est établie depuis mars 1996 en Grande-Bretagne, ou encore quand les industriels invoquent cette notion pour tenter de dégager leur responsabilité à l’égard des maladies pulmonaires des ouvriers de leur entreprises (affaire de l’amiante), alors que la relation entre exposition au produit et risque de cancer est établie depuis le début des années soixante-dix.

[37] Selon la définition donnée par Pierre Lascoumes, « La précaution, un nouveau standard de jugement », Esprit, oct. 1997, p. 129.

[38] Ass. 9 avril 1993, concl. Legal, D. 1993, p. 312. (sur la notion de responsabilité de l’Etat)

[39] Comparer avec l’évolution de l’obligation de sécurité, création prétorienne récente. Cf. nota. L. Boy, « Une avancée dans le droit de la responsabilité médicale : l’obligation de sécurité-résultat », Note sous TGI Paris, 5 mai et 20 octobre 1997, D. 1998, Jur., p. 558.

[40] O. Godard, « Le principe de précaution : renégocier les conditions de l’agir en univers controversé », Natures, Sciences, Société (NSS), 1998, vol. 6, n°1, p. 42. Du même auteur : « Précaution, un principe très politique », Courrier de la planète, n°46, Juillet-Août 1998, n° spécial sur les OGM, Essor des biotechnologies et principe de précaution. Pour un article plus récent, se reporter à O. Godard, « De l’usage du principe de précaution en univers controversé », Futuribles, n°239-240, 1999, p. 37 s. Voir aussi, J-P Galland, « Les responsabilités des experts et le principe de précaution », NSS, 1998, vol. 6, n° 1, p. 47 : « Le principe de précaution est, lui, un principe d’ordre essentiellement politique, qui, historiquement, s’enracine sur des problèmes d’environnement, et en particulier sur le problèmes d’environnement globaux ».

[41] P. Lascoumes, « La précaution comme anticipation des risques résiduels et hybridation de la responsabilité », l’Année sociologique, vol. 46 (2), pp. 359-382 et « La précaution, nouveau standard de jugement », Esprit, Nov. 1997, p. 129.

[42] Traduit habituellement par « principe de précaution » mais qui signifie aussi « principe de prévention », le terme est employé dans la loi allemande de 1974 sur les pluies acides. Le principe a surgi également aux Etats-Unis à l’occasion de la critique du modèle technico-économique.

[43] La Convention de Vienne de mars 1985 sur la protection de la couche d’ozone mentionne la première ce principe. La deuxième Conférence internationale sur la protection de la Mer du Nord (1987) parle de la nécessaire « approche de précaution ». La troisième Conférence (1990) également, reconnaît formellement l’existence d’un principe de précaution.

[44] L’article 130 R énonce les principes qui doivent fonder l’action de la Communauté et notamment que « dans son action en matière d’environnement, la Communauté tiendra compte des données scientifiques et techniques disponibles ».

[45] Art. 130 S, 5.

[46] CJCE, 14 juill. 1994, Peralta, n° C-379/92, Rec. p. I-3453, point 57.

[47] Conclusions de l’avocat général M. Philippe Léger (nota. Points 65 et s.), présentées le 3 février 1998, Affaires C-284/95, Safety Hi-Tech Srl (demande de décision préjudicielle formée par le Giudice di Pace di Genova) et C-341/95 Gianni Bettati.

[48] La Convention de Paris pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du nord-est du 22 septembre 1992 consacre également le principe dans son article ’2, 2 a’ en le définissant comme le principe selon lequel « des mesures de prévention doivent être prises lorsqu’il y a des motifs raisonnables de s’inquiéter du fait que des substances ou de l’énergie introduites, directement ou indirectement dans le milieu marin, puissent entraîner des risques pour la santé de l’homme (…), même s’il n’y a pas de preuves concluantes d’un rapport de causalité entre les apports et les effets ».

[49] Organe d’appel de l’Organisation Mondiale du Commerce, Rapport dans les affaires WT/DS26/AB/R (USA) et WT/DS48/AB/R (Canada), 16 janv. 1998, Affaire des mesures communautaires concernant la viande aux hormones, paragraphes 120 à 125. Pour le texte des rapports successifs voir : (http://www.wto.org/).

[50] Loi 95-101, dite loi Barnier, sur le renforcement de la protection de l’environnement (art. L. 200.1 du Code Rural). Le principe figure implicitement, dans la loi du 13 juillet 1992 sur le O.G.M. La loi du 4 janvier 1993, réformant la transfusion sanguine, et les deux lois bioéthique du 29 juillet 1994 relatives à l’utilisation des produits du corps humain et à la procréation médicalement assistée ne font pas mention du principe de précaution. Ce qui laisse penser que le législateur ne voulait pas étendre le principe à d’autres domaines que l’environnement. Voir aussi, Ch. Cans, « Grande et petites histoire des principes généraux du droit de l’environnement dans la loi du 2 février 1995 », R.J.E. 2/95, p. 195 s. ; M. Depax, « La loi n°95-101 relative au renforcement de la protection de l’environnement », in Les hommes et l’environnement, Etudes A. Kiss, éd. Frishon-Roche, 1998., p. 391 s.

[51] Sur les insuffisances de cette définition : Corinne Lepage, « Les grands principes tels que les décline la loi Barnier sont à revoir », Le Courrier de l’environnement, mars 1995, p. 23 et Pierre Lascoumes, Des ajouts un peu épars, même revue, avril 1995, p. 8. Cités par C. Cans in « Grande et petite histoire des principes généraux du droit de l’environnement dans la loi du 2 février 1995 », R.J.E., 2/1995, p. 203.

[52] M. Stahl, CE, 25 septembre 1998 et 11 déc. 1998.

[53] O. Godard, « La précaution : un principe très politique », op. cit., note 40, p. 45. L’auteur considère que la loi « invite les responsables à peser des éléments divers et à ne pas décider seuls au nom de tout le monde » ; elle « renvoie à un dialogue entre les responsables, les experts et la société ».

[54] Qu’il s’agisse des principes posés par des textes de valeur constitutionnelle (CE, 10 décembre 1962, Société indochinoise de constructions électriques et mécaniques, Rec. p. 676 ; CE, 29 novembre 1968, Tallagrand, Rec., p. 607 ; CE, 27 septembre 1985, Association France Terre d’Asile, Rec., p. 263) ou des stipulations internationales comme la charte sociale européenne ou encore sur certaines stipulations de la convention sur les droits de l’enfant (CE, 20 avril 1984, Ministère délégué chargé du budget c/ Mlle Valton et autre, Rec. p. 148 et Sect. 23 avril 1997, GISTI, R.F.D.A., 1997, p. 585, concl. Abraham).

[55] Outre le principe de précaution, l’article énonce aussi le principe d’action préventive, le principe pollueur-payeur et le principe de participation.

[56] Dans ce sens le Tribunal administratif de Rouen statuant au contentieux a considéré que l’administration ne pouvait opposer à la loi des principes du Traité de Maastricht (dont le principe de précaution) et d’une Directive du Conseil qui n’ont été ni intégrés, ni transposées en droit interne. T.A. Rouen, 14 juin 1996, Société Intertitan Emporiki Diethis, n°95476, non publié. Il s’agissait ici de l’annulation de mesures prises par le préfet de Seine Maritime, préalablement à l’ouverture de l’établissement concerné, et conformément à l’art. 130 R du Traité de Maastricht, pour imposer au futur exploitant d’une installation de stockage et de distribution de ciment, soumise à déclaration des prescriptions spéciales.

[57] O. Godard, « Le principe de précaution : renégocier les conditions de l’agir en univers controversé », op. cit., note 40, p. 42.

[58] Contra. L. Boy, « Normes », R.I.D.E., 1998, n°2. L’auteur démontre que la sanction caractérise tout système normatif qui a vocation à poser des normes de type « devoir-être » et que le critère du juridique réside plutôt dans le recours au juge. Sur le contresens sur le terme « sanction », voir G. de la Pradelle, Essai d’introduction au droit français, Paris, Erasme, 1990, n°79.

[59] Marceau Long, préface à l’ouvrage collectif, Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, Olivier Godard, éd., éd. MSH, Paris, INRA, 1997.

[60] V. Labrot, Communication à la table ronde sur « Evaluation du risque et principe de précaution » lors des Entretiens scientifiques de Brest, Science et éthique ou le devoir de parole, Brest, 17-18 oct. 1997. Texte de la communication disponible sur Internet (http://science-ethique.enst-bretagne.fr/1997/comptes-rendus1997/textes). Voir encore le rapport de la promotion 98 de l’ENA sur la précaution et la sécurité sanitaire : http://www.sdv.fr/ena/F/sg/semin/gp11/rapport1.html, voyant dans la précaution un principe politique plus que juridique : « Son interprétation dépend trop du couple demande sociale de sécurité-régime de responsabilité pour que lui soit conférée une dimension systématique et contraignante » (par. 1.2.2.2).

[61] G. Martin, « Principe de précaution et évolution du droit », op. cit., p. 301. Un auteur parle même de « standards dogmatiques » qui visent d’abord « à formuler un jugement sur la réalité » par opposition aux « standards descriptifs » qui visent « à assurer la diffusion de ce qui est ordinaire ». S. Rials, Le juge administratif français et la technique du standard, L.G.D.J., 1980, p. 143.

[62] Joël Andriantsimbazovina, « Le CE et le principe de précaution : L’affaire du maïs transgénique », Dr. adm., juin 1999, p. 5.

[63] On peut d’ores et déjà souligner le caractère imprécis des éléments constitutifs du principe et notamment du degré de preuves nécessaires mais plus encore, de l’importance des mesures à prendre.

[64] Y. Gaudemet, Les méthodes du juge administratif, Thèse Paris, 1972, p. 51.

[65] Y. Gaudemet, Ibid., p. 11.

[66] Voir D. Linotte, « Déclin du pouvoir jurisprudentiel et ascension du pouvoir juridictionnel », A.J.D.A., 1980, p. 631-640.

[67] L’expression est de Frédéric Rouvillois, « Le raisonnement finaliste du juge administratif », R.D.P., 1990, p. 1817. L’auteur considère notamment que la fonction du juge a une cause finale, qui est de « dire le droit » en tranchant un litige (p. 1837).

[68] C’est ainsi, qu’à la suite de l’arrêt Dehaene, les Professeurs Linotte et Atias, affirment que le législateur et le juge ne pouvaient pas ne pas reconnaître le droit de grève des fonctionnaires, puisque ceux-ci, comme les salariés avaient utilisé ce mode de revendication : « Le Mythe de l’adaptation du Droit au fait », D. 1977, chr. p. 251.

[69] Rappelons ici que le terme « Jurisprudence » vient précisément de prudentia, prudentes, qui à leur tour viennent de pro-video, « envisager ce qui doit ou peut arriver ».

[70] Cité in Letourneur, Les principes généraux du droit dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, E.D.C.E., 1951, p. 19. Le commissaire du Gouvernement Letourneur souligne que la jurisprudence admet aujourd’hui qu’à côté des lois écrites existent de grands principes dont « la reconnaissance comme règles de droit est indispensable pour compléter le cadre juridique dans lequel doit évoluer la nation, étant données les institutions politiques et économiques qui sont les siennes, et dont la violation a les mêmes conséquences que la violation de la loi écrite, c’est-à-dire l’annulation de l’acte intervenu en leur méconnaissance et la constatation d’une faute à la charge de l’autorité ayant pris cet acte ».

[71] Letourneur, Les principes généraux du droit dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, EDCE, 1951, p. 195 s. ; B. Jeanneau, Les principes généraux du droit dans la jurisprudence administrative, Thèse Paris, 1954 ; R. Chapus, « De la valeur juridique des principes généraux du droit et autres règles jurisprudentielles en droit administratif », D. 1966, chr. 99 ; B. Jeanneau, La théorie des principes généraux du droit à l’épreuve du temps, EDCE, 1981-1982, p. 33 s.

[72] M. Virally, Le rôle des « principes » dans le développement du droit international, in Le droit international en devenir, Essais écrits au fil des ans, 1990, p. 195 s. ; Odile Debbasch, « Les juridictions françaises et les principes généraux du droit international », in Mélanges Boulouis, 1991, p. 139 s.

[73] Le Professeur Chapus (Droit administratif général, T.1, 11° éd. n°122 s.) relève justement que la première mention jurisprudentielle de tels principes a été contemporaine de l’arrêt Blanco, qui a fondé le droit administratif (voir TC, Dugave et Bransiet, 8 février 1873, Rec., p. 70). Mais l’acte de naissance réelle et la construction méthodique d’une théorie des principes généraux du droit commence avec la décision du CE du 26 octobre 1945 (Aramu et autres, D. 1946, p. 158, note G. Morange). L’intérêt de la doctrine pour les principes généraux du droit date seulement des années 1930 : V. G. Del Vecchio, « Les principes généraux du droit », in Mélanges Gény, 1934, t.II, p. 69 et s.

[74] Ainsi, distinguant les lois du droit, les juges suprêmes peuvent sans cesse procéder à la rationalisation du droit. F. Terré, Introduction générale au droit, 3ème éd., Dalloz, 1996, n° 251 s.

[75] M. de Béchillon, La notion de principe général en droit privé, Thèse, Pau, 1997, PUAM, 1998 ; J. Boulanger, Principes généraux du droit et droit positif, Etudes Ripert, 1950, t.I, p. 51 s. ; G. Lyon-Caen, Du rôle des principes généraux du droit civil en droit du travail (première approche), R.T.D. civ. 1974, p. 299 s. ; V. Majdak, L’utilisation des « principes généraux du droit » en droit du travail, Thèse, Nice, 1993 ; B. Oppetit, Rapport sur « Les ’’principes généraux’’ dans la jurisprudence de cassation », Entretiens de Nanterre, 17 et 18 mars 1989, J.C.P., éd. E, Cah. dr. entr., n°5-1989, p. 12 s. ; B. Oppetit, « Les principes généraux du droit en droit international privé », Arch. phil. droit, t. 32, 1987, p. 179 s. ; E. Gaillard, « La distinction des principes généraux du droit et des usages du commerce international », in Mélanges Bellet, 1991, p. 203 s. ; D. Bureau, Les sources informelles du droit dans les relations privées internationales, Thèse, Paris, 1992.

[76] CC, 1979, 104 DC, R. 27, le Conseil aurait pu faire référence à l’art. 16 de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen.

[77] CC, 1987, 224 DC, en l’occurrence il s’agissait du principe de l’existence d’une juridiction administrative dotée de compétence propre issu de la séparation des pouvoir. Pour aller plus loin voir : M.L. Tréguier, L’influence du Conseil d’Etat sur le Conseil constitutionnel : Principes généraux du droit et principes de valeur constitutionnelle, Thèse, Nice, 1992.

[78] M.L. Tréguier, Ibid.

[79] R. Chapus, « De la valeur juridique des principes généraux du droit et des autres règles jurisprudentielles du droit administratif », D. 1966, Chr., p. 99 s. ; Droit administratif général, T.1, 11° éd., n°140.

[80] Pour parvenir à confronter une convention internationale à un principe supérieur, il a fallu que le juge administratif en vienne à créer « un principe fondamentale reconnu par les lois de la République », d’ordre constitutionnel, un principe général du droit ordinaire n’y suffisant pas. CE, Ass., 3 juillet 1996, Koné, R.F.D.A., 1996, p. 870 s., concl. Delarue ; R.D.F., 1996, p. 1751, note C. Braud ; R.G.D.I.P. 1997, n°1, p. 237, note D. Alland ; D. 1997, p. 219 s. ; J.C.P., 1996, II. 22720. On a pu souligner à cette occasion une « guerre » des juges » (voir O. Cayla, « Le coup d’Etat du droit ? », Le Débat, n°100, mai-août 1998, p. 108), le Conseil d’Etat tendant, non seulement à venir concurrencer le Conseil constitutionnel sur son propre terrain, mais encore à s’arroger le pouvoir de contrôler la conformité d’un traité à la Constitution.

[81] Voir par exemple : D. Linotte, « Déclin du pouvoir jurisprudentiel et ascension du pouvoir juridictionnel en droit administratif », A.J.D.A. 1980, p. 632 s. ; S . Rials, « Sur la distinction contestable et un trop réel déclin. A propos d’un récent article sur le pouvoir normatif du juge », A.J.D.A. 1981, p. 115 s. ; D. Linotte et S. Rials, « Conclusion d’une controverse », A.J.D.A., 1981, p. 202 s.

[82] F. Moderne, « Actualité des principes généraux du droit », R.F.D.A., p. 495 s. Voir également, le numéro spécial de l’A.J.D.A., sur Les droits fondamentaux, Juillet-août 1998.

[83] Ainsi par exemple en matière du droit des étrangers (R. Chapus, Droit administratif, op. cit., n° 134 en dresse un bilan ; notamment l’arrêt Koné, infra.) et du droit social (V. Majdak, L’utilisation des « principes généraux du droit » en droit du travail, Thèse, Nice, 1993).

[84] Le principe général de libre accès aux activités sportives : CE, 31 mars 1989, Mme Verdy-Sumeire et Athletic-Club de Boulogne-Billancourt, Req. n°77.176, cité par F. Moderne, op. cit., note 126.

[85] Y. Jégouzo, « Les principes généraux du droit de l’environnement », R.F.D.A., 1996, p. 209 ; CE 4 janvier 1995, Rossi, supra. Voir aussi : R. Romi, « L’ancrage du droit de l’environnement : Aspects institutionnels, réglementaires et jurisprudentiels, R.D.P., 1999, p. 901 et s.

[86] Voir nota. CE, Rapport public 1998, Réflexions sur le droit de la santé, op. cit. Voir : CE, 20 avr. 1988, Conseil national de l’ordre des médecins, Rec., p. 146, pour le principe de l’indépendance professionnelle et morale des médecins ; CE, 18 février 1998, Section locale du Pacifique Sud de l’ordre des médecins, Req. n° 171.851, pour les principes de liberté du choix du médecin et de celle des prestations médicale.

[87] CE, Ass., 2 juillet 1993, Milhaud, A.J.D.A., 1993, p. 530., à propos du respect des principes déontologiques médicaux post-mortem. Voir aussi C.E., Rapport public 1998, EDCE n° 49, Documentation française : nota. « Bioéthique et droit », p. 269 et s. mais également les contributions de Nicole Questiaux, « L’éthique des sciences du vivant », p. 323 s. et de Jean-Pierre Cot, « La brevetabilité des inventions biotechnologiques », p. 367 s.

[88] J. Carbonnier, Sociologie juridique, Quadrige, P.U.F., 1994.

[89] F. Terré, Introduction au droit, Dalloz, n° 254.

[90] M. Torrelli, « La reprise des essais nucléaires français », A.F.D.I., 1995, p. 745. Sur la demande d’examen par la C.I.J. de la situation présentée par la Nouvelle-Zélande voir l’Ordonnance de la C.I.J. du 22 septembre 1995 (http://www.icj-cij.org/cij/cdecisions/csummaries/cglsommaire950922.htm).

[91] Adoptées le 23 oct. 1995, Agence Europe, 24 oct. 1995.

[92] Prévoyant une procédure spéciale pour les « essais particulièrement dangereux ».

[93] C.I.J., 25 sept. 1997, Affaire relative au projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie / Slovaquie), notamment les par. 111, 113 et 140 (http://www.icj-cij.org/cij/cdocket/chs/chsjudgment/chs_cjudgment_970925.htm). Sur cette affaire, voir : J. Sohnle, « Irruption du droit de l’environnement dans la jurisprudence de la CIJ : L’affaire Gabcikovo-Nagymaros », R.G.D.I.P., 1998, p. 110 et s.

[94] Dominique Carreau et Patrick Juillard, Droit international économique, LGDJ, 4e éd., 1998.

[95] On l’a déjà vu, l’OMC considère la notion de précaution comme trop imprécise. Ainsi, elle a demandé à l’Union européenne d’apporter une « démonstration scientifique convainquante » et une « évaluation des risques plus approfondie » des dangers de la viandes aux hormones américaine. Rappelons que les experts européens ont conclu que « rien ne permet d’affirmer l’innocuité des hormones de croissances », pour ensuite affirmer que « le caractère potentiellement dangereux de la consommation de viandes aux hormones est définitive ». Malgré ses conclusions l’OMC continue à privilégier le principe de liberté de commerce. Le Monde, 30 avril 1999, p. 36 et 20 mai 1999, p. 29. Mais rien n’est moins sûr d’assister à un renversement de situation une fois le contenu de la notion mieux précisé.

[96] Cette position est notamment défendue par les pays de l’Union européenne lors du nouveau cycle de négociations commerciales mondiales dans le cadre de l’OMC (novembre 1999) à Seattle aux Etats-Unis. Les Européens défendent à ce propos l’importance de la sécurité alimentaire et de la protection des consommateurs. Ils demandent une clarification et un renforcement des conditions d’application du principe de précaution. Le Monde, 16 septembre 1999.

[97] CJCE, Cour plénière, 5 mai 1998, National Farmers’ Union, C-157/96, Chr. annuelle de jurisprudence, C.J.E.G., nov. 98, p. 419.

[98] Elle a pour origine l’alimentation du bétail fabriquée, selon les nouvelles technologies, sur la base de déchets de viande animale et notamment de carcasses de moutons atteints d’une forme très proche de dégénérescence du cerveau, la maladie dite de la tremblante du mouton.

[99] Diverses mesures avaient été adoptées à cet effet : « Ruminant Feed Ban », contenu dans le Bovine Spongiform Encephalopathy Order 1988 et The Bovine Offal (Prohibition) Regulations 1989.

[100] Décision 96/239/CE de la Commission, JO L 78, p. 47, fondée sur la Directive modifiée 90/425/CEE du 26 juin 1990 relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables dans les échanges intra-communautaires de certains animaux vivants et sur la directive modifiée 89/662/CEE du 11 décembre 1989 relative aux contrôles vétérinaires.

[101] Affaire n° C-157/96, National Farmers’ Union, du 5 mai 1998, sur la validité de l’art. 1 de la décision 96/239/CE (JO L 78, p.47) de la Commission en date du 27 mars 1996.

[102] Affaire n° C-180/96, Royaume-Uni / Commission des Communautés européennes, du 5 mai 1998, ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 96/239/CE de la Commission, du 27 mars 1996, relative à certaines mesures d’urgence en matière de protection contre encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), J.O. L. 78, p. 47.

[103] La lettre Juris-classeur de l’environnement, n°5/99, Mai 1999.

[104] CJCE, 14 juillet 1998, aff. n° C-284/95, Safety Hi-Tech Srl.

[105] Règlement du Conseil n°3093/94, su 15 déc. 1994, J.O. L 333, p. 1.

[106] Voir déjà l’Arrêt du 7 février 1985 de la CJCE, Association de défense des brûleurs d’huiles usagées, aff. n° C-240/83, Rec. p. 531, point 13.

[107] CJCE, 20 sept. 1998, Commission / Danemark, aff. n° 302/86, Rec. p. 4607, point 9.

[108] Préface de M. Long, in Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, éd. MSH-INRA, 1997, p. 16.

[109] CE, 4 janvier 1995, Ministère de l’intérieur c/ M. Rossi, n° 94967, CJEG, 1995, p. 232, note O. Sachs.

[110] O. Sachs, note sous CE, 4 janvier 1995, Ibid., p. 234.

[111] CE 23 avril 1993, M. G., D. 1993, p. 321, concl. H. Legal, cité in G.P., 1999, p.14.

[112] ibid. p. 318.

[113] CE, Ass. plén., 26 mai 1995, Consorts N’Guyen, consorts Pavan, consorts Jouan (Conclusions Daël in R.F.D.A., 1995, p. 748), cités par M. Long, in O. Godard, Principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, Préface, op. cit. M. Long se demande même si la notion de « présomption de faute » en matière d’activités spécialement dangereuses n’est pas pour le juge une manière de dire que le dommage n’aurait pas pu se produire si toutes les précautions nécessaires avaient été prises.

[114] CE, 30 avril 1997, Commune de Quévillon, Dr. Adm., juill. 1997, p. 32, n°262.

[115] CE, 21 avril 1997, Mme Barbier, Req. n° 180274, arrêt des 1ère et 4ème sous-section, non publié. Arrêt cité dans le rapport du Conseil d’Etat 1998, op. cit. p. 47.

[116] CE, 7 juillet 1997, MM. Le Bras et Rivaol, Req. n°179139.

[117] CE, 13 mars 1998, M. Bouchet, Req. n°172906, non publié.

[118] Voir : Julien Léone, « Les OGM à l’épreuve du principe de précaution », Petites Affiches, 18 août 1999, n°164, p. 12, qui admet que le Conseil d’Etat donne valeur législative à ce principe. Pour M. Romi au contraire, le Conseil a, en faisant référence à un autre texte, fait une lecture plus nuancée : « le principe sert à lire les autres dispositions, à orienter l’interprétation, mais son existence n’emporterait pas [pour le Conseil d’Etat] seule le choix du sursis à exécution ». R. Romi, « L’influence, la portée et la nature du principe de précaution », Petites Affiches, 16 août 1999, n°162, p. 12. Toujours est-il que la référence au principe même à titre accessoire mais de façon directe est unique dans les décisions de la Haute juridiction.

[119] Sur cette tendance, voir : J.S. Cayla, « Le principe de précaution, fondement de la sécurité sanitaire », Rev. de dr. sanit. et soc., 1998, p. 491 s.

[120] Qui peut normalement avoir lieu tant qu’aucun risque pour la santé humaine ou l’environnement n’est avéré.

[121] Voir à ce propos, notamment : Le Monde, supplément économie, Dossier « Commerce et santé, un couple à risque », 20 avril 1999.

[122] T. O’Rordan et J. Cameron, Interpreting the precautionary principle, Earthscan, Londres, 1994.

[123] CE, Rapport 1998, op. cit. p. 256.

[124] Décrets n°96-97 et n°96-98 du 7 février 1996 relatifs au désamiantage des immeubles et à la protection des travailleurs contre les poussières d’amiante.

[125] D. Préat, « Le principe de précaution, ou comment faire cohabiter droit, science et politique », Les Echos du 9 juin 1999, p. 64.

[126] M.L. Tréguier, L’influence du Conseil d’Etat sur le Conseil constitutionnel : Principes généraux du droit et principes de valeur constitutionnelle, Thèse, Nice, 1992.

[127] F. Chaumet, F. Ewald, « Autour de la précaution », Risques, n°11, Juill.-Sept. 1992, p. 102.

[128] Voir par exemple : sur l’affaire du « poulet belge contaminé à la Dioxine » et les mesures de précaution, Le Monde, 2 juin 1999 ; aussi : Le Monde du 28 mai 1999, p. 38, quand le secrétariat d’Etat à la santé, invite au nom du principe de précaution au dépistage du sida et de l’hépatite C pour 10.000 patients d’une clinique ayant pu être contaminés ; également, la suspension des procédures d’homologation par la Commission européenne, de variétés de maïs transgénique à la suite de la publication d’une étude de la revue américaine Nature sur de possibles effets fatals du pollen en provenance de maïs transgénique sur l’espèce de papillon monarque, Le Monde du 22 mai 1999, p. 8. Encore : la volonté exprimée par le Parlement européen de renforcer la protection du public contre les effets des champs électromagnétiques au nom du principe de précaution Dans tous ces cas il n’y avait pas de preuve d’un danger immédiat, mais les autorités se sont senties tenues par le principe de précaution.

[129] CE, Rapport 1998, op.cit., p. 257.

[130] Le mécanisme de la Directive n°83-374 CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité des produits défectueux fondée sur la notion de précaution se base sur ce concept et conduit à une responsabilisation ex ante dans le cadre de la prise de décision.

[131] La nature aussi invente, crée des événements, s’adapte sans que la science ne puisse tout expliquer. La science est ainsi confrontée à l’incertitude.

[132] G. Martin, « Principe de précaution et évolution du droit », op. cit., p. 304, qui observe que concrètement, cela pourrait conduire à considérer que les cliniques qui ne sont tenues que d’une obligation de moyen (Cass. 12 avril 1995, Centre départemental de transfusion sanguine de l’Essone c/ ML. D., J.C.P., 1995, II, 22467, note P. Jourdain, ou encore CE, Ass. 26 mai 1995, Consorts NG, concl. Daël, R.F.D.A., 1995, p. 748), pourraient néanmoins être déclarées responsables parce qu’elles n’ont pas pris la précaution de vérifier ou de traiter les produits sanguins fournis aux malades.

[133] M. Rémond-Gouilloud, « Entre ’’bêtises’’ et précaution, A propos des vaches folles », Esprit, nov. 1997.

[134] Le débat était déjà amorcé par F. Ewald, Le Monde, 21 avril 1993, p. 11. Voir aussi M. Rémond-Gouilloud, « Du risque à la faute », Risques, n°11, Juill.-sept. 1992, p.11s. Et plus récemment : Gilles Martin, « Principe de précaution et responsabilité », in Les transformations de la régulation juridique, L.G.D.J., 1998, p. 415.

[135] Voir : Jean Benoit, « La responsabilité des élus locaux pour imprudence ou négligence après la loi du 13 mai 1996 », D. 99, JP, p. 56 ; « La hantise des maires d’être mis en cause pour des délits involontaires », Le Monde, 30 avril 1999, p. 15 ; Claude Got, « La culpabilité politique commence avec le refus de savoir », Le Monde, 10 février 1999, p.7, parlant d’un « séisme culturel » ; voir aussi le clin d’œil d’Alain Rollat, « Petit dialogue devant la télé… sur la responsabilité », Le Monde, 11 mars 1999, p. 24. Sur la responsabilité du politique : Antoine Garapon, secrétaire général de l’Institut des hautes études sur la justice, « La procédure inquisitoire se retourne contre le Prince », Le Monde du 6 février 1999, Supplément « Le procès du sang contaminé » et « La crainte des élus face à la ’judiciarisation’ » (p. 8).

[136] G. Martin, « Précaution et responsabilité », in Les transformations de la régulation juridique, L.G.D.J., 1998, p. 415 et s., P. Lascoumes, « La précaution, un nouveau standard de jugement », op. cit. , p. 132.

[137] G. Martin, « Précaution et évolution du droit », op. cit. p. 304 et plus récemment du même auteur : Gilles Martin, « Principe de précaution et responsabilité », in Les transformations de la régulation juridique, L.G.D.J., 1998, p. 415 et s.

[138] O. Sachs, note sous CE 4 janv. 1995, op. cit., p. 234.

[139] Cette nouvelle pratique du sursis à exécution est inaugurée par le Conseil d’Etat dans l’affaire précitée du Maïs transgénique : CE, 25 septembre 1998 ; Joël Andriantsimbazovina, « Le CE et le principe de précaution : L’affaire du maïs transgénique », Dr. adm., juin 1999, p. 6 ; l’auteur considère que « c’est une sorte de sagesse que de prononcer le sursis à exécution pendant l’examen du respect ou non par l’autorité administrative des dispositions légales et réglementaires relatives aux précautions que l’administration doit prendre ».

[140] Ainsi par exemple, pour la fermeture de centrales nucléaires. En cas d’accident, les victimes pourraient-elles invoquer le principe de précaution a posteriori pour engager non seulement la responsabilité des gouvernements en exercice, mais aussi celle des juges saisis de l’affaire en son temps ?

[141] Le Professeur J. Rivero, en refusant de qualifier le juge administratif de juge qui gouverne, décrivait déjà en 1951 le « gouvernement des juges » : le « juge qui gouverne » est celui qui s’efforce « d’affirmer l’existence d’un corps de principes, indépendants de toute règle écrite, qui constitue, en quelque sorte, la philosophie politique de la Nation, et dont, en se disant le gardien, il s’institue, en fait, le créateur, puisque c’est lui qui en leur donnant une sanction, les fait passer dans le droit positif ». J. Rivero, « Le juge administratif français : Un juge qui gouverne ? », D. 1951, Chr. p. 21).

[142] Arrêt d’Assemblée du CE, 28 mai 1971, Min. de l’équipement et du logement c/ Fédération de défense des personnes concernées par le projet actuellement dénommé « Ville Nouvelle Est », Rec. p. 409, concl. Guy Braibant, D. 1972, p. 194. En dernier lieu : CE, Sect. 3 avril 1998, Corderoy du Tiers, n°172554, concernant l’aptitude physique des pilotes d’avion et une décision d’interdiction de vol.

[143] R. Chapus, Le droit administratif général, T.1, n°1259 s. en tire un bilan. Nota. CE 29 avril 1994, Cougrand, p. 219, D.A., 1994, n°382, revenant sur l’arrêt historique Lagrange, de 1961.

[144] Conclusion dans l’affaire du « maïs transgénique », arrêt du Conseil d’Etat du 25 septembre 1998 (précité) invoquant le principe de précaution pour accorder un sursis à exécution d’une autorisation administrative de mise sur le marché. En ce sens, la CJCE exerce un contrôle restreint des actes communautaires chaque fois que les principes de l’art. 130 R sont en jeu.

[145] CE, 23 avril 1982, Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne, T. p. 725. Cité par M. Stahl.

[146] En ce sens, pour l’appréciation de la toxicité d’une substance (CE, Sect., 27 avril 1951, Société Toni, Rec. p. 236) ou pour une appréciation devant être portée sur le caractère dangereux ou risqué d’une activité concernant par exemple, le caractère dangereux des substances pharmaceutiques (CE, 31 mars 1995, Société des laboratoires Lafon, D. 1995, n°221)

[147] Michel Combarnous, « L’équité et le juge administratif », Justices, n°9, 1998, p. 77 et s.

[148] Jean-Bernard Auby, « Le mouvement de banalisation du droit des personnes publiques et ses limites », in Etudes offertes à Jean-Marie Auby, éd. Dalloz, 1992, p. 3 et s. ; dans le même ouvrage : Michel Paillet, « Vers un renouveau des sources de la responsabilité administrative en droit français », p. 259 et s. ; J.-F. Flauss, « L’influence du droit communautaire sur le droit administratif français », Petites Affiches, 16 janvier 1995, p. 6 (où l’auteur s’interroge sur l’avenir d’un droit qui, en tendant à se banaliser, risque de perdre sa raison même d’exister) ; Plus récemment voir : Jacques Chevallier, « L’évolution du droit administratif », RDP, 1998, numéro spécial Les 40 ans de la Ve République, p. 1794 et s. (L’auteur souligne notamment que la logique du droit administratif est transformé par le double assaut du juge qui oriente la jurisprudence dans des directions nouvelles et de la doctrine qui revisite les fondations de la discipline) ; C. Debouy, « Le droit français de la responsabilité administrative. Métamorphose ou permanence ? », Cah. Jurid. Elect. Gaz., 1997, p. 327.

[149] Conseil d’Etat, Rapport 1999, L’intérêt général, EDCE n° 50, éd. Doc. Fr., 1999 ; J.-M. Pontier, « L’intérêt général existe-t-il encore ?, D., 1998, chr. p. 327 s.

[150] Cette tentative est saluée par D. Linotte, dans la mesure où « elle s’efforçait de donner un contenu juridique plus précis à la notion d’intérêt général, au lieu de se borner à l’invoquer abstraitement comme excuse absolutoire, ainsi que le contentieux de l’interventionnisme économique, des années 50-60, en a trop souvent donné l’exemple ». D. Linotte, op. cit.

[151] Joël Andriantsimbazovina, op. cit., p. 8, « Il renforce le pouvoir de l’Administration et atténue quelque peu le degré du contrôle du juge administratif ».

[152] F . Ewald, « Le retour du malin génie, Esquisse d’une philosophie de la précaution », in Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, éd. MSH-INRA, 1998, p. 99.

[153] Il ne faut pas oublier le rôle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques qui sera amené à jouer un rôle de contrôle grandissant à mesure que nous rentrons dans l’âge de la précaution. Le souci de transparence et le principe de précaution sont aussi à l’ordre du jour avec la mise en place par l’INRA (Institut national de recherche agronomique) d’un « Comité d’éthique et de précaution », dont la mission sera « de réfléchir aux relations entre la science et la société dans le domaine de l’agriculture, de l’alimentation et de l’environnement », mais aussi dans le projet de réforme du contrôle des activités nucléaires, portant création d’une « Autorité indépendante de sûreté et de radioprotection nucléaire », et qui affirme le principe de précaution afin de « restaurer la confiance de la population et d’assurer le droit des générations futures à vivre en toute sécurité » (Le Monde, 20 mai 1999, p. 40). Le droit à l’information et à la transparence va de paire avec le principe de précaution.

[154] « La sécurité, c’est tout à la fois : la protection contre la rétroactivité, l’assurance d’une consolidation à termes des situations juridiques individuelles mêmes constituées illégalement, la clarté, la précision, la cohérence, donc la connaissance et non moins la publicité effective et suffisante de la règle applicable, le respect des engagements prodigués, la stabilité de l’environnement juridique au vu duquel on a entrepris une activité à long terme ; (…) La sécurité, c’est en somme du conservatisme, voire un risque d’immobilisme, dans cette sécurité », Bernard Pacteau, « La sécurité juridique, un principe qui nous manque ? », A.J.D.A., mai-juin 1995, numéro spécial, p. 151. Mais il nous faut avoir présent à l’esprit l’observation de Joseph Barthélemy au début du siècle à propos de la question de la responsabilité du fait des lois : « Le progrès deviendrait impossible si, à chaque étape de sa marche en avant, il devait payer un péage aux privilégiés qui profitent de la situation antérieure », Chr. RDP, 1907, p. 97.

[155] V. Marange, La bioéthique : la science contre la civilisation, Le Monde éd., 1998, nota. chap. 6.

[156] Nous ne pouvons pas oublier notamment que le gouvernement, traumatisé par l’affaire du sang contaminé, applique de plus en plus l’adage « dans le doute abstiens toi » en suspendant, par exemple la campagne de vaccination de l’hépatide virale de type B. En effet, on était en présence de deux rapports d’experts contradictoires. Le vaccin risquait de susciter de très rares cas de scléroses en plaque chez les patients dont les antécédents familiaux présentaient des signes d’une telle pathologie, ou une aggravation de l’état de malades souffrant déjà de cette affection neurologique. Pourtant aucun élément objectif ne permettait dans l’affaire, d’établir un lien de causalité nécessaire entre l’innoculation du vaccin et les effets indésirables observés. L’impact du principe de précaution et l’évolution probable de son contenu ont sans doute pesé dans la balance.

© - Tous droits réservés - Zia OLOUMI - 22 décembre 2002

 


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