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Conseil d’Etat, 27 septembre 2002, n° 211370, Mme Martine N.

Lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité, de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation. Il revient au centre hospitalier le soin de prouver l’exécution de cette obligation.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 211370

Mme N.

M. Aladjidi
Rapporteur

M. Olson
Commissaire du gouvernement

Séance du 6 septembre 2002
Lecture du 27 septembre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 août 1999 et 25 août 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Martine N. ; Mme N. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt en date du 18 mai 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 7 octobre 1997 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier intercommunal de Créteil à lui verser une somme d’un million de francs en réparation des préjudices subis à la suite de plusieurs interventions chirurgicales ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 20 000 F en réparation des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aladjidi, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de Mme N. et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier intercommunal de Créteil,
- les conclusions de M. Olson, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d’appel de Paris que Mme N. soutenait devant les juges du fond que le centre hospitalier intercommunal de Créteil avait commis une faute en tardant à intervenir pour traiter l’infection provoquée par l’intervention qu’elle avait subie le 16 janvier 1992 dans ce centre ; que la cour n’a pas répondu à ce moyen qui n’était pas inopérant ; qu’il s’ensuit que son arrêt est entaché d’insuffisance de motivation et doit être annulé ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;

Considérant que la requérante demande réparation au centre hospitalier intercommunal de Créteil du préjudice résultant des complications infectieuses et opératoires de la stérilisation tubaire qu’elle a subie dans ledit centre, le 16 janvier 1992 ;

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’expertise que l’indication thérapeutique de l’intervention pratiquée le 16 janvier 1992 sur Mme N. était justifiée par les risques qu’aurait entraînés une nouvelle grossesse et, par la contre-indication ou l’échec des autres méthodes contraceptives ; que, par ailleurs, le mode opératoire choisi était justifié par les risques qu’aurait comportés le recours à d’autres modes ; qu’ainsi, aucune faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ne peut être relevée à l’encontre des praticiens qui ont indiqué et réalisé ladite intervention ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’il ne résulte pas de l’instruction que le centre hospitalier ait commis, dans les circonstances de l’espèce, une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service en tardant à hospitaliser à nouveau Mme N. et à procéder, le 3 février 1992, au drainage d’un hématome apparu à la suite de la première opération ;

Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’instruction que les germes qui sont à l’origine de l’infection qui s’est déclarée à la suite de la stérilisation tubaire subie par Mme N. et a nécessité une ablation de sa trompe droite et de son ovaire droit étaient déjà présents dans l’orgranisme de la patiente avant la première intervention ; que dans ces conditions, l’intéressée n’est pas fondée à soutenir que l’infection dont elle a souffert révèlerait, par elle-même, une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service ;

Mais considérant, en quatrième lieu, que lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité, de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;

Considérant que s’il est constant que la requérante a été informée du but de la stérilisation tubaire qu’elle a subie, l’établissement hospitalier n’apporte pas la preuve qui lui incombe, qu’elle a également été informée des risques de complications infectieuses invalidantes d’une telle intervention ; qu’ainsi, le centre hospitalier intercommunal de Créteil a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité à l’égard de Mme N. à raison de la perte de chance dont celle-ci a été privée de se soustraire au risque qui s’est réalisé ;

Sur le préjudice de Mme N. :

Considérant qu’il résulte de l’instruction que les frais médicaux et pharmaceutiques résultant directement des conséquences dommageables de la complication infectieuse subie par Mme N. à la suite de son opération de stérilisation tubaire s’élèvent à un montant de 10 209 euros : que le préjudice subi au titre, d’une part, de neuf mois d’incapacité temporaire ayant empêché Mme N. de suivre une formation d’aide-soignante pour laquelle elle était inscrite, et d’autre part, d’une incapacité permanente partielle résiduelle de 10 % marquée par des troubles du transit et une détérioration de la régulation hormonale, doit être évalué à 38 112 euros ; qu’ainsi, le préjudice corporel subi par Mme N. s’élève à 48 321 euros ; qu’il sera, en outre, fait une juste appréciation des souffrances physiques et psychologiques endurées en les fixant à 7 622 euros ;

Considérant que la réparation du dommage résultant pour Mme N. de la perte d’une chance de se soustraire au risque qui s’est finalement réalisé doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis ; que, compte tenu du rapprochement entre, d’une part, les risques inhérents à l’intervention et, d’autre part, les risques qui étaient encourus en cas de renoncement à cette intervention, cette fraction doit être fixée au tiers ; qu’ainsi, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme N. en le fixant à 16 107 euros au titre du préjudice corporel et à 2 540 suros au titre des autres dommages ;

Sur les droits de la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-et-Marne :

Considérant qu’en application de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, la caisse d’assurance maladie peut poursuivre le remboursement des dépenses qu’elle a exposées dans la limite des sommes allouées à la victime en réparation de la perte de chance d’éviter un préjudice corporel, la part d’indemnité de caractère personnel étant exclue du recours de la caisse ; qu’ainsi, il n’y a lieu de condamner le centre hospitalier intercommunal de Créteil à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-et-Marne les sommes que celle-ci justifie avoir prises en charge en tant que caisse de sécurité sociale de Mme N., soit 10 209 euros, s’imputant sur le préjudice corporel ; qu’en revanche, la caisse n’est pas fondée à demander le remboursement des sommes qu’elle pourrait être amenée à débourser ultérieurement, dès lors que ces sommes n’ont pas un caractère certain ; qu’enfin, les conclusions de, la caisse tendant à la condamnation du centre hospitalier intercommunal de Créteil à lui verser la somme de 762.25 euros au titre de l’indemnité forfaitaire prévue par le I de l’article 9 de l’ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 ont été présentées pour la première fois en cause d’appel et sont, par suite, irrecevables ;

Sur les droits de Mme N. :

Considérant que, compte-tenu de ce qui vient d’être dit, le montant de l’indemnité due à Mme N. par le centre hospitalier intercommunal de Créteil doit être fixé à la somme de 5 898 euros en ce qui concerne la réparation du préjudice corporel et à 2 540 euros en ce qui concerne les autres préjudices, soit un total de 8 438 euros ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme N. est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris, par le jugement du 7 octobre 1997, a rejeté sa demande de réparation des préjudices résultant de l’intervention qu’elle a subie le 16 janvier 1992

Sur les intérêts et leur capitalisation :

Considérant que Mme N. a droit aux intérêts de la somme de 8 438 euros, à compter du 7 août 1992. date de sa première demande de réparation au centre hospitalier intercommunal de Créteil : que la capitalisation des intérêts a été demandée le 25 août 2000 et le 1er février 2002 ; qu’à ces dates, il était dû au moins une année d’intérêts ; que, par suite, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;

Considérant que la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-et-Marne a droit aux intérêts de la somme de 10 209 euros, à compter du 16 juin 1994, date de sa première demande devant le tribunal administratif de Paris ;

Sur les frais d’expertise :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’affaire, de mettre ces frais, s’élevant à la somme de 620 euros. à la charge du centre hospitalier intercommunal de Créteil ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. de condamner le centre hospitalier intercommunal de Créteil à verser à Mme N. une somme de 3 000 euros et à la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-et-Marne une somme de 450 euros ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 18 mai 1999 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 7 octobre 1997 sont annulés.

Article 2 : Le centre hospitalier intercommunal de Créteil versera à la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-et-Marne une somme de 10 209 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 16 juin 1994 et à Mme N. la somme de 8 438 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 7 août 1992. Les intérêts échus sur cette dernière somme le 25 août 2000 et le 1er février 2002 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Les frais d’expertise exposés devant le tribunal administratif de Paris pour un montant de 620 euros sont mis à la charge du centre hospitalier intercommunal de Créteil.

Article 4 : Le centre hospitalier intercommunal de Créteil versera une somme de 3 000 euros à Mme N. et une somme de 450 euros à la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-et-Marne au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme N. et de la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-et-Marne est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Martine N., au centre hospitalier intercommunal de Créteil. à la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-et-Marne, au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

 


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