CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 235247
M. D.
Mlle Landais, Rapporteur
Mme Boissard, Commissaire du gouvernement
Séance du 29 octobre 2001
Lecture du 9 novembre 2001
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
Vu la requête, enregistrée le 28 juin 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Fabrice D ; M. D. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’ordonnance du 13 juin 2001 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Caen a rejeté sa requête tendant à la suspension de l’exécution de la décision du 23 mai 2001 par laquelle le préfet du Calvados a décidé de le maintenir en hospitalisation d’office ;
2°) d’ordonner la suspension de la décision du 23 mai 2001 précitée ;
3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mlle Landais, Auditeur,
les observations de Me Foussard, avocat de M. D.,
les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. D. demande l’annulation de l’ordonnance du 13 juin 2001 pan laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à ce que soit prononcée la suspension de l’exécution de la décision du préfet du Calvados du 23 mai 2001 ordonnant son maintien en hospitalisation d’office ;
Considérant qu’aux termes de l’article L.521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative. même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision. ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision... » ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 3213-1 du code de la santé publique : « A Paris, le préfet de police et, dans les départements, les représentants de l’Etat prononcent par arrêté, au vu d’un certificat médical circonstancié, l’hospitalisation d’office (...) des personnes dont les troubles mentaux compromettent l’ordre public ou la sécurité des personnes./ (...) Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’hospitalisation nécessaire » ; qu’aux termes de l’article L. 3213-4 du même code : « Dans les trois jours précédant l’expiration du premier mois d’hospitalisation, le représentant de l’Etat dans le département peut prononcer. après avis motivé d’un psychiatre, le maintien de l’hospitalisation d"office pour une nouvelle durée de trois mois./ Au-delà de cette durée, l’hospitalisation peut être maintenue par le représentant de l’Etat dans le département pour des périodes de six mois maximum renouvelables selon les mêmes modalités » ; qu’aux termes de l’article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent./ A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police » ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que l’autorité administrative, lorsqu’elle prononce ou maintient l’hospitalisation d’office d’un aliéné, doit indiquer dans sa décision les éléments de droit et de fait qui justifient cette mesure ; que si elle peut satisfaire à cette exigence de motivation en se référant au certificat médical circonstancié qui doit être nécessairement établi avant la décision préfectorale, c’est à la condition de s’en approprier le contenu et de joindre ce certificat à la décision ;
Considérant que pour estimer que le moyen tiré du défaut de motivation de l’arrêté contesté du 23 mai 2001 n’était pas propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, le juge des référés s’est fondé sur la circonstance que deux certificats médicaux établis par le psychiatre du centre hospitalier accueillant M. D., dont un seul est d’ailleurs visé par l’arrêté contesté, indiquaient de manière suffisante les circonstances de fait justifiant le maintien de l’hospitalisation : qu’en estimant que l’arrêté contesté pouvait légalement se borner à se référer à un certificat médical qui n’était pas joint à la décision, le juge des référés a entaché son ordonnance d’erreur de droit ; qu’ainsi, l’ordonnance attaquée doit être annulée ;
Considérant qu’il y a lieu, par application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par M. D. ;
Considérant que pour les raisons indiquées ci-dessus, le moyen tiré de ce que l’arrêté du 23 mai 2001 est insuffisamment motivé paraît propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à sa légalité ; qu’il est ainsi satisfait à l’une des conditions à laquelle est subordonnée la mise en oeuvre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative ;
Considérant toutefois que la condition liée à l’urgence ne peut être regardée comme remplie que si l’exécution de l’acte administratif en cause porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ; que la notion d’urgence ainsi définie doit s’apprécier objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de chaque espèce ;
Considérant au cas présent et compte tenu notamment du fait que le psychiatre du centre hospitalier a subordonné la possibilité pour M. D. de bénéficier d’un régime de sortie d’essai à la condition qu’il continue de faire l’objet en milieu hospitalier d’une surveillance médicale appropriée, il n’apparaît pas, en l’état de l’instruction. que l’urgence justifie la suspension de l’arrêté du 23 mai 2001 prescrivant le maintien de l’hospitalisation d’office de l’intéressé pour une période qui, eu égard aux termes de la loi, n’excède pas six mois à compter de sa prise d’effet ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à M. D. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’ordonnance du 13 juin 2001 du juge des référés du tribunal administratif de Caen est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. D. devant le juge des référés du tribunal administratif de Caen et le surplus des conclusions de sa requête devant le Conseil d’Etat sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Fabrice D., au centre Esquirol du centre hospitalier universitaire de Caen, au ministre de l’intérieur et au ministre de l’emploi et de la solidarité.