CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 235736
Elections municipales de Piré-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine)
M. GREGOIRE et autres
M. Logak, Rapporteur
M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement
Séance du 28 juin 2002
Lecture du 10 juillet 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, Section du Contentieux)
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 6 juillet 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par M. Alain GREGOIRE, M. Dominique DENIEUL, M. Léon RUPIN, M. Paul LAMOUREUX, M. Pierrick COLLEU, M. Joseph HAUBOIS, M. Gilles RIALLAND, M. Pascal LESAGE et M. Paul GUENE demandant au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler le jugement en date du 6 juin 2001 par lequel le tribunal administratif de Rennes a, sur les protestations de M. Auguste MONNIER et de M. Léon RUPIN, rectifié les résultats des opérations électorales qui se sont déroulées le 18 mars 2001 à Piré-sur-Seiche pour la désignation des conseillers municipaux, annulé l’élection de M. Alain GREGOIRE en qualité de conseiller municipal et proclamé élu à sa place M. Christian Colliot ;
2°) de rejeter les protestations de MM. MONNIER et RUPIN contre ces opérations électorales ;
3°) de condamner M. MONNIER à leur verser la somme de 10 000 F sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code électoral ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Logak, Maître des Requêtes,
les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à la validité de certains bulletins de vote, le juge de l’élection doit rechercher d’abord si, eu égard au nombre des bulletins concernés et à l’argumentation développée devant lui, cette contestation est de nature à remettre en cause l’élection d’un ou plusieurs candidats ; que, dans l’affirmative, il lui appartient d’étendre ensuite ses vérifications à l’ensemble des bulletins des mêmes bureaux annexés au procès-verbal des opérations électorales en vertu des articles L. 66, R. 66 et R. 68 du code électoral ; qu’il ne peut toutefois procéder à ces dernières vérifications sans en informer les parties ; qu’au terme de ces vérifications, le juge doit réviser les décomptes des voix et modifier, le cas échéant, les résultats de l’élection ;
Considérant que le tribunal administratif de Rennes, saisi des protestations de M. MONNIER et de M. RUPIN fondées sur des griefs tirés de ce qu’un bulletin avait été déclaré nul à tort et un autre décompté à tort comme valable dans l’unique bureau de vote de la commune de Piré-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) à l’occasion des élections municipales du 18 mars 2001, a examiné la validité non seulement de ces bulletins, mais aussi de l’ensemble des bulletins déclarés nuls par le bureau de vote et joints au procès-verbal des opérations électorales produit devant lui ; qu’au terme des rectifications qu’il a opérées, il a proclamé élu M. Colliot à la place de M. GREGOIRE, dont il a annulé l’élection ; qu’en procédant ainsi à l’examen de l’ensemble de ces bulletins sans en avoir au préalable informé les parties, le tribunal administratif de Rennes a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ; que, par suite, M. GREGOIRE est fondé à demander l’annulation du jugement en date du 6 juin 2001 du tribunal administratif de Rennes ;
Considérant que le délai imparti au tribunal administratif par l’article R. 120 du code électoral pour statuer sur les protestations dont il était saisi étant expiré, il appartient au Conseil d’Etat d’examiner ces protestations ;
Sur la protestation de M. Jules Robert :
Considérant que la protestation formée par M. Robert n’est assortie d’aucun grief ; qu’elle est par suite irrecevable ;
Sur les protestations de M. Auguste MONNIER et de M. Léon RUPIN :
Considérant que le dernier siège de conseiller municipal a été attribué au bénéfice de l’âge à M. GREGOIRE qui avait obtenu le même nombre de voix que M. Colliot, candidat de la liste "Pour imaginer et réussir ensemble" ; qu’en contestant la nullité d’un bulletin de cette liste, M. MONNIER entend obtenir la modification des résultats du scrutin en ce qui concerne ce siège ; qu’il a acquitté le droit de timbre ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient M. RUPIN, sa protestation est recevable ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que si le bulletin mentionné dans la protestation de M. MONNIER avait été imprimé en vue du premier tour de scrutin, son emploi pour le deuxième tour de scrutin exprimait sans équivoque la volonté de l’électeur de donner son suffrage aux personnes qui y étaient désignées, nonobstant la circonstance qu’y figurait le nom d’un candidat élu au premier tour ; qu’il ne portait aucun signe de reconnaissance ; qu’il y a lieu de valider ce suffrage que le bureau de vote a annulé à tort et d’ajouter une voix à chacun des 18 autres candidats mentionnés sur le bulletin ; qu’au terme de cette rectification M. Colliot recueillerait 401 voix et devrait par suite être élu à la place de M. GREGOIRE, qui n’obtiendrait que 400 voix ; que le grief invoqué étant ainsi de nature à remettre en cause l’élection d’un candidat, il y a lieu d’examiner la validité de l’ensemble des bulletins joints au dossier, que les parties, dûment informées, ont été en mesure de consulter au greffe du Conseil d’Etat, et, ce faisant, de statuer sur la réclamation de M. RUPIN qui tend à l’invalidation d’un bulletin sur lequel figure le nom de M. Colliot ;
Considérant que le bureau de vote a, à juste titre, déclaré nuls 36 suffrages portant sur un total de noms supérieur à celui des conseillers à élire sans que l’ordre des noms puisse être déterminé ; que c’est également à juste titre qu’il a déclaré nuls comme portant des signes de reconnaissance, un suffrage émis à l’aide d’un bulletin marqué d’une croix rouge à huit branches, ainsi que deux suffrages exprimés, le premier au moyen des bulletins des trois listes en présence, dont l’un coupé en deux d’une façon constituant un signe distinctif, le second au moyen d’un bulletin du premier tour sur lequel figurait un tiret ; qu’il a également à bon droit regardé comme des votes blancs et par suite annulé deux suffrages exprimés, l’un au moyen d’un bulletin entièrement rayé, l’autre au moyen d’un bulletin barré d’une croix, ainsi que trois suffrages correspondant à des enveloppes ne contenant aucun bulletin ;
Considérant en revanche que le bureau de vote a estimé à tort qu’un bulletin comportait une croix constitutive d’un signe distinctif, justifiant son annulation ; qu’il y a lieu d’augmenter d’une unité le nombre de suffrages exprimés et d’ajouter une voix à chacun des 16 candidats figurant sur ce bulletin ;
Considérant que c’est également à tort que le bureau de vote a annulé trois suffrages émis à l’aide d’un bulletin comportant dix-neuf noms ; qu’il y a lieu d’ajouter un suffrage à chacun des 18 premiers candidats y figurant, sans tenir compte du nom du candidat y figurant en dernière position ; qu’il y a lieu également de valider un bulletin déclaré à tort nul par le bureau de vote au motif qu’il comportait plus de 18 noms, alors qu’il résulte de l’instruction qu’il n’en portait que 18 ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que 6 enveloppes ou bulletins nuls joints au procès-verbal mais non mentionnés comme tels dans celui-ci correspondent à six enveloppes contenant un bulletin relatif aux élections cantonales qui se sont déroulées le 18 mars 2001 à Piré-sur-Seiche pour l’élection du conseiller général du canton de Janzé ; que la présence, lors d’une élection municipale, dans une enveloppe trouvée dans l’urne, d’un bulletin relatif à une élection cantonale ne permet pas de connaître clairement la volonté manifestée par l’électeur et entraîne, par suite, la nullité du suffrage ainsi émis ; que les six enveloppes et bulletins en cause ont été signés par les membres du bureau de vote et annexés au procès-verbal, conformément aux dispositions de l’article L. 66 du code électoral ; qu’aucun suffrage correspondant à ces bulletins, déclarés nuls par le bureau, n’a été attribué à un quelconque des candidats en présence ; qu’ainsi le nombre de suffrages exprimés doit être diminué de six unités sans qu’il y ait lieu de diminuer de six unités le nombre de suffrages obtenus par les candidats proclamés élus ;
Considérant enfin qu’il résulte de l’instruction que le bureau de vote a estimé valide, à tort, un suffrage comportant un signe de reconnaissance, exprimé au moyen de deux bulletins imprimés contenus dans la même enveloppe, l’un, intact, au nom de la liste "Pour imaginer et réussir ensemble", l’autre au nom de la liste "Agissons ensemble" sur lequel tous les noms avaient été rayés, dont un rayé à l’encre rouge ; qu’il y a lieu, comme le demande M. RUPIN dont la réclamation est fondée, de déduire un suffrage du total des suffrages exprimés et un suffrage du total de ceux obtenus par les candidats de la liste "Pour imaginer et réussir ensemble" ;
Considérant que, compte tenu des rectifications devant ainsi être faites, le total des suffrages obtenus par M. GREGOIRE, dernier candidat proclamé, doit être porté de 400 à 404 ; que le total des suffrages obtenus par M. Colliot, premier candidat non élu, doit être porté de 400 à 403 ; qu’aucun autre candidat proclamé élu n’obtient un nombre de suffrages inférieur à 404, ni aucun autre candidat non proclamé élu un nombre de suffrages supérieur à 403 ; que M. GREGOIRE, qui a obtenu une voix de plus que M. Colliot a ainsi été à bon droit proclamé élu ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la protestation de M. MONNIER doit être rejetée ;
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. RUPIN, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante soit condamné à payer à M. MONNIER la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner M. MONNIER à payer à M. GREGOIRE et à ses colistiers la somme qu’ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 6 juin 2001 est annulé.
Article 2 : Les protestations de M. MONNIER et de M. ROBERT sont rejetées.
Article 3 : L’élection de M. GREGOIRE est validée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. GREGOIRE et de ses colistiers est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de M. RUPIN et de M. MONNIER tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Alain GREGOIRE, à M. Dominique DENIEUL, à M. Léon RUPIN, à M. Paul LAMOUREUX, à M. Pierrick COLLEU, à M. Joseph HAUBOIS, à M. Gilles RIALLAND, à M. Pascal LESAGE, à M. Paul GUENE, à M. Auguste MONNIER, à M. Jules Robert, à M. Christian Colliot, au maire de la commune de Piré-sur-Seiche et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.